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AccueilNumérosTome CXXVI n°2Joi et joieÉvanescence du joi et joie de l’é...

Joi et joie

Évanescence du joi et joie de l’évanescence : éthique et esthétique courtoises dans le Roman de la Rose de Jean Renart

Evanescence of Joy and Joy of Evanescence: Courtly Ethics and Aesthetics in the Roman de la Rose by Jean Renart
Corinne Cooper
p. 379-397

Résumés

Le Roman de la Rose, ou Guillaume de Dole, de Jean Renart semble proposer une réécriture narrative du thème de l’amor de lonh. Pourtant, l’expérience complexe du joi, qui est au cœur de la poésie amoureuse des troubadours et du thème de l’amour de loin, paraît singulièrement absente de ce roman en forme de conte de fées. La narrativisation du joi entraînerait-elle son affadissement ? Une analyse du lien entre rhétorique curiale, sentiment amoureux et pratique littéraire dans le texte de Jean Renart, autour de l’idée d’écart, de jeu, de non-coïncidence, invite peut-être à repenser les rapports de ce roman avec son hypotexte et par là-même à s’interroger sur les liens entre joi, séduction littéraire, et construction d’un idéal courtois.

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Texte intégral

  • 1  Frédéric Mistral, Discours sur l’Illusion, prononcé en 1880 à Roquefavour.

Quand legissès un libre, un bèu libre, e que l’engèni de l’autour vous pren et vous emporto sus soun alo fernissènto, n’es-ti pas l’Illusioun que vous fai trefouli dins li mountodavalo di nòbli sentimen ? […] Foro de l’Ilusioun, vesès, i’a que leidun, e cativié, e mort1.

  • 2  Tous les vers seront cités d’après le texte de l’édition Dufournet (2008).
  • 3  Cette fête, bien que champêtre, n’a évidemment rien de rustique ni de « naturel ». La nature dans (...)
  • 4  C’est l’expression volontairement anachronique employée par Accarie (1983, 26). Chareyron (2005) p (...)

1Légèreté, désinvolture, gaieté, joie sont des termes qui viennent spontanément à l’esprit quand on songe au Roman de la Rose ou Roman de Guillaume de Dole de Jean Renart2. Dans ce roman rose en forme de conte de fées, brodé d’insertions lyriques plaisantes, créé par delit pour le deduit de ses lecteurs, les membres de la cour de l’empereur Conrad semblent vivre dans une liesse permanente, loin des soucis de ce monde. Belles dames et beaux chevaliers parés de leurs plus beaux atours y chantent en effet et carolent à l’envi. Tout n’y est que beauté, luxe, calme et volupté, et l’empereur Conrad, qui fait régner sur ses terres un état de paix permanente, y apparaît en grand ordonnateur des plaisirs. Le récit, encadré par une partie de campagne3 et les célébrations du Mai, donne au lecteur l’impression de passer d’un pas léger de fête en fête, dans une atmosphère insouciante de joie universelle. Intégrées le plus souvent à des moments de réjouissance et de sociabilité courtoise, les pièces lyriques insérées dans la narration, innovation majeure soulignée dans le prologue, semblent, elles aussi, participer à la joie, celle des personnages comme du lecteur, donnant parfois à l’ensemble des allures de comédie musicale avant l’heure4.

  • 5  Le roman insère d’ailleurs la première cobla de la canso de Jaufré Rudel, Lanquan li jorn son lonc (...)
  • 6  Ce qui rejoint l’affirmation de Roubaud (1986, 169) selon laquelle « joie en français, sauf chez q (...)
  • 7  Je reprends ici les termes de la tornada de Raimon de Miraval citée par Roubaud (1986, 169).
  • 8  « Exaltation des corps et vertige des cœurs », selon l’expression employée par Mussou (2017) dans (...)

2La joie qui s’y déploie semble donc a priori bien éloignée du si complexe et subtil joi des troubadours, alors même que la narration reprend pourtant de façon obvie le thème de l’amor de lonh chanté par Jaufré Rudel5, de l’amour d’une dame inconnue, mais dont la seule renommée suffit à engendrer désir et fascination, étroitement lié à la notion de joi et à ses souffrances délicieuses. Le terme de joi lui-même se trouve d’ailleurs dans le texte, sous la forme goi, à l’occasion de l’insertion de la cobla initiale de la canso de Bernart de Ventadorn, Can vei la lauzeta mover, que Jean Renart dit poitevine, et entonnée par un chevalier de la famille de Dammartin à la fin du roman (v. 5212-27). Mais comme souvent, l’effet de décalage est patent entre la situation narrative et le chant, puisque ni Guillaume, ni ses hommes ne semblent avoir quoi que ce soit en commun avec le « je » de la canso, envieux du joi de l’alouette arrachée à elle-même par l’excès de douceur, et l’on a bien l’impression que le joi fait ici en quelque sorte figure d’ornement vidé de son sens par l’insertion dans la narration, tel un beau papillon épinglé dans le texte, mais dépourvu de vie. Tout se passe comme si, de la subtilité du grand chant courtois, l’auteur et les personnages n’avaient retenu que le plus superficiel, et que la référence au goi, faisant suite à une autre chanson évoquant les caroles et bohorts associés aux amours d’Aigline et du comte Guy, n’était appelée que par la joie de la bonne nouvelle de la réhabilitation de Liénor et de la fête vers laquelle les personnages se pressent6. Paradoxalement, la volonté de ramembrance évoquée dans le prologue, évoquant un geste de sauvegarde et de transmission, contribuerait donc à ce que « lo joi » des troubadours soit définitivement « perdut »7, comme délayé, affadi par le processus de narrativisation qui ôterait tout mystère et toute intensité au frisson suspendu chanté par les troubadours, à cet élan vital et mortifère à la fois, à ce « je-ne-sais-quoi » capable d’exalter l’être en le hissant à la crête écumeuse d’une douloureuse extase, et d’unir dans un même souffle l’expérience la plus corporelle et la plus spirituelle8.

  • 9  Écart symbolisé peut-être aussi par ces quelques pas que la reine reproche cruellement à Lancelot (...)
  • 10  Cette nuit d’amour au royaume de Gorre, entre Éros, Thanatos et Hypnos, semble en effet une belle (...)

