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Dossier

La maternité et le “travail reproductif” en questions

Entretiens croisés avec Anne-Marie Devreux, Francine Descarries, Françoise Thébaud et Louise Vandelac
Maternity and “Reproductive Work” in Questions Bisecting Interviews with Anne-Marie Devreux, Francine Descarries, Françoise Thébaud and Louise Vandelac
Marie Mathieu, Pauline Rameau et Lucile Ruault
p. 139-163

Résumés

Cette ultime section du dossier réunit les propos recueillis lors d’entretiens menés avec quatre chercheuses spécialisées en sociologie, en études féministes et en histoire qui ont étudié la maternité au sens large dans des sociétés francophones, durant un temps de leur carrière universitaire. Questionnées sur la manière dont elles en sont venues à travailler sur les enjeux de la procréation, leurs influences alors, leur familiarité avec la notion de travail reproductif, les raisons de sa marginalisation dans les sciences humaines et sociales et la pertinen­ce de la remobiliser aujourd’hui, Anne-Marie Devreux, Francine Descarries, Françoise Thébaud et Louise Vandelac livrent de précieux conseils et mises en garde pour penser aujourd’hui la maternité et les tâches qu’elle sous-tend.

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Texte intégral

I. Introduction

1Si nous avons opté pour l’expression “travail procréatif” dans ce dossier, les échanges collectifs et ce choix terminologique ont tout au long du projet été guidés par la réflexion critique qu’ont amorcée au cours des années 1970-80 nos aînées autour de la notion de “travail reproductif”. Nous tenions à retracer avec quatre d’entre elles, chercheuses féministes, l’his­toire de cette notion et, plus largement, de l’analyse de la maternité dans les sciences humaines et sociales. Chacune avec ses mots, son ancrage disciplinaire, ses thématiques et son parcours, est revenue lors d’un entretien sur l’histoire d’un objet et même d’un champ de recherche. Tout en nous livrant des pistes de recherche prometteuses, leurs réflexions sur des approches et des termes qui nous ont absorbées durant ces années de conception collective ont permis d’y porter un autre regard. Nous avions en effet conscience du caractère imparfait de l’expression “travail reproductif/re·productif” réutilisée dans un premier temps. Malgré ses potentialités, il nous semblait important d’explorer avec des chercheuses expérimentées les limites et les risques de cette grille d’analyse.

2Nous avons choisi d’échanger avec Anne-Marie Devreux, Francine Descarries, Françoise Thébaud et Louise Vandelac. Toutes les quatre ont étudié, dans leur complexité, diverses dimensions de la maternité (et de son refus), au sein de disciplines distinctes – l’histoire, la sociologie et les études féministes dans des sociétés francophones (la France et le Québec). Elles partagent toutes un ancrage dans les théories féministes matérialis­tes. En croisant leurs réponses, nous avons souhaité rendre compte de la polysémie des termes existants pour penser les activités liées à la reproduction de l’espèce humaine. La complémentarité de leurs regards met d’autant mieux en valeur la multiplicité des enjeux que sous-tend l’engen­drement des êtres humains : la hiérarchie sexuée et la construction binaire des sphères du travail (dissociation professionnelle/domestique), les temporalités des responsabilités parentales, la place des affects dans les activités laborieuses, la distribution des compétences et les intérêts divergents des groupes d’acteurs/rices engagé·e·s – dont les pouvoirs publics et les professionnel·le·s de soins.

3Il nous a semblé indispensable de les interroger sur leurs expériences propres, dont celles relatives à la procréation, puisque la constitution de savoirs scientifiques sur tout objet exige une réflexivité poussée et impli­que une analyse du contexte, de la position et du parcours des chercheurs/ses. En revanche, ce questionnement prend place dans la démarche singulière qui inspire le dossier : celle de désenclaver la production des êtres, la saisir hors du foyer, la faire surgir là où on ne l’attend pas. Se de­mander comment des intellectuel·le·s font ou non des enfants et envisagent leur propre parentalité n’est en rien indiscret ou futile. Cette question couramment dépolitisée devrait au contraire être prise en compte dans l’appréhension de tout milieu professionnel. Elle contribuerait, au même titre que le harcèlement sexuel au travail, à ne plus accorder l’enseigne­ment et la recherche à un ordre masculin qui s’impose d’autant plus insidieusement dans les consciences qu’il se prétend neutre.

  • 1 L’APRE ou l’Atelier PRoduction-REproduction est un séminaire fermé qui s’est tenu de 1985 à 1987. F (...)

4Directrice de recherche au CNRS, Anne-Marie Devreux fait partie des chercheuses qui ont contribué à l’émergence en France de la sociologie des rapports de sexe. Se basant sur de nombreux travaux empiriques, elle a démontré les différentes propriétés de ces rapports sociaux grâce à ses enquêtes sur la famille, le travail professionnel et domestique, ou encore l’armée. Elle s’inscrivait au début des années 1980 dans plusieurs réseaux qui développaient dans la sociologie un questionnement autour de l’articu­lation de la production et de la reproduction (Devreux, 1984 ; Devreux/Journet, 1984). Membre de l’APRE (Atelier PRoduction-REprodu­ction)1, dont les séminaires ont été organisés entre 1985 et 1987, elle se trouvait au cœur d’une réflexion collective qui a nourri de façon décisive ses propres recherches. Son enquête sur les conditions de vie professionnelle des femmes enceintes, dont résulte l’ouvrage La double production… (1988), l’a amenée à repenser le travail à partir d’expériences féminines – alors qu’il était (et est encore largement) envisagé à partir d’indivi­dus délestés du travail domestique et parental. Elle a depuis élargi ses champs de recherche, notamment en travaillant sur les hommes en tant que dominants et en développant un programme d’analyses épistémologi­ques et théoriques, mais elle a conservé tout au long de son parcours académique un fort intérêt pour cette question.

5Professeure au département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) depuis 1985, Francine Descarries est une figure importante de la recherche sur le féminisme au Québec. Ses travaux couvrent une large palette de champs de recherche relatifs au féminisme et à la question du travail reproductif. Elle s’est ainsi intéressée à l’évolution du discours féministe contemporain et du mouvement des femmes, mais aussi à l’économie sociale du point de vue des femmes, ou encore aux questions relatives au couple, à la maternité, aux trajectoires de carrière des femmes et à l’articulation famille-travail. Autrice au début des années 1980 d’un des premiers ouvrages québécois sur le travail des femmes, L’École rose et les cols roses (1980), Francine Descarries a collaboré à de multiples re­prises avec Christine Corbeil, aujourd’hui professeure au département de travail social de l’UQÀM (2005a, 2005b) ; ensemble, elles ont notamment dirigé un important ouvrage collectif sur la maternité, Espaces et temps de la maternité (2005b). Son engagement dans ces champs de recherche s’est traduit dans ses responsabilités, puisqu’elle est aujourd’hui directrice universitaire du Réseau québécois en études féministes et membre-fondatrice de l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQÀM (IREF).

  • 2 La revue a changé de sous-titre en 2013 et intégré le concept de genre : Clio. Femmes, Genre, Histo (...)

6Normalienne de Fontenay aux Roses, Françoise Thébaud a choisi pour faire sa licence en 1971 l’université de Paris VII, alors engagée sur des questions de recherche inédites. Inscrite au cours de Michelle Perrot sur l’histoire ouvrière et influencée par les revendications du mouvement féministe naissant, elle a réalisé une maîtrise en 1973-1974 sur les ouvrières de guerre en 1914-1918 dans la région parisienne. Elle a commencé sa thèse en 1977, alors que les travaux portant sur l’histoire des femmes s’affirmaient progressivement. Soutenue en 1982, elle traitait de l’histoire de la maternité en France pendant l’entre-deux-guerres. Françoise Thébaud se définit ainsi comme appartenant à la deuxième génération des spé­cialistes de l’histoire des femmes (après les fondatrices, dont Michelle Perrot et Yvonne Knibiehler), qui a rencontré les réticences de leurs pairs à recruter des enseignantes-chercheuses spécialisées dans ce domaine. Professeure émérite d’histoire contemporaine de l’Université d’Avignon, Françoise Thébaud a œuvré pour la reconnaissance de l’histoire des fem­mes et du genre en France. Elle a notamment dirigé le dernier volume de L’Histoire des femmes en Occident (1992), et son mémoire d’habilitation à diriger des recherches consacre une synthèse historiographique à ce sujet (1998, 2007). Après avoir fondé en 1995 la revue Clio, Histoire, Femmes et Sociétés2, elle en est devenue la co-directrice, avec Michelle Zancarini-Fournel puis Florence Rochefort. Elle a aussi présidé huit ans durant l’as­sociation pour le développement de l’histoire des femmes et du genre Mnémosyne (section française de la Fédération internationale pour la recherche en histoire des femmes), fondée en 2000. Elle a récemment publié Une traversée du siècle. Marguerite Thibert, femme engagée et fonctionnaire internationale (Paris, Belin, 2017).

