Philippe GARDY, Medoquinas (du Médoc)
Philippe Gardy, Medoquinas (du Médoc), Salinelles, L’aucèu libre, 2019, 72 p. Traduction française de Jean-Claude Forêt
Texte intégral
1Le titre de Medoquinas (du Médoc) place ce nouveau recueil de poèmes de Philippe Gardy dans la continuité de deux autres publiés en 2014 et 2015 par l’Aucèu libre : Montpelhierencas (de Montpellier) et Nimesencas (de Nîmes). Les choix éditoriaux d’une même élégante précision pour les trois ouvrages, la traduction rigoureuse de Jean-Claude Forêt, l’attrait des illustrations de couverture signées de Max Rouquette, Claude Viallat et Odilon Redon, constituent un ensemble précieux.
2Le lecteur des poèmes inspirés à Philippe Gardy, dans des circonstances et des styles bien différents, par les villes de Nîmes et de Montpellier où il a vécu successivement, est curieux de découvrir la relation poétique entretenue avec ce troisième lieu où il vit, qui n’est pas une ville mais un espace géographique particulier : le Médoc. Il le présente dans un post-scriptum comme « un territoire des réflexions quasi ultimes, des fuites et des hantises quand le temps semble devenir plus étroit et plus rare. […] Entre océan, estuaire, vignes, forêts et landes, un territoire du hasard qui s’est composé un peu comme un puzzle. »
3C’est à Nimesencas que l’on pense d’emblée : même inscription du poème dans la page avec une disposition strophique qui suit la respiration de la phrase longue et donne envie de lire le poème à haute voix. Mobilité du langage. On passe souvent par les degrés d’une énonciation modalisée, retenue, qui donne le thème et le tempo, avant de céder au cours de la parole, avec ses ruptures, ses relances, son prolongement « mezzo voce » en songerie intérieure.
4Le Médoc est nommé et entrevu plutôt que décrit : Le Gurp, Lacanau, Peyrelebade, Brach, Cordouan, pont de l’Esquirot, port de Lamarque. Ce sont des lieux familiers, qui retiennent ou qui obsèdent. Le phare de Cordouan n’est plus pour le terrien un repère mais un mirage :
Fanau |
Fanal |
5Et le pont de l’Esquirot entre Lacanau et Le Porge fait toujours naître une impression étrange « de despossession e de desconegut » qui trouble beaucoup plus que les lieux chargés de légende, comme le « Prat Lauret / pròche Baishavela », où dansaient sorciers et sorcières, ou le monstrueux serpent Liron caché dans les marécages du même endroit. D’une certaine façon, Philippe Gardy cultive avec délices dans ce recueil, plus explicitement que dans les précédents, ce que Breton appelle « le monde des rapprochements soudains, des pétrifiantes coïncidences ». Une étrange maison sur la plage, un bateau échoué, le clocher de Brach s’éclairent des souvenirs littéraires de Jean Cayrol, Paul Gadenne, Pierre de Brach et Salluste du Bartas… Au fil de la lecture, c’est tout un réseau d’amitiés et d’affinités intellectuelles qui se dévoile, et pas seulement par les noms des dédicataires. Personnes et lieux sont à jamais liés dans la mémoire. Ainsi la pointe de Graves et un poème de Félix Castan sur les batailles qui s’y déroulèrent le 1er avril 1945 et auxquelles il prit part. Ainsi Lesparre et la mère de Max Rouquette, pont de poésie lancé entre le Médoc et les garrigues d’Argelliers. Les noms de personnes et les mots de la langue sont également convoqués pour dire un espace d’ancienne culture, noms de troubadours inconnus, mots et textes des Tradinaires de Vendays-Montalivet publiés par Alain Viaut. Le lexique gascon se marie au provençal de l’auteur dans « Culhidas ». Les locuteurs enregistrés autrefois par Patric Lavaud font encore entendre,
6« D’aurelha a boca », des voix de l’au-delà :
velhan sus lei vius |
ils veillent sur les vivants |
7Au cœur de l’exposition bordelaise de 2016 sur les paysages d’Odilon Redon, il y avait ce tableau : « Chemin à Peyrelevade » choisi pour frontispice, chemin d’enfance noyé de songes. Dans « Lo camin », le poète se confond avec la silhouette du peintre pris entre deux déserts imaginés de part et d’autre d’un lieu aux contours incertains où la lumière des arbres engendre une « nuech de folhum / une nuit de feuillage ». Poète des confins du monde, Gardy explore depuis longtemps les figures cosmogoniques de son envers, lorsque le doute s’installe qui fait basculer le paysage « de l’autra man dau temps / de l’autre côté du temps ». Le monde n’en finit pas de finir, écrit-il dans « Finimond ». Entre le réel et le songe, la frontière est glissante comme entre l’eau et le sable, et l’indécision de l’espace creuse le temps :
Aquel espaci vuege e transparent |
cet espace vide et transparent |
8Dans notre présent fragile, nous ne savons plus « ont es lo jorn / ont es la nuech » (« La prima a La Canau »), ni seulement si nous sommes encore de ce monde (« Floridas »). L’histoire des îles disparues de l’estuaire est saisissante dans « Isclas », tout comme l’extension du phénomène à l’univers entier :
vengut pas mai que neblas finas |
réduit à l’état de fines brumes |
9Mais l’écriture ne saurait consentir à l’attraction du vide ni à l’exploration des dérives infinies, comme dans Dançars dau pofre ou Per tantei fugidas egipciacas. D’un poème à l’autre, il faut remonter à la surface, car tel est, au-delà des tentations et des variations d’interprétation, le principe du parti pris des lieux qui fonde en géopoétique l’unité forte de ces trois recueils.
Pour citer cet article
Référence papier
Claire Torreilles, « Philippe GARDY, Medoquinas (du Médoc) », Revue des langues romanes, Tome CXXIV n°1 | 2020, 189-191.
Référence électronique
Claire Torreilles, « Philippe GARDY, Medoquinas (du Médoc) », Revue des langues romanes [En ligne], Tome CXXIV n°1 | 2020, mis en ligne le 01 juin 2020, consulté le 30 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/2968 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rlr.2968
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