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HomeNumérosTome CXXII N°2Le texte religieux occitan modern...Une vie de saint Benoît à la mode...

Le texte religieux occitan moderne et contemporain

Une vie de saint Benoît à la mode toulousaine : Le Dret cami del Cél (1659) de Bernard Grimaud

A life of Saint Benedict in the style of Toulouse: Le Dret cami del Cél (1659) by Bernard Grimaud
Jean-François Courouau
p. 247-272

Abstracts

The Benedictine Pierre Grimaud (? - before 1674), from the monastery of Mas-Grenier, is the author of a life in verse of Saint Benedict, Le Dret cami del Cél, published in Toulouse in 1659. In some 12,000 lines divided into six books and 48 songs, the author is inspired by the Dialogues of Gregory the Great. Each episode of St Benedict's life is preceded by a section entitled “Mouralo”, explaining how Christians should interpret the different moments of the saint's exemplary life. The biographical account contains vast scenes of a very baroque aesthetic that today might be described as burlesque. Stylistically, Grimaud is following the Toulouse poet Pierre Godolin (1580-1649), to whom he implicitly pays tribute. This similarity to Godolin's work establishes a link of proximity and familiarity with the reader, intended to facilitate the assimilation of the post-Tridentine religious and moral message.

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Full text

À l’époque moderne, la littérature hagiographique en occitan fait figure de parent pauvre. C’est en français, faut-il croire, ou en latin pour ceux qui le peuvent, qu’on lit, dans le Midi de la France, les vies de saints. En 1659, à Toulouse, paraît une vie de saint Benoît, Le Dret cami del Cél du bénédictin Bernard Grimaud qui mérite plus que les quelques lignes auxquelles elle a droit dans les rares études qui la mentionnent.

Bernard Grimaud, sa vie, son œuvre

On ne sait pas grand-chose sur la vie Bernard Grimaud. Longtemps on a répété, en se basant sur les indications contenues dans ses œuvres, qu’il était bénédictin et qu’il était prieur d’Aucamville, près de Toulouse, ce qui s’accorde assez bien au fait que, lorsqu’il signe par ses initiales, Grimaud termine par un « T. » dans lequel il est plus que tentant de reconnaître « Toulousain ». On imaginerait donc un bénédictin toulousain, installé au monastère que cet ordre possède à La Daurade, prieur d’une localité avoisinante.

  • 1  Je remercie Georges Passerat pour ces précisions.

1Georges Passerat (1977, 81) a établi que Bernard Grimaud, s’il est peut-être originaire de Toulouse, n’est pas établi au monastère de La Daurade, mais à celui de Mas-Grenier et que l’Aucamville dont il est prieur n’est pas la localité du Toulousain, mais un village situé à une douzaine de kilomètres de Mas-Grenier, dans l’actuel département du Tarn-et-Garonne. De fait, l’abbé Galabert, dans sa monographie d’Aucamville publiée à la fin du xixe siècle, mentionne un Bernard Grimaud, prieur bénédictin de l’abbaye Saint-Pierre de Lacourt du Mas de Verdun, l’actuel Mas-Grenier. Il donne même une indication sur la date de sa mort : « Bernard Grimaud était mort depuis peu en 1674 » (Galabert 1890, 97), information donnée sans sources et qu’il n’a pas été possible de vérifier1.

2On connaît trois ouvrages de Bernard Grimaud. Le premier est celui qui nous intéresse ici : Le Dret cami del Cél dins le pays moundi o la bido del gran patriarcho sant Benoist, le tout despartit en diberses cants, tant jouyouses que debouciouses ; é claufit de mouralos tirados del Téxto Sacrat, é de la Douctrino des Sants Payres. Par B. Grimaud, T.P.D. [Le droit chemin du ciel dans le pays toulousain ou la vie du grand patriarche saint Benoît, le tout divisé en divers chants aussi joyeux que pieux et rempli de morales tirées du texte sacré et de la doctrine des saints Pères. Par B[ernard] Grimaud, T[oulousain] P. D.], A Toulouso, per Frances Boude, 1659. Il s’agit d’un épais volume (390 pages) contenant :

  • une préface adressée « a toutis les reverends payres, a toutos las debotos mayres, sors, e frayres que coumbaten dejouts la Réglo de Sant Benoist », en prose occitane (7 pages) ;

  • la table avec les divisions de l’ouvrage ;

    • 2  Le sens de ce poème latin n’est pas très clair. On peut comprendre que Grimaud a connu une jeuness (...)

    deux pièces encomiastiques : un sonnet en occitan signé I. D. P. T. et un poème en latin de « Jacobus L’Escolier. Sac. Tolos. » [Jacques Lescolier (?), prêtre toulousain]2 ;

  • deux approbations, en français : la première signée par Pierre de Licques, docteur régent du couvent des frères prêcheurs et Jean de La Nativité, docteur régent et provincial du couvent des Carmes, à Toulouse, et la seconde par Antoine Espinasse, visiteur bénédictin de la province de Toulouse ;

  • le texte de la vie de saint Benoît (page 1 à 386) comprenant quelque 12 000 vers ;

  • un chant royal en occitan (refr. Le parél d’Alcyons qu’apazimon l’auratge), visiblement de Grimaud ;

  • un dizain en occitan de Grimaud, « Al legeire. De l’amic a l’amic » [Au lecteur. De l’ami à l’ami] et un quatrain en occitan signé « P. Bernet Tolosain ».

Gravure précédant la page de titre

Gravure précédant la page de titre

À gauche, saint Benoît et à droite sainte Scholastique, sa sœur. Au centre l’échelle menant au ciel, par ordre hiérarchique décroissant, du pape en haut jusqu’aux prêtres séculiers et réguliers (ex. BM Toulouse, Res. D XVII 367).

Une douzaine d’exemplaires sont conservés en France et au Royaume-Uni :

3Toulouse, BM, Res. D XVII 367 [numérisé sur le site Rosalis] ; La D 1053 ; Toulouse, Arsenal, Resp PfXVII-275 [numérisé sur le site Tolosana], Res 35290 ; Albi, BM, FP 6232 ; Bagnères-de-Bigorre, BM, LA 12 / 434.1 ; Lourdes, Musée pyrénéen, B 359 ; Béziers, CIRDOC, CR-A 8020 ; Montpellier, BM, V3527 ; Nîmes, BM, 61557 ; Aix-en-Provence, Méjanes, In8 07591 ; Rouen, BM, Mt p 18972 ; Bourges, BM, D 667 in8 ; Paris, Mazarine, 8° 44301 ; Londres, British Library, 1065.c.1.

  • 3  Toulouse, BM, Res. D XVII 368 [numérisé Num. Oc. 51] ; Montpellier, BM, V1713 ; Aix-en-Provence, M (...)

4Le deuxième ouvrage de Grimaud est une adaptation en occitan du texte grec de la Bratachomyomachie, parodie comique de l’Iliade, alors attribuée à Homère : La Granoulratomachio, o La furioso é descarado bataillo des rats é de las granouillos : jouts le règne de Rodilard é Croacus. A l’imitaciu del gréc d’Homéro per B.G.T., poémo burlesco, A Toulouso, per Bernat Bosc, 1664. Le récit original où est contée la bataille des grenouilles et des rats, long de 300 vers, est porté par Grimaud — que l’on reconnaît derrière les initiales B. G. T[olosain] — à quelque 4 000 vers répartis sur 156 pages, précédés d’une dédicace burlesque, en prose occitane, à son chat, Cardelin, et suivis d’une courte postface, également en prose occitane. L’ouvrage est relativement accessible dans les bibliothèques publiques françaises et britanniques3.