  • 3 Avec Karl Parent, Main basse sur les gènes – ou les aliments mutants et Clonage ou l’art de se fair (...)

7Louise Vandelac, leader des mouvements étudiants de 1968 au Québec, puis journaliste et chercheuse, a ensuite coordonné l’intergroupe féministe regroupant le Théâtre des cuisines, les Éditions du Remue-Ménage, le Co­mité pour l’avortement libre et gratuit et le Centre de santé des femmes. Elle a interrogé les fondements des sociétés salariales ainsi que la catégorie analytique du travail pour penser les enjeux de la production domesti­que (Vandelac, 1981a, 1986). Après avoir réalisé l’une des premières thè­ses francophones sur les nouvelles technologies de reproduction (Vandelac, 1988), elle a été nommée à la Commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction au Canada. Professeure au département de sociologie et directrice de 2010 à 2013 de l’Institut des sciences de l’envi­ronnement de l’UQÀM, elle a élargi ses recherches aux interrelations santé, environnement, technosciences et politiques publiques et a co-réalisé deux documentaires sur le sujet3. Ex-directrice du Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement (CINBIOSE), elle co-dirige VertigO, première revue scientifique électroni­que francophone en sciences de l’environnement, et a présidé de 2012 à 2017 la Commission sectorielle sciences naturelles, humaines et sociales de la Commission canadienne pour l’UNESCO. Elle est membre de l’IREF, de l’Institut santé et société (ISS) et dirige le GRETESS (Groupe de recherche interdisciplinaire sur la gouvernance, les risques, l’environne­ment, les technosciences, la santé et la société). Ses travaux diversifiés s’attachent ainsi à explorer par d’autres voies les conditions d’engendre­ment des êtres et de régénération des milieux de vie.

II. Entretien

- Comment en êtes-vous venues à travailler sur la maternité ?

  • 4 Ce travail a notamment donné lieu à : Devreux A-M., Ferrand-Picard M., 1982.

- Anne-Marie Devreux : Je pense que ça a commencé quand on a travaillé avec Michèle Ferrand sur l’IVG4. J’avais fait un projet d’entrée au CNRS sur la santé des femmes au travail. Et après, j’ai fait des travaux sur l’articulation famille et travail – comme beaucoup de personnes à ce moment-là dans les études féministes faisaient –, et donc des trajectoires de femmes, actives. Évidemment, on rencontre les maternités. L’un de mes premiers objets personnels quand j’étais au CNRS, c’était l’articulation des trajectoires familiales, donc maternelles et professionnelles des femmes. Et assez vite, je me suis dit qu’il fallait en faire autant pour les hommes. Donc ça a été les premiers travaux sur la paternité et sur les hommes dans une sociologie des rapports sociaux de sexe – même si c’est un peu un anachronisme de parler ainsi pour l’époque. Je pense que c’est venu comme ça. Ensuite, le gros travail que j’ai fait qui a donné La Double pro­duction, c’était pour pousser plus loin la théorisation du lien production-reproduction : qu’est-ce qu’on peut dire de production-reproduction quand on prend le cas de figure des femmes qui sont à la fois en train de reproduire la vie – j’ai enlevé le “re” finalement – et de produire au sens classi­que, c’est-à-dire d’être actives dans la production de biens et de services ? Pour moi, il s’agissait d’une double articulation, l’articulation famille-travail et l’articulation productif-reproductif.

À l’époque, sociologie de la famille et sociologie du travail étaient fortement scindées. D’abord, dans les années 1970-80, les démographes gouvernaient la sociologie de la famille. C’étaient eux qui nous évaluaient, eux qui construisaient les données chiffrées, et il y avait des démographes extrêmement influents, y compris idéologiquement, tels que Louis Roussel ; toute cette démographie qui alertait les pouvoirs publics en disant « si les femmes travaillent, on aura moins d’enfants, etc. ». Ils se sont complètement trompés d’ailleurs ! Or, la sociologie de la famille, c’était quand même eux qui la faisaient et la tenaient. Après, il y a eu des sociologues dont François de Singly, en particulier, et il y avait déjà l’anthropologue Martine Ségalen, qui ont fait émerger une nouvelle sociologie de la famille et ont repris la main sur ce champ. Alors que la sociologie du travail était déjà très structurée : par exemple, la distinction sociologie industrielle/sociologie du travail était déjà tirée au clair. Mais moi, la sociologie de la famille, je l’ai rencontrée par les démographes.

- Francine Descarries : Quand j’ai commencé à travailler sur la maternité, ce n’était pas un thème très présent dans les études féministes. Ma démarche a largement coïncidé avec le moment où, au Québec, était observée une augmentation substantielle de la présence des mères avec jeunes enfants sur le marché du travail. Étant moi-même mère de jeunes adolescentes, j’étais à même de mesurer l’urgence d’aborder la question. C’est vers 1988 que j’ai commencé à m’intéresser à l’expérience maternelle, grâce aussi à ma rencontre avec Christine Corbeil qui, elle, s’intéressait beaucoup plus que moi à l’expérience maternelle – et moi davantage aux femmes professionnellement actives. Le fait de travailler ensemble pendant vingt-cinq ans nous a amenées, en quelque sorte, à développer un questionnement hybride. Nous inscrivant dans le courant du féminisme matérialiste, il nous est en effet apparu pertinent d’aborder l’expérience des mères et de leur rapport à la maternité sous l’angle de l’articulation famille-travail. D’autant que les études réalisées jusque-là sur les mères “travailleuses” s’étaient essentiellement intéressées à évaluer leur performance sur le marché du travail. Nous avons donc choisi d’inverser l’angle d’approche et de nous poser la question de l’impact du travail salarié sur la façon dont les mères travailleuses pensaient et vivaient leur maternité. Pour ma part, parallèlement, j’ai mené une recherche plus théorique pour voir comment les différents courants du féminisme traitaient la maternité, la définissaient et l’intégraient à leur cadre de pensée.

- Françoise Thébaud : J’ai commencé ma thèse en 1977, à une période où l’histoire des femmes commençait à s’affirmer. Ce sujet sur la maternité correspond tout à fait à la première période de ce champ de recherche que j’ai appelée “l’histoire au féminin” (Thébaud, 2007). Celle-ci a créé de nouveaux objets pour la discipline, concernant les formes de militantisme féminin mais aussi, et plus encore, tout ce qui tourne autour de l’ex­périence spécifique des femmes : l’avortement, la contraception, la maternité… toutes des questions négligées par l’histoire classique. Il est important aussi de souligner qu’à l’époque, la très grande majorité des travaux portait sur le XIXème, donc travailler sur le XXème siècle, c’était aussi vouloir faire quelque chose de nouveau.

Le terme de maternité étant polysémique, je ne pouvais pas traiter tous les aspects et j’ai choisi l’angle de “donner la vie”, en tant que moment, pour tenter de répondre aux questions suivantes : quelles attitudes devant la vie adoptaient les adultes de l’entre-deux-guerres ? Quel était le contexte politique, social et culturel des enfantements ? Dans quelles conditions se déroulaient la grossesse et l’accouchement ? Que se passait-il durant les premières semaines après la naissance ? Dans Quand nos grand mères donnaient la vie…, publié en 1986, l’aspect contrôle des naissances et enjeux démographiques, le poids des associations militant pour ou con­tre la procréation, les incitations et politiques familiales de l’État à la procréation ont été rognés car les éditeurs ne voulaient pas publier des thèses intégralement. Sensible également à la question des choix individuels et de couples, cette première partie méritait bien son titre (La maternité refusée) car l’entre-deux-guerres est une période durant laquelle, malgré la mise en place d’une politique familiale et nataliste, les Français·es conservent les comportements malthusiens adoptés depuis la fin du XIXème siècle. La France a une population qui stagne entre 1900 et 1945. D’autres chercheurs/ses ont développé par la suite ce que j’avais amorcé sur l’argu­mentaire et la réception des mouvements natalistes : minoritaires au début, ils vont faire consensus progressivement dans l’entre-deux-guerres et les années 1950.

La deuxième partie du travail s’intitulait La maternité médicalisée, ce qui veut dire plusieurs choses. La médicalisation est d’abord une solution au malthusianisme des Français·es. Elle a été mise en avant par un mouve­ment hygiéniste très fort dans la première moitié du XXème siècle, mais aussi par la corporation des médecins. Puisque les Français·es font peu d’enfants, il faut au moins “sauver la graine”, selon une expression de l’é­poque. Si les Françaises ont conçu, il faut leur permettre de conduire leur grossesse à terme et aider les enfants à survivre. L’un des moyens – on re­trouve là les arguments des familialistes et des natalistes –, c’est de protéger socialement la maternité par des allocations. Mais cela doit s’ajouter à une protection médicale qui s’étend de la conception à la première année de l’enfant – puisqu’à l’époque la mortalité infantile est relativement forte. Dans l’entre-deux-guerres, elle recule, puis la Seconde Guerre mondiale annihile tous les effets bénéfiques des politiques menées dans les décennies précédentes.

