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À propos de livres

Fabre Daniel, Iuso Anna, (Dir.), Les monuments sont habités

Paris, Éditions de la M.S.H., coll. Ethnologie de la France n°24, 2009, 336p.
Claude Rivière
p. 146-149

Texte intégral

1Un coup fumant en couverture ! Une pyramide pharaonique, au pied de laquelle un touriste a laissé sa twingo verte, laisse échapper d’une cheminée un joli panache. Hello, mon vieux Kheops !... Pilote de la recherche patrimoniale au Ministère de la Culture, C. Hottin énonce d’abord sa mission monumentale de sauvegarde de châteaux et cités en adoptant le point de vue de D. Fabre sur la dynamique : déclassement du stigmate – classement comme mémoire – sur-classement pour une glorification, ainsi que sur la perception du lieu par les habitants, les manières de vivre à l’intérieur, l’émotion issue du monument ressuscité.

2“Habiter les monuments”, incarner le passé sans oublier la société, tel est l’objet de la solide réflexion introductive d’un Fabre attentif au goût des ruines comme au prix de la restauration des châteaux et au rapport touristes-habitants. Le Gavroche de Hugo est squatteur d’un éléphantesque monument Place de la Bastille ; des prisonniers ont occupé un moment le Palais des papes à Avignon ; les architectes, dont le ventre est la matrice de l’histoire, sont là pour dire et faire le relevage ; les historiens pour ajouter un monument de mots ; le pouvoir pour décider de l’opération “Portes ouvertes”.

3Daniel Fabre, directeur d’études à l’EHESS, et Anne Iuso, co-auteur et traductrice, ont sauvé l’habitat villageois du sud-italien de la relative ignorance qu’en avaient les ethnologues de l’hexagone. Des décrépitudes sont stoppées par la restauration et les nouveaux habitants se glorifient d’habiter un monument historique. Comme pendant aux grottes troglodytiques de Matera et aux cabanes de pierres sèches des Pouilles, il y a Carcassonne et quelques palais du pouvoir à l’architecture parfois salée.

4Première station avec Carlo Levi : Le Christ s’est arrêté à Eboli (1945). Depuis, les Sassi de Matera dans le Basilicate ont réveillé leur conscience patrimoniale après classement du site (de tuf creusé en grottes ou entonnoirs aux eaux usées ruisselantes, honte nationale) au concours du patrimoine mondial de l’UNESCO. Des trous-maisonnée-étable grouillant de pauvres et éventuellement de moines là où l’on a soigné la façade, sont réhabilités après des travaux d’hygiène publique ? Des marchands pour touristes s’y logent le jour, tandis que bien des autochtones ont émigré vers la ville moderne construite tout près. Les auteurs italiens des trois premiers chapitres ont fort bien su présenter les lieux, la littérature et les films à leur propos, tout comme le processus de dégradation troglodytique.

5Viennent ensuite la gloire et l’utopie enrichie de discours d’urbanistes, architectes, développeurs tandis que les ethnologues essaient de comprendre la solidarité de voisinage (aide, échanges, surveillance des enfants) et les formes de vie (parfois tensionnelle) dans l’histoire récente. Le grouillement est devenu pittoresque depuis la rénovation urbaine-anti-urbaine des années 1950. Communauté et société se repoussent moins que chez Tönnies. Le site continue d’être habité par deux mille personnes avec leurs échoppes, leur cave à vin dans les trous et leur confort nocturne plutôt dans la ville nouvelle. On félicitera les artisans du renouveau, les auteurs de croquis et surtout les Mirizzi, Restucci, Zinn, dont les recherches et l’écriture nous séduisent.