3Chez Chrétien de Troyes, romancier et trouvère, la mise en roman, au sens linguistique et générique, du joi avait une tout autre allure. S’oubliant lui-même, manquant de s’évanouir et de tomber de cheval à la seule vue d’un cheveu doré de la femme aimée, telle l’alouette de la canso de Bernart de Ventadorn, Lancelot, transporté de désir, traversait le pont de l’épée comme on franchit la frontière entre la vie et la mort et, alors même qu’il semblait sur le point de l’atteindre, l’objet de son amour, dans la logique de la présence absente et de l’absence présente qui est au cœur du joi, se refusait encore à lui, maintenant l’espace incompressible qui sépare toujours l’amant de sa dame, le désir de la jouissance9. Même la nuit d’amour ne résolvait pas ces ambiguïtés10.

  • 11  Sur la rencontre différée jusqu’au dénouement de Liénor et Conrad, voir Babbi (2011).
  • 12  Pour une étude de la narrativisation du joi chez un autre auteur s’inspirant du merveilleux breton (...)
  • 13  Il ne s’agit pas, bien entendu, de croire au « réalisme » de ce roman parfaitement invraisemblable (...)

4Il faut avouer qu’en comparaison, l’impatience agitée de Conrad, qui par un plaisant jeu de décalage est d’ailleurs motivée par l’arrivée à la cour de Guillaume, et non de Liénor11, fait pâle figure, comme si les merveilles de Logres12, par leur aura de féérie, étaient plus aptes à traduire les mystères du joi que ce roman trop ancré dans le réel, dans l’ici-bas, et par là-même rétif à toute extase13. De même l’empereur semble se remettre bien vite de sa déception amoureuse, et renoncer sans trop de regret à son projet d’union, même s’il est toujours désireux de Liénor, une fois le supposé démérite de celle-ci prononcé. Si le plaisir sensuel, la jouissance des corps sont bien présents, l’élévation spirituelle, elle, brillerait plutôt par son absence… La nuit de noces entre les deux époux est d’ailleurs traitée sur le registre purement sensuel, la cueillette de la rose ressemblant davantage à un vigoureux dépucelage qu’à une fusion des âmes, malgré les références à Tristan et Iseult ou à Lanval, et paraissant confirmer l’incise proverbiale non dénuée de scurrilité : « Ahi ! Plus tire cul plus que corde » (v. 5300) !

  • 14  Ce parallèle entre le soin accordé au vêtement et à l’art de la conversation est rappelé par Rouss (...)

5Mais quelle est précisément cette joie, qui infuse le roman et derrière laquelle le joi s’effacerait ? Cette joie, c’est bien sûr la joie amoureuse, celle qui convient aux adorateurs du fils d’Aphrodite « qui aime les sourires », selon l’épiclèse homérique, celle qui fait naître l’amour et en résulte, selon le cercle vertueux chanté par les troubadours. Mais c’est peut-être surtout chez Jean Renart, et de façon plus large, la vertu sociale, courtoise, celle que doit posséder tout homme et toute femme véritablement policé (dolé, pour reprendre précisément l’un des sèmes possibles attachés étymologiquement au patronyme du héros éponyme). Dans ce roman, l’homme courtois est celui qui montre un visage souriant et l’inconvenance de la tristesse n’a pas sa place à la cour, pas plus que les vieux barbons jaloux n’ont la leur à la fête champêtre organisée par l’empereur. Faire bone chiere, afficher un visage joyeux, manifester jocunditas et hilaritas relève tout autant, si ce n’est plus, du jeu social, du respect des bienséances curiales que de l’expression spontanée d’une joie de vivre qui est en réalité un art de vivre : à la cour, il convient d’aorner son visage de joie, au même titre que l’on pare son corps de vêtements à la mode, qui sentent le neuf, coupés dans des tissus précieux et ornés de fourrures élégantes14.

  • 15  Cf. v. 3143, à propos du sénéchal, qui comprend la plaisanterie de l’empereur : « cil avoit bien s (...)
  • 16  À propos de l’influence de ces catégories distinguées par la rhétorique antique (Frontin, Valère M (...)

6L’un des principaux domaines dans lequel se manifeste cette jocunditas dans le roman est peut-être l’art de la conversation, qui repose sur la capacité des personnages à converser de manière enjouée, à comprendre les sous-entendus, les demi-mots, les allusions et à parler le même langage, fait d’équivoques et d’implicite. C’est ce que le texte appelle « avoir bien appris ses mots15 ». Dans les échanges au discours direct qui émaillent le roman, les répliques donnent l’impression de s’enchaîner avec facilité, légèreté, comme les refrains des caroles semblent jaillir sponte sua de la bouche des participants à la fête. Le langage qui s’y déploie, plein de calliditas, d’acumen, d’argutiae, de vafritiae16 relève de la facetia que l’homo curialis se doit de posséder et cette façon de converser, à la fois raffinée et légère, plaisante, affable et élégante est une constante du roman.

7« Dehez ait sanz moi qui t’aprist ! », « Maudit soit ton maître, moi excepté » (v. 648), plaisante Conrad, faisant mine de reprocher à Jouglet de le délaisser par excès d’orgueil — amusant bestournement des hiérarchies — ou par l’effet d’une mélancolie qui serait aussi contraire à la jocunditas de mise à la cour qu’en désaccord avec le patronyme et l’état d’amuseur professionnel de la cible des scommae impériales. Dans cette cour idéale, le serviteur peut d’ailleurs sans crainte adopter le même registre facétieux avec son maître peu après lorsqu’il souligne « en riant » ce que cachent peut-être les protestations d’intérêt de l’empereur pour Guillaume :

En riant li dist Jouglez lors,
qui ert sages et apensez :
« Del cor, voir, avra il assez,
qu’il n’est mie si covoiteus ;
et Lienors as blons chevouls
avra le cuer, se m’en creez » (v. 823-828)

  • 17  Encore que la plaisanterie de Jouglet puisse sembler étrange. Pourquoi attribuer à Guillaume le «  (...)