  • 4  Répertorié dans l’inventaire des noëls toulousains dressé par Jean Eygun (2000, n° 45).

5Enfin, Grimaud signe un recueil de noëls, Las Albados de Nadal dounados al public per B. Grimaud T. Sus d’Aires qu’an courrut per Toulouso, A Toulouso, J. Boudo, comprenant douze de ces compositions sur des airs occitans et français de l’époque. La date n’est pas indiquée sur la page de titre et on ne sait de quel Jean Boude il peut s’agir : le père, actif entre 1639 et 1681, ou Jean Boude le Jeune dont on peut situer la période d’activité entre 1684 et 1689. Cette dernière possibilité semble être celle privilégiée par la Bibliothèque municipale de Toulouse qui est seule à conserver cet opuscule de 22 pages4 (Res. D XVII 469, numérisé sur Rosalis).

6Une œuvre donc peu abondante si on compte les titres, mais remarquablement prolixe en nombre de vers, d’où émerge, au moins selon ces mêmes critères quantitatifs, l’épais massif du Dret cami del cél.

Exemple et morale

Comme il l’indique au tout début de sa préface, Grimaud entend « canta las accius heroïquos é dibinos del gran Patriarcho Sant Benoist » [chanter les actions héroïques et divines du grand patriarche saint Benoît]. Pour cela, il n’invente pas, il se contente de suivre pas à pas l’unique source que l’on possède sur la vie de saint Benoît de Nursie, né à la fin du ve siècle, mort au milieu du vie, fondateur de l’ordre bénédictin auquel appartient notre auteur. Cette source, ce sont les Dialogues composés à la fin du vie ou au début du viie siècle par le pape Grégoire le Grand et plus particulièrement le livre II de ces Dialogues dans lequel Grégoire présente les grands moments de la vie de saint Benoît, à commencer par les différents et nombreux miracles accomplis par le saint. Les quarante-huit chants répartis en six livres suivent pour l’essentiel le déroulement du livre II des Dialogues de Grégoire :

Grimaud

Grégoire

Libre I

I
Le Pays é la Naissenço de Sant Benoist, soun bouyatge de Roumo per les Estudis

II, 1

II
Del Crubél de sa Nouïrisso roumput, é miraculousomen fayt tout de noou

II, 1

III
Del rencountre qu’abec Sant Benoist de Sant Roumain, de sa solitudo

II, 1

IV
De la Campano roumpudo de la ma del Diable

II, 1

V
De la besito qu’abec Sant Benoist d’un Capela de Bilatge

II, 1

VI
D’uno autro besito qu’abec Sant Benoist de calques Pastres

II, 1

VII
De la bictorio de Sant Benoist countro la tentaciu de la car

II, 2

VIII
De sa creaciu d’Abat, é del beire empouïsounat
é roumput

II, 3

Libre II

I
De Maur é Placido dounats à Sant Benoist de las mas de lours Parens

II, 7

II
De la puniciu d’un Mounge bagamon, é mal sage

II, 4

III
De la foun nascudo sur un tupél de montagno per la pregario de Sant Benoist

II, 5

IV
Del Goth, é de sa Pigasso demargado

II, 6

V
De l’oubeïssenço de Maur que camino sur l’ayguo

II, 8

VI
De la maliço de Flourens, del Pa empouïsounat qu’un Courbas s’en pourtéc en térro desérto

II, 8

VII
De la biléno ruso de Flourens per perdre Sant Benoist, é sous Frayres

II, 8

VIII
De la mort miserablo de Flourens

II, 8

Libre III

I
De l’hurouso arribado de Sant Benoist al Moun-Cassin

II, 8

II
De la grosso Péyro charmado, ennayrado per las pregarios de Sant Benoist

II, 9

III
Del foc imaginat, arrapat à la Cousino

II, 10

IV
De l’Efan espoutit jouts la murraillo, é guarit

II, 11

V
Des Mounges qu’abion manjat foro del Couben

II, 12

VI
Del Pages que Sant Benoist repren d’abe pecat soun deju

II, 13

VII
De l’Escudié del Rey Totila deguisat, é descubért

II, 14

VIII
De la Prouphetio fayto al Rey des Goths Totila per Sant Benoist

II, 15

Libre IV

I
De la Predicciu de Sant Benoist del foc, de la famino, é de la pésto de Roumo

II, 15

II
De la predicciu de Sant Benoist de la ruïno del Mount-Cassin

II, 17

III
De la counfusiu d’un Bailet qu’abio amagat un Flascou de bi

II, 18

IV
Del Moucadou amagat, qu’un Payre abio recebut de las Mounjos

II, 19

V
De la pensado de banitat d’un Frayre counescudo per Sant Benoist

II, 20

VI
Del Clerc d’Aquin, delibrat del Diable, é la pregario de Sant Benoist

II, 16

VII
De dus cens sacs de farino miraculousomen troubats daban la porto de S. Benoist

II, 21

VIII
De la bisiu qu’abeguen les Frayres de Sant Benoist de la disposiciu d’un Couben

II, 22

IX
De las Mounjos escumenjados per S. Benoist, é de lour absoluciu aprép lour mort

II, 23

Libre V

I
Del Joüene Mounge reboundut, é miraculousomen derebundut

II, 24

II
Del Mounge que fugio le Couben, arrestat en cami per un Dragon

II, 25

III
De l’Efan guarit del mal de l’Elephan

II, 26

IV

De l’Home endéutat, é des escuts d’or miraculousomen troubats

II, 27

V

De l’Home guarit de la ladrario, é de la pouïsou

II, 27

VI

De l’Aulhéro de beire pleno d’Oli gitado per la finéstro miraculousomen troubado pleno sense éstre roumpudo

II, 28-29

VII

Del Mounge delibrat del Diable

II, 30

VIII

Del Pages estacat per un Gendarmo, é destacat d’un cop d’él del S. Abat

II, 31

IX

De l’Efan del Pages mort, resuscitat

II, 32

Libre VI

I
Del Miracle de la Sor de Sant Benoist, Santo Escoulastiquo

II, 33

II
De la mort de sa Sor Escoulastiquo, é de soun Armo bisto en formo de Couloumbo

II, 34

III
De la bisiu de Sant Benoist de tout le Mounde é de l’Armo de Germa Abesque de Capoüo

II, 35

IV
De la dibino é sabento Réglo que S. Benoist fasec per toutis les Mounges

II, 36

V
De la rebellaciu qu’abec Sant Benoist de sa mort, qu’el descrubic à sous Frayres

II, 37

VI
De la Fenno folo guarido dins la Groto de Sant Benoist

II, 38

7Chaque chant correspond à un chapitre des Dialogues. Les plus longs chez Grégoire cependant, le premier, consacré à la jeunesse du saint, et le huitième où sont exposées les menées du méchant Florentius (occitanisé en Flourens), fournissent la matière à plusieurs chants tandis que les chapitres 28 et 29 des Dialogues traitant d’un même sujet (miracle de la bouteille d’huile jetée sur les rochers) sont réunis en un seul chant. Dans le chant IV du livre VI, De la dibino é sabento Réglo que S. Benoist fasec per toutis les Mounges [De la divine et savante règle que saint Benoît fit pour tous les moines] qui correspond à un chapitre vide de narration chez Grégoire, Grimaud s’inspire de deux récits hagiographiques, la Passion de saint Placide (texte actuellement attribué à Pierre le Diacre et daté du xiie siècle) et la Vie de saint Maur (Odo, abbé de Glanfeuil, ixe siècle).

  • 5  Grégoire est nommément mentionné dans le cours d’une Historio, sous la forme d’une intervention au (...)

