Piette Albert, L’être humain, une question de détails
Texte intégral
- 1 Dont Le mode mineur de la réalité. Paradoxes et photographies en anthropologie, Louvain, Peeters, 1 (...)
1L’A. développe ici une vision originale de l’action humaine, et plus largement même, de la modalité de présence au monde propre à l’homme qu’il nomme « le mode mineur » (déjà mis en évidence dans plusieurs ouvrages antérieurs1). Ce mode « valorise la capacité de dégagement de l’être humain par rapport aux êtres, aux objets, aux événements, alors que les sciences sociales valorisent implicitement ou explicitement l’engagement politique » (p.10). Il permet « des identifications latérales, une certaine dérision, en prendre et en laisser, en être et en même temps, ne pas en être […]. Bref, un ensemble d’attitudes inductrices d’une réflexivité et d’une capacité critiques diffuses chez l’individu en situation » (p.12). Le caractère diffus de cette réflexivité est crucial aux yeux de l’A., qui la distingue d’un recul explicite, discursif à la réalité. Il s’agit là d’une « présence dégagée sans être désengagée » (p.16), en deçà du rire, de l’humour ou de la résistance.
2Utilisant des commentaires sur la pensée et la peinture chinoises pour clarifier ce mode mineur, l’A. énumère ainsi quelques caractéristiques d’une manière de peindre : « traits esquissés plutôt que saillants, contours adoucis, présence émoussée par une certaine absence, formes manifestées et déjà retirées, couleurs pâles, aucun mouvement impulsif, fond indifférencié, formes indécises plutôt que des états distincts, tonalité globale de platitude » (p.15).
3Ce mode mineur s’appuie sur les détails, ces éléments sans importance pour le sens principal de l’action, périphériques, que l’homme, contrairement à l’animal, peut « maintenir au-delà du tri entre pertinence et insignifiance, un espace neutre » (p.40). Le détail permet de diluer le sens de l’interaction, d’alléger l’engagement qu’on y manifeste, son enjeu n’accaparant jamais toute l’attention. Il favorise une forme de l’action humaine fluide, relâchée, assouplie.
4Le recours à quelques citations de l’A. aura permis de donner un aperçu du charme de son écriture, parfaitement idoine à son objet, ouvrant un espace pour percevoir, puis penser autrement une modalité de présence au monde, sans jargon ni simplification.
- 2 Entre autres dans Le fait religieux. Une théorie de la religion ordinaire, Paris, Economica, 2003.
5L’explicitation et la valorisation de ce mode mineur permettent de quitter les sentiers battus de la sociologie, comme le montre l’A. dans un appendice ; elles favorisent aussi une vision renouvelée des formes de présence spécifique de réalités différentes, du divin (l’A. a travaillé déjà sur le phénomène religieux2) à l’animal domestique ; elles ouvrent une vision fondamentale de la façon dont l’homme, au pire du conflit ou de l’horreur – comme l’indiquent les citations finales de Primo Levi – parvient à trouver des formes de repos.
Notes
1 Dont Le mode mineur de la réalité. Paradoxes et photographies en anthropologie, Louvain, Peeters, 1992.
2 Entre autres dans Le fait religieux. Une théorie de la religion ordinaire, Paris, Economica, 2003.
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Référence papier
Natalie Rigaux, « Piette Albert, L’être humain, une question de détails », Recherches sociologiques et anthropologiques, 39-1 | 2008, 197.
Référence électronique
Natalie Rigaux, « Piette Albert, L’être humain, une question de détails », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 39-1 | 2008, mis en ligne le 03 mars 2011, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rsa/439 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rsa.439
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