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AcuèlhNumérosTome CXXIV n°1Varia« Coume li chivalié d’antan avèn ...

Varia

« Coume li chivalié d’antan avèn voua nosto vido au triounfle d’uno Idèio. » Folco de Baroncelli, du Félibrige à la Nacioun Gardiano, d’après les archives d’auteur du Palais du Roure (Avignon)

Pour des éditions critiques et une attention particulière à la génétique des textes
Marjolaine Raguin, “Coume li chivalié d’antan avèn voua nosto vido au triounfle d’uno Idèi”. Folco de Baroncelli, from the Felibrige to the Nacioun Gardiano, according to the author's archives of the Palais du Roure (Avignon)
Marjolaine Raguin
p. 141-160

Resumits

Folco de Baroncelli, donné pour inventeur d’une certaine idée de la Camargue, infatigable défenseur d’un territoire, de sa langue et de ses coutumes, jeune félibre de noble famille, baile de L’Aiòli de Frédéric Mistral, fondateur de la Nacioun gardiano, fut aussi un prosateur et poète méconnu. Ses archives littéraires et documentaires conservées au Palais du Roure (Avignon), après avoir été placées sous la bonne garde de Jeanne de Flandreysy, renseignent le critique sur l’auteur à sa table et sur la pensée qui s’élabore au fil du temps. La présence dans ces fonds de brouillons, de mises au propre, de traductions du provençal vers le français, de tirages des premières éditions de certaines de ses œuvres littéraires, textes militants, et discours, mais aussi d’inédits permet une mise au point nécessaire et, à partir de quelques exemples de critique génétique, un plaidoyer pour une étude approfondie du fond et des éditions critiques qui feront la part belle au processus de genèse de ses textes.

Debuta de pagina

Tèxte complet

Introduction

  • 1  Une première version de ce texte a fait l’objet d’une communication dans le cadre du séminaire « N (...)
  • 2  À la mythologie camarguaise sur cette figure renaissantiste attachée à la culture taurine, et qui (...)
  • 3  On pourra voir Thomas 2017, 79.

1Souvent méconnu en dehors de Camargue, Folco de Baroncelli-Javon (1869-1943), lou Marqués, apparaît pourtant comme un maillon essentiel du renaissantisme félibréen, père d’une seconde renaissance1 après celle de Frédéric Mistral2. Signe du rôle de premier plan que lui accordait Mistral, le jeune Folco fut, dès sa création, baile de son journal L’Aiòli3.

  • 4  Sur le Félibrige, on verra Martel 1992 et 2010.

2S’intéresser à son œuvre littéraire, qui le mena du Félibrige4 à la Nacioun gardiano, consiste à penser la trajectoire d’auteur d’un homme à part : descendant d’une antique famille florentine puis avignonnaise, en laquelle Mistral voyait ses propres lettres de noblesse, il perdit sa maigre fortune en la consacrant à la cause de la langue d’oc et de la Camargue, comme archétype et sanctuaire de celle-là.

3Si l’on retient souvent son action de fondateur de la Nacioun gardiano et de son folklore camarguais qui, de fait, signera un acte d’indépendance partiel vis-à-vis du Félibrige mistralien, on ne saurait négliger que Folco de Baroncelli fut un auteur prolixe, poète, prosateur, essayiste même. Homme de lettres autant que d’action, ses œuvres furent publiées en leur temps, notamment grâce à l’appui de Jeanne de Flandreysy, chez Lemerre à Paris (décennie 1910), puis Rey à Lyon (décennie 1930). Souvent mal répertoriées (dans Fourié 1994 notamment), elles jouissent actuellement d’un regain de lecture car rééditées par la maison d’édition gardoise l’Aucèu libre.

  • 5  La relation entre Baroncelli et Flandreysy, bien que tabou parce qu’elle gâcha l’existence de l’ép (...)

4C’est à partir de sa trajectoire de poète d’une terre qu’il porta aux nues, et telle que l’on peut la retracer dans ses archives conservées au Palais du Roure, maison familiale et préservée par le dévouement exceptionnel de Jeanne de Flandreysy, que l’on abordera ici son œuvre. Jeanne de Flandreysy fut la muse de Baroncelli5. Pétrarquiste, elle reçut au Palais du Roure (ainsi nommé par Mistral) — qu’elle avait racheté en 1918 avec l’aide de son père Étienne Mellier pour sauver la demeure familiale des Baroncelli — notamment Benedetto Croce, père du concept de la letteratura dialettale riflessa.

5Folco de Baroncelli naît à la littérature en langue d’oc par le Félibrige : jeune poète, il aspire à devenir félibre, et apprend à manier la langue poétique sous la tutelle d’un félibre nîmois. Mistral fut d’ailleurs le relecteur de son premier livre Babali avec une préface de Frédéric Mistral, publié par Roumanille, son voisin à Avignon, en 1890. En dehors de ses articles parus dans L’Aiòli, tous ses livres sont traduits en français de sa main selon l’usage du Maître.

  • 6  Par exemple, Baroncelli-Javon (1910), le texte est dit traduit du provençal.

6Jeune félibre de la fin du xixe siècle qui a grandi dans cette renaissance littéraire, la dialectique de son œuvre n’est pas celle du choix entre une écriture en français ou en provençal, ou à la frontière entre français et provençal. Tout entier auteur de langue d’oc (c’est toujours du provençal qu’il traduit vers le français comme nous l’enseignent ses brouillons, cf. infra), même s’il publie aussi en français uniquement pour se faire médiateur de la Camargue auprès du plus grand nombre6. Cette dialectique réside donc plutôt dans le virage fondateur qu’il opère en 1895 en quittant Avignon pour la Camargue, et qui apparaît comme un signe clair de rupture avec le Flourège, ce félibrige avignonnais, et avec une certaine conception mistralienne de ce que doivent être la vie et le statut d’un auteur, a fortiori en ce qui concerne son noble héritier moral. Même s’il insistera toute sa vie sur l’esprit d’unité animant la Nacioun gardiano créée en 1909 (avec pour devancière en 1904, le Coumitat Vierginen) et le Flourège, ce choix sera néanmoins déterminant de sa petite rupture à la fois personnelle et idéologique avec Mistral, qui ne pardonnera jamais vraiment la défection de son champion.