8Chaque chant est constitué de deux parties. La première, intitulée « Mouralo » [Morale], aussi développée que la suivante, est destinée à annoncer le message religieux contenu dans la seconde qui contient l’Historio proprement dite, reprise de Grégoire5, et à laquelle elle sert donc d’introduction. L’ensemble du texte est doté de références marginales renvoyant aux Écritures ou signalant certains contenus. Ces marginalia, données sous une forme abrégée, sont en latin, ou, à l’occasion — il convient de le noter — en occitan qui constitue donc, à l’exception des approbations officielles données en français, la métalangue de l’ouvrage.

9Tel qu’il apparaît dans ces longues « morales », l’objectif de Grimaud semble être double. Il s’agit tout d’abord de proposer un idéal de vie au moine et au-delà au chrétien, tous deux menacés par l’action de Satan et exposés à la mort :

  • 6  « Un moine qui vit comme il faut / Doit se tenir droit comme un pieu, / Pour s’abriter des assauts (...)

Un Mounge que biu coumo cal
Se diu teni dret coum’un pal,
Per se gandi de las butados
Del Satan é de sas armados
Que nou le rougagnen tout biu
Per qualque forto tentaciu,
Se teni toujour sur sa gardo)
E coum’un Mestre d’alabardo
Fa souben les quatre cantous
Per escarta les Diablatous,
S’arma de la Fe Catouliquo
Que ly serbira d’uno piquo,
E les Sacromens pas à pas
Coum’uno espaso de dos mas,
Se rire de la bouno chero,
La bido n’es que passatgero,
E de nostres cosses entiés
Les bers seran les heretiés
6. (I, viii, 43)

10Le rappel de la vanité du monde et le memento mori constituent l’armature de cette pensée exposée à l’envi tout au long de ces « morales ». La critique des différentes sortes de péchés et de pécheurs forme l’autre versant du message qu’adresse Grimaud à ses lecteurs. La représentation, telle ici celle de l’envieux, se veut concrète :

  • 7  « Ses yeux, comme dans une caverne, / Persécutés par l’envie / Prennent tout à revers / Et ne rega (...)

Sous éls coumo dins uno tuto
Que lour embejo persecuto
Prenen tout-quan qu’es al rebés
E n’agachon que de trabés,
Toutis embouffits de couléro
Nou prounoustiquon que miséro,
E nou risen que qu’an le mal
Plau desus calque paure oustal,
Sa gorjo cubérto de babo
Put al ferum coum’uno Crabo,
E dambe sous caissals pudens,
O dan l’ajudo de las dens
Se manjo le cor abés mosses
E le met en cent milo trosses.
Per susteni son quér pelut
Ten un gros bastou nouselut,
Oun milo trouncs d’ambe d’espinos
Pausats coumo de clabelinos
Menasson cad’un de pica
Ta pauc qu’on les bolguo touca
Aquels trouncs soun las medisenços,
Les desplases, las insoulenços
Que l’embejo ten en tout tens
Per pica les plus innoucens,
E n’ouspargno dins tal rabatje
N’y l’amistat, n’y parentatje 
7. (V, v, 269-270)

11Le corps est déformé, rendu hideux et puant, assorti d’un attribut, le bâton d’épines, dont la signification symbolique est immédiatement donnée. Le débauché (47), le libertin (66), l’avare (234), la coquette (263), l’ivrogne (290), parmi d’autres, illustrent les errements d’un pécheur que la mort, qui le guette en embuscade, précipitera en enfer. Ainsi le débauché, affligé d’une maladie vénérienne, se tord de douleur sur son lit :

  • 8  « Allez voir quelque impudique / Que le mal dans un lit torture / Et brûle comme dans un feu / Pou (...)

Anats beze calque impudiquo
Dedins un liéit que le mal piquo,
E brullo coumo dins un foc
Per estre anat dins calque loc
Que jou nou gausario pas dire
Nou sap de quin coustat se bire,
Desesperat sense coulous
E reboundut dins las doulous
8 […] (VI, v, 366)

12Il a beau promettre d’abandonner le vice, si tôt qu’il se rétablit, il recommence la même vie de débauche. C’est alors que la mort le saisit :

  • 9  « Et la mort qui est en sentinelle / Pose la corde à son archet, / Prépare son petit gourdin / Pou (...)

E la mort qu’es en sentinélo
Pauso a soun arquet la courdêlo
Aséguo soun petit matras
Que nou l’iscape de las mas
E d’ambe sous éls de luscrambo
Bous l’y bailho le croc en cambo,
E le secout coum’un Laquay
Dedins l’Ifér per un iamay
9. (id.)

13Le chrétien, le moine, sont invités à emprunter la voie de la vertu et à ne jamais s’en écarter. Moine lui-même, Grimaud insiste sur le respect absolu qui est dû à l’abbé (II, vii, 143 ; II, viii, 150, passim) ou au prieur (V, ii, 245…) ainsi qu’à la règle donnée par saint Benoît, « Uno roso que s’esplandis / E le cami del Paradis » (VI, iv, 345). L’orthodoxie de l’auteur est parfaite, même si on trouve chez lui, dans le dernier chant, un éloge de la grâce en pleine querelle sur le jansénisme :

  • 10  « Car tout provient (ne vous en déplaise) / De notre Dieu et de sa grâce / Qui, quand il lui plaît (...)

Car tout prouben (nou bous desplacio)
De nostre Diu, é de sa gracio,
Que quan ly play damb’un cop d’él
Fa trambla la térro, é le Cél,
E dins las matiêros prigoundos
Fa jouga las causos segoundos
10. (VI, vi, 376)

  • 11  Le même lecteur moderne sera sans doute troublé par l’image particulièrement négative qui est donn (...)

14Ces déclarations où la vertu est célébrée tandis que le vice est présenté sous une lumière sombre et sur un ton empreint de pathos occupent une large place dans les « morales » introductives qui précèdent les épisodes de la vie de saint Benoît. Au point de pouvoir faire naître, chez le lecteur moderne, un sentiment de monotonie11. Robert Lafont et Christian Anatole déplorent que « quand il se met à moraliser, le bavard Grimaud est bien ennuyeux » (Lafont/Anatole 1970, 433) et le fait est que nous avons affaire à un auteur plutôt prolixe. Ceci étant, les passages moralisants sont rarement entièrement occupés par un discours général, abstrahisé, centré sur des principes ou des articles de foi. Ils accueillent toujours en fait des mini-récits, rappels d’épisodes bibliques, la glose de paroles d’autorités religieuses ou encore des tableautins moraux comme ceux évoqués plus haut. L’objectif est de fournir par avance le cadre dans lequel doit se développer la réflexion menée à partir de l’épisode de la vie du saint qui suivra. De ce point de vue, il convient de resituer la démarche de l’auteur dans le contexte de l’entreprise de moralisation propre à l’Église post-tridentine. Comme chez d’autres acteurs occitanographes de la Réforme catholique (Dupont, Amilha…, v. Anatole 1967, 1978 et Courouau 2012, 162-183), l’auteur se fait directeur de conscience, missionnaire. Benoît est l’exemple moral le plus achevé, le héros que rien ne défait.

De grandes scènes baroques et un style

Les longs moments consacrés à l’éloge de la vertu chrétienne et au blâme du vice permettent par contraste de mettre en relief des scènes particulièrement développées au sein de la partie proprement narrative. Si le récit suit dans ses grandes lignes les événements rapportés par Grégoire, il accueille également des représentations détaillées destinées à frapper l’imagination du lecteur et du croyant. L’une des plus spectaculaires est peut-être celle où l’auteur décrit un enfant atteint du mal de l’Elephan, « uno estranjo sorto de galo » [une étrange sorte de gale] :

  • 12  « Il n’avait pas un cheveu sur la tête ; / Une calotte de croûtes / Faisait pourrir sa cervelle ;  (...)