J’avais tenté aussi d’approcher ce que j’appelais “la maternité vécue”. Cet effort pour rendre compte en historienne de l’expérience des femmes était un projet en partie utopique mais particulièrement stimulant pour les chercheuses d’ “histoire au féminin” et une démarche nouvelle à l’époque. J’avais recherché la parole des femmes et trouvé quelques textes de mères ayant mis en mots leur(s) expérience(s) d’accouchement et de maternité ; j’avais aussi recueilli des témoignages de vieilles femmes nées au début du XXème siècle.

- Louise Vandelac : Je dirais que la maternité, avant d’être un objet d’é­tude, est avant tout une expérience qui traverse nos vies, allant de nos rapports à nos mères pour s’ouvrir ensuite sur la possibilité ou non de nous projeter comme mère et de vivre la maternité. Je me suis intéressée à ces enjeux dès le début du mouvement des femmes à Montréal, dans les années 1970, notamment au Comité de lutte pour l’avortement. Les questions s’y posaient alors, pour plusieurs, sous l’angle du refus d’enfanter à un moment précis de leur vie ou dans le cadre d’une relation donnée, d’où mon intérêt particulier pour les conditions de régénération des êtres. Avec un collectif de cinq femmes, nous avons créé en 1975 le premier centre de santé pour les femmes dans un quartier de Montréal, travaillant dans une approche plurielle et critique de la santé publique, centrée sur la santé des femmes, et touchant à la fois la sexualité, l’enfantement, le travail domestique et salarié.

Suite à cette expérience, j’ai fait un séjour de cinq ans en Europe. J’y ai co-réalisé avec Dominique Barbier et Josiane Joüet, en 1976, le documentaire À notre santé sur la première rencontre internationale des Centres de santé des femmes et j’ai alors travaillé avec plusieurs groupes et revues féministes, dont les Cahiers du Grif à Bruxelles – pour lesquels j’avais préparé un numéro sur le féminisme italien qui finalement a été publié en livre, sous le titre L’Italie au féminisme (1978).

  • 5 La “production anthroponomique” est une notion forgée par Daniel Bertaux. Il la définit notamment d (...)

Au cours de ces années, j’ai tenté de comprendre pourquoi le travail dit “domestique” et la production anthroponomique avaient paradoxalement servi d’alibi pour dominer, marginaliser et exploiter la moitié féminine de l’humanité. Je voulais voir comment en finir avec cette absurde exploitation. Suite à un mémoire de maîtrise en économie politique, à l’université Paris VIII, sur L’Impossible travail des femmes – qui a plus tard donné lieu à un article (1984) –, j’ai coordonné au Conseil du statut de la femme du gouvernement du Québec une équipe de recherche sur la “production domestique” qui a produit un rapport de plus de 1 000 pages intitulé Les dessous domestiques de l’histoire : quelques aspects de l’évolution de la production domestique au Québec de 1850 à 1960 à la lumière des influences américaines, françaises et anglaises, et éléments d’analyse théorique. C’était alors la plus importante synthèse sur toutes les dimensions de la question, mais aussi une réflexion d’ordre épistémologique sur la né­cessité de penser, à partir de la réalité multiforme du monde domestique et maternel, la notion de travail sans faire l’impasse ni sur la production anthroponomique5, ni sur la production domestique, ni sur leur articulation au travail salarié. Ce travail a donné lieu à l’ouvrage Du travail et de l’a­mour (Vandelac et al., 1985), qui souligne l’impossibilité de penser le salariat, dans les sociétés industrialisées, sans mettre en évidence que le travail domestique et anthroponomique en constitue la base et l’envers. Autrement dit, le salariat et les notions de salaire et de travailleur libre, comme le soulignait alors Monique Haicault, s’appuient tant au plan concret que conceptuel sur le travail non payé des femmes. Selon l’INSEE, celui-ci représentait, en 1984 en France, plus d’heures de travail que l’en­semble du travail salarié, et comptait, selon les modes de calcul, pour un à deux tiers du produit intérieur brut des nations. Or, c’est bien à cause de l’importance économique et politique des activités domestiques et anthroponomiques que les sociétés androcentristes ont tout fait pour les présenter comme simple prolongement de la “nature féminine”, évacuant ainsi ces questions du débat public.

- Dans quelle mesure vous êtes-vous familiarisées avec la notion de travail reproductif ?

  • 6 Journées de la Société Française de Sociologie, “Institution familiale et travail des femmes”, Nant (...)

- Anne-Marie Devreux : C’est vraiment toute l’histoire de l’ouvrage Le Sexe du travail. Ce livre vient de deux rencontres, mais notamment du colloque de Nantes qui était un Congrès de la Société française de sociologie6 où plusieurs d’entre nous ont exposé leurs travaux dans une session sur le travail des femmes. Ensuite nous avons proposé de faire ce qui s’appelait un “groupe ad hoc” au sein du Congrès mondial de l’association internationale de sociologie, à Mexico, sur le thème du travail des femmes et de la famille.

  • 7 Le CLEF était le Centre lyonnais d’études féministes. Le colloque en question s’est tenu en décembr (...)
  • 8 10ème congrès mondial de sociologie de Mexico, août 1982. Le groupe dit ad hoc avait pour thème “Ar (...)

Nous étions vraiment inspirées par le féminisme et la critique du patri­arcat de Christine Delphy qui était quand même déjà sur le travail productif et reproductif, même si ce ne sont pas ses termes. À ce moment-là, on était dans un contexte particulier en France : il y avait eu beaucoup de financements contractuels de la recherche, et notamment d’enquêtes sur les modes de vie qui soulevaient d’abord la question des relations entre le travail et la famille, mais aussi de cette relation travail/famille dans les différentes classes sociales. La place de la question du travail des femmes dans les médias n’était pas étrangère à l’importance de ces financements. “Est-ce que ce n’est pas dangereux pour la Nation si les femmes travaillent ?”. Je me souviens d’un colloque à Lyon – le colloque du CLEF7 – qui comportait cette réflexion sur le travail des femmes et ses relations avec la vie familiale. Nous nous étions aperçues que, dans ce contexte, on pouvait faire financer des recherches sur des questions qui traversaient la société, notamment le travail des femmes, et donc qu’on pouvait construire des ob­jets de recherche sur la vie des femmes. On a alors commencé à se regrou­per à l’occasion de colloques, et c’est comme ça qu’on a fait le groupe ad hoc au Congrès de Mexico8 qui a donné Le Sexe du travail. Le livre porte le sous-titre Structures familiales et système productif. En faisant l’intro­duction et la partition du bouquin, nous sommes vite tombées évidemment sur le binôme conceptuel production-reproduction. Et quand on a constitué l’APRE, c’est cette question théorique qui nous réunissait : qu’est-ce qui est “production” ? Qu’est-ce qui est “reproduction” ? En fait, il nous est vite apparu qu’il y avait du productif dans le reproductif (d’où mon titre La Double production), et du reproductif, ô combien ! dans ce qui était déjà beaucoup plus travaillé par la sociologie – la production. Le reproductif dans la sphère du travail/de la production a été beaucoup plus large­ment travaillé que le productif dans la sphère de la reproduction, sauf pour ce qui est du travail domestique.

- Francine Descarries : Dans la mesure où nous nous intéressions à l’ex­périence quotidienne des mères “travailleuses”, nous avons davantage travaillé dans la perspective du rapport de ces femmes au travail [salarié], plutôt que de poser l’analyse en termes de travail reproductif. Pas que nous ignorions cette dimension de la réalité des femmes et l’intérêt du concept, mais là n’était pas l’enjeu de notre démarche de recherche. Peut-être faut-il trouver une explication à cela aussi dans le fait que je n’ai jamais été tout à fait à l’aise avec la notion même de travail reproductif, considérant qu’elle ne permettait pas d’aborder l’expérience de la maternité dans sa double dimension institutionnelle et relationnelle. Il ne fait aucun doute pour moi que la maternité est une institution qui a été mise au service du patriarcat et qui a servi de prétexte à la domination/exploitation des femmes. Mais il n’y a pas que cela dans la maternité. Aussi, tout com­me Adrienne Rich (1976), je n’arrive pas à problématiser la maternité sous la seule facette du travail reproductif car il y a dans le rapport parental une expérience, un lien social, que j’ai toujours eu une certaine difficulté à définir sous le seul vocable de travail reproductif. Autrement dit, et cela même en me situant dans une perspective féministe matérialiste, il y a une part de l’expérience, qui pourrait tout aussi bien être vécue par le père que par la mère, qui échappe selon moi à l’analyse en utilisant ce seul concept. En fait, alors que l’expérience de la maternité situe les femmes, de la manière la plus irrémédiable et contraignante, dans les rapports sociaux de sexe, et malgré l’existence de contraintes physiques, matérielles et socia­les très réelles, elle demeure pour plusieurs femmes – du moins la grande majorité des mères “travailleuses” que nous avons interviewées – l’expé­rience la plus importante de leur vie.