  • 7  Cf. Manuscrit autographe de Souto la tiaro d’Avignoun, préface (provençal), p. 6., Avignon, Palais (...)
  • 8  Raynaud 2015.

7Pour Folco de Baroncelli, félibre de la dernière génération du xixe siècle, majoral de 1905 à 1926 (année de sa démission), écrire dans la langue de sa terre est spontané autant qu’acte de revendication et de lutte nécessaire. Son œuvre, qui semble être celle à première vue d’un félibre classique, se distingue de la même manière que celle de son cousin Joseph d’Arbaud, acolyte dans l’aventure camarguaise7 (il se fera lui aussi gardian8 pour un temps), en étant centrée sur la Camargue et Avignon, entièrement pensées comme faisant partie du même ensemble culturel.

  • 9  Peyre, malgré sa distance vis-à-vis de l’IEO, fut correspondant de Max Rouquette entre 1938 et 194 (...)
  • 10  Gardy 2011, lettre 5, p. 3.

8La relation fraternelle et le compagnonnage avec son cousin Joseph d’Arbaud, véritablement fondés et éprouvés dans les prés de Camargue, sont un élément fondateur de cette littérature félibréo-gardiane, qu’ils incarneront à eux deux. Leur intérêt pour la Camargue, et particulièrement ses taureaux, là où Folco de Baroncelli publie le poème Lou Biòu dans le recueil Blad de luno (1909) et d’Arbaud, La bèstio dóu Vacarés (1926), placent de fait ces deux-là dans un écart par rapport à la littérature félibréenne classique. En témoigne la lettre de Sully-André Peyre à Max Rouquette et éditée par Philippe Gardy (2011) où le Cailaren meneur du courant mistraliste9, qui rédigea une anthologie des poèmes de Baroncelli, cite ce dernier avec d’Arbaud, signe que les deux vont de paires10.

9Grand lecteur de romans d’aventures de l’Ouest américain, féru d’histoires indiennes, Baroncelli se vit comme un découvreur, pionnier, dompteur d’une nature sauvage et de bêtes et de coutumes remontant à la nuit des temps : chevaux et taureaux sauvages, mithraïsme antique, première christianisation et premières femmes (et étrangères) aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

  • 11  Belmon 1990 et Digard 1993.
  • 12  De cette conviction d’une identité commune témoigne notamment dans ses papiers autographes conserv (...)
  • 13  Auteur par exemple de Charles-Roux (1910). Voir aussi Charles-Roux/Flandreysy/Mellier (1916).

10Il écrira en français des ouvrages sur la Camargue, afin que la découvre un public francophone. La volonté de faire connaître cette terre et ses traditions (quitte à ce que la codification ait parfois des allures d’invention11), pour empêcher une annihilation consécutive à l’assimilation par la marche forcée du progrès, semble être le moteur de son écriture. Ce même sens du secours le porte à s’attacher dans un même ensemble à la cause des Indiens d’Amérique comme à celle des Gitans de Camargue, qu’il lie en son esprit comme des races de survivants, sorte d’hommes premiers dont la culture et l’identité, en péril, doivent être collectées, codifiées, préservées12. Il est en ce qui concerne la Camargue, avec quelques auteurs comme Jeanne de Flandreysy ou Jules Charles-Roux13 qui les fit se rencontrer, et surtout des cinéastes dont son frère Jacques Baroncelli, le premier truchement de cette terre et de sa langue y compris auprès du public de langue française. Pour le félibre Baroncelli, le sauvetage de la langue passe par la défense des traditions qui doivent devenir pleinement constitutives de l’identité provençale. Pour ce faire, il est nécessaire de les revivifier (voire de les inventer) et, surtout, de les faire connaître aux Provençaux d’abord comme au reste des hommes (spectacles lyonnais, par exemple, publications d’ouvrages). Plus de cent ans plus tard, il faut bien reconnaître que son pari était certainement le bon. En effet, les derniers locuteurs de langue d’oc entre les deux deltas des grand et petit Rhône se trouvent aujourd’hui dans le monde dit de la bouvine — de l’élevage des chevaux et des taureaux de Camargue — où tous se réclament de lui. Sa manade existe toujours, maintenue par des descendants qui jouissent du prestige de leur ancêtre, l’élevage des races autochtones de taureaux et de chevaux prospère et chaque village a sa fête votive avec courses libres — aussi appelées courses camarguaises — Arlésiennes et jeux gardians. Faut-il rappeler que c’est lui qui pensa, fonda, codifia tout cela, jusqu’à faire dessiner la croix de Camargue par Hermann-Paul en 1926 (aujourd’hui véritable marque et symbole) ? Enfin, c’est autour des événements gardians que l’expression religieuse catholique se maintient le mieux en langue d’oc : messes, bénédictions, pèlerinages. À ce titre, le village du Cailar, où Baroncelli avait sa résidence d’été et où se sont fixés ses descendants est exemplaire.

La Nacioun Gardiano : la cause et l’Idèio

  • 14  Folco de Baroncelli dirigera le journal dès sa création en 1891, néanmoins il part s’installer en (...)
  • 15  Journal officiel de la République française, 16 septembre 1909, « Annonces », p. 9508.
  • 16  Folco de Baroncelli (autographe), « La Nacioun gardiano », s. d., p. 1, Avignon, Palais du Roure, (...)
  • 17  « Paroles prononcées sur la tombe de Mistral. Mars 1919 », Folco de Baroncelli (autographe), p. 1, (...)
  • 18  Copie dactylographiée (s. d.) d’une lettre de Frédéric Mistral à Folco de Baroncelli, 4 juin 1912, (...)