El n’abio cap de pel al cap,
Uno caloto de croustélo
L’y fasio pouïri la cerbélo
De traucs grans coumo de testous
Paression pes quatre cantous
De sa clésco touto pelado
De mal, de bilenio moublado,
Oun les bers en moustran le mour
Fourmiguejabon à l’entour,
Enbouloupat dins la tristéço
Uno poustémo jauno, espeço
Rajabo iusquos as talous
D’aquel misérable galous,
Enfin per dire ço que n’éro
El éro un sac ple de miséro,
De mal un eternél abort,
Uno boutigo de la Mort ;
Le paure Efan per tout se bouto,
Les Chirurgiéns ny besen gouto,
Le[s] Operaturs fan les muts,
Les Medecis soun de flahuts,
E dan touto lour Medecino
Estounats l’y biro[n] l’esquino
En s’emportan dedins la ma
La peço d’or sense re fa
12. (V, iii, 255-256)

Cette maladie faisait l’objet chez Grégoire d’une rapide mention :

  • 13  « Un mot sur ce ce que m’a appris l’Illustre Aptonios. Il me disait que son père avait un esclave (...)

Sed nequo hoc silendum puto, quod inlustri uiro Aptonio narrante cognoui. Qui aiebat patris sui puerum morbo elefantino fuisse correptum, ita ut iam pilis cadentibus cutis intumesceret atque increscentem saniem occultare non posset. Qui ad uirum Dei ab eodem patre eius missus est, et saluti pristinae sub omni celeritate restitutus13. (II, xxvi)

15On mesure le travail accompli par Grimaud. L’accumulation des difformités, décrites avec une complaisance assumée, crée une vision d’horreur absolue. Cumulé à l’impuissance des médecins, évoquée à la fin du passage, ce tableau monstrueux rend d’autant plus éclatant le miracle qu’opère saint Benoît dans les vers suivants. D’autres scènes d’horreur sont placées au fil du récit hagiographique : la description de Satan (III, i, 106), très inspirée de l’iconographie traditionnelle, les effets de la peste et de la famine de Rome, prophétisées par saint Benoît (IV, i, 164-167)… Mais l’art de Grimaud est varié. Il déploie aussi sa verve dans un autre type de scènes, centrées, celles-ci, sur une animation fébrile, avec une accumulation de verbes d’action et une multiplicité d’acteurs. Ainsi les travaux de construction au monastère du Mont-Cassin (III, iv, 124-125) ou, dans un passage qui résulte d’une expansion considérable par rapport au texte de Grégoire, la fuite des païens et des animaux sauvages après l’incendie de leur bois sacré (III, i, 104-105). À côté de l’ombre satanique et de l’agitation humaine, Grimaud se plaît à peindre la lumière, ou plus exactement les éléments, cosmiques et naturels. On trouve chez lui quelques évocations du soleil couchant (II, v, 78 ; IV, ii, 180 ; IV, v, 201), des saisons (le printemps, l’hiver, VI, vi, 381-382) ou, comme ici, celle du silence nocturne, où se mêlent mythologie classique et croyances populaires :

  • 14  « Les frères que le sommeil engourdit / Jouent tous à colin-maillard ; / Le soleil qui a perdu sa (...)

Les Frayres que la sons eissorbo
Fasion touts à la capitorbo,
Le Soulel per n’éstre plus clar
S’éro anat fourra dins la Mar,
La papoou éro sur la térro,
Le Cél flourit coum’un partérro
Per esclayra les locs plus trums
S’éro ajagut de milo lums,
La néit de soun dol capelado
Ero per aqui debalado,
Sas Dounzelos, é sous Lugras
La seguion per tout pas à pas,
Le brut s’en éro anat d’augido,
Le silenci tenio la brido
Al caquet del joun impourtun
Le chut chut retenio cad’un,
E l’on n’aujo per las carriéros
Res quel’ marmal de las Ribiéros,
Las gens, las brutos, les auséls
Eron sense bouts é sense éls,
Morpheo Rey de las mensounjos
Abio sas mas plenos d’espounjos
Per esfalsa dins soun retour
Tout ço que s’éro fayt le jour
Dambe sas coumpaignos laugéros,
Las rebarios, é las chiméros,
Que dan lours pabots (coum’on sap)
Foüignon la sons dedins le cap ;
Per fa court éro néit escuro
14 (VI, iii, 341)

16La tradition littéraire de la pastorale ne lui est pas non plus inconnue comme en témoigne la présence de vers en écho (I, iii, 14), dans le plus pur style de la pastorale poétique et dramatique, ainsi que quelques scènes bucoliques, notamment telle description du locus amœnus :

  • 15  « Et au bout d’un temps, ils se trouvent / Dans un lieu ravissant / Où la fraîcheur avait établi s (...)

E se trobon dins un moumen
Dins un loc de rabisso[men]
Oun le fresc fasio sa demoro ;
Aqui les grans tresors de Floro
Dambe sous coutinauts raméls
Fasion bimbarolos as éls,
Un Zephir temperao l’aire
Jouts un cubért beuse d’esclaire
Ta pla barrat qu’el calimas
Ny poudio pas fourra le nas,
A coustat (causo qu’éro raro)
Besion uno foun neto é claro,
Doun le tuyéu gentil é bél
Rounssao laiguo dinquio’al Cél,
Tant y a aco n’es res qu’un delici
15 (III, vi, 139)

17Grimaud dispose de fait d’une solide maîtrise de l’art rhétorique et là aussi, ses moyens sont variés. Il sait user de longues périodes comme dans la présentation de sainte Scholastique, la sœur de saint Benoît (VI, i, 317-318), dans laquelle le sujet de la phrase est séparé de son verbe par 22 vers. Les répétitions et les anaphores ne sont pas rares (six aquel que, III, ii, 113 ; huit ni, I, viii, 44 et VI, i, 319 ; sept un encadrés par uno, III, iii, 114). Certains vers sont marqués par une recherche de l’euphonie (« Aco se sap sul cap del dit » [On sait cela sur le bout des doigts], III, vii, 144 ; « Le mout de tiu, de miu, de siu » [Les mots « mien », « tien », « sien »], IV, v, 191) et surtout par une intégration dans le discours poétique d’expressions empruntées à la langue courante. Quelques exemples :

El y ba tout de gratipautos (I, iii, 15)
S’au disecs en trufos trufan (I,
v, 27)
Que de crento d’abe coucaigno (III,
iv, 123)
Que crey de ly ficha la colo (III,
vi, 141)
De despieit l’estoumac ly fumo (III,
vi, 141)
E les pots l’y fan tiffo taffo (IV,
iii, 185)
Tu n’es res qu’un bentobouloffo (IV,
v, 198)
De poou de tourna abe patolo (V,
vii, 294)

18Ces expressions permettent de donner — ponctuellement — un tour familier à son discours en imitant, grâce à des images savoureuses et sonores, la parole populaire. Cette recherche au niveau linguistique s’accompagne d’une inscription dans le texte poétique et hagiographique de realia empruntés au monde contemporain de l’auteur et de ses lecteurs. Quand, enfant, il part à Rome, Benoît prend avec lui son portefeuille (I, i, 4). Apollon paraît sans son violon (III, i, 103). Le roi ostrogoth Totila arrive entouré de gardes suisses (III, vii, 147). Un possédé parle allemand et flamand, en plus du grec et du latin (IV, vi, 207). Une comparaison fait intervenir le caméléon qui se nourrit, croit-on alors, d’air (IV, vii, 217). Un méchant Goth menace un paysan de son pistolet (V, viii, 300). Les exemples de tels anachronismes, sans être extrêmement nombreux, ne manquent pas. Ils signalent la volonté de l’auteur d’inscrire le texte à certains moments, discrets mais d’autant plus visibles, dans la réalité triviale de ses contemporains. Ce mouvement d’abaissement n’épargne pas, à l’occasion, le saint héros. Lorsque, au début de son temps d’ermite, pour fuir la vision d’une femme connue à Rome, Benoît se jette nu dans les orties et les ronces, il finit, nous dit Grimaud, par ressembler à un hérisson (I, vii, 39).