6Toujours en Italie, Anne Iuso dit joliment adieu à son fief ethnographique, Alberobello et ses trulli des Pouilles qui sont des cabanes bâties à sec en cône ou coupole ressemblant à des nuraghes sardes et aux garritas des Baléares. L’architecture en a évolué comme le montrent les croquis de maisons et du quartier d’Aja Piccola près de Bari, ainsi que la lourde documentation historique consultée en partant du XVIIe siècle. Depuis 1996, le classement au patrimoine de l’humanité a fait d’une fable préhistorique (campement de guerriers nains) un pays féerique, bizarre, touristique, aux demeures retapées pour les vacances des classes aisées et pour les marchands du temple qui “gagnent facile” sous les flashs des Japonais.

7En sautant le détroit de Messine, on peut savoir ensuite (B. Palumbo), ce qu’est l’esprit de clocher et comment se désaccordent le patrimoine universel et les patrimoines locaux sous le couvert de l’UNESCO : institutions globales contre rhétoriques identitaires, à propos du Val de Noto et du baroque tardif de la Sicile orientale. Les églises pittoresques du XVIIIe tardif peuvent avoir subi de lourds conflits entre diocèses redécoupés et échappé à des tremblements de terre. Les Siciliens semblent aimer se battre pour leur identité culturelle. Soit ! Passons en Afrique !

8Bah ! Le chapitre sur “L’ethnographe en pays dogon” est l’exemple parfait d’une certaine nouvelle ethnologie décevante : des prescriptions méthodologiques et aucun résultat patent. Je n’ai rien appris sur la falaise de Bandiagara que je ne savais déjà : que la mise en patrimoine UNESCO avait changé les traditions (lesquelles et comment ?) et que les gens voulaient, comme depuis longtemps, de l’eau, de la nourriture, du bien-être, que les pourris de l’administration et de la recherche ne donnaient pas. La plupart des projets de développement avaient échoué en même temps qu’était bricolé l’exotisme dogon. Masque du patrimoine ? Plutôt masque morbide d’un néo-ethnologue bavard, critique de Griaule bien sûr !

  • 1  Amiel Ch., Fabre-Vassas Cl., “Carnaval, classes d’âge et identité d’un quartier : le Tour de l’âne (...)

9Par contre, le lecteur aura grand plaisir à lire l’admirable récit d’ethnologie sur la cité vivante de Carcassonne. Christiane Amiel fait son miel près de ces tours-ruches médiévales. Elle rappelle d’abord H. Taine et la “moisissure humaine” dans ce ghetto du XIVe siècle composé de bicoques de tisserands accrochées à la citadelle avant la restauration, par Viollet-le-Duc, de kilomètres de remparts et de 52 tours, dans la seconde moitié du XIXe. La médiévalité est désormais «un caractère acquis, comme par capillarité, dans le voisinage du monument» (p.203) agrémenté de musées du costume et de la torture. Regards indiscrets de touristes aux vitres des maisons comme dans les parcs nationaux : «Un de ces jours, il y en aura un qui nous jettera des cacahuètes» (p.205). Valeur primitive ajoutée par la restauration ! Lors de la fête carnavalesque, faites le “Tour de l’âne”, orné de cornes et ailleurs de poireau ou d’aubergine pointant entre deux oignons1. Ensuite vous écouterez parler les pierres en même temps que les habitants. Autour chantent les vignes et se taisent les Cathares.

10Retour en Italie “au nom du lieu”, d’un lieu possédé par la mémoire de quelqu’un, Armungia par le sarde Lussu, comme Vinci par Léonard. Cette part d’histoire de la gauche sarde a été restituée et chantée avec délices par le professeur P. Clemente et ses étudiants sur fond de chasse au sanglier, de nuraghe et de projet touristique. La maison est peut-être habitée par la mémoire, pas très bien par celle de l’ethnologue de la Sapienza !... Ailleurs, à Bernalda, province de Matera, étudiée par R. Parisi, c’est son passé qui est habité. La preuve en est la commémoration de la fondation de la ville par B. de Bernauda grâce à un don de Ferdinand d’Aragon en 1497. Mais comme Métaponte est à quelques lieux, les habitants vont aussi se faire voir chez les Grecs.