À l’appui de mon propos, je peux mentionner que dans le vaste questionnaire sur l’articulation famille-travail, complété dans les années 1990 par plus de 600 mères travailleuses, à la question « qu’est-ce que représente pour vous la maternité ? », les répondantes inscrivaient à répétition : « la plus belle expérience ou la plus significative de ma vie ». De prime abord, avec Christine Corbeil, nous ne pouvions croire que si peu avait changé depuis les études réalisées dans les décennies précédentes. Puis on s’est dit : « Si je t’avais posé la question à toi ? ». Tout en étant bien conscientes de la construction idéelle et normative qui nous avait amenées à pratiquer une éthique de la sollicitude, nous avons bien été obligées de convenir que nous aurions probablement répondu dans le même sens.

Par ailleurs, ceci ne veut nullement dire faire l’économie d’une analyse de la situation faite aux femmes en raison de leur pouvoir d’enfanter et de leur assignation à la fonction maternelle. Une réflexion sur la parentalité et l’abolition des rôles parentaux sexo-spécifiques dans le rapport à l’enfant sont des conditions qui m’apparaissent nécessaires, sinon suffisantes pour arriver éventuellement à l’égalité entre les sexes. Cela signifierait a minima que la maternité ne serait plus source d’exploitation du corps des fem­mes et de leur travail, et que l’adéquation patriarcale entre femme et mère serait mise à bas. Le patriarcat n’aurait peut-être pas eu autant de succès à nous imposer la maternité et ses contraintes s’il n’y avait pas aussi une di­mension enrichissante et gratifiante dans la maternité. C’est vraisemblablement pourquoi le féminisme matérialiste arrive difficilement à déconstruire de manière entièrement satisfaisante l’expérience maternelle à partir du seul concept de travail reproductif. Pour ma part, la manière heuristi­que et stratégique de le faire m’apparaît toujours à développer.

- Françoise Thébaud : Ce terme de travail reproductif a été peu ou pas utilisé par les historien·ne·s. Pourtant, il dit bien ce que j’ai exprimé sous les termes de “maternité refusée”, “politique sociale familialiste et natalis­te”, “politique de protection de la maternité”, etc.

Si la transdisciplinarité est valorisée dans les études sur les femmes, il est vrai aussi que l’histoire est une discipline qui modélise beaucoup moins que la sociologie et qui utilise finalement peu de concepts, préférant les mots du vocabulaire courant. Même si c’est peut-être un peu moins vrai aujourd’hui que dans les années 1980.

Quand vous parlez de travail reproductif, cela évoque tout de suite pour moi le slogan péremptoire de l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française, organisation née en 1896 : “Il faut faire naître”. Les politiques natalistes sont particulièrement développées en France et ont traversé les trois-quarts du XXème siècle, c’est une vraie caractéristi­que. “Il faut faire naître”, d’abord par des politiques répressives en interdisant le recours à la contraception ou la pratique de l’avortement, mais aussi par des politiques incitatives, à la fois d’ordre financier (allocations pré- et postnatales, primes d’allaitement notamment) et d’ordre moral : mise à l’honneur des mères de famille, mépris affiché des célibataires et des sans enfant.

- Louise Vandelac : J’ai très peu employé la notion de travail reproductif. D’abord parce que j’ai constamment questionné la notion de travail telle qu’elle a été socialement construite. J’avais publié un premier article au titre paradoxal, … Et si le travail tombait enceinte ? ? ?, qui montrait que cette notion ne rend pas compte de la contribution de la moitié de l’humanité aux activités non marchandes d’engendrement des êtres. Ainsi, quand des femmes accouchent, on dit qu’elles sont en travail, comme si elles étaient alors absorbées tout entières par cette conception androcentriste du “travail”. Cette expression réduit l’incroyable contribution physi­que, psychique, socio-économique et culturelle exigée pour mettre un enfant au monde, à un acte “de pure biologie” où les mères “en travail” seraient absentes à elles-mêmes…

Ceci a un triple effet pervers. Premièrement, réduire cette contribution majeure à un simple instinct, avec des idées flirtant plus ou moins, selon les époques, avec une conception de la maternité comme acte de pure “nature” a servi d’alibi pour dévaloriser à la fois les femmes et la mise au monde des êtres humains. Deuxièmement, réduire ainsi l’enfantement à un caricatural instinct constitue une invitation à peine voilée faite aux fem­mes à “se libérer” de l’accouchement, de la grossesse, voire de leur fertilité, ce que nombre d’auteurs comme Jean-Louis Touraine ont fait allègrement dans les années 1980. Ces prémisses, voulant que les femmes soient prisonnières de leur biologie, ont pavé la voie tant à l’emprise de “l’idéol­ogie contraceptive” qu’à celle des technologies de reproduction. Comme si les femmes devaient se “libérer” non pas de rapports sociaux sexués de domination et des conceptions socialement construites de la sexualité qui y prévalent, mais aussi de leur corps supposément imparfait, à coup de bistouris et de pilules. Or, une représentation aussi partielle et partiale de l’activité humaine conduit à un Double Bind (ou double contrainte), pour reprendre l’expression de Gregory Bateson. L’enjeu ici n’est pas de réduire toute activité humaine à du travail, ni d’étirer cette notion de travail à l’infini pour tout y glisser de force, mais plutôt de mettre en évidence les modalités de construction et les enjeux de telles catégories économiques et politiques, qui contribuent largement à cadrer les rapports entre hommes et femmes. Troisièmement, j’ajouterais de façon imagée qu’il est très inconfortable de marcher dans les souliers des autres, surtout pour se glisser à tout prix dans des concepts développés, consciemment ou non, sur la base de l’exclusion des femmes et des questions de régénération des êtres.

On peut illustrer ceci par les technologies de reproduction. Après avoir travaillé plusieurs années sur les activités domestiques et anthroponomi­ques, j’avais constaté qu’elles étaient de plus en plus modelées par le marché, les conditions d’emploi des femmes et celles du conjoint ou de la famille d’origine. Le dernier carré qui n’était pas encore complètement intégré à la logique marchande était celui de l’engendrement lui-même. Les travaux sur les technologies de reproduction, amorcés dès les années 1980, m’ont permis de constater à quel point la conception et la mise au monde des enfants ont été peu à peu incorporées dans des logiques marchandes de réification, d’instrumentalisation, de programmation, au point parfois de réduire l’Autre à un éjaculat, à un stock d’ovules ou à une fonction de gestation (Vandelac, 2001).

- Pourquoi selon vous cette notion de travail reproductif a été laissée de côté, dans les sciences humaines et sociales, notamment les études féministes puis les études de genre ?

- Anne-Marie Devreux : D’abord, parce que la maternité n’a jamais vraiment été une question prioritaire. De temps en temps, ça ressort, mais c’est tout. Je pense qu’il y a un gros soupçon de risque de naturalisme dès qu’on parle de maternité. Moins quand on parle de paternité. Ce n’est pas un sujet qui passionne, sans doute car on présuppose : “Il suffit de le travailler un peu pour que tout soit dit”. Comme si cela n’évoluait pas, en fait. Comme si les pratiques, les normes liées à la maternité n’étaient pas sans arrêt remises sur le tapis et ne nécessitaient pas de nouvelles analyses. Alors voilà, avec des révolutions technologiques comme les nouvelles technologies de la reproduction ou toutes les questions de procréation médicalement assistée, on peut y revenir. Mais on attend des grosses remises en cause pour se repencher sur la question. Quant à “travail reproductif”, là, je pense que ce n’est pas l’abandon, mais il est plutôt question de réticences quant aux termes qui évoquent trop le marxisme ou sont de coloration structuraliste.

  • 9 Madeleine Guilbert (1910-2006) a élaboré des enquêtes et écrits pionniers sur le travail des femmes (...)