19On reconnaît là le geste du burlesque. Et on se souvient que Grimaud est l’auteur d’une adaptation de la Bratachomyomachie, œuvre qualifiée dans son titre de poèmo burlesco et dans la préface de laquelle il rend d’ailleurs hommage à Scarron, le maître du burlesque français. Cette dimension du Dret cami del cél a pu abuser, à une certaine époque, des lecteurs qui ont appliqué à l’œuvre des critères d’ordinaire réservés aux vies de saints médiévales ou post-médiévales. Jean-Baptiste Noulet qualifie le ton de Grimaud, « si voisin du burlesque », de surprenant, tout en lui reconnaissant quelques mérites (Noulet 1859, 111). Le bénédictin Dom Besse estime qu’« il manque de souffle et le ton de sa phrase descend au vulgaire. C’est en somme un poète médiocre » (Besse 1905, 296). Ces jugements surévaluent la part du burlesque dans l’économie de l’œuvre et, surtout, ils méconnaissent les principes religieux, esthétiques et stylistiques qui sont au fondement de la démarche du bénédictin.

À l’école du maître toulousain

C’est au début de la partie narrative du chant V du livre IV que Grimaud a placé une déclaration très explicite qu’il faut regarder comme l’expression d’un véritable manifeste stylistique. Il est question de l’art de composer des sermons suivant le modèle proposé par saint Benoît. Grimaud affirme sa prédilection pour les « Frasos facillos » [phrases faciles] (192). Le prédicateur doit composer son sermon

  • 16  « Sans user de mots emphatiques / Ni des fleurs de rhétorique / Qui remplissent le plus souvent /  (...)

Sense usa d’un mout Amphatiquo,
Ny de las flous de Rhetoriquo
Que ramplissen le plus souben
Le cor é l’aureilho de ben 16 (V, iv, 193)

20Trente-neuf vers sont ainsi consacrés à la critique de la rhétorique savante, artificielle et vaine, à grand renfort de formulations imagées :

  • 17  « Ce sont, et il faut le croire, / Des ballons bien fragiles / Dans lesquels un enfant malappris / (...)

Aco’s, é atal au cal creire
De boudoufflos d’un pé de beire
Que le mainatge mal-apres
Bufo tout siau, é péy n’es res,
Aco’s le sou d’uno guitarro
Que dins l’aureilho bous s’embarro
E n’intro iamay dins le cor
Aco’s uno gran peço d’or
Que deforo es fort estimado,
Més dedins es touto gastado17 (id.)

avant que ne soit formulée une conclusion sans appel qui invite à se détourner de la dictature imposée par la mode du temps :

  • 18  « C’est ainsi que sont ces prédicateurs, / Enflés de gloire, beaux parleurs / Qui passent pour de (...)

Ata[l] soun aques Predicaires,
Buffats de glorio grans parlaires
Que passon per de grans Douctous,
E nou soun qu’arbres ples de flous
Doun la béutat nous persecuto,
E que nou porton cap de fruto,
Lours discours triats é noubêls
A toutis paressen fort béls,
Lour modo nous pipo, nous charmo
Sense pourta proufit à l’armo
Que nou demando que l’ repaus18. (V, iv, 193-194)

21La rhétorique de Grimaud se veut une écriture de la proximité, du familier. Elle privilégie les « phrasos facilos » en ce sens que l’expression accueille les tournures de la langue quotidienne, voire des réalités de la vie contemporaine. Une différence, toutefois, s’impose avec les auteurs profanes pratiquant le burlesque. Pour ceux-ci, le burlesque est une fin en soi. Le texte parodié se trouve abaissé, trivialisé, travesti au sens propre du terme, à des fins comiques. Chez Grimaud, le texte de base, la vie de saint Benoît selon saint Grégoire, reste intact dans sa dignité. Le burlesque n’intervient que ponctuellement et il n’est pas une fin, mais un moyen qui, conjointement avec d’autres moyens (l’exhortation, la vision d’effroi, l’autorité des Écritures…), est destiné à toucher l’ensemble des lecteurs.

22L’usage de l’occitan fait partie des moyens mis en œuvre par l’auteur. Dès la préface, Grimaud manifeste en faveur de l’occitan toulousain un engagement résolu :

Beléu (ARMOS DEBOTOS) bostres Esprits s’affiscon à cerca le pel à lioou, jou boli dire que bous Autros demandariots un lengatge may presat, o may counescut, o may en boguo, Diu me garde de parla mal de las autros lenguos, may jou bous dire sense babardiso aprép le sentimen de Persounos de meriti, & que saben couneisse las bounos causos, que

Le Gréc parlo coum’un Gendarmo,
Le Lati coum’un Partisan,
Le Frances coum’un Courtisan,
May le Moundi nous rabis l’armo,
E moblo de rabissomen
L’Oustal de nostre entendemen.

  • 19  « Peut-être, âmes dévotes, vos esprits s’échinent-ils à chercher le poil dans l’œuf, je veux dire (...)

E d’aqui cal tira la counsequenço, que le lengatge Moundi es coumo l’ordi moundat que cousinat coumo cal engraisso tout le mounde, é diré sense flatenguo, que per esprima quicom de bél, o per douna à naisse calque ritcho pensado, le lengatge Moundi es l’oli sur l’aiguo19.

23La référence qu’il invoque ensuite n’a rien pour surprendre en 1659 : Clémence Isaure, fondatrice des Jeux floraux de Toulouse. L’emploi de l’occitan qui est pour lui « le lengatge de [sa] Mayre » permet de hisser cette langue au niveau du latin de Grégoire, du grec du pape Zacharie, traducteur de Grégoire, et des langues modernes que sont l’italien, l’allemand et l’anglais. Une telle prise de position s’explique moins par un quelconque patriotisme local que par la prégnance d’un modèle inavoué qui sert de guide à l’écriture grimaldienne, aussi bien dans le Dret cami del cél que pour le reste de son œuvre. Ce guide est un poète profane, toulousain, de langue occitane : Pierre Godolin.

24Le tout début de la préface en prose résonne en effet d’une façon bien familière aux oreilles des connaisseurs du grand poète toulousain :

  • 20  « Vraiment, âmes pieuses, vraiment, dis-je, vous serez étonnées et votre esprit sera cousu dans l’ (...)

BELOMEN (ARMOS DEBOVCIOVSOS) Bélomen disi jou, serets estounados ; é bostre esprit couzut dins l’admiraciu, de béire oüéi toutos las Musos en peteguo, per uffla lours Caraméls, é deroüilha lours Instrumens per dignomen canta las accius heroïquos é dibinos del gran Patriarcho Sant Benoist.20

25On y reconnaît sans peine un écho de la strophe qui ouvre les Stansos à l’hurouso memorio d’Henric le Gran, chef-d’œuvre de Godolin (v. 3-4, « Tant que les auzelets per saluda l’Amour / Uflon le gargaillol de milo cansounetos »). De la même façon, l’invocation qui clôt l’avant-propos dans le chant I du livre I est adressée en premier lieu à saint Benoît, mais elle est immédiatement suivie d’une seconde invocation, dirigée celle-ci vers la Muso Moundino :

  • 21  « Afin que je puisse décrire / Toute votre [de Benoît] façon de vivre / Dans mon langage qui est l (...)

