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AccueilNumérosTome CXXIV n°2CritiqueJames THOMAS, Grains of Gold. An ...

Critique

James THOMAS, Grains of Gold. An Anthology of Occitan Literature

London, Francis Boutle Publishers, 2015, 775 p.
Jean-François Courouau
p. 359-363
Référence(s) :

James Thomas, Grains of Gold. An Anthology of Occitan Literature, London, Francis Boutle Publishers, 2015, 775 p.

Texte intégral

  • 1 Citons R.T. Hill et T.G. Bergin, An Anthology of Provençal Troubadours, Yale Univ., 1941 ; A. Press (...)

1Comment les lecteurs de langue anglaise — ils sont potentiellement nombreux — peuvent-ils avoir accès à la littérature occitane produite depuis mille ans ? Le livre en forme d’anthologie représente un bon moyen à qui ne veut pas se satisfaire des notices d’encyclopédies datées ni des informations parcellaires et parfois peu fiables de Wikipédia. L’anthologie publiée par James Thomas en 2015 représente, sauf erreur, une première dans le monde anglo-saxon. Il y avait bien eu des précédents (relativement nombreux) pour la littérature médiévale1, mais rien qui permette d’embrasser de façon globale l’ensemble de la production littéraire de langue occitane, du xe siècle à nos jours. Cette première mérite d’être saluée.

2L’anthologie de James Thomas se présente sous la forme d’un épais volume de 775 pages. Elle est divisée en 17 chapitres qui suivent un ordre chronologique. Chacun d’eux est doté d’un bref préambule où sont définies les principales caractéristiques de la période. Ce sont 253 textes, si le compte est juste, qui sont donnés à lire et chacun, sauf dans la dernière section consacrée à la littérature contemporaine, est précédé d’une présentation de l’auteur qui permet de situer le texte édité dans son œuvre et suivi d’une traduction en anglais. Le texte occitan est donné dans sa langue avec à chaque fois les références précises de la source.

3On s’attendrait à ce que le Moyen Âge des troubadours occitans occupe une place de choix dans ce panorama et, de fait, c’est bien ce qu’il advient puisque 6 des 17 chapitres sont consacrés à cette période si riche. Tous les grands troubadours sont là avec leurs chansons (Guilhem IX, Bernart de Ventadorn, Jaufré Rudel, Peire Vidal…, chap. 2. « Troubadours – Canso ») mais ils n’occupent pas seuls le paysage. D’une part, un chapitre (chap. 3, « Troubadours – Other lyric and poetic genres », 13 textes) est consacré aux autres genres pratiqués par les troubadours, mais surtout, d’autre part, l’auteur prend soin de ne pas limiter le regard du lecteur à ces beaux arbres qui pourraient cacher la vaste forêt. Les premiers témoignages de l’occitan (Boèce, Sponsus, Sainte Foi…) sont précédés par l’émouvante formule pour les femmes enceintes découverte dans les années 1980, datée du ixe ou xe siècle (chap. 1, « Early texts »). Les œuvres narratives et didactiques (Jaufré, la Chanson de la Croisade contre les Albigeois, Flamenca…) font l’objet d’une section distincte (chap. 5) mais aussi les trobairitz (chap. 4), les textes en prose, si souvent négligés (chap. 6) tandis que le bas Moyen-Âge bénéficie d’une attention particulière (11 textes, chap. 7). Avec ses 7 chapitres représentant 40 % de l’ensemble des sections qui composent l’anthologie, la période médiévale pourrait paraître particulièrement représentée. Tel n’est pas le cas si on tient compte du nombre de textes puisque les trois quarts de ceux présents dans le volume sont consacrés aux périodes postérieures au Moyen Âge.