11Tant qu’il est à Avignon, tant qu’il travaille pour Mistral comme baile de L’Aiòli, et quand bien même il est déjà passé en Camargue14, Folco de Baroncelli d’après tous les documents à notre disposition, ne semble pas avoir développé de discours sur la norme, et sa pratique normée est celle d’un jeune félibre. Par contre, à partir du moment où il fonde le Coumitat Vierginen en 1904 devenue la Nacioun Gardiano en 190915 qui est officiellement une « association de propagande félibréenne », il développe un discours, une idéologie et une pratique de la norme propre à son mouvement. Dans un texte autographe au sujet de la Nacioun gardiano il déclare « Adounc, afourtissèn eici que la “Nacioun Gardiano” creado pèr èstre la chivalarié de la Coumtesso es toujour anado e anara toujour presta soun concours i fèsto prouvençalo. »16 Les mêmes archives conservent le brouillon d’un long discours de onze pages et de la même veine, datant de 1920, alors que le Capitaine lui avait laissé la parole pour exprimer la reconnaissance et l’hommage des gardians à l’œuvre de Frédéric Mistral dont ils sont devenus les chevaliers et les continuateurs. Au cours du même pèlerinage solennel, l’année précédente, en 1919, Folco de Baroncelli déclarait déjà « Sian, la Nacioun Gardiano, li cavalié de la bouvino. E quau dis cavalié dis chivalié. Coume li chivalié d’antan avèn voua nosto vido au triounfle d’uno Idèio17. » Si l’engouement pour un service chevaleresque marqué par le romantisme et une certaine idée de sa noblesse peut surprendre, cette phrase dit tout Baroncelli, qui se fait (jeune) homme d’une terre, et y consacre sa vie, son énergie et sa fortune au fil du siècle. Il faut penser que c’est ce service de la Coumtesso au travers des activités ô combien rustiques sur une terre hostile et au détriment de la Renaissance « de salon » pensée par Mistral qui créa la dissension relative entre les deux hommes, vécue comme une rupture du paradigme d’un côté et œuvre totalisante de l’autre. Après l’amertume de l’abandon de L’Aiòli, Frédéric Mistral finit par comprendre que la Nacioun Gardiano est le grand œuvre de son protégé avignonnais « Ami Folco, veici dous sounet dóu famous Belaud de la Bélaudiero, que belèu li counèisses pas — e que que te fara gau de li conèisse, car ié veiras que la nacioun gardiano de i’a tres cènts an, tanbèn sabié se regala i festenau de la bouvino.18 »

  • 19  Voir Venture 2010. À lire ces lettres échangées avec les Indiens qu’il a fréquentés, et en se gard (...)

12Œuvrant pour une renaissance totale de la Provence par le corps de sa population et non par son seul esprit et sa langue, il voyage et mène de grandes actions de diffusion de ces usages gardians nouvellement codifiés à Lyon, Genève, Marseille etc., donnant lieu à des spectacles à la manière du Wild West Show qu’il pense médiateur d’une culture. En somme, il constitue une petite troupe à la manière de ces Indiens qu’il admire et qu’il rencontre à Nîmes en 1905, devenant ami et correspondant de plusieurs d’entre eux, dont Buffalo Bill19.

  • 20  Fête provençale du 4 mai 1924 de la Ville de Lyon, Programme, n. p., Avignon, Palais du Roure, fon (...)
  • 21  Id.

13La Nation gardiane est sœur du « Flourège », c’est-à-dire l’instance félibréenne d’Avignon et « les fondateurs et membres de la Nacioun Gardiano sont des membres du Flourège vivants en Camargue » ; c’est ce que déclare le programme de la fête provençale tenue à Lyon le 4 mai 192420. L’objectif de ses actions est de « servir de bouclier et de piédestal à la langue, clé de tous les et de toutes les espérances21 ». Il s’empare alors non pas du domaine de la langue au sujet duquel il semble en complet accord avec les traditions félibréennes et mistraliennes, mais de la Camargue et de ses usages en tant que terre vivante, « bouclier » et « piédestal » de cette langue. Il détermine l’habit du gardian, ce gardien de bœufs, à l’image du cowboy des romans qu’il lit et homme d’un monde qu’incarnent ses amis, les Indiens rencontrés lors de leurs tournées européennes. Il crée les jeux gardians qui mêlent cavaliers et arlésiennes — ces femmes qui portent le costume d’Arles et pour lesquelles il soutiendra la création à sa demande du groupe folklorique Lou Riban de Prouvènço en 1924 par Farfantello, c’est-à-dire Henriette Dibon, sa future biographe (Dibon 1982). Il codifie, établit, renouvelle : c’est un prescripteur infatigable.

  • 22  Cet état d’esprit est au fond un peu le même que celui de la réception du Félibrige en milieu pari (...)

14Folco de Baroncelli se place dès lors dans une double marginalité : à l’écart d’une norme félibréenne à laquelle il fait pourtant allégeance, et qui constitue elle-même un écart à une norme française. La meilleure approche pour appréhender l’auteur au-delà de l’homme et se détacher de l’hagiographie locale comme du dédain22 souvent rencontré vis-à-vis de cet aristocrate à la dérive, ruine de sa famille, nous a semblé être l’étude des archives de ses manuscrits littéraires.

Localisation des archives de Folco de Baroncelli

  • 23  Jeanne de Flandreysy fut ensuite la femme d’Émile Espérandieu.
  • 24  Conversation téléphonique, printemps 2016.
  • 25  Il sera ensuite détruit par les Allemands en 1944.

15Sur la localisation de ses archives et ce qu’elles contiennent, il convient d’être prudents. L’essentiel se trouve conservé à Avignon, au Palais du Roure, aujourd’hui propriété de la commune d’Avignon, à la suite d’un don de la fondation Flandreysy-Espérandieu23. Les archives du Palais du Roure ne sont que partiellement classées, pas cotées et pas cataloguées. Le reste de ses documents est réparti entre ses héritiers et leurs descendants, notamment un certain nombre de lettres que le Palais du Roure tente de racheter au fil de leur apparition sur le marché. Une autre partie enfin, relative à la Nacioun Gardiano se trouve dans les archives de cette association : son Capitaine nous a déclaré que celles des années 1904 à 1933 sont perdues ; et que celles des années suivantes se dégradent dans des cartons aux Saintes-Maries-de-la-Mer, au siège administratif de l’association24. Rappelons que Folco de Baroncelli est expulsé par les Allemands de son mas saintois du Simbèu en 194325, peu avant sa mort : l’occupant y gardait les côtes, craignant un débarquement allié. Bien de ses papiers, et ceux de l’association furent perdus à ce moment-là, c’est ce qu’il déclare dans ses dernières lettres à Jeanne de Flandreysy qui fut sa grande correspondante. Enfin, un musée Folco-de-Baroncelli situé aux Saintes Maries de la Mer, renferme lui aussi quelques effets personnels et des documents sur la Camargue.