Afi que jou posco descriure
Touto bostro faissou de biure,
Dan moun l’engatge qu’es Moundi
Sense me poude marfoundi.
Ça, ça douncos, Muso Moundino,
Canto doussomen l’Origino
E la Naissenço d’aquel Sant,
Que benguec dins un tens maissant,
Oun l’orre bici ero en parado,
E la bertut despouderado21. (I, i, 3)

  • 22  L’anaphore « Aco’s el que », fréquente chez Grimaud, rappelle les mêmes mots dans la même figure d (...)

26Cette Muse toulousaine rappelle, quant à elle, la Nymphe toulousaine à laquelle le poète toulousain donne la parole dans ces mêmes Stansos (v. 8, « Augèts coussi se plaing uno Nympho moundino »). Ailleurs, à deux reprises (59, 90), Grimaud se souvient de l’expression employée par Godolin à propos de la mort (v. 96, « Endrom dedins le clot le pages et le noble »). Il reprend telle quelle la formule « Abalisco le gus » (42) appliquée par Godolin à l’assassin d’Henri IV (v. 89) et la partie de vers destinée à célébrer la perfection du roi défunt « coumoul de touto perfecciu » (v. 99) est remployée à l’identique en l’honneur de saint Benoît. D’autres échos, plus ou moins discrets, du grand poème de Godolin ou d’autres passages de son œuvre se laissent percevoir dans la vie de saint Benoît par Grimaud22.

  • 23  Les occurrences sont trop nombreuses pour être relevées ici. À titre d’exemple : « Le Sant Abat [… (...)

27Avec Godolin — mais parfois aussi avec Scarron —, Grimaud partage également certaines pratiques poétiques. Quand le bénédictin écrit « un petit Courrié del Cél » (IV, viii, 221) pour désigner un ange apparu à Joseph, il pratique l’art de la périphrase auquel se plaît Godolin pour qui, on le sait, le « petit Diu puntièr » renvoie à Cupidon. Comme Godolin, Grimaud intègre, on l’a vu, des expressions issues de la langue courante dans le discours poétique ainsi que des marques d’oralité destinées à exprimer l’étonnement, la surprise, l’admiration… Comme lui également, il joue avec son lecteur. Les interventions auctoriales sont rares dans le corps des « mouralos » et des « historios » mais il arrive que Grimaud se montre en train de composer son récit. Plus fréquemment, du reste, il s’adresse à ses lecteurs par des bous [vous] dont certains ont une valeur de datif éthique23. Ce dernier tour est peut-être absent, sous bénéfice d’inventaire, chez Godolin, mais il permet à Grimaud d’intégrer son lecteur dans la narration en le prenant à témoin.

  • 24  « Jamay n’an legit talo pésso / Qua fa beze qu’és del Mestié / Ta plan que Goudely, é Gautié » [On (...)

28D’un point de vue global, en tout cas, l’œuvre du poète toulousain offre un triple avantage pour le bénédictin. Elle confère une légitimité, d’abord, à l’emploi de la lengo moundino à laquelle Godolin, mort dix ans plus tôt, a contribué à donner ses lettres de noblesse. Les thuriféraires de Grimaud, dans sa Granoulratomachio de 1664, ne s’y sont pas trompés en le comparant à Godolin et au poète qui semble avoir pris sa suite dans la Toulouse de la seconde moitié du xviie siècle, le mystérieux Gautier24. Ensuite, Grimaud trouve chez Godolin une manière qui associe le registre élaboré, équivalant chez le bénédictin au discours religieux et moralisateur, et un travail sur la langue qui entremêle les registres et exploite toutes les ressources phoniques et sémantiques du parler local. Pour le prêtre, enfin, il n’était pas possible, sans doute, de l’avouer explicitement mais se référer explicitement à Godolin, placer son texte poétique dans le prolongement esthétique de l’œuvre du Toulousain, c’est aussi, d’une certaine façon procéder comme le font certains auteurs religieux de cantiques et de noëls. Le texte profane (comme le timbre de la chanson remployée) de facture godelinienne crée chez le lecteur/auditeur un effet de proximité et de familiarité qui est précisément ce que recherche dans son œuvre l’hagiographe toulousain de saint Benoît.

***

  • 25  On peut mentionner entre autres La vie et martyre de Sainte Julienne (1634), Artus Du Monstier, La (...)
  • 26  En breton, on connaît une Vie de saint Yves (Tanguy Guéguen, 1623), une Vie de sainte Marguerite ( (...)
  • 27  Innovation qui restera sans lendemain comme le confirme Eygun (2002, 416).

Dans le paysage de la littérature religieuse de langue occitane, le Dret cami del cél paraît une œuvre bien originale. D’abord parce qu’elle s’inscrit dans une tradition, la vie de saint en vers, très peu représentée en occitan. Au xviie siècle, on en connaît quelques exemples en français25 ou en breton26, mais, sauf erreur de ma part, aucune en occitan. Le Dret cami del Cél o la bido del gran patriarcho sant Benoist représente, de ce point de vue, une innovation27.

29Une des caractéristiques majeures de ce texte, au-delà de son ampleur (un travail de bénédictin, si j’ose dire), réside dans la difficulté qu’il y a à lui apposer une étiquette, à le classer dans un genre déterminé. C’est bien à un récit hagiographique que l’on a affaire, mais pas seulement. La vie de saint Benoît sert de base à tout un discours religieux et surtout moral qui est le fait d’un prédicateur actif et engagé dans le monde et qui relève donc — en partie — de la mission intérieure telle qu’on la pratique en France au sein de l’Église post-tridentine dans la seconde moitié du xviie siècle.

30Cette œuvre religieuse par essence qui, selon la suggestion de F. Castan (1969, § 31), par le choix de son sujet, tient de l’épopée, emprunte une partie de ses moyens poétiques à un modèle profane endogène, l’œuvre du Toulousain Godolin dont on mesure, ce faisant, la notoriété post mortem en tant que chef d’une école toulousaine de poésie. Le bénédictin missionnaire se fait tour à tour — et chaque fois brièvement — polémiste, satiriste, voire poète comique. À moins de faire abstraction de tous les longs passages où l’objectif de moralisation est premier, il n’est guère possible cependant de considérer l’œuvre tout entière comme relevant du burlesque tel que les homologues français et occitans de Grimaud et tel que Grimaud lui-même pratiquent ce genre. L’écriture de Grimaud, comme l’annonce le titre du Dret cami, est à la fois joyeuse et pieuse (cants tant jouyouses que debouciouses). Le burlesque ne constitue qu’un des moyens employés par l’auteur pour se placer dans le familier et mieux atteindre ainsi ses lecteurs.

31Ces lecteurs auxquels s’adresse Grimaud, quels sont-ils ? Faut-il se fier à l’adresse de sa préface, ses frères et sœurs de l’ordre de saint Benoît ? Ou faut-il croire qu’au-delà d’eux, ce sont les chrétiens occitanophones dans leur ensemble qu’il cherche à édifier ? Ce qui paraît bien plus conforme à l’esprit de la Réforme catholique triomphante.

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Bibliography

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Anatole, Christian, « Réforme tridentine et littérature occitane en pays de Toulouse au xviie siècle », Annals de l’Institut d’Estudis Occitans 3, 1978, 65-76.

Besse, Dom, « Une traduction de la vie de saint Benoît en vers patois », Revue Mabillon. Archives de la France monastique I, 1905, 294-297.