Il y a aussi un côté jugé trop personnel, où on nous dit en gros qu’il ne faut pas toujours tout ramener à la question de la maternité. Ça m’évoque une anecdote vraiment forte dans ma vie : quand je me suis présentée la première fois au CNRS, mon rapporteur était une rapporteuse. C’était celle qui avait réalisé la première enquête sur le travail des femmes : Madeleine Guilbert9 (1966). Je lui ai présenté mon projet et elle m’a dit : « Ne travaillez pas là-dessus. Vous allez remettre sur le dessus du panier la question de la maternité des femmes et du travail, ça va les desservir !... ». Plus tard, j’ai travaillé sur la recherche qu’elle avait faite pour sa thèse et j’ai vu qu’elle était en fait radicalement dissonante par rapport à la communauté des sociologues d’alors (à la fin des années 1960). En même temps, elle reprenait la théorie des rôles, très en vogue à l’époque et défendait l’idée que si les patrons et les maris des ouvrières qu’elle avait interrogées ou observées durant son enquête voulaient bien changer un peu leur point de vue sur le rôle des femmes et acceptaient qu’elles puissent travailler même si elles avaient des enfants, tout changerait pour les femmes. On était vrai­ment en plein dans des schémas de pensée du type : “tout ça, c’est une histoire de partage des rôles, on n’a qu’à l’aménager et faire évoluer les représentations de la place des femmes, et puis c’est bon”. L’oppression des femmes au sens radical, matérialiste n’était pas pensée. Pour le coup, il y avait même un sacré impensé.

- Francine Descarries : Pendant très longtemps, la sociologie de la famille a été pratiquée par des hommes qui, pour la majorité, en faisaient l’analyse en tant qu’institution socle de la société à protéger. L’essentiel des observations portait sur les rôles et les fonctions des différents mem­bres de la famille sur la base d’une division sociale peu ou pas remise en question. Au Québec, la seule femme qui avait investi ce domaine avec une perspective féministe au début des années 1980 était Renée Dandurand. Par contre, elle était toute seule ; même certaines féministes la regar­daient un peu de travers, en se demandant pourquoi elle s’occupait de la famille. Ici et maintenant, la sociologie de la famille se développe et c’est du côté des études féministes que ça se passe, mais la question de la maternité est absente de plusieurs champs d’observation, dont celui des étu­des de genre ou queer. Les études féministes, pour leur part, se tournent davantage vers le care et la question du travail domestique, et non plus vers la maternité à proprement parler. Elles posent la question à travers le travail domestique, faisant la distinction comme Delphy entre domestique et ménager. Il faut dire que la maternité-expérience a rarement été au cœur des études féministes. Elle a été rejetée par les radicales, d’une certaine façon, en tant que lieu d’exploitation. Elle ne méritait donc pas d’être problématisée, sinon pour la dénoncer. Elle a été surdimensionnée du point de vue des essentialistes comme étant la définition ultime de la femme, mais sans que l’expérience matérielle concrète soit sujet d’analyse.

J’ajouterais que, dans le monde conservateur dans lequel nous vivons actuellement, elle est très souvent remise à l’avant-plan, comme solution ou manifestation et magnification de l’identité féminine. On le voit à travers des faits banals : il n’y a pas un magazine s’adressant aux femmes qui ne nous mette pas une femme enceinte, une vedette avec ses trois enfants qui, elle, se réalise, etc. Tout le focus actuel est sur la reproduction comme telle, c’est-à-dire le fait de donner naissance. Or, des enfants ça reste une vie et tu es une mère à vie. Mais nos gouvernements s’occupent de la petite enfance, les recherches sur le care se limitent souvent à cette même période, alors que la maternité ce n’est pas seulement ça. Donner naissance c’est un fait ; soigner les enfants en bas âge est exigeant. Mais la maternité c’est une expérience qui se projette sur toute une vie. Et ça, on ne l’a pas problématisé encore.

- Françoise Thébaud : Pendant très longtemps, au XIXème siècle et une grande partie du XXème, le discours institutionnel dominant a été de dire que la maternité était à la fois la vocation naturelle des femmes, mais aussi un devoir pour faire de la France une puissance démographique forte. Certains ont même qualifié la maternité d’impôt du sang pour les femmes qui ne risquaient pas leur vie sur le champ de bataille. Elle a été l’un des mo­yens objectifs de contrainte sur les femmes : empêcher l’accès à la contraception pour qu’elles fassent des enfants, considérer la maternité comme un destin naturel qui les assigne à la sphère privée et au foyer. Les politi­ques mises en place par les gouvernements jusqu’aux années 1970 répriment le contrôle des naissances. Les circonstances historiques particuliè­res d’un pays malthusien, devenu de façon consensuelle pronataliste dans ses élites politiques, ont fait que particulièrement en France la maternité a été vue par les féministes de la deuxième vague comme d’abord une oppression, ce que montrait notamment le livre Maternité esclave (Les Chimères, 1975). Elles ont réagi logiquement contre l’obsession nataliste ou le pronatalisme français, qui se traduisait par un discours ambiant du ty­pe : “les femmes sont des mères avant tout”. En même temps, il y avait déjà dans les années 1970 un courant qui revalorisait la maternité. Pour ma part, je trouvais les deux aspects intéressants. J’avais été très marquée par le livre d’Annie Leclerc, Parole de femme (1974), qui accordait de la valeur à tout ce qui arrive aux femmes : la maternité, les règles, l’accou­chement, etc. Ce livre avait fait beaucoup de bruit à l’époque et avait fait réfléchir. Mais il avait été très critiqué par le courant dit “égalitariste”. Annie Leclerc revalorisait les expériences spécifiquement féminines, mais en même temps militait pour qu’elles soient vécues dans les meilleures conditions possibles, ce qui n’était pas le cas à l’époque : médecine à la chaîne, absence des pères, non prise en compte de la douleur.

Il y a alors plusieurs impensés du mouvement féministe au sujet de la maternité et du travail reproductif. Le premier porte sur la diversité et la complexité des expériences vécues par les femmes et les militantes elles-mêmes, présentées comme appartenant nécessairement à l’un des deux courants, qualifiés respectivement d’égalitariste et de différentialiste. J’ai toujours trouvé énervant et réducteur ce clivage dichotomique qui mettait par exemple dans le camp des différentialistes les féministes qui étaient mères ou qui considéraient que l’expérience de la maternité peut être agré­able, intéressante ou émouvante. Le deuxième impensé porte sur la possibilité de formuler des revendications collectives autres que le droit de ne pas être mère, en étant à l’écoute des femmes qui demandent une autre or­ganisation des maternités hospitalières, voire d’autres techniques d’accou­chement. Il y a encore un troisième impensé autour de la prise en compte de la place de la maternité dans les parcours de vie des hommes et des femmes : quels sont les effets de la parentalité sur leurs carrières respecti­ves, sur le partage du travail domestique, etc. ? Il est sans doute possible de dépasser aujourd’hui la scission qui s’est opérée et a perduré entre féministes égalitaristes et différentialistes à propos de la maternité, mais il faudrait qu’il y ait une réflexion collective sur ce sujet. Il y aura toujours des militantes qui se considéreront d’un camp ou de l’autre, mais d’autres peuvent tenter de faire lien.

Certes, la notion de travail reproductif comme l’expérience sociale de la maternité a été mise de côté dans la sociologie féministe, puis les études de genre. En histoire, ce thème novateur à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (Thébaud, 1982 ; Knibiehler/Marand-Fouquet, 1980) est ensuite supplanté par d’autres, considéré par certaines comme ringard. Mais il n’a jamais été abandonné et s’est renouvelé par le biais d’autres approches et terrains de recherche (Cova, 1997 ; Hugon, 2009 ; Barthélémy, 2010).

- Louise Vandelac : Il y a différents féminismes et leurs expressions dans le monde n’ont pas valorisé les mêmes problématiques. Ainsi, l’ana­lyse critique des technologies de reproduction, l’un des volets de la réflex­ion sur le “travail reproductif” – pour reprendre ici cette expression problématique –, a été surtout développée dans les milieux anglophones, avec la revue FINRRAGE (Feminist International Network of Resistance to Reproductive and Genetic Engineering), les travaux de Renate Klein, Gena Corea et tant d’autres. En France, parmi les ouvrages de cette mouvance, soulignons Maternité en mouvement et Le Magasin des enfants, et au Qué­bec, entre autres, Du privé au politique : la maternité et le travail comme enjeux des rapports de sexes, ou encore Misconception : the Social Construction of Choice in the New Reproductive and Genetic Technologies.

Au cours des années 1990 et 2000, les enjeux de recherche ont davanta­ge porté sur les conditions concrètes du travail domestique et salarié des femmes, les conditions de grossesse, de maternité, de paternité et les modalités collectives de prise en charge des jeunes enfants et des personnes dépendantes. Se sont alors multipliées les mobilisations conduisant à d’importantes réformes et à l’instauration de nouveaux services. Par ex­emple, dès 1991, à la demande de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), j’ai mené l’une des premières recherches sur la conciliation des responsabilités familiales et professionnelles. Ce champ de recherche et d’intervention a conduit, depuis, à des réaménagements majeurs dans l’organisation du travail, facilitant la prise en charge des responsabilités familiales et professionnelles. Le recours au retrait préventif du travail pour les femmes enceintes, l’allongement des congés de maternité et de paternité et le développement du réseau des garderies publiques sont autant de politiques mises en place grâce à l’investissement de dizai­nes de milliers de personnes. Ajoutons que trente ans de travaux pionniers ont conduit à la reconnaissance au Québec de la profession de sage-fem­me. Ce mouvement d’humanisation de la naissance a commencé à modifier les pratiques médicales et le regard porté sur l’enfantement. Bref, ces questions ont continué à faire l’objet de travaux académiques, mais ont surtout été portées sur la scène publique par un large mouvement social où les femmes, à l’avant-plan, ont contribué à transformer les conditions concrètes d’existence de toutes et de tous.