4L’un des nombreux mérites de cette anthologie est en effet la place importante accordée aux périodes moderne et contemporaine. Commençons par les siècles modernes. Répartis entre deux sections pour le xvie et le xviie siècle, elles-mêmes définies sur une base géographique (chap. 8, « The Baroque Renaissance in Gascony and Western Languedoc » et chap. 9, « The Baroque Renaissance in Provence and Eastern Languedoc »), les textes permettent au lecteur anglophone de lire les grands auteurs (Garros, Du Bartas, Godolin, Larade, Bellaud, Brueys, Despuech, le Théâtre de Béziers…). Le second xviie siècle et le xviiie siècle ne sont pas négligés (chap. 10, « Centralised Monarchy to the French Revolution ») avec des textes d’auteurs aussi importants que Saboly, Cabanes, Despourrins, Fabre, Germain…) tout en incluant des compositions musicales (Cassanéa de Mondonville) et des chansons datables de ce siècle si épris de musique et de chant. Le même souci d’exhaustivité se retrouve pour la première moitié du xixe siècle avec des textes littéraires (Fabre d’Olivet, La Fare-Alais), des textes ne relevant pas de la littérature occitane proprement dite, on y reviendra, consacrés à la redécouverte des troubadours (chap. 11), des textes d’auteurs qui occupent pendant cette période le haut du pavé (Jasmin) et ne sont pas forcément tous des marginaux (chap. 12, « New Troubaires and Marginal Voices »). La place accordée à Mistral et à la naissance du Félibrige est conséquente (chap. 13), mais ce n’est que justice tandis que celle faite à la contestation du Félibrige (chap. 14, « Montpellier and the Félibrige Rouge ») autour de Fourès, Ricard, Gras, etc., rend compte des limites du mouvement renaissantiste provençal. S’ensuivent deux sections particulièrement riches. La première sert de transition entre le renouveau de la fin du xixe siècle et le début de la Seconde Guerre mondiale (chap. 15, « Later Félibrige, Modernism and the Origins of Occitanism », 25 textes), la seconde, la plus développée (36 textes, chap. 16) est consacrée aux auteurs actifs après le second conflit mondial. Pour finir, dans la dernière section (chap. 17, « Contemporary Writing »), l’anthologiste cherche manifestement à témoigner de la vitalité de la création actuelle (22 auteurs, 25 textes) avec des auteurs tous vivants en 2015 (Bernard Lesfargues est mort en 2018).

5La moisson est énorme, fruit d’un travail colossal. La vision est d’autant plus complète que tous les textes ne sont pas occitans, certains sont français ou anglais (ceux en français sont directement traduits en anglais). Ce qui pourrait paraître un paradoxe pour une anthologie de textes occitans s’avère une excellente idée. On découvre ainsi au fil des pages, glissés entre de grands et beaux textes de la littérature occitane, des témoignages de contemporains français et britanniques sur le Midi de la France, sa langue ou sa littérature. Le connaisseur francophone ne sera pas étonné de retrouver le récit, maintes fois cité, de Racine décrivant à La Fontaine ses difficultés de communication à Uzès en 1661. On sera plus surpris de lire une historiette de Tallemant des Réaux qui témoigne de l’occitanophonie des élites marseillaises au milieu du xviie siècle, et surtout, on lira avec attention les témoignages des intellectuels et des voyageurs britanniques : John Locke qui rencontre les vignerons des Graves en 1677, Tobias Smollet rend compte des préjugés de son temps contre le nissard (1764), Charles Burney qui publie en 1782 la première traduction en anglais d’un texte médiéval occitan (Gaucelm Faidit), la traduction par l’écrivain américain Henry Longfellow de L’abuglo de Castèl-Cuillé de Jasmin et une intéressante critique de ce poème parue en 1840 dans la revue littéraire anglaise Bentley’s Miscellany, sans oublier, bien sûr, si essentiel à la connaissance des troubadours dans le monde anglophone, Ezra Pound. Mais ce n’est pas tout. L’anthologiste, visiblement soucieux de restituer les grandes étapes du climat intellectuel qui définissent la vie culturelle en domaine occitan, mobilise également des textes rédigés en français mais qui ont profondément marqué l’évolution de la création en occitan : Jean de Nostredame, le rapport de l’abbé Grégoire, Florian, Rochegude, Sismondi, Mary-Lafon, Millin…). Ainsi constituée, l’anthologie Grains of Gold se présente comme une véritable histoire de la littérature occitane qui vient prendre la suite de celle, à présent ancienne, de Robert Lafont et Christian Anatole (Nouvelle histoire de la littérature occitane, 1970), de celle, limitée aux périodes moderne et contemporaine de Fausta Garavini (La letteratura occitanica moderna, 1970) et de celle, enfin, proche dans sa forme mêlant textes et témoignages, mais limitée aux périodes médiévale et moderne, de Robert Lafont et de Philippe Gardy (Histoire et anthologie de la littérature occitane, 1997, 2 vol.).