  • 26  Baroncelli-Javon/Flandreysy (2013).

16Ses principales archives littéraires et intellectuelles sont donc conservées au Palais du Roure à Avignon, qui fut la demeure familiale et le siège de L’Aiòli. On y trouve les manuscrits de L’Aiòli auxquels il tenait tant (il le déclare dans une lettre à Jeanne de Flandreysy du 16 juin 194326), mais surtout une grande quantité de manuscrits autographes, certains demeurés inédits, ainsi que des ouvrages de sa bibliothèque personnelle, dont sans surprise beaucoup de romans d’aventures — Cooper, Aimard, Dellys — qui n’ont à l’évidence pas retenu l’attention de ses héritiers là où l’on ne trouve que très peu d’ouvrages de félibres, et un seul de la génération de Mistral, une Mirèio de 1924 ruinée par l’humidité.

Baroncelli auteur : génétique de Souto la tiaro d’Avignoun

  • 27  Barouncelli-Javoun 1890.
  • 28  Baroncelli-Javon/Flandreysy (2013). Il était convaincu que le taureau de Camargue et son importanc (...)
  • 29  Lettre manuscrite d’A. André, félibre nîmois à Folco de Baroncelli (Nîmes, le 22 janvier 1886), Av (...)
  • 30  Id.

17Folco de Baroncelli vécut avec sa mère (avec laquelle il parlait et écrivait en provençal) chez sa grand-mère maternelle, au château de Bellecoste à Bouillargues, à côté de Nîmes. Il y découvrit la Camargue et l’élevage de taureaux et de chevaux. Au décès de la grand-mère, le château est vendu et la famille part vivre à Avignon dans ce qui est alors la demeure du grand-père, le Marquis, père de son père. C’est là qu’il rencontre les félibres dont il a tant entendu parler ; peu de temps après il publie sa nouvelle Babali27. C’est là ce qu’il déclare dans la préface autobiographique de Souto la tiaro d’Avignoun. À Nîmes pourtant, il se rêvait déjà félibre : la ville est aussi terre de Félibrige et l’élève de la Maîtrise de Nîmes qu’il fut, n’apparaît pas ex nihilo sur la scène littéraire et intellectuelle avignonnaise. Avant la révélation avignonnaise, on peut relever dans ses archives trois faits intéressant sa carrière d’auteur : d’abord ses relevés scolaires conservés montrent un excellent élève, presque toujours premier ou deuxième au classement ; ensuite, il est fasciné par la Grèce antique — il déclarera, dans une lettre du 29 mars 1911, que la Provence est une « réserve grecque du génie Français28 » ; enfin, il possède un carnet dans lequel il copie des poèmes, certainement ses préférés, de grands félibres. Ledit carnet s’ouvre avec la Campagno de Roumaniho. À Nîmes déjà il compose et fait lire ses textes par le félibre nîmois A. André auquel il demande avis et correction. Ainsi le 22 janvier 1886, ce félibre par lequel il se fait lire, lui répond en français se proposant de le guider, et déclare que son « orthographe romane » est encourageante, et qu’il tient à sa disposition sa « bibliothèque romane » ; tout cela ayant trait aux œuvres en langue d’oc donc. Il corrige (en rouge) la pièce traduite du latin en provençal (Lou diou dou jardin), et dans un dernier paragraphe lui déclare : « Vous ne vous doutiez guère, je pense, que vous fussiez « felibre » eh ! bien ! mon cher, vous l’êtes de cœur avant de l’être officiellement [souligné], ce que, je l’espère, ne se fera pas longtemps attendre. Comptez sur moi, mais à l’œuvre ! bûchez !29 ». Le jeune homme de seize ou dix-sept ans compose des pièces dont il est assez sûr pour les adresser à un félibre de la ville dans laquelle il étudie et se rêver félibre à son tour. De cette correspondance (en français), qui va durer le temps de ses études nîmoises, il recevra des exercices à faire, et sera invité avec insistance à visiter son lecteur dans son mazet le dimanche afin d’y parfaire sa formation30.

  • 31  Flandreysy 1947.

18Contrairement au reste du fonds de Baroncelli, les manuscrits autographes de l’auteur, conservés dans les archives du Palais du Roure, apparaissent classés et ordonnés. Il est d’ailleurs très probable que l’on doive ce classement minutieux, œuvre d’un très bon connaisseur, à la main de Jeanne de Flandreysy qui, autrice d’une cinquantaine de livres ou livrets dans sa vie, publia un grand ouvrage éponyme en 194731. Ils évoquent d’ailleurs ensemble ce projet dans les dernières lettres qu’ils échangent.

19Ces manuscrits littéraires sont classés dans des pochettes, sous le titre des ouvrages publiés avec, à l’intérieur, les feuillets écrits de sa main pour les textes correspondants. D’autres recensent les textes poétiques non publiés. Sont réunis dans ces différents dossiers des documents de nature variable : du brouillon ou apparent premier jet, à la mise au propre, certainement transmise au typo ou à l’imprimeur, avec notamment des tables manuscrites qui correspondent (jusqu’aux numéros de pages) elles aussi à celles de l’ouvrage publié en première édition. De la même manière qu’un inventaire complet et raisonné de ces archives est grandement désirable, on peut espérer que des éditions critiques de ces œuvres éditées ou inédites seront un jour données.

20En félibre, à l’exemple de Mistral et dans sa graphie, Folco de Baroncelli ne publie que des ouvrages bilingues, qu’il traduit lui-même.

  • 32  Baroncelli-Javon 1935. On notera que ce recueil est celui d’une réunion sous une même couronne d’A (...)
  • 33  On compte 33 illustrations (Baroncelli-Javon 1910).