11L’hellénéité endossée, l’histoire peut jouer allegro sur deux claviers. L’ethnologie européenne a toujours les ressources de l’histoire et de la géographie par rapport aux ethnologies de l’exotique. Elle se nourrit ici de défilés en costumes médiévaux, de frontons grecs rapportés, d’une ville nouvelle quadrillée au cordeau, mais aussi du bavardage des gens des Pouilles… Allons en Campanie dans le textile et le nougat d’une ville-campagne. V. Siniscalchi y a interrogé les logiques locales de perception de l’espace (ruelles, séismes, lien au Gap de Provence) et s’est informée auprès du syndicat d’initiative engagé dans la réinvention de traditions, le retour à la pierre sèche et surtout la glorification du patrimoine.

12En finale, 50 pages sur la France. D’abord, ethnologie d’un lieu vide. L’ancienne merveille architecturale de Ledoux dans le Doubs construite sous Louis XV pour abriter l’administration d’une saline bientôt désaffectée, puis occupée passagèrement par des républicains espagnols, par l’armée française, puis par des Tsiganes…, intéresse plus quelques historiens que l’ethnologue qui glose sur l’architecte visionnaire et le triomphe de l’utopie en encaissant des fonds du patrimoine. «Cette valorisation a produit un artefact dissocié de sa première valeur d’usage» (p.287).

13Irène Bellier s’empare des palais du pouvoir. Que le Louvre du Ministère des Finances soit de facture classique, pourquoi pas ? Nouveau est Bercy comme la pyramide abritant les gisants de l’art. Pour grimper en haut de la pyramide du pouvoir, il y a l’ENA, désastreusement exilée à Strasbourg. Les nobles hôtels sont dignes d’abriter les grands ministères et les préfectures. Mais ici il s’agit plus de style, de symbolique, de signes de la hiérarchie que d’une ethnologie des usages et des cerveaux tentée par ailleurs dans le cadre du LAIOS.

14Fin sans sacralité avec la bibliothèque François Mitterand vue par Claudie Voisenat qui juge sans complaisance le rêve de Perrault sur les lieux : urbanistique pas écologique, minimaliste et arrogant, symbolique peut-être (4 livres ouverts), mais peu fonctionnel. La place publique : un désastre. On peut regretter la Halle aux vins et surtout l’ancienne Bibliothèque de la rue Richelieu, même si le magasinier se sent la sentinelle de la collection. Je note: «Cette histoire que le monument veut incarner n’est celle de personne» (p.332).

15Néanmoins, cette rencontre de l’ethnologie avec l’histoire et l’architecture, à travers une quinzaine d’études de cas, a le mérite d’ouvrir des perspectives de comparaison franco-italiennes (Saumurois, Corse…). Le monument n’est pas immobile, il peut être reconçu, vécu dans son intérieur, exposé aux dégradations et revalorisations. D’où l’utilité d’une mission du patrimoine assistée de bons anthropologues.

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Notes

1  Amiel Ch., Fabre-Vassas Cl., “Carnaval, classes d’âge et identité d’un quartier : le Tour de l’âne de la Cité de Carcassonne”, in Groupe Audois de recherche et d’animation ethnographique, Un demi-siècle d’ethnologie occitane autour de la revue Folklore, Carcassonne, pp.115-152.

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Pour citer cet article

Référence papier

Claude Rivière, « Fabre Daniel, Iuso Anna, (Dir.), Les monuments sont habités »Recherches sociologiques et anthropologiques, 41-2 | 2010, 146-149.

Référence électronique

Claude Rivière, « Fabre Daniel, Iuso Anna, (Dir.), Les monuments sont habités »Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 41-2 | 2010, mis en ligne le 08 février 2011, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rsa/264 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rsa.264

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Auteur

Claude Rivière

Université Paris V - Sorbonne

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Droits d’auteur

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