8Jouglet fait discrètement, mais non moins malicieusement, remarquer à l’empereur qu’il ne faut pas être grand clerc pour deviner ce que dissimulent ses paroles : un intérêt peut-être plus grand encore pour la sœur. Le jongleur se garde néanmoins d’insister lourdement17, faisant mine de prendre à son compte l’accent placé sur le personnage féminin par l’ajout in fine de « se m’en creez ». Façon habile de faire semblant de conseiller quelque chose à quelqu’un, tout en laissant entendre qu’on comprend parfaitement que c’est ce que celui-ci désire sans oser ou vouloir le dire explicitement. Avec un parfait sens de la repartie, l’empereur lui renvoie la balle : les visées indécentes que son serviteur lui a implicitement prêtées et qui ne lui ont pas échappées ne font que manifester sa propre déviance :

Fet il en riant : « Gars provez,
com ez ore de mal apens !
Or cuides tu voir, que ge pens
mains au frere q’a la seror ? » (v. 829-832)

  • 18  Même la discrète Liénor, tout à la joie du splendide sceau en or gravé d’un roi à cheval que son f (...)
  • 19  Si, comme le rappelle Claude Roussel (1994, 11), le terme « facetus » tend à devenir au Moyen Âge, (...)
  • 20  Nul doute que Nicole, « qui ne fut pas mois » (v. 1104), qui n’est « pas toz a apprendre » (v. 943 (...)

9Cette petite musique facétieuse résonne aussi entre les murs du plessis de Dole, où l’on respire visiblement le même air qu’à la cour impériale18 et où la même eutrapélie est de mise. Guillaume fait ainsi mine de s’excuser auprès de Nicole de la rusticitas du repas qu’il lui offre, dont il a soi-disant conscience qu’il ne saurait rivaliser avec les mets raffinés de la table impériale auxquels Nicole doit être habitué : « Nos n’avomes autres daintiez, frere, fet il, ce poise moi » (v. 1248). Mais ces protestations d’humilité, faisant suite à l’énumération des « flaons de let, porciax farsiz, bons conins, poulez lardez » dont les convives vont se régaler, le tout servi « a granz plentez » (v. 1243-1247), peuvent difficilement être prises au sérieux. Guillaume s’amuse ici de toute évidence à revêtir le masque du chevalier campagnard, de la souris des champs recevant la visite d’une souris des villes habituée à d’autres raffinements. Soulignant la pose de leur maître, ses hommes mettent d’ailleurs en garde Nicole : « il vos guile » (v. 1252), introduisant à leur tour une facétie fondée sur un jeu d’étymologie onomastique, qui fait de Guillaume un homo facetus19 par nature. Par ce geste inclusif, ils font mine de donner à leur invité les clefs d’une rhétorique dont ce dernier a déjà montré qu’il possédait parfaitement les codes20. Mais entrant là encore courtoisement dans le jeu, Nicole s’empresse de répondre, dédouanant son hôte de tout péché d’une rusticitas à laquelle personne, visiblement, ne croit.

  • 21  On retrouve ici la définition de l’homo urbanus selon le modèle antique : « Sera urbain l’homme qu (...)

10Ces échanges facétieux, passes d’armes à fleurets mouchetés, où la guile n’a pas tant pour but de rire de l’autre que de l’inviter à rire avec, à la fois de lui-même et de son interlocuteur, de leurs postures affichées respectives, soulignent l’appartenance à une communauté de beaux esprits qui se comprennent à demi-mots et parlent la même langue21. Sans portée agonistique, ils participent au contraire de l’art de la conciliatio, sont un indice de reconnaissance entre gens qui maîtrisent l’art de la conversation courtoise.

11En présence de Jouglet, la plaisanterie jaillit tout aussi spontanément de la bouche du jeune vavasseur que les paroles plaisantes des rondets de carole de celles des participants à la fête champêtre :

« Avoi ! fet il, Jouglet, Jouglet !
Bele conpegnie est la vostre !
Or deïssiez ja : cist est nostre,
se fussiez venuz avoec moi »
li biau sorcot li moustre au doi
(v. 2204-2208)

  • 22  On pourrait multiplier à l’envi les scènes de ce genre. Guillaume affirme ainsi à l’empereur qui l (...)

12La discussion entre Guillaume et ses hommes arrivés au tournoi de Saint-Trond relève du même esprit. Lorsque le jeune homme demande à ses compagnons si le beau chevalier Gautier de Joigny sera là, « qui dut estre morz por s’amie », ils lui répondent par l’affirmative, car « Dex l’a fet resusciter » (v. 2101 sq.). Ne peut-on déceler dans ces répliques, insérées dans un échange de banalités entre bons camarades, une distance amusée à l’égard des protestations hyperboliques de la fin’amor, dont tous les amoureux de l’observance ne cessent de répéter qu’Amour les a tués, sans jamais, dans la réalité, effectuer le « grand saut » ? On aurait là une reprise discrètement parodique, par le déplacement au sein d’une conversation banale entre jeunes chevaliers facétieux, des vers du deuxième couplet de la chanson si commodément attribuée par Jean Renart à Renaut de Beaujeu et chantée par l’empereur : « Qui en porroit morir en bon espoir / garis seroit devant Deu au joïse » (v. 1467-1468). Visiblement, dans sa toute-puissance, Dieu n’a pas attendu le jugement dernier pour ressusciter l’amant soi-disant mort d’amour… Le tableau de jeunes chevaliers jouant à l’amour courtois avec la même désinvolture qu’ils jouent à la guerre, dans ce tournoi bien plus festif que guerrier, voilà ce que l’auteur nous présenterait malicieusement, rendant la pose suffisamment crédible pour qu’on puisse y croire, tout en semant les indices nécessaires à son déchiffrement. On se souvient alors de l’un des premiers refrains insérés dans le roman, chanté par une demoiselle anonyme au blont chief, lors de la fête champêtre : « Se mes amis m’a guerpie por ce ne morrai ge mie » (v. 304)22. Narration et chanson populaire auraient alors le même effet : créer de la distance par rapport au langage du grand chant courtois, mais peut-être aussi révéler, discrètement, par un simple jeu de juxtaposition et d’échos, la dimension potentiellement ludique à la fois du roman et de ces chansons.

  • 23  Et supposent celui de leurs destinataires.