21De ce que l’on apprend de l’auteur à son métier à travers ses archives, nous donnerons ici un exemple court mais représentatif de nos dépouillements et collations. Il s’agit des autographes de ce qu’il publie sous le titre Souto la tiaro d’Avignoun / Sous la tiare d’Avignon. Récits papalins et camarguais, publié en 1935 par Rey à Lyon32, sous le nom d’auteur Marquis de Baroncelli-Javon. Autre particularité à relever ici, son goût pour les illustrations, si Jeanne de Flandreysy était parvenue à faire publier par Lemerre son Babali richement illustré33, notamment par son ami saintois le peintre russe Ivan Pranishnikoff, Souto la tiaro d’Avignoun n’échappe pas à la règle puisque la couverture précise « orné de 22 illustrations hors texte ».

22Dans l’exemple choisi pour cette démonstration, celui de la dédicace du texte, nous possédons le texte édité et les brouillons autographes de l’auteur à partir desquels il est possible d’établir des remarques de critique génétique.

23On trouvera ci-après la version éditée par Rey en 1935, puis la transcription du brouillon autographe trouvé dans les archives du Palais du Roure (Avignon, fds Baroncelli).

DP2 = texte de la dédicace en provençal, publié chez Rey à Lyon en 1935. DF2 = texte de la dédicace en français, publié chez Rey à Lyon en 1935.

DP2 = texte de la dédicace en provençal, publié chez Rey à Lyon en 1935. DF2 = texte de la dédicace en français, publié chez Rey à Lyon en 1935.

24Notes au texte publié en 1935 :

25Texte composé en capitales, sauf la titulature de l’auteur (l. 12) et la date (l. 13).

26l. 1 et 2 : DF2 : les majuscules A ne sont accentuées qu’en provençal, alors qu’on les attendrait pour « à ma femme » et « à mes filles » ; signe que l’usage de la majuscule A accentuée n’est en 1935 pas courant.

27l. 7 : DF2 Idem pour le O de « TANTOT », bien qu’aucun O majuscule ne soit accentué dans le texte en provençal.

28l. 12 : DP2 un point suit le nom de l’auteur, absent en DF2.

29Brouillons autographes, composés sur deux feuilles de papier écru (format A4, un recto pour chaque texte). Aucun doute n’est possible quant à la main qui compose les textes et les corrige : elle est identique, et bien celle de Folco de Baroncelli (comparaison exécutée sur nombre de textes manuscrits).

DP1 = texte du brouillon autographe de la dédicace en provençal (Avignon, Palais du Roure, fds Baroncelli)

DP1 = texte du brouillon autographe de la dédicace en provençal (Avignon, Palais du Roure, fds Baroncelli)

DF1 = première écriture du brouillon autographe de la dédicace en français (Avignon, Palais du Roure, fds Baroncelli). DF1’ = DF1 une fois raturé et corrigé. DF1 et DF1’ sont deux phases textuelles d’un même document écrit : les modifications en lesquelles DF1’ consiste sont faites sur DF1.

30Notes au texte des brouillons autographes :

31Texte composé en minuscules, à l’exception de la majuscule initiale de phrase (l. 1), des premières lettres des prénoms de ses trois filles (l. 2 et 3), des noms de lieux (l. 8 et 10), de sa titulature (l. 9) et du mois (l. 10).

32DF1’ : les corrections de mots sont suscrites aux mots qu’elles remplacent, eux-mêmes raturés. L’ajout final est écrit après le point (« Bauduc. ») sur la même ligne. Les ratures de l’auteur sont composées de deux traits parallèles bien nets.

33Aucune rature au texte provençal, là où le français est corrigé et repris en de nombreux points qui remanient le texte traduit du provençal.

34l. 0 : dédicace comme titre de pages souligné en fr. et en prov. (absent du texte publié).

35l. 2 et 3 : DP1 écrit « tre », là où DP2 a « tres » ; la virgule après « chato » est remplacée dans DP2 par un envoi à la ligne des prénoms de ses trois filles. DP1 envoie seul « e Frederico » à la l. 3 — la feuille n’étant pas assez large.

36l. 4 : DP1, DF1 et DF1’ : Le « dedique » / « je dédie » n’est pas en exergue sur la ligne 4. DP1 : L’accent « aquèsti » est ici un accent grave, remplacé par un accent aigu dans DP2.

37l. 4-8 : DF1’ : les corrections au texte portent sur ces 5 lignes qui sont celles qualifiant la vie de l’auteur.

38l. 5 et 7 : DF1’ : la construction « tantôt…tantôt » est supprimée au profit de « toute…toute », jugée aussi insatisfaisante et qui disparaît en DF2.

39l. 6-8 : DP1 : « de record delicious e de grand mirage e / quouro bourroulado autant que li tempèsto / de Baudu. ». Ces lignes diffèrent de DP2, cf. infra.

40l. 8 : présence d’un point final.

41l. 9 : absence de point après le nom de l’auteur.

42l. 10 : absence de jour dans la date de DP1, mais définit par ajout en DF1’ sur lequel sera refait DP2.

Commentaire

43La date du 1er novembre 1935, qui apparaît uniquement en français, paraît antidatée. Même si l’on considère que le texte d’une préface fait partie des derniers travers de l’auteur, pour un livre encore publié en 1935, c’est-à-dire dont tous les travaux précédant le tirage et le tirage lui-même se font dans ce court intervalle de deux mois avant le 31 décembre (et partant du 1er novembre), il faut que la préface ait été rédigée avant novembre et reçu une date fictive, faisant croire qu’elle fut composée peu avant la parution. C’est certainement là l’explication de l’absence de jour à la date du premier jet provençal DP1, et de sa détermination au premier jour du mois en DF1’, le premier jour étant le plus crédible du point de vue des délais de fabrication déjà évoqués.