- Quelles influences ont eues les expériences de maternité au sens large auxquelles vous avez été confrontées dans vos sphères personnelles sur vos façons de penser la maternité et l’ensemble des tâches qu’elle recouvre ?

- Anne-Marie Devreux : Pas sur ma façon de la penser. Car je crois que d’une certaine façon, je l’ai pensée avant d’avoir mes enfants. C’est vraiment resté assez séparé dans mon parcours. Par contre, il y a des choses que j’ai vécues… J’ai fait une IVG avant l’IVG. J’ai donc vu de près pourquoi il fallait une loi. Et il y a des expériences vécues liées à la maternité, qui pour moi devraient être traitées par les sciences sociales mais qui ne le sont pas. Je pense à la dépression post-partum, qui à mon avis est liée vraiment à la division du travail autour de l’enfant venant de naître. Alors là, la société française – de l’époque en tous les cas – était complètement incapable de prendre ça en compte. On disait : “ouais, il y a peut-être un petit problème”. Et je pense qu’il y a en fait un gros problème qui est com­plètement individualisé alors qu’il est aussi social. Il devrait y avoir des enquêtes sociologiques là-dessus, et pas seulement psychologiques. Il faudrait lier le problème à ce que la société, qui s’exprime par les pratiques médicales, dans la famille, etc., fait des mères au moment de la naissance. Parce qu’il s’opère vraiment – c’est peut-être moins vrai maintenant – un déplacement de l’intérêt social pour le ventre – et pas de toute la mère – à l’intérêt pour l’enfant né·e. Et, juste après l’accouchement, la bonne fem­me reste plantée là, au milieu de nulle part. Ça n’est pas pris en charge. C’est un constat personnel mais aussi de sociologue, dans le sens où il y a une question sociologique qui n’est jamais travaillée, et c’est très dommage. Il y a de la place pour de la recherche féministe là-dessus. Ce n’est pas normal qu’on laisse les gens se dépatouiller de la sorte.

- Francine Descarries : Je dirais qu’il y a plusieurs choses. Mon expérience personnelle m’a montré à quel point le rapport au corps maternel était magnifié et utilisé de façon à mieux susciter le désir maternel chez les femmes puis à l’exploiter. Il fallait comprendre comment ce désir tout à fait construit socialement l’était pour répondre à des besoins de nos sociétés. Mon expérience de la maternité comme celle des autres m’a aussi montré qu’il y a de multiples façons de vouloir vivre une maternité et que la fonction maternelle a toujours été normativement assujettie. Je pense notamment à toutes les théories qui se sont succédées au sujet de l’allaite­ment maternel. Maintenant que je suis grand-mère, je vois à quel point les techniques et leurs supposés bienfaits changent tous les deux ans, sinon tous les six mois.

Dans ma vie, l’expérience de la maternité a représenté une contrainte importante puisque j’ai dû articuler famille, travail, études pendant de nombreuses années. Par exemple, j’ai ressenti comme une contrainte le fait de n’avoir aucun temps pour le militantisme ou les loisirs. Mais je suis aussi obligée d’avouer que la maternité a été, sur le long terme, une expérience fabuleuse au regard du développement et de l’intensité affective de ma relation avec mes filles. Il y a donc bien eu tension pendant de nombreuses années. Mais, pour moi, être féministe dans un monde dans lequel la révolution féministe n’est toujours pas advenue, malgré les avancées réalisées, implique d’accepter de vivre avec des contradictions. Et c’est ef­fectivement l’existence de cette tension continuelle qui me porte à dire qu’il faut poursuivre la réflexion sur la maternité et le travail reproductif afin de dégager la maternité d’une vision idéalisée et du poids de ses multiples admonitions normatives. Selon moi, l’une des plus belles victoires des féministes, même si j’observe un mouvement contraire ces temps-ci, a été de favoriser une dissociation entre les identités femme et mère. Il faudra donc nécessairement poursuivre cet objectif pour favoriser l’accession à une égalité de fait. Mais cela ne suffira pas non plus, tant et aussi longtemps que perdurera une différenciation essentialisée au niveau des rôles de mère et de père. Il ne s’agit pas en l’occurrence que le père devienne une bonne mère puisqu’il s’agit là d’un rôle socialement produit, mais que l’une et l’autre deviennent de bons parents, car ce ne sont pas neuf mois de gestation qui devraient faire ou justifier la différence au regard des multiples décennies d’accompagnement que sous-tend le rôle de parent.

  • 10 F. Thébaud a déjà souligné les difficultés d’articuler carrière professionnelle et maternité pour l (...)

- Françoise Thébaud : La situation a un peu évolué10. Lorsque j’étais mère dans les années 1980 à l’université Lyon II, je suis la première enseignante à l’être, au moins au sein de ma faculté. C’était alors relativement incongru. Les femmes universitaires étaient soit des femmes plus âgées, soit des femmes sans enfant. Il y avait un préjugé d’incompatibilité entre la maternité – qui serait la vocation “naturelle” des femmes – et une profession intellectuelle.

  • 11 L’historienne Madeleine Rebérioux (1920-2005) était spécialiste de l’histoire sociale de la France (...)

D’autre part, rien n’était prévu pour les congés de maternité des universitaires et les collègues devaient assumer les cours des absentes, ce qui les indisposait à leur égard. Dans l’esprit des pairs qui recrutaient, il y avait cette idée très fortement ancrée que l’universitaire ne pouvait pas être une mère de famille. Cela a commencé à changer avec la loi de 1984 régissant le congé de maternité de la fonction publique (Bui-Xuan, 2011) et aussi parce que les femmes étaient de plus en plus nombreuses à l’université, avec une jeune génération qui voulait, pour la majorité, à la fois être universitaire et avoir des enfants. Dans la vie de couple, il y avait peut-être également un meilleur partage du travail d’éducation des enfants. Cet ensemble de phénomènes fait que ce que je décrivais dans les années 1980, et qui était encore plus fort dans les années 1950, 1960, 1970, n’est plus totalement d’actualité. Il y eut par ailleurs toujours des exceptions. L’his­torienne Madeleine Rebérioux11 avait ainsi quatre enfants.

Malgré des évolutions positives, les enfants restent un facteur discriminant dans les carrières, car pour avancer dans l’université il faut publier. Or, durant le temps de la grossesse et au moins de la petite enfance, la femme est moins disponible pour écrire. Je ne crois pas que cela ait été vraiment mesuré, mais cela joue un rôle évident dans les carrières. Je me souviens qu’à l’époque, entre nous étudiantes féministes qui avions accès à la contraception, se posait la question de savoir si on faisait un enfant avant la thèse ou après. J’ai tranché : la thèse avant. On avait conscience que c’était compliqué de faire des enfants en même temps que la thèse – peut-être plus qu’aujourd’hui – et moins accepté par les institutions et directeurs de recherche.

Par ailleurs, si on inverse votre question, ce travail sur la maternité m’a sans doute donné envie de faire des enfants assez rapidement après la thèse. Au moment de sa publication, j’ai souhaité également mettre en ti­tre principal Quand nos grands-mères donnaient la vie… (1986). J’avais le sentiment de m’inscrire dans des filiations de grand-mère à mère, de mère à fille.

- Louise Vandelac : Mes recherches ont sans doute marqué mon rapport à la maternité, tout comme mes relations chaleureuses avec ma mère puis avec le fils de mon conjoint et ensuite avec notre fils ont influencé mes travaux. Dès 1980, j’ai été parmi les toutes premières à publier des analy­ses critiques sur la contraception orale, présentée alors sans nuance et sans mise en contexte historique, socio-économique et même technique, com­me l’élément-clé de la “libération des femmes” (1981b, 1981c). Ces réflexions faisaient suite au travail collectif que nous avions réalisé au Cen­tre de santé pour les femmes, où nous constations qu’au bout d’un an ou deux, les femmes voulaient littéralement jeter leur boîte de pilules par la fenêtre. Or, dans le mouvement de santé des femmes, il y avait une liberté de parole qui aidait à identifier les contradictions, les malaises, les représentations qui s’y jouaient. Cela nous a permis de saisir que la contraception ininterrompue pendant des années signifiait trop souvent pour ces femmes l’impossibilité de dire non, ou du moins non à telle ou telle gestuelle, ou encore limitait la possibilité d’explorer toute la gamme des désirs et de l’érotisme, comme si la pilule signait la mise à disposition sexu­elle, en tout temps et sans discussion, à un rapport de pénétration-éjacula­tion. L’expression “le personnel est politique” a aussi traversé ce travail d’analyse, teinté, comme la plupart des questions intellectuelles, par la nécessité de mieux comprendre le contexte et les enjeux inconscients de l’époque. Mais ce n’est pas propre ni à la maternité, ni à la sexualité. C’est vrai pour l’ensemble des enjeux intellectuels, ce que trop souvent bon nombre de collègues masculins gomment un peu facilement.