Castan, Félix, « Essai de définition d’un contre-champ littéraire. La “voix” occitane baroque », Baroque 3, 1969. En ligne : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/baroque/294. Dernière consultation le 31/10/2018.

Courouau, Jean-François, « Les stances “A l’hurouso memorio d’Henric le Gran” de Pierre Godolin », Lengas revue de sociolinguistique 64, 2008a, 61-97.

Courouau, Jean-François, « L’imprimé religieux en langue bretonne (1526-1660) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest 115/3, 2008b, 57-79.

Courouau, Jean-François, Et non autrement. Marginalisation et résistance des langues de France (xvie-xviie siècle), Genève, Droz, 2012.

Eygun, Joan, « Bibliografia deus nadaus tolosans (1600-1850) », Tèxtes occitans 4, 2000, 87-108.

Eygun, Jean, Au risque de Babel. Le texte religieux occitan de 1600 à 1850, Bordeaux, Association d’étude du texte occitan, 2002.

Galabert, Firmin, Monographie d’Aucamville, Montauban, E. Forestié, 1890.

Gardy, Philippe, « Rapugas mondinas a l’entorn de Gautié : 1. Les Bouyès a las Moundinos », Tèxtes occitans 1, 1996, 59-72.

Grégoire Le Grand, Dialogues, éd. Adalbert de Vogüé et Paul Antin, Paris, Le Cerf, 1979, 3 vol.

Lafont, Robert et Christian Anatole, Nouvelle histoire de la littérature occitane, Paris, PUF, 1970.

Noulet, Jean-Baptiste, Essai sur l’histoire littéraire des patois du Midi de la France aux xvie et xviie siècles, Paris, J. Techener, 1859.

Passerat, Georges, « Les écrivains occitans de Tarn-et-Garonne : de Marcabru à Perbosc », Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne 102, 1977, 69-91.

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Notes

1  Je remercie Georges Passerat pour ces précisions.

2  Le sens de ce poème latin n’est pas très clair. On peut comprendre que Grimaud a connu une jeunesse difficile et qu’une fois ordonné il a refusé d’enseigner, cherchant le repos à Mas-Grenier (otia quærens Verduni). Je remercie Régis Courtray et Anne-Hélène Dollé pour leur traduction de ce texte.

3  Toulouse, BM, Res. D XVII 368 [numérisé Num. Oc. 51] ; Montpellier, BM, V1713 ; Aix-en-Provence, Méjanes, In 8 07864 ; Orléans, BM, D1805 ; Paris, BnF, YB-1182, 23442 ; Paris, Arsenal, 8-BL-12295 ; Londres, British Library, 1073.e.20.(6.) ; Manchester University, 10115.

4  Répertorié dans l’inventaire des noëls toulousains dressé par Jean Eygun (2000, n° 45).

5  Grégoire est nommément mentionné dans le cours d’une Historio, sous la forme d’une intervention auctoriale (entre parenthèses) : (Aço que sant Gregori escriu) [(Selon ce qu’écrit saint Grégoire)], II, iv, 70.

6  « Un moine qui vit comme il faut / Doit se tenir droit comme un pieu, / Pour s’abriter des assauts / De Satan et de ses armées / Afin qu’ils ne le rongent pas tout vif / Par quelque forte tentation, / Il doit se tenir sur ses gardes / Et comme un maître de hallebarde / Surveiller tous les coins / Pour écarter les diablotins, / S’armer de la foi catholique / Qui lui servira de pique / Et des sacrements, pas à pas, / Comme d’une épée à deux mains, / Se moquer de la bonne chère ; / La vie n’est que passagère / Et de nos corps entiers / Les vers seront les héritiers ».

7  « Ses yeux, comme dans une caverne, / Persécutés par l’envie / Prennent tout à revers / Et ne regardent que de travers ; / Tout bouffis de colère, / Ils ne prédisent que la misère / Et ne sourient que quand le mal / S’abat sur quelque pauvre maison ; / Sa gorge, couverte de bave, / Pue l’animal sauvage comme une chèvre / Et avec ses dents puantes / Ou avec l’aide de sa mâchoire / Il mange son cœur par gros morceaux / Et il le met en cent mille pièces. / Pour soutenir son cuir velu, / Il tient un gros bâton noueux / Où mille épines et échardes / Posées comme des clous / Menacent de piquer chacun / Dès qu’on veut les toucher. / Ces épines sont les médisances, / Les chagrins, les insolences / Que l’envie nourrit en tout temps / Pour blesser les plus innocents / Et elle n’épargne dans un tel ravage / Ni les amis ni les parents ».

8  « Allez voir quelque impudique / Que le mal dans un lit torture / Et brûle comme dans un feu / Pour être allé dans un lieu / Que je n’oserais pas nommer ; / Il ne sait de quel côté se tourner, / Désespéré, Livide, / Et enseveli dans les douleurs ».

9  « Et la mort qui est en sentinelle / Pose la corde à son archet, / Prépare son petit gourdin / Pour qu’il n’échappe pas à ses mains / Et avec ses yeux de ver luisant / Elle lui fait un croc-en-jambe / Et le précipite tel un brigand / Dans l’enfer à tout jamais ».

10  « Car tout provient (ne vous en déplaise) / De notre Dieu et de sa grâce / Qui, quand il lui plaît, d’un regard, / Fait trembler la terre et le ciel / Et dans les matières profondes / Fait jouer les causes secondes ».

11  Le même lecteur moderne sera sans doute troublé par l’image particulièrement négative qui est donnée de la femme : « Aco [la femme !] nou bal res qu’à l’oustal, / Amay le plus souben ba mal, / Elo au bouto tout en bardoüillo, / Se n’es cousudo à la counoüillo » (I, ii, 6) [Ça ne vaut qu’à la maison / Et encore, le plus souvent, tout y va mal, / Elle met la pagaille partout / Si elle n’est pas attachée [m.à.m. : cousue] à sa quenouille]. Plusieurs passages vont dans le même sens (II, vii, 88 ; IV, ix, 230).

12  « Il n’avait pas un cheveu sur la tête ; / Une calotte de croûtes / Faisait pourrir sa cervelle ; / Des trous grands comme des testons / Paraissaient sur les quatre côtés / De sa caboche toute pelée, / Remplie de mal, d’ordure / Où les vers en montrant leur tête / Fourmillaient tout autour ; / Enveloppé dans sa tristesse, / Un pus jaune, épais / Coulait jusque sur les talons / De ce misérable galeux ; / Enfin, pour dire ce qu’il en était, / C’était un sac plein de misère, / Une foison éternelle de mal, / Une boutique de la mort ; / Le pauvre enfant se fourre partout ; / Les chirurgiens n’y voient goutte, / Les rebouteux font les muets, / Les médecins sont des imbéciles / Et avec toute leur médecine, / Étonnés, ils lui tournent le dos / En emportant dans leur main / La pièce d’or sans rien faire ».

13  « Un mot sur ce ce que m’a appris l’Illustre Aptonios. Il me disait que son père avait un esclave atteint d’éléphantiasis. Ses poils tombaient, sa peau gonflait et ne pouvait cacher le pus qui montait. Son père envoya le malade à l’homme de Dieu, et en un clin d’œil l’esclave retrouva sa santé d’autrefois » (trad. Antin in éd. Vogüé/Antin 1979, II, 214).

14  « Les frères que le sommeil engourdit / Jouent tous à colin-maillard ; / Le soleil qui a perdu sa clarté / Est allé plonger dans la mer ; / Le croquemitaine rôdait sur la terre ; / Le ciel, fleuri comme un parterre, / Pour éclairer les lieux les plus sombres / A donné naissance à mille lumières ; / La nuit, coiffée de deuil, / Était descendu là ; / Ses suivantes et ses grandes étoiles / La suivaient partout pas à pas ; / Le bruit était vite parti ; / Le silence tenait la bride / Au caquet du jour importun ; / Le silence retenait chacun / Et l’on n’entendait dans les rues / Que le murmure des rivières ; / Les gens, les brutes, les oiseaux / Étaient sans voix et sans yeux ; / Morphée, roi des mensonges, / Avait les mains pleines d’éponges / Pour effacer dans son retour / Tout ce qui avait été fait dans le jour, / Aidé de ses compagnes légères, / Les rêveries et les chimères, / Qui, avec leurs pavots (comme on sait), / Enfoncent le sommeil dans les têtes ; / Pour faire court, il faisait nuit noire ». La papoou (ou poupou, popou), que je traduis, faute de mieux, par croquemitaine, désigne un être imaginaire dont on effraie les enfants dans le Toulousain.

15  « Et au bout d’un temps, ils se trouvent / Dans un lieu ravissant / Où la fraîcheur avait établi sa demeure ; / Là, les grands trésors de Flore / Avec ses rameaux charmants / Éblouissaient les yeux ; / Un Zéphir tempérait l’air / Sous un ombrage sans lumière, / Si bien clos que la forte chaleur / Ne pouvait y fourrer son nez ; / À côté (la chose est rare), / On voyait une source pure et limpide / Dont le jet gentil et beau / Envoyait l’eau jusqu’au ciel ; / Bref, tout cela n’est rien qu’un délice ». On trouve une autre description de locus amœnus, beaucoup plus développée, dans VI, vi et, à la faveur d’une métaphore associant Dieu et le berger, une évocation très détaillée de la vie pastorale dans I, vi.

16  « Sans user de mots emphatiques / Ni des fleurs de rhétorique / Qui remplissent le plus souvent / Le cœur et l’oreille de vent ».

17  « Ce sont, et il faut le croire, / Des ballons bien fragiles / Dans lesquels un enfant malappris / Souffle tout doucement et ensuite rien ne vient ; / C’est le son d’une guitare / Qui reste enfermé dans l’oreille / Et n’entre jamais dans le cœur ; / C’est une grande pièce d’or / Dont l’extérieur est très prisé / Mais qui dedans est tout abîmée ».

18  « C’est ainsi que sont ces prédicateurs, / Enflés de gloire, beaux parleurs / Qui passent pour de grands docteurs / Mais ils ne sont que des arbres pleins de fleurs / Dont la beauté nous poursuit / Alors qu’ils ne portent aucun fruit. / Leurs discours choisis et nouveaux, / Paraissent à tous fort beaux, / Leur mode nous ravit, nous charme, / Sans profiter à l’âme / Qui ne demande que son repos ».

19  « Peut-être, âmes dévotes, vos esprits s’échinent-ils à chercher le poil dans l’œuf, je veux dire que vous souhaiteriez un langage plus prisé, ou plus connu, ou plus en vogue. Dieu me garde de mal parler des autres langues, mais je vais vous dire sans bavardise, selon le sentiment de personnes de mérite et qui savent reconnaître les bonnes choses que Le Grec parle comme un soldat, / Le Latin comme un partisan, / Le Français comme un courtisan / Mais le Toulousain nous ravit l’âme / Et remplit de ravissement / La demeure de notre entendement. Et de là il faut tirer la conséquence que le langage toulousain est comme l’orge mondée qui, cuisinée comme il faut, engraisse tout le monde, et je dirai sans flatterie que pour exprimer quelque chose de beau ou pour donner naissance à quelque riche pensée, le langage toulousain est l’huile sur l’eau ».

20  « Vraiment, âmes pieuses, vraiment, dis-je, vous serez étonnées et votre esprit sera cousu dans l’admiration en voyant aujourd’hui toutes les Muses en émoi pour gonfler leurs chalumeaux et astiquer leurs instruments afin de chanter dignement les actions héroïques et divines du grand patriarche saint Benoît ».

21  « Afin que je puisse décrire / Toute votre [de Benoît] façon de vivre / Dans mon langage qui est le toulousain / Sans que j’aie à perdre mon temps. / Viens, viens donc, Muse toulousaine, / Chante doucement l’origine / Et la naissance de ce saint / Qui parut dans une époque odieuse / Où le vice affreux était exhibé / Et la vertu impuissante ».

22  L’anaphore « Aco’s el que », fréquente chez Grimaud, rappelle les mêmes mots dans la même figure dans les Stansos (v. 45 et 47). D’où sinon de Godolin (« Querelo d’un Pastou countro un Satyri », v. 44) viendraient ces moutons qui « fredounon des pots » (29) ?

23  Les occurrences sont trop nombreuses pour être relevées ici. À titre d’exemple : « Le Sant Abat […] Bous contunièc d’aquesto sorto » (IV, i, 161).

24  « Jamay n’an legit talo pésso / Qua fa beze qu’és del Mestié / Ta plan que Goudely, é Gautié » [On n’a jamais lu un tel morceau / Qui montre que tu es du métier / Autant que Godolin et Gautier], sizain signé « J. Cornac, P.  ». L’éloge est plus mesuré que celui adressé par un certain P. Bernet à la fin du Dret cami : « Jamay Courneillo, ny Routrou / N’an fayt causo plus merbeillouso » [Jamais Corneille ni Rotrou / N’ont fait chose plus merveilleuse]. Sur l’œuvre de Gautier, v. Gardy 1996. Ses poèmes ne paraissent que dans l’édition de Godolin de 1693 et cette mention de Gautier dans le Dret cami est donc la première en date d’un auteur encore fort mal connu.

25  On peut mentionner entre autres La vie et martyre de Sainte Julienne (1634), Artus Du Monstier, La Piété française vers la très-sainte Vierge Marie […] Notre-Dame-de-Liesse en Picardie, avec la vie de sainte Lucrèce (1637), L’Introduction à la vie dévote, par saint François de Sales, traduite en vers françois (1653)…

26  En breton, on connaît une Vie de saint Yves (Tanguy Guéguen, 1623), une Vie de sainte Marguerite (perdue), ainsi qu’une Vie de sainte Catherine (1576, peut-être réimprimée au xviie siècle), auxquelles on peut rattacher Ar veac’h devot (« Le voyage dévot », 1656) qui comprend une liste de miracles et des conseils aux croyants pour le pèlerinage de Sainte-Anne-d’Auray. V. Courouau 2008b.

27  Innovation qui restera sans lendemain comme le confirme Eygun (2002, 416).

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Title Gravure précédant la page de titre
Caption À gauche, saint Benoît et à droite sainte Scholastique, sa sœur. Au centre l’échelle menant au ciel, par ordre hiérarchique décroissant, du pape en haut jusqu’aux prêtres séculiers et réguliers (ex. BM Toulouse, Res. D XVII 367).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/docannexe/image/862/img-1.png
File image/png, 11M
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References

Bibliographical reference

Jean-François Courouau, Une vie de saint Benoît à la mode toulousaine : Le Dret cami del Cél (1659) de Bernard GrimaudRevue des langues romanes, Tome CXXII N°2 | 2018, 247-272.

Electronic reference

Jean-François Courouau, Une vie de saint Benoît à la mode toulousaine : Le Dret cami del Cél (1659) de Bernard GrimaudRevue des langues romanes [Online], Tome CXXII N°2 | 2018, Online since 17 December 2018, connection on 10 September 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/862; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rlr.862

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Jean-François Courouau

Université de Toulouse, PLH-ELH, UT2J

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