44Le remaniement porte sur les lignes 6-8 de DP1 : « de record delicious e de grand mirage e / quouro bourroulado autant que li tempèsto / de Baudu. », pour lesquelles DF1 et DF1’ ont (l. 5-8) : « de /souvenirs délicieux ineffables et, de grands mirages / et tantôt toute aussi bouleversée que aussi par les tempêtes / de Bauduc. les plus profondes et les plus douloureuses. ». Alors que l’on trouve en DP2 (l. 8-11) : « DE DESPARAULABLI RECORD, DE MIRAGE, / E QUOURO BOURROULADO / PÈR LI TEMPÈSTO LI MAI FEROUNO / E LI MAI DOULENTOUSO » traduisant DF2 (l. 8-11) : « DE SOUVENIRS INEFFABLES, DE MIRAGES / ET BOULEVERSÉE AUSSI / PAR LES TEMPÊTES LES PLUS PROFONDES / ET LES PLUS DOULOUREUSES ».

  • 34  Bauduc, zone de plage hauturière sur la commune d’Arles dans les Bouches-du-Rhône, connue pour ses (...)

45Le point d’achoppement de la première rédaction de cette dédicace sont les tempêtes de Bauduc34, trop marquées par une valeur locale (voire personnelle) qui tire l’auteur du côté de l’homme de la terre qui contemple la mer déchaînée, plutôt que de celui de l’écrivain avignonnais. Le lecteur que l’on distingue ici, la publication est lyonnaise rappelons-le, n’est plus l’homme du pays mais celui qui, lisant peut-être uniquement en français, accède à Baroncelli, à son texte, et au pays qu’il incarne ici à travers son œuvre uniquement et n’en a aucune connaissance physique — on pourrait même dire sensorielle, comme dans le cas d’une tempête. Ces tempèsto de Baudu du premier élan signalent un homme et une terre aux identités mêlées mais dont les particularismes doivent être suffisamment lissés pour être accessibles au profane. Leur sont donc préférées le plus général « les tempêtes / de Bauduc. les plus profondes et les plus douloureuses », ce qui n’est autre qu’une périphrase pour dire « ces tempêtes de Bauduc » qu’il a dans l’esprit. La référence en première instance demeure, seule change sa traduction pour le lecteur ; ce constat ne peut faire l’économie de la distanciation qui s’opère, sorte de disjonction entre Baroncelli et la terre de Camargue. Que le français soit, lors de la composition même de son texte, la langue de démarcation entre la terre et l’homme, là où l’usage du provençal signait cette identité nous semble très significatif. Cette autre langue apparaît ici, en même temps que ce second mouvement qu’est la relecture pour traduction, comme moment disjonctif entre le poète et son œuvre-vie, le regard qu’il porte sur elle et l’identification entre Baroncelli et sa Camargue, entre les tumultes de sa vie et ceux de cette terre qui en est venue à la constituer. Langue de rupture, irruption de l’étranger qui rompt partiellement l’identification et permet la mise à distance et la reformulation, le passage au français fait émerger la nécessité de reformuler pour dire et signifier au plus grand nombre tout en offrant par cette distanciation la possibilité de le faire.

46On notera aussi la présence d’un comparatif « autant que » (DP1, l. 7) qui est remplacé par un « PÈR » (DP2, l. 10) prépositionnel qui amoindrit l’identification. Enfin, le « delicious » de DP1 (l. 6) est remplacé par « DESPAURALABLI » (DP2, l. 8) qui traduit « ineffables » de DF2 (l. 8) et certainement plus soutenu dans son esprit.

47DF1’ connaît au moins deux étapes que l’on ne distingue pas ici car l’on n’a pas ici prise sur la chronologie (et l’ordonnancement et donc le nombre (max. 17) de ses modifications mais qui demeurent : l’auteur rature DF1 qui devient alors DF1’, récrit puis re-rature éventuellement : ainsi l. 7 : « tantôt toute aussi bouleversée », éventuellement re-rature et récrit encore ailleurs dans le texte etc.

48DF1’ n’est pas égal à DF2. Par exemple, là où DF1 a (traduit de DP1) « ces lignes de prose qui leur rappelleront » et où DF1’ corrige « ces lignes de prose. Elles qui leur rappelleront », DF2 donne : « ces lignes de prose qui leur rappelleront », soit un retour à DF1 et donc à DP1 comme référent initial.

49Il faut donc conclure de ces observations que la genèse du texte se stratifie ainsi : le texte provençal de la dédicace est d’abord écrit en provençal (DP1), puis traduit en français (DF1) et remanié sur la même feuille (DF1’ dans ses différents états de corrections par ratures et récritures), et c’est la version française remaniée (DF2) qui apparaît adoptée et retraduite en provençal dans le texte publié (DP2). S’il y eut un nouveau brouillon pour cette phase intermédiaire du texte (DP1’) il est perdu, tout comme tout autre brouillon de phases intermédiaires écrites éventuelles et les deux mises au propre qui furent expédiées à l’éditeur.

50L’auteur est à sa table. Il procède à toutes les opérations de rédaction : compose, traduit, se relit, corrige, cherche, établit son texte et décide ; dans un aller-retour entre deux langues et deux sensibilités.

51Soit le stemma suivant pour la dédicace :

52Du même recueil, et dans ces mêmes archives avignonnaises on pourrait encore collationner brouillons et texte édité, par exemple pour son texte La Madono de l’Oustau de Javoun et qui laisse apparaître une constante de sa manière de travailler : le premier jet est en provençal (long d’une demie page) ; insatisfait il recommence toujours dans cette langue, l’étoffe, et modifie l’histoire (texte définitif de plusieurs pages) en gardant la trame, les attaques de paragraphes etc. : la généalogie des deux versions provençales se retrace facilement. Ensuite seulement, il donne une première traduction en français dont la langue est finalement améliorée.

  • 35  Par exemple, l’autographe biffé de son Noël de la Nacioun Gardiano.

53On trouve dans ces archives quantité de brouillons autographes35, premiers jets, remaniements, mises au propre, traductions, qui appellent un travail éditorial et particulièrement de critique génétique.

Conclusion

  • 36  Chambon/Raguin-Barthelmebs/Thomas (2018), texte édité, lignes 9-11.

54Il faut prendre au sérieux la pointe de Robert Lafont, qu’Yves Rouquette reprend dans son discours à la Taulejado del cinquentenari del PNO à Rodez en 2009 : « En fait de nation en Occitanie, je ne connais que la nation gardiane36 », c’est-à-dire la Nation gardiane/Nacioun Gardiano. Le mot est bon — et le sous-entendu en fait un ramassis de gars à cheval, trimant sur des terres hostiles, au mieux rêveurs, au pire folklorisants. On y voit s’affronter dans la bouche du nîmois Lafont, que Baroncelli a précédé dans ses lieux, les conceptions félibréennes et occitanistes, provençales et languedociennes, d’un occitanisme de gauche, tourné vers l’avenir face à des traditions qu’il juge à tout le moins passéistes, et avec, en arrière-plan, bien sûr la critique des revendications nationalistes du PNO. Néanmoins, prenons Lafont au mot, et considérons sérieusement avec lui que Baroncelli pensa le premier une nation pour la petite patrie, en rupture avec Mistral, et, dans ses conditions, considérons que ses idées et donc ses écrits appellent l’étude. Pourtant, là encore, insister sur l’homme d’action serait effacer l’auteur qui publia poésie et prose tout au long de sa vie, après avoir beaucoup écrit dans L’Aiòli. Baroncelli fut pensé successeur de Mistral, mais en tant qu’homme d’après, d’après la renaissance littéraire et intellectuelle, celui qui serait l’artisan d’une totalisation du projet de renouveau à travers une codification des traditions des pays d’oc en commençant par la Camargue.

55On ne peut que souhaiter un inventaire complet des archives de Folco de Baroncelli au Palais du Roure notamment, des éditions critiques de ses œuvres littéraires et théoriques, et des études qui sortiront de la nuée ses textes et sa pensée et permettront de mieux connaître l’auteur comme le théoricien, penseur d’une terre du Sud héritière de l’Antiquité, mais aussi du sort des minorités culturelles de ce premier xxe siècle. Force est de constater que son positionnement, intellectuel autant qu’idéologique, fait qu’il place son écriture littéraire sensible au service de la cause et de l’Idèio qu’il a, idéaliste peut-être, toute sa vie servies. De l’œuvre poétique de Folco de Baroncelli, comme de ses discours, et, malgré les travaux déjà parus, on a beaucoup à apprendre encore de la construction de sa sensibilité d’auteur, de sa pensée (et son évolution) de l’histoire locale et régionale, mais, aussi, en partie, du renaissantisme provençal de la première partie du xxe siècle.

  • 37  Baroncelli-Javon/Flandreysy 2013.

56Jeanne de Flandreysy, lettrée et d’abord amie de Mistral, voyait en lui un poète et un littérateur, qui vécut sa poésie, et celle de sa terre d’adoption au quotidien, pont vivant entre les Saintes-Maries-de-la-mer et Avignon, comme un même ensemble, une base et un front de lutte. Évoquant sa mort qu’il devine prochaine, il réclame dans une lettre à Jeanne de Flandreysy que sa dépouille fasse une dernière fois le trajet d’Avignon jusqu’aux Saintes37 (lettre du 16 juin 1943). Son combat, plus social que littéraire, a contribué à faire oublier sa propre œuvre d’auteur. De même, sa Nacioun Gardiano, qui se voulait bras armé de la Coumtesso et d’un Félibrige littéraire, ne comptera plus d’auteurs dans ses rangs après sa mort et celle de d’Arbaud en 1950 — qui était depuis longtemps retiré à Aix-en-Provence.

57Une vie au service d’une Idèio comme il le dit, et dont la posture d’auteur est à l’image de ces tempesto de Baudu qu’il utilisait en première instance pour en parler et au sujet desquelles seul un autographe nous renseigne, signe de l’importance de ces dépouillements pour tenter de saisir un auteur autrement qu’à travers sa fama et des œuvres, pas ou peu lues, dans des éditions plus ou moins sures.

Journal officiel de la République française, 16 septembre 1909.

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Bibliografia

Manuscrits et tapuscrits :

Affiche imprimée du Programme, n. p., de la Fête provençale du 4 mai 1924 de la Ville de Lyon, Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli.

Autographe « La Nacioun gardiano », s. d., Avignon, Palais du Roure, fonds Folco de Baroncelli.

Autographe « Noël » de la Nacioun Gardiano, Avignon, Palais du Roure, fonds Folco de Baroncelli.

Autographe « Paroles prononcées sur la tombe de Mistral. Mars 1919 », s. d., Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli.

Autographe « Saintes Maries de la Mer », Avignon, Palais du Roure, fonds Folco de Baroncelli.

Autographe de Souto la tiaro d’Avignoun, préface (provençal), Avignon, Palais du Roure, fonds Folco de Baroncelli.

Copie dactylographiée (s. d.) d’une lettre du 4 juin 1912 de Frédéric Mistral à Folco de Baroncelli, Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli.

Lettre manuscrite d’A. André, félibre nîmois, à Folco de Baroncelli (Nîmes, le 22 janvier 1886), Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli.

Imprimés

Baroncelli-Javon, Folco de/Flandreysy, Jeanne de 2013. Le crépuscule du marquis, 1942-1943 : Folco de Baroncelli et Jeanne de Flandreysy, une année de correspondance, Avignon, Palais du Roure.

Baroncelli-Javon, Folco de 1910. Les Bohémiens des Saintes-Maries-de-la-Mer, Paris, Lemerre.

Baroncelli-Javon, Marquès de 1910. Babali : nouvello prouvençalo, emé la traducioun en francès, Paris, Lemerre.

Baroncelli-Javon, Marquis de 1935. Souto la tiaro d’Avignoun. Sous la tiare d’Avignon. Récits papalins et camarguais, Lyon, Imprimerie A. Rey.

Barouncelli-Javoun, Folcó de 1890. Babali, nouvello prouvençalo. Emé la traducioun en francés, Avignoun, Roumanille.

Belmon, Jean-Pierre 1990. « L’invention des mythes gardians », in J.-N. Pelen et C. Martel éd., L’homme et le taureau en Provence et Languedoc. Histoire, vécus, représentations, Grenoble, Glénat/Clair de terre-CREHOP, 1990, p. 135-145.

Chambon, Jean-Pierre/Raguin-Barthelmebs, Marjolaine / Thomas, Jean 2018. « Sièm Occitans en prumièr o […] sièm pas ren du tot : une allocution d’Yves Rouquette (2009). Édition d’extraits, avec une introduction, des notes et une étude des diatopismes remarquables », Revue des langues romanes CXXII, 423-456.

Charles-Roux, Jules/Flandreysy, Jeanne de/Mellier, Etienne ; préface de Joseph d’Arbaud (1916). Livre d’or de la Camargue : Le pays, les mas et les châteaux ; le Rhône camarguais, Paris, A. Lemerre.

Charles-Roux, Jules, Autour de l’histoire. En Camargue. Coeur-Ardent et Hirondelle-Brune, Paris : A. Lemerre, 1910

Dibon, Henriette, Folco de Baroncelli, Nimes, Bené, 1982.

Digard, Jean-Pierre 1993. « Clair De Terre & Crehop, L’Homme et le taureau en Provence et Languedoc. Histoire, vécus, représentations [compte rendu] », L’Homme 33, 193-194.

Digard, Jean-Pierre 2009. « Comptes rendus. Robert Zaretsky, Le coq et le taureau. Comment le marquis de Baroncelli a inventé la Camargue. Préface de Sabine Barnicaud. Traduit de l’anglais par Cécile Hinze et David Gaussen. Marseille, Éditions Gaussen, 2008, 238 p. », Études rurales 183, 221-232.

Flandreysy, Jeanne de 1947. Folco de Baroncelli, Avignon, la Chèvre d’or.

Flandreysy, Jeanne de 2018. Correspondance de la Grande Guerre à Folco de Baroncelli. Tome I (1914-1915) Sauver le grand homme, réhabiliter l’image de la petite patrie, éd. Colette H. Winn, Colette Trout, Paris, Classiques Garnier.

Fourié, Jean 1994. Dictionnaire des auteurs de langue d’oc : De 1800 à nos jours (Collection des Amis de la langue d’oc). Paris, Les Amis de la langue d’oc.

Gardy, Philippe 2011. « Sully-André Peyre à Max Rouquette. Une correspondance (1938-1945) », Lengas revue de sociolinguistique 69, 7-92.

Lespoux Yan 2009, « Aux origines de la revendication occitaniste en faveur de l’enseignement de la langue d’oc : les propositions du Nouveau Languedoc et d’Occitania », Lengas 65, 29-48.

Martel, Philippe 1986. « L’impossible dialogue : La renaissance d’oc vue de Paris (fin xixe siècle) », RLaR, 90, 207-232

Martel, Philippe 1992. « Le Félibrige », dans Pierre Nora [dir.], Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, t. 3 Les France, vol. 2 Traditions, 3515-3553.

Martel, Philippe 2010. Les Félibres et leur temps. Renaissance d’oc et opinion (1850-1914), Pessac, Presses universitaires de Bordeaux.

Poupault, Christophe 2014. « Jeanne de Flandreysy, le palais du Roure, la Provence et l’Italie fasciste », Cahiers de la Méditerranée 88, 37-51.

Raynaud, Frédéric 2015. « Les gardians de Camargue et leurs chevaux, patrimoine archivistique et photographique pour une étude historique », In Situ [En ligne] 27 , mis en ligne le 2 novembre 2015, consulté le 27 novembre 2016. URL : http://insitu.revues.org/12105; DOI : 10.4000/insitu.12105

Thomas, Jean 2017. Jules Ronjat entre linguistique et Félibrige (1864-1925). Contribution à l’histoire de la linguistique occitane d’après des sources inédites, Valence-d’Albigeois, Vent terral.

Venture, Rémi 2010. Car mon cœur est rouge : des Indiens en Camargue. Correspondance de Folco de Baroncelli présentée par Frédéric Jacques Temple, Marseille, Gaussen

Zaretsky, Robert 2004. Cock & Bull Stories : Folco De Baroncelli and the Invention of the Camargue. University of Nebraska Press.

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Nòtas

1  Une première version de ce texte a fait l’objet d’une communication dans le cadre du séminaire « Normes et écarts dans la littérature d’oc. xixe-xxe siècle » à l’université Toulouse – Jean Jaurès en 2016 par le laboratoire PLH (ELH).

2  À la mythologie camarguaise sur cette figure renaissantiste attachée à la culture taurine, et qui finit par masquer la complexité du personnage pour l’histoire de la littérature d’oc, s’ajoute un faible intérêt de la recherche pour ses textes littéraires et/ou idéologiques qui, à de rares exceptions, ont valu à son œuvre le silence, voire pire peut-être, un certain amateurisme outrancier. On pensera en ce sens à l’ouvrage de Zaretsky 2004, et le compte rendu sévère de Digard 2009.

3  On pourra voir Thomas 2017, 79.

4  Sur le Félibrige, on verra Martel 1992 et 2010.

5  La relation entre Baroncelli et Flandreysy, bien que tabou parce qu’elle gâcha l’existence de l’épouse malheureuse, est un des moteurs de leur vie à tous deux et explique l’engagement de Jeanne de Flandreysy et son rôle déterminant dans la carrière artistique de Baroncelli. Ce moteur amoureux est d’ailleurs nettement évoqué par les éditrices de leur correspondance de guerre, voir Flandreysy 2018, 24 par exemple : évoquant aussi la censure familiale et la peur du scandale.

6  Par exemple, Baroncelli-Javon (1910), le texte est dit traduit du provençal.

7  Cf. Manuscrit autographe de Souto la tiaro d’Avignoun, préface (provençal), p. 6., Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli.

8  Raynaud 2015.

9  Peyre, malgré sa distance vis-à-vis de l’IEO, fut correspondant de Max Rouquette entre 1938 et 1945 (Gardy 2011, p. 7). Contre les occitans ieoistes du type Perbosc, et adoptant la graphie classique, comme les félibres dialectaux, le mistralisme œuvre pour une écriture en provençal rhodanien seulement. Sully-André Peyre a dirigé pendant 40 ans la revue Marsyas.

10  Gardy 2011, lettre 5, p