- Vous semble-t-il pertinent d’explorer la maternité et de remobiliser la notion de travail reproductif dans le contexte actuel ?

- Anne-Marie Devreux : La difficulté c’est que… On se bat beaucoup avec les concepts. Par exemple, moi le terme de “genre”, je suis obligée de l’utiliser parce qu’il est passé dans le langage commun. Si je veux parler avec les gens, je suis obligée de l’employer et, à dire vrai, ce concept tel qu’on l’utilise actuellement en France ne me va pas bien. Donc j’essaie à chaque fois de situer mon propos, de préciser ce que je veux dire quand je l’utilise. En fait, il m’est surtout utile pour dire « je fais de la recherche sur le genre ».

Donc on a une difficulté avec la définition et la diffusion de nos concepts, et si ça résiste c’est que ça ne parle plus. Par exemple, le terme “reproductif” vient beaucoup d’une pensée d’origine marxiste qui, je crois, n’est pas entendue ou audible partout. Pour moi par contre, cela fait toujours sens. Je reste convaincue qu’il y a, dans la fabrication de la vie humaine, sans doute pas que du travail mais tout de même du travail mental, physique, comme je l’ai montré dans La Double production. Toutes ces facettes qui constituent le travail “productif” sont présentes dans la gestation, dans son suivi par les femmes elles-mêmes et par les médecins. On parle d’ailleurs sans que cela pose problème, de femmes “en travail” au moment de la naissance. Mais avant, au cours de la grossesse, et après, dans la phase d’élevage de l’enfant, on n’en parle plus. Or, c’est tout au long du processus qu’il y a un travail mental et physique assuré par les mères. S’il s’arrête à un moment, c’est simple, il n’y a pas d’enfant viable. Donc “travail reproductif” fait toujours sens pour moi. La question est : est-ce que le terme est socialement audible ?

- Francine Descarries : Sans aucun doute, parce que le terrain est bien loin d’avoir été exploité à fond. Mais alors pour qu’il soit analysé à partir d’une perspective matérialiste, qui permette absolument en-dehors de tout essentialisme, de toute féminitude, de mettre les choses en perspective dans la trajectoire maternelle, il faut en reparler comme un travail reproductif, comme un travail qui peut être exploité, mais il faut aussi se questionner sur le travail. Parce que pour moi, tout travail n’est pas forcément un lieu d’aliénation, d’oppression et d’exploitation. Il y donne lieu, bien sûr. Mais des gens comme moi, favorisé·e·s et qui aiment leur travail, on ne va quand même pas me faire croire que je suis exploitée. C’est un peu ça ma position à travers la maternité. Oui, c’est un lieu d’exploitation, de récupération du potentiel féminin, de mise en gratuité du travail des fem­mes, mais en même temps c’est parce qu’on se plie au diktat du système patriarcal. Si ce rapport père/mère était modifié dans les structures socia­les, si le père prenait en charge l’enfant aussi, peut-être qu’on pourrait encore parler de travail reproductif, mais même pour le père. Parce que “travail reproductif”, ce n’est pas juste donner naissance, c’est toutes les séquences qui suivent.

- Françoise Thébaud : Oui, je trouve que la notion de travail reproductif est assez explicative. Au vu de toutes ces réflexions autour de l’atelier production-reproduction, c’est-à-dire la place et la valeur du travail reproductif dans les sociétés, le fait que c’était une source de l’oppression des femmes, je pense que cette notion pourrait être utilisée de nouveau.

Si les conditions de l’accouchement se sont améliorées, de nouvelles questions se posent. Les femmes restent par exemple très peu de temps à la maternité. Certains aspects du pouvoir médical, qui étaient très forts dans l’entre-deux-guerres et jusqu’aux années 1970, se sont beaucoup atténués, en respectant davantage la personne de la mère et la personne du père, avec la prise de conscience que c’est un moment important du vécu personnel et du couple. Si l’on intègre dans la définition de la maternité la question de la socialisation des enfants, elle devient une problématique importante pour toute société et il serait intéressant que les féministes la prennent à bras-le-corps.

- Louise Vandelac : Je pense qu’on a tout intérêt à adopter des catégories plus appropriées que “travail reproductif” et à développer un cadre conceptuel qui, tirant profit de l’écologie politique et des travaux sur les générations futures, soit en mesure de mieux répondre aux enjeux actuels face à la mise en marché généralisée des êtres et du monde, dictée par l’absurde croissance infinie menaçant la survie même de l’humanité. Il faudra inventer d’autres termes je pense. Y compris le terme “activité”, qui est peut-être moins problématique que celui de “travail”. Réintroduire la dimension de l’humanité, à travers le terme d’anthroponomie, peut être intéressant, mais celui-ci présente également des failles. Il faut resituer ces activités dans leurs contextes socioéconomiques et politiques, où elles prennent des connotations différentes. Et montrer surtout l’incroyable mouvement d’externalisation de certaines activités domestiques en vue de leur incorporation au marché, alors que d’anciennes activités marchandes sont repoussées dans l’univers domestique. Ces transformations constantes nous donnent parfois l’illusion qu’on est très différentes de la génération de nos mères, alors qu’en fait… Ces activités ont des couleurs et des for­mes différentes, mais il importe de bien comprendre ces mécanismes de transformation des activités domestiques et marchandes pour remettre en question les tendances croissantes à la réification et à l’instrumentalisation des liens sociaux, voire des êtres et de leur conception même.

- Selon vous, quels sont les enjeux mais aussi les risques à mobiliser dans le contexte actuel cette notion de travail reproductif ?

- Anne-Marie Devreux : Il y a quelque chose à nommer, donc il faut trouver. À l’époque de l’APRE, il y avait beaucoup de débats là-dessus. Daniel Bertaux, par exemple, avait avancé la notion de “production anthroponomique”, ce n’était pas inintéressant parce que c’était englobant. Mais en même temps, c’était tellement global que ça laissait assez peu de place à la production matérielle de la vie humaine. Quand on pense à l’éle­vage d’une batterie de poulets, cela ne gêne personne de parler de travail, de suivi, de contrôle, de normes, de rythmes, de productivité... La vie humaine, comme on ne l’achète pas… encore que ça pourrait, on pourrait commencer à y penser là (rire). Ça gêne encore de parler de travail, parce que comme dirait Monique Haicault, « ça fonctionne à l’amour ». Donc on fait quoi ? S’il y a de l’amour, c’est que c’est gratuit, si c’est gratuit ce n’est pas du travail ? C’est ce que nous avons aussi déconstruit. Ça c’est pour le terme “travail”. Et pour “reproductif”, on parlait de production-re­production pour pouvoir nommer en fait la production des biens et servi­ces et la production de la vie. On disait qu’il y avait, dans la production de biens et services, du reproductif, non seulement car les femmes apportent des problèmes de leur vie familiale sur leur lieu de travail, mais aussi parce que cette production de biens et de services permet finalement de reproduire, en tout cas d’entretenir la vie humaine. Mais là, la réponse se trouve du côté de savoir ce qu’on veut faire et dire. Pour moi, il y a une homologie avec la question “est-ce qu’on peut parler de classes sociales ?”. Est-ce qu’on va être entendu si on utilise ce gros mot ? Je pense qu’il faut parler de classes sociales, mais je ne sais pas si, pour le travail reproductif, il faut trouver autre chose qui plairait davantage aux foules.

  • 12 « Tout le monde a tout le temps travaillé, inque ma mère qui travaillait pas. C’est pas de sa faute (...)

- Francine Descarries : Des risques ? Moi je demeure trente-cinq ans plus tard une féministe radicale, alors au contraire, je pense qu’il faut qu’on puisse reprendre cette notion-là, ne serait-ce que pour remettre en question le post-modernisme ou le queer qui n’interroge absolument pas ces choses-là. Et dans le fond, est-ce qu’on pourrait apporter une certaine réponse à la scission entre féministes matérialistes et queer en retravaillant la maternité, le travail reproductif ? Est-ce que cela apportera une réponse à leur insistance démesurée sur l’identité sexuelle par exemple ? Parce que ça demeure au cœur de la vie de 51 % de la population. Même les femmes qui la rejettent se questionnent, alors que le lien parental prend de plus en plus d’importance pour tous ces hommes qui choisissent désormais de s’investir davantage dans les soins aux enfants. Ce qu’il faut réaliser, c’est que même les femmes qui ne font “que” leur travail maternel dans leur vie voient à quel point elles sont importantes dans la chaîne de production. Alors pour moi, c’est sûr, le travail parental est un travail qui produit de la plus-value, mais c’est aussi un travail qui n’a pas besoin d’être payé pour avoir sa signification et sa raison d’être comme contribution sociale. Maintenant au Canada, les statistiques gouvernementales font la distinction entre travail rémunéré et travail non rémunéré. En ce cas, toutes les activités liées au travail ménager et aux soins aux enfants sont comptabilisées. Cela traduit un changement de perspective et me laisse espérer un changement de mentalité. « Ma mère, elle ne travaille pas, elle est trop occupée là », comme disait Yvon Deschamps12. Pour moi, quel que soit le concept utilisé, il est évident que d’être mère c’est du travail, un travail qui va te chercher aussi dans tes conceptions, dans ton affect, qui va te confronter et qui vient gruger dans ton espace personnel. Mais c’est égale­ment un rapport social qui ne peut être réduit à la seule dimension travail.

- Louise Vandelac : Commençons par les risques de tels termes. En réduisant la fabuleuse richesse de ces contributions aux êtres et au monde, ils enferment ces réalités dans des catégories mentales qui, issues d’un au­tre contexte et pensées pour de toutes autres finalités, contribuent à accroître l’emprise du néolibéralisme sur les plus intimes interstices de nos vies. Or, les leçons des dernières décennies nous imposent de renouveler profondément les perspectives d’analyse.

Certes, la notion de “travail reproductif” a joué un rôle majeur dans la structuration des discours féministes des années 1970-1980, a aidé à nouer des alliances, à légitimer la prise en compte de ces activités auprès des pouvoirs publics et à en faire une clé d’interprétation des trajectoires éducatives et professionnelles des femmes. Sans remettre en question ces acquis, il faut toutefois reconnaître, quarante ans plus tard, que l’univers de l’engendrement des êtres ne peut être appréhendé à travers un simple cal­que conceptuel du monde de la production des marchandises et des services.

Si la notion de “travail reproductif” a contribué à révéler et à affirmer l’importance économique et sociale des activités anthroponomiques et domestiques, elle l’a fait en rabattant ces réalités sur des activités rémunérées d’un système économique tendant à tout absorber dans son sillage, évinçant du même coup la nature, les enjeux et les finalités des conditions de régénération socio-anthropologique pour tout réduire à la Production de marchandises par des marchandises, pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de l’économiste Piero Sraffa (1960).

Évidemment, ce n’est pas le fait de parler de “travail reproductif” qui est responsable de ces nombreuses dérives. Toutefois, pendant qu’on multiplie les contorsions intellectuelles pour tenter de s’inscrire dans la terminologie d’un système économique qui s’est construit sur la base de l’ex­clusion de la reconnaissance formelle des activités anthroponomiques et sur la marginalisation des femmes, on vise non seulement la mauvaise ci­ble mais on s’enfonce… en ne regardant pas ce qui advient. Or, il est urgent de réaliser que ce modèle économique n’est pas indifférent à l’actuel déchaînement des pratiques d’exploitation massive de la sexualité, voire de l’engendrement et des femmes elles-mêmes. L’un des facteurs-clés qui s’annonce est l’incroyable féminicide [sur des fœtus] qui, à l’échelle du monde, est responsable d’un déficit de millions de femmes. Depuis trente ans, on a éliminé nombre d’embryons femelles suite au diagnostic prénatal, les mères étant forcées sous la pression sociale d’avorter parce que le fœtus est de leur propre sexe, ce qui constitue un clivage psychique sans nom. À ces déséquilibres démographiques, s’ajoutent les impacts des guerres, des déplacements massifs de populations, des disettes et des fami­nes, facteurs désormais amplifiés par la triple crise : crise du climat, de la biodiversité et des événements climatiques extrêmes, qui affectent toujours davantage les femmes et les filles qui meurent en “surnombre”.

Concernant l’engendrement, la production massive des problèmes de fertilité risque fort de conduire, d’ici la fin du siècle, à de sérieux risques de panne reproductive. Au-delà des insuffisances de diagnostic et de soins des maladies sexuellement transmissibles, ces problèmes résultent largement des impacts des toxiques chimiques aux effets de perturbateurs endo­criniens, contenus dans un grand nombre de pesticides et de produits d’u­sage courant. Autrement dit, si la préservation des conditions de régénération des êtres et des milieux de vie passe toujours par l’analyse des rapports socio-économiques, politiques et culturels, par l’analyse des rapports sociaux de sexe et par des interventions de protection des droits humains, elle passe de plus en plus par des actions fortes sur les grands enjeux environnementaux, dont les enjeux de santé, et par de solides réformes des politiques publiques d’évaluation et d’encadrement législatif et réglementaire. En ce sens, il importe, à mon avis, de passer d’une posture intellectuelle marquée par l’emprunt à des catégories économiques issues notamment du marxisme – dans l’espoir alors d’être entendues – à une posture qui nous permette de repenser le monde non plus à partir d’un univers de production, mais bien d’un univers d’engendrement et de régénération des êtres et des savoirs, ce qui, face aux risques de rupture et de Maelström annoncé par cette triple crise, nous est désormais vital.

 

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Notes

1 L’APRE ou l’Atelier PRoduction-REproduction est un séminaire fermé qui s’est tenu de 1985 à 1987. Financé par le programme PIRTTEM (Programme interdisciplinaire de recherche sur la technologie, le travail, l’emploi et les modes de vie) du CNRS, il a donné lieu à des publications régulières : les sept nu­méros des Cahiers de l’APRE, qui incluent les Actes de la table ronde internationale des 24, 25 et 26 no­vembre 1987, intitulée Les rapports sociaux de sexe : Problématiques, méthodologies, champs d’ana­lyses.

2 La revue a changé de sous-titre en 2013 et intégré le concept de genre : Clio. Femmes, Genre, Histoire.

3 Avec Karl Parent, Main basse sur les gènes – ou les aliments mutants et Clonage ou l’art de se faire doubler.

4 Ce travail a notamment donné lieu à : Devreux A-M., Ferrand-Picard M., 1982.

5 La “production anthroponomique” est une notion forgée par Daniel Bertaux. Il la définit notamment dans Bertaux D., 1977, p. 52-53. Voir l’article introductif du présent dossier.

6 Journées de la Société Française de Sociologie, “Institution familiale et travail des femmes”, Nantes, juin 1980.

7 Le CLEF était le Centre lyonnais d’études féministes. Le colloque en question s’est tenu en décembre 1980 et a conduit à la publication : CLEF, 1984.

8 10ème congrès mondial de sociologie de Mexico, août 1982. Le groupe dit ad hoc avait pour thème “Articulation entre système productif et structures familiales, méthodologie des approches comparatives hommes-femmes”.

9 Madeleine Guilbert (1910-2006) a élaboré des enquêtes et écrits pionniers sur le travail des femmes dans l’industrie, leur mode de recrutement, la dévalorisation de leurs tâches et compétences spécifiques, ou encore leur place dans le syndicalisme.

10 F. Thébaud a déjà souligné les difficultés d’articuler carrière professionnelle et maternité pour les femmes. Voir notamment Thébaud F., 2009.

11 L’historienne Madeleine Rebérioux (1920-2005) était spécialiste de l’histoire sociale de la France contemporaine et militante en faveur des droits de l’Homme.

12 « Tout le monde a tout le temps travaillé, inque ma mère qui travaillait pas. C’est pas de sa faute : avait trop d’ouvrage » (Extrait de L’osstidcho, spectacle de chansons et d’humour produit au Théâtre de Quat’Sous en 1968).

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Pour citer cet article

Référence papier

Marie Mathieu, Pauline Rameau et Lucile Ruault, « La maternité et le “travail reproductif” en questions »Recherches sociologiques et anthropologiques, 48-2 | 2017, 139-163.

Référence électronique

Marie Mathieu, Pauline Rameau et Lucile Ruault, « La maternité et le “travail reproductif” en questions »Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 48-2 | 2017, mis en ligne le 11 juillet 2018, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rsa/2127 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rsa.2127

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Auteurs

Marie Mathieu

Marie Mathieu est docteure en sociologie (CSU-Université Paris 8/IRÉF-UQÀM).

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Pauline Rameau

Pauline Rameau est agrégée d’histoire, enseignante au Lycée du Parc des Chaumes, Avallon.

Lucile Ruault

Lucile Ruault est docteure en science politique (Université de Lille, CNRS, UMR 8026-CERAPS).

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