6C’est donc un travail monumental qui a été accompli par James Thomas. La tâche de l’anthologiste n’étant jamais aisée, on ne lui reprochera aucun de ses choix de textes et on rendra hommage à l’effort considérable de traduction. Chaque fois qu’une traduction en anglais était disponible, c’est elle que l’auteur a publiée mais il arrive à de très nombreuses reprises que ce soit l’auteur lui-même qui ait dû traduire en anglais des textes souvent particulièrement difficiles (Godolin, Max Rouquette, Manciet, pour donner quelques exemples). Il appartient aux lecteurs parfaitement anglophones de se prononcer sur la qualité de ces traductions, mais, pour peu que l’on puisse en juger, le courageux anthologiste semble être sorti victorieux de cet autre défi que comportait son entreprise.

7Une réserve que l’on pourrait peut-être formuler concerne les choix des éditions de certains textes. Tous ne sont pas heureux et on regrette que ce ne soit pas les éditions de référence ou les éditions les moins défectueuses qui aient servi à cet effet. Pour les églogues de Garros, on ne connaît pas de meilleure source que l’édition procurée par André Berry (Les Églogues de Pey de Garros, Toulouse, 1953), pour Godolin celle de Jean-Baptiste Noulet (Œuvres de Pierre Goudelin, Toulouse, 1887), à Larade, l’auteur de ces lignes a consacré quelques efforts (La Margalide gascoue et Meslanges (1604), Toulouse, 1999) et Joëlle Ginestet n’a pas peu fait pour Dastros (Lou Beray e Naturau Gascoun, Toulouse, 2009).

8Ces imperfections pèsent peu en regard du travail monumental qui a été accompli par ce jeune chercheur. L’anthologie Grains of Gold dont le titre renvoie aux paillettes d’or que Fabre d’Olivet décèle dans l’Hérault et à celles que l’Anglore, dans le Pouèmo dóu Rose de Mistral, récolte dans le Rhône est elle-même une pépite. Elle constitue une prouesse et elle mérite à ce titre non seulement de figurer dans toutes (!) les bibliothèques universitaires du monde anglophone, mais aussi dans celles des curieux et amateurs de littérature occitane, quels que soient leur pays de résidence et leur nationalité.

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Notes

1 Citons R.T. Hill et T.G. Bergin, An Anthology of Provençal Troubadours, Yale Univ., 1941 ; A. Press, Anthology of Troubadour Lyric Poetry, Austin, 1971 ; F. Goldin, Lyrics of the Troubadours and Trouveres. New York, 1973 ; P. Blackburn, Proensa. An Anthology of Troubadour Poetry, Berkeley, 1978 ; F. Jensen, Troubadour Lyrics. A Bilingual Anthology, New York, 1998 ; S.N. Rosenberg, M. Switten et G. Le Vot, Songs of the Troubadours and Trouvères, Londres, 1998 ; R. Kehew, Lark in the Morning. The Verses of the Troubadours, Chicago, 2005 ; W.D. Paden et F.F. Paden, Troubadour Poems from the South of France, Cambridge, 2007.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-François Courouau, « James THOMAS, Grains of Gold. An Anthology of Occitan Literature »Revue des langues romanes, Tome CXXIV n°2 | 2020, 359-363.

Référence électronique

Jean-François Courouau, « James THOMAS, Grains of Gold. An Anthology of Occitan Literature »Revue des langues romanes [En ligne], Tome CXXIV n°2 | 2020, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/3748 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rlr.3748

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Auteur

Jean-François Courouau

Université Toulouse-Jean Jaurès. PLH-ELH

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