13Ces facetiae, qui donnent l’impression du naturel, relèvent donc d’un art consommé de la conversation courtoise. Leur simplicité enjouée révèle l’ingéniosité, l’engien de ceux qui les énoncent23. Elles impliquent, pour l’émetteur comme pour le récepteur, une relation en apparence désinvolte au langage, faite d’écart, de recul, de distance amusée, de non-coïncidence, qui relève en fait d’une diligente elocutio. Ce jeu sur l’équivoque, source de ris et de déduit, apparaît comme la marque d’un homme ou d’une femme bien appris. En ce sens, la joie manifestée par les personnages du roman, si elle relève de la vertu courtoise, d’un devoir curial, n’est pas pour autant feinte. Elle n’est pas tant artificielle qu’un effet de l’art. C’est plutôt la feinte elle-même qui est source de joie, par le travail interprétatif qu’elle implique, et l’impression d’appartenance à une communauté de beaux esprits qu’elle crée.

  • 24  Sur le lien entre revendication du plaisir littéraire et éthique aristocratique, voir Dupraz Rocha (...)
  • 25  Ainsi les deux plus longues incises lyriques, la chanson attribuée à Gautier de Saguies et la lais (...)

14Cette éthique courtoise trouve un écho manifeste dans l’esthétique du roman24, dans la mesure où c’est bien entendu la même duplicité, ou le même amour du masque et de la feinte, qui caractérisent le jeu littéraire de Jean Renart, ce que Danièle James-Raoul appelle « une poétique de l’oblique » (James-Raoul 2016), et qui est là aussi la source principale du plaisir du texte. Poète insaisissable, Jean Renart, comme ses personnages, ne cesse de jouer sur les sous-entendus, les doubles sens, l’allusif et l’implicite. Le prologue à lui seul est un avertissement clair : revendiquant explicitement le deduit comme justification de son entreprise, sans plus aucune référence à quelque vertu didactique que ce soit, il prévient d’emblée son lecteur que les insertions lyriques qu’il a placées dans son texte l’ont été avec tant de talent qu’on pourrait avoir l’impression que c’est lui qui les a composées (v. 26-29). Admirable ironie, où l’auteur fait mine de nier ce dont il donne en réalité un indice, qui aurait pu mettre la puce à l’oreille de la critique encore plus tôt25. Tout ce début de roman est ainsi placé sous le signe de la cigogne, par lequel les clercs avaient l’habitude de signaler la distance ironique par rapport à des paroles à prendre cum grano salis. La critique n’en finit d’ailleurs plus de souligner les jeux de décalage, de parodie, de brouillage qui sont autant de manifestations de l’engien renardien. Que l’on étudie le style de l’auteur, la complexité et la subtilité des rapports entre narration et insertion lyrique, l’intertextualité, partout on retrouve des procédés similaires, des jeux de distanciation, de réemplois en décalage, de détournements toujours subtils, qui apparaissent comme autant de manifestations de l’art de transcender l’art en naturel et en grâce. Il s’agit de donner l’impression, comme dans le cadre d’une conversation courtoise réussie, d’une parole facile et spontanée, tel le sermo pedestris des conversations entre personnages, qui dissimule son caractère éminemment policé sous une apparence de naturel, de désinvolture, tout en donnant, et cela fait partie du jeu, suffisamment d’indices que ce naturel relève en réalité de la virtuosité d’un artifex accompli.

  • 26  Voir Stanesco (1984a).
  • 27  Pour Félix Lecoy (1961, 397-399), la description du beau chevalier de Champagne et de la dame de l (...)
  • 28  V. Obry (2015) souligne la subtilité de ce passage et l’importance de ce verbe rembellir par leque (...)
  • 29  Comme si la mention de la fatigue de l’empereur, qui a du mal à rester éveillé, ne suffisait pas, (...)
  • 30   Liénor n’est certes pas la dame du Voir Dit de Guillaume de Machaut, mais elle charme et envoûte (...)

15Souligner l’écart entre res et verba, tout en mettant en scène le processus par lequel on peut créer l’illusion de leur coïncidence relève du même ordre d’idées. Si, comme le dit sans doute à juste titre Michel Stanesco en commentant le Farai un vers de dreit nient de Guilhem IX26, les auteurs du Moyen Âge ne croient pas à la « clôture du signe linguistique », il n’empêche qu’il y a en effet chez Jean Renart une discrète insistance à pointer du doigt l’illusion référentielle et à s’en amuser qui le singularise. Là où Chrétien refusait malicieusement de nous laisser pénétrer dans l’ouvroir, Jean Renart nous en ouvre grand la porte, comme pour nous montrer comment il procède, sans d’ailleurs que cela nuise aux charmes de l’illusion, au contraire. Ainsi Liénor, par opposition à la dame du conte de Jouglet, apparaît certes comme une jeune fille bien réelle, dotée comme son frère de coordonnées géographiques et lignagères précises. Fille, sœur et cousine, habitante d’un plessis situé non loin de Dole, elle n’est pas pur fantasme ou fantosme, simple fleur de rhétorique. Même si elle n’est d’abord qu’un nom, prononcé par Jouglet, répété avec gourmandise par l’empereur dans le secret de son cœur, même si l’accès à sa personne est singulièrement réduit dans toute la première partie de l’ouvrage, puisque nul ne peut la voir sans l’autorisation de son frère, elle gagne progressivement en autonomie et finit par s’imposer sinon comme la protagoniste du roman, du moins comme l’un des personnages principaux, lorsqu’elle s’élance hors de l’ouvroir romanesque pour rétablir sa réputation et conquérir la place qui lui revient. Elle accède ainsi, du moins autant que les autres personnages du roman, à l’existence fictive de toute figura romanesque, certes imitatio veritatis, mais dotée de la même charge d’illusion référentielle. Pourtant, sa naissance dans le texte, comme celle de son frère, est pour le moins singulière, puisqu’elle naît d’un conte, lui-même peut-être inspiré du Lai de l’ombre du même Jean Renart27, que Jouglet narre à l’empereur alors en état de quasi dorveille, la description de l’héroïne du conte se confondant imperceptiblement, par un habile jeu de glissement, avec celle de Liénor. « Regardez comment naissent les personnages romanesques », semble nous dire Jean Renart, « comment ils se construisent en écho à ceux qui les ont précédés », dans une logique d’intertextualité et de surenchère créatrice, puisque Liénor sera encore plus belle, création verbale que Jouglet peut rembellir28 à l’envi, comme l’en prie son auditeur sous le charme. On sait d’autre part combien l’état de dorveille29 est propice au surgissement de la merveille, au brouillage des frontières entre ce monde et l’autre monde, lieu privilégié de la suspension de l’incrédulité qui est au principe même du pacte d’adhésion romanesque garantissant le succès de l’illusion référentielle. N’est-ce pas précisément ce processus d’adhésion que Jean Renart met en scène dans ce passage, où l’empereur, d’abord hésitant, réticent à accorder foi aux paroles de Jouglet, se laisse peu à peu convaincre que la fable peut devenir réalité, charmé par les paroles de Jouglet comme Nicole par la voix de sirène30 de Liénor ?

16Activité littéraire comme art de vivre curial se rejoignent donc dans cette distance, dans cette conscience à la fois de la feinte, et du plaisir de la feinte. Joie de celui qui pratique avec habileté et subtilité la feinte, qui dissimule ses intentions, qui pratique l’équivoque, et joie de celui qui comprend la feinte, qui saisit le sous-entendu et l’implicite. Joie du destinateur qui compose « par delit », à laquelle répond celle des destinataires « qui s’en esjoïront » (v. 20-21).

  • 31  Ou, comme le dit plus poétiquement Blanchot (1955, 318) : « L’artiste n’appartient pas à la vérité (...)
  • 32  Cf. pour Jean Renart les analyses de Virdis (2001) dans la partie intitulée « La Rose di Jean Rena (...)
  • 33  Vida de Guilhem IX de Poitiers, transcription par Michel Zink (2013, 33).

17La joie dans le Roman de la Rose, qui apparaissait à première vue comme totalement étrangère à ce mystérieux joi des troubadours — alors même que le roman s’inspire dans la construction de son intrigue de grands thèmes et motifs de la lyrique courtoise et se présente comme le lieu non seulement de la préservation de cet héritage, mais d’un renouvellement mutuel de la narration par le chant, et du chant par la narration — et dont nous avons montré qu’elle était liée à la conscience d’un jeu, au sens aussi bien spatial que ludique, définissant aussi bien un mode de sociabilité qu’une pratique littéraire, loin d’affadir le joi des troubadours, n’en met-elle pas plutôt en évidence, en refusant de le prendre trop au sérieux, le caractère lui aussi ludique ? La décontextualisation ou recontextualisation des cansos des troubadours par leur insertion dans une narration qui leur fait écho, mais jouant sans cesse de décalages, de dissonances ; leur confrontation avec des chansons populaires chantant un amour nettement moins idéalisé, qui sont mises en rapport avec elles par des motifs ou des mots communs, ou par des effets de juxtaposition et d’enchaînement et qui peuvent parfois apparaître comme des traductions dans un langage bien plus explicite de ce que diraient aussi implicitement ces cansos raffinées, soulignent peut-être ce qu’est aussi finalement le joi : un jeu formel, un jeu littéraire, où le plaisir est fondé, de manière apparemment paradoxale, sur la non-coïncidence, sur le fait que, comme la possession de la dame échappe toujours à l’amant, comme le désir tend vers une jouissance toujours évanescente, l’œuvre se dérobe à la signification31, est « une machine construite spécifiquement pour générer une attente de sens » jamais satisfaite32. Guilhem IX était dit l’uns dels majors cortes del mon e dels majors trichadors de dompna33. Jean Renart nous invite peut-être à saisir l’unité derrière la bipartition apparente, entre jeu courtois, jeu amoureux et jeu littéraire.

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Bibliographie

Accarie, Maurice, 1983. « La Fonction des chansons du Guillaume de Dole », Mélanges Jean Larmat. Regards sur le Moyen Âge et la Renaissance (histoire, langue et littérature), Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Nice, 39, Paris, Les Belles Lettres, 13-30 (repris dans Théâtre, littérature de société au Moyen Âge, Nice, Serre éditeur, 2004, 383-402).

Accarie, Maurice, 1993. « Guenièvre et son chevalier de la charrette : l’orgasme des anges », Et c’est la fin pour quoy sommes ensemble : Hommage à Jean Dufournet professeur à la Sorbonne Nouvelle : Littérature, histoire et langue du Moyen Âge, Jean-Claude Aubailly, Emmanuèle Baumgartner, Francis Dubost, Liliane Dulac, Marcel Faure, Robert Martin (éd.), I-III, Paris, Champion, I, 45-54 (repris dans Théâtre, littérature de société au Moyen Âge, Nice, Serre éditeur, 2004, 331-343).

Arseneau, Isabelle, 2010. « La condition du pastiche dans le roman lyrico-narratif de Jean Renart (Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole) », Fautes de style : en quête du pastiche médiéval, Études françaises, vol. 46, issue 3, Montréal, PUM, 99-122.

Babbi, Anna Maria, 2011. « La rencontre différée dans le Guillaume de Dole : Bele Liénors », Cultures courtoise en mouvement, Isabelle Arseneau et Francis Gingras (dir.), Montréal, PUM, 38-45.

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Notes

1  Frédéric Mistral, Discours sur l’Illusion, prononcé en 1880 à Roquefavour.

2  Tous les vers seront cités d’après le texte de l’édition Dufournet (2008).

3  Cette fête, bien que champêtre, n’a évidemment rien de rustique ni de « naturel ». La nature dans laquelle les membres de la cour se divertissent relève, et le texte y insiste, d’un décor savamment mis en scène par de zélés serviteurs, bâti à coups de tentes, de jonchées de tapis et de coussins soigneusement disposés. Il s’agit d’un simple déplacement du décor aulique, une illusion de nature, un effet d’art, qui la rend encore plus delitable que l’originale. On peut se demander si ce que l’empereur fait construire ne serait pas un paysage littéraire, celui des reverdies des chansons de troubadours et de trouvères, et l’on peut avoir l’impression que l’auteur s’amuse ici à nous montrer des personnages jouant à l’autre Roman de la Rose, dans une recréation récréative des murailles du Jardin de Déduit en tissu de soie, si l’on admet l’antériorité de ce roman allégorique. En ce sens, la fête champêtre pourrait avoir pour fonction de nous introduire au thème de l’illusion savamment orchestrée, et des plaisirs qu’elle procure. Sur les problèmes de datation du roman, et notamment l’hypothèse que l’expression « cestui Romans de la Rose » du vers 11, au début du roman de Jean Renart, puisse renvoyer à l’œuvre de Guillaume de Lorris, voir Sylvie Lefèvre (2015).

Pour une autre approche de cet épisode, voir Laurent (2016), qui insiste davantage sur l’idée d’une remise en question, notamment par le parallèle établi structurellement entre la partie de plaisir et la partie de chasse, des idéaux éthérés de l’amour courtois, révélant une réalité peut-être moins rose des estors amoureux, dans la continuité des critiques soulignant le gris de la vie, qui percerait constamment derrière le monde idéalisé présenté dans le roman.

4  C’est l’expression volontairement anachronique employée par Accarie (1983, 26). Chareyron (2005) parle de son côté d’« opérette » et Halba (2020) compare les insertions musicales de Jean Renart aux chansons dont Alain Resnais émaille son film On connaît la chanson.

5  Le roman insère d’ailleurs la première cobla de la canso de Jaufré Rudel, Lanquan li jorn son lonc en mai, BdT 262,02, (150, v. 1301-1307), lorsque Nicole accompagné de Guillaume et de ses hommes font le trajet du plessis de Dole à la cour de l’empereur.

6  Ce qui rejoint l’affirmation de Roubaud (1986, 169) selon laquelle « joie en français, sauf chez quelques mystiques, est devenu ombre de joi ». Sur la notion de joi, voir en particulier p. 165-169. Notons que l’utilisation du poitevin « goi » dans la chanson insérée dans notre roman pour dire le joi occitan est un argument en faveur de l’explication de l’étrangeté linguistique de ce terme mystérieux par une évolution de gaudium en joi par l’intermédiaire du dialecte poitevin, hypothèse qui a les faveurs de J. Roubaud, même si l’étymologie séduisante, mais peut-être moins convaincante en toute rigueur, depuis jocum ou joculum, petit jeu, proposée par Camproux (1965) serait bien en accord avec notre propos.

7  Je reprends ici les termes de la tornada de Raimon de Miraval citée par Roubaud (1986, 169).

8  « Exaltation des corps et vertige des cœurs », selon l’expression employée par Mussou (2017) dans le texte qu’elle consacre à la notion de joi.

9  Écart symbolisé peut-être aussi par ces quelques pas que la reine reproche cruellement à Lancelot de ne pas avoir franchi avec assez d’abandon, et qu’elle lui renvoie en miroir par son retrait. La fusion unificatrice recherchée dans l’amour de la dame suppose d’affronter la peur de la mort, la peur de la dilution totale du moi sans hésitation.

10  Cette nuit d’amour au royaume de Gorre, entre Éros, Thanatos et Hypnos, semble en effet une belle illustration de l’expérience ambiguë du joi, donnée comme réelle tout en présentant les signes les plus évidents de son irréalité, et superposant le plus corporel et le plus spirituel, souffrance et plaisir, jouissance et fantasme de jouissance. Accarie (1993) développe ces contradictions essentielles, en soulignant le caractère potentiellement onirique de la scène.

11  Sur la rencontre différée jusqu’au dénouement de Liénor et Conrad, voir Babbi (2011).

12  Pour une étude de la narrativisation du joi chez un autre auteur s’inspirant du merveilleux breton, voir la contribution à propos des lais de Marie de France de M. Mikhaïlova (2019).

13  Il ne s’agit pas, bien entendu, de croire au « réalisme » de ce roman parfaitement invraisemblable. Il s’agit d’effets de réel, le roman ne cherchant pas à imiter le réel, ou plutôt se servant paradoxalement du contraste créé par ces effets de réel pour construire et pointer du doigt l’illusion. Sur les rapports complexes entre réalité et fiction, entre le gris de la vie et le rose des belles lettres, voir Zink (1979).

14  Ce parallèle entre le soin accordé au vêtement et à l’art de la conversation est rappelé par Roussel (1994) dans sa revue des manuels de savoir-vivre au Moyen Âge. Ce qui concerne l’art de la conversation courtoise est évoqué p. 49 sq. L’auteur rappelle que « mener une conversation courtoise ne demande pas seulement des qualités d’élocution, un souci de la distinction dans le propos, un sens aigu de la repartie, mais aussi de la bonne humeur, un indéfectible enjouement », (53). On trouvera davantage de détails sur l’importance du rire, de la plaisanterie maîtrisée, de l’enjouement dans l’art de la conversation courtoise dans l’article de Peter Van Moos sur le Speculum virtutum d’Engelbert (Van Moos, 2012).

15  Cf. v. 3143, à propos du sénéchal, qui comprend la plaisanterie de l’empereur : « cil avoit bien ses moz apris ».

16  À propos de l’influence de ces catégories distinguées par la rhétorique antique (Frontin, Valère Maxime, Macrobe) sur les dicta ou apophtegmes recueillis par Jean de Salisbury dans son Policraticus comme exemples de reparties ingénieuses, voir Van Moos (2012, 105-107).

17  Encore que la plaisanterie de Jouglet puisse sembler étrange. Pourquoi attribuer à Guillaume le « cor » de l’empereur ? Pourquoi l’exclure de la possession de son « cuer » ? Mais la bizarrerie de cette distinction en apparence peu motivée ne peut-elle s’expliquer par une métaphore latente attachée au cuer, bien avant celles qui seront monnaie courante chez les poètes du xixe siècle ? Certes, Guillaume n’est « mie si covoiteus »… L’expression « gars provez » employée par Conrad pour qualifier son ménestrel semble alors encore plus adaptée. Le cœur, siège de la vie, réceptacle des passions, organe noble par excellence, est aussi selon les théories médicales médiévales le lieu physique où s’origine le sperme, comme le rappelle Ribémont (1991). La plaisanterie de Jouglet, derrière l’apparence courtoise et banale que lui donne l’emploi de l’image convenue du don du cœur à la femme aimée et la reprise du doublet traditionnel cor/cuer est peut-être bien plus grivoise qu’il n’y paraît. Bien des allusions érotiques transparentes pour l’auditeur contemporain de Jean Renart, familier des ambiguïtés de la lyrique courtoise, le sont peut-être moins pour le lecteur contemporain. N’avons-nous pas d’ailleurs tendance à gommer la valeur érotique de la métonymie de la rose, que Jean de Meung soulignera, cette rose profondément incrustée dans la chair de la dame chez Jean Renart ? Si l’on rend à la métonymie toute sa puissance érotique, les vers dans lesquels la mère de Liénor décrit en long et en large la rose de sa fille au sénéchal (v. 3368-3369) rendent un son bien différent. Après tout, la vision de la rose est explicitement associée dans le texte au dépucelage de Liénor : « Tant li a par parole encerchié / qu’il li a dit par son outrage / qu’il a eü son pucelage ; / Et pour ce que croire l’en puisse / de la rose desor la cuisse / Li a dit mout veraie ensaigne » (v. 3584-9). Le texte de Jean Renart est peut-être plus audacieux qu’il n’y paraît. Payen (1973, 493) en avait déjà noté la « sensualité contenue ». La subtilité du texte tient précisément dans le fait que la rose peut à la fois pointer vers le plus matériel, et renvoyer au plus immatériel, simple mot, nomen nudum, rose évoquée par tous mais que personne ne voit. Sur la « timidité audacieuse » des troubadours, voir Zink (2018).

18  Même la discrète Liénor, tout à la joie du splendide sceau en or gravé d’un roi à cheval que son frère lui a donné, se risque à une petite plaisanterie : « or doi mout estre lie quant j’ai un roi de ma mesnie » (v. 1007-1008). Le texte précise au vers suivant : « Mis sire Guillaume s’en rit ». La plaisanterie semble d’ailleurs si charmante aux oreilles de son frère qu’il prend soin de la répéter à l’empereur : « ma suer m’en dona cest fermal / et ge li donai cest seël. / Si me dit, en riant trop bel : / Biau doz frere, or sui ge mot lie / quand j’ai un roi de ma mesnie » (v. 3676-80).

19  Si, comme le rappelle Claude Roussel (1994, 11), le terme « facetus » tend à devenir au Moyen Âge, sous la forme « facet », l’équivalent de « bien élevé », « courtois », synonyme d’« urbanus » et de « curialis », il peut aussi conserver son sème de « rieur », « plaisantin », que l’on retrouve dans le substantif « facetel » (« raillerie »). Sur l’idéal du rex facetus, le lien entre rire, joie, ingéniosité dans l’art de la conversation courtoise, voir Montaner Frutos (2007).

20  Nul doute que Nicole, « qui ne fut pas mois » (v. 1104), qui n’est « pas toz a apprendre » (v. 943), qui « ot esté en autre yver » (v. 1067), messager expérimenté dont le texte a pris soin de souligner la parfaite civilité, comprend parfaitement le jeu de Guillaume. Un échange similaire a déjà eu lieu aux vers 1038 sq., où Nicole, pour répondre à l’exagération par Guillaume des défauts de sa table de pauvre vavasseur avait symétriquement renchéri en exagérant ceux de la table impériale, mentionnant de vieux pâtés moisis, et autres venaisons putrides.

21  On retrouve ici la définition de l’homo urbanus selon le modèle antique : « Sera urbain l’homme qui abondera en attaques et répliques bien tournées, et qui, dans les conversations, les banquets, et pareillement les assemblées, bref, en toutes circonstances, parlera de manière à susciter le rire de façon adaptée », définition de Domitius Martius sur l’opinion de Caton, reprise par Quintilien dans son Institution Oratoire, VI, 3, 105 et citée par Guérin (2011, 259). Le texte latin est le suivant : « Urbanus homo erti cujus multa bene dicta responsaque erunt, et qui in sermonibus circulis conviviis, itam in contionibus, omni denique loco ridicule commodeque dicet ». L’urbanitas est ainsi associée au risum movere, mais il s’agit d’un rire où la venustas tempère toujours les reparties comiques.

22  On pourrait multiplier à l’envi les scènes de ce genre. Guillaume affirme ainsi à l’empereur qui lui a fait porter cinq cents livres qu’il s’est bien acquitté de son don de joyeux avènement (« bien avez hui paié vostre ense », v. 1908). Conrad s’amuse de l’habileté de Jouglet à dérober littéralement tous ceux qui passent à sa portée : « Mout avez tot trové un fol, / fet l’empereres, biaus amis. / Cil est fors de sa robe mis ! » (v. 1916 sq.), qui lui répond sur le même ton. Il reproche au sénéchal, comme il l’avait fait pour Jouglet, de l’avoir déserté et le brocarde à loisir : « Mout i a paroles retretes / l’emperere entre gieus et ris » (v. 3140-3141), et celui-ci, qui n’est pas sot mais « avoit bien ses moz apris », « ne s’en fet se rire non » (v. 3142-3143).

23  Et supposent celui de leurs destinataires.

24  Sur le lien entre revendication du plaisir littéraire et éthique aristocratique, voir Dupraz Rochas (2010 et 2014).

25  Ainsi les deux plus longues incises lyriques, la chanson attribuée à Gautier de Saguies et la laisse prétendument issue du Gerbert de Metz, sont sans doute des pastiches, des créations originales de Jean Renart, qui, comme en avertissait le prologue, a si bien réussi son pari que son texte en est venu à fonctionner comme sa propre caution. Cf. Arseneau (2010). Zink (1979) avait relevé cette possibilité il y a longtemps, tout comme Dragonetti (1987), en particulier à propos de la laisse de Gérard de Metz (op. cit., 154).

26  Voir Stanesco (1984a).

27  Pour Félix Lecoy (1961, 397-399), la description du beau chevalier de Champagne et de la dame de la marche du Perthois ferait écho aux personnages du Lai de l’ombre. Joseph Bédier, dans son édition de 1913, avait déjà rapproché la mention du Perthois de celle du Partois au v. 57 du Lai, comme le rappelle Sylvie Lefèvre (2015, 285). L’hypothèse est d’autant plus séduisante que Jean Renart semble se plaire à ces renvois intertextuels, le Lai de l’ombre faisant lui-même allusion au roman de L’Escoufle, et le Roman de la Rose faisant peut-être lui-même allusion à L’Escoufle au vers 5415. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas tant la beauté présumée de la dame du Perthois que l’art avec lequel Jouglet, « qui n’aprist pas hui si a descrire » (v. 711), la re/crée qui transporte le jeune empereur et le caractère fictif de ces deux portraits est malicieusement pointé du doigt par la référence — censée garantir la vérité du conte — au bacheler qui aurait raconté cette histoire à Jouglet, « qui de la vint / ou ce ot esté » (v. 659-660). Il semble difficile de faire plus vague et de souligner davantage l’invention, tout en faisant mine de vouloir s’en garder.

28  V. Obry (2015) souligne la subtilité de ce passage et l’importance de ce verbe rembellir par lequel Conrad semble demander à Jouglet de laisser libre cours à son talent de conteur. Il ne s’agit visiblement pas pour l’empereur de demander un compte rendu fidèle ou un portrait réaliste de la jeune fille, mais de se laisser porter par cette belle fiction d’une héroïne de conte advenue à l’existence que lui propose Jouglet. Comme le remarque Vanessa Obry, en incitant Jouglet à « embellir » la demoiselle, l’empereur confirme que l’héroïne émane de la parole du jongleur. Liénor est bien et avant tout « un être de mots », et la séduction amoureuse est d’emblée associée à la séduction littéraire, l’écart géographique de l’amour de loin trouvant un écho dans l’écart entre réalité et fiction, ou idéal. Toute la subtilité de Jean Renart consiste à faire mine qu’il serait possible de combler cet écart, de satisfaire le désir de coïncidence, tout en suggérant que cette possibilité n’est qu’une illusion — mais ô combien délicieuse — de plus.

29  Comme si la mention de la fatigue de l’empereur, qui a du mal à rester éveillé, ne suffisait pas, Jean Renart prend soin d’indiquer que Jouglet et Conrad quittent le droit chemin pour s’en aller divaguer : « En riant par le frein le prist, / s’issent fors del chemin andui » (v. 649-650). Chemins de traverse, écarts et obliquité / oblicité caractéristiques de l’esthétique de Jean Renart. Ce vagabondage en état hypovigile, desverie propice à la rêverie, et qui produit le deduit, n’est pas sans évoquer celui de Guilhem IX d’Aquitaine, trouvant son vers de dreit nient « en durmant sus un chivaus ». Sur les liens entre resverie, desverie, écart et dévoiement dans la dorveille et ses rapports avec la création littéraire, voir Stanesco (1984b). L’empereur, qui s’est levé tôt, a chevauché sous la chaleur du soleil, mentionne sa grande fatigue : « J’ai hui / certes, eü mout grant someil. » (v. 651-652), et demande à Jouglet de le tenir éveillé par son conte. Someil et esveil (v. 652-653) se font écho à la rime, l’empereur se trouvant ainsi « entre sommeillant et esveillé », pour reprendre l’expression utilisée par Jean Meschinot dans ses Lunettes des Princes, auquel Michel Stanesco (1984b) emprunte le titre de son article [Le texte de Jean Meschinot est cité par Jacqueline Cerquiglini-Toulet (2019, 47)]. Le conte de Jouglet qui permet certes à l’empereur de ne pas sombrer dans le sommeil, a pour fonction de le divertir, de le desanuier, pour employer un terme médiéval, mais il a en même temps pour effet paradoxal de le faire plonger dans la fiction, de brouiller les frontières entre réalité et fiction, et de lui faire croire que ce que racontent les contes est possible et qu’il pourra, « en [son] regne » (v. 738), trouver une dame aussi parfaite que celle du récit de Jouglet, une héroïne de roman advenue à la réalité.

30   Liénor n’est certes pas la dame du Voir Dit de Guillaume de Machaut, mais elle charme et envoûte peut-être avant tout par sa voix. Dans ce roman où les lacs amoureux sont avant tout des lacs rhétoriques, le personnage de Liénor se distingue par sa capacité à littéralement enchanter ceux qui la rencontrent, que ce soit Nicole, dont le compte rendu insiste, avant même de décrire la beauté de la jeune fille, sur le pouvoir de sa voix (il l’a ouïe, dit-il à l’empereur, au vers 1410, quand on attendrait plutôt une confirmation visuelle de ce qui avait été annoncé par Jouglet à Conrad), les habitants de Mayence (« et sachiez, cil cui ele arresne / dient por voir qu’el a vois d’angre », v. 4537-8), ou encore les seigneurs de la cour, où, splendide mendax, elle convainc, par sa maîtrise parfaite de la rhétorique (v. 4768-73), que le mensonge est vérité, ou que sa fausseté même est garante d’une autre vérité.

31  Ou, comme le dit plus poétiquement Blanchot (1955, 318) : « L’artiste n’appartient pas à la vérité, parce que l’œuvre est elle-même ce qui échappe au mouvement du vrai, que toujours, par quelque côté, elle le révoque, se dérobe à la signification, désignant cette région où rien ne demeure, où ce qui a eu lieu n’a cependant pas eu lieu, où ce qui recommence n’a encore jamais commencé, lieu de l’indécision la plus dangereuse, de la confusion d’où rien ne surgit ».

32  Cf. pour Jean Renart les analyses de Virdis (2001) dans la partie intitulée « La Rose di Jean Renart : “tot son estre, […] et son covine” », consacrée à cet auteur, (notamment 215-216) : « Chi dunque si aspetta di trovare una soluzione nello spessore della parola, poiché tutto il testo del romanzo è una macchina costruita appositamente per generare un’aspettativa di senso, almeno a partire da quello che è certamente il più ambiguo dei passi, quello centrale relativo alla messa in campo del segreto della rose, chi si aspetta insomma di trovare il disvelamento di un segreto custodito nella e dalla parola rimane così deluso, deluso da questa parola sfrangiata, rimandata e riflessa, manipolata e portata in continuo e mutuo rimbalzo ».

33  Vida de Guilhem IX de Poitiers, transcription par Michel Zink (2013, 33).

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Pour citer cet article

Référence papier

Corinne Cooper, « Évanescence du joi et joie de l’évanescence : éthique et esthétique courtoises dans le Roman de la Rose de Jean Renart »Revue des langues romanes, Tome CXXVI n°2 | 2022, 379-397.

Référence électronique

Corinne Cooper, « Évanescence du joi et joie de l’évanescence : éthique et esthétique courtoises dans le Roman de la Rose de Jean Renart »Revue des langues romanes [En ligne], Tome CXXVI n°2 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/5410

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Auteur

Corinne Cooper

Sorbonne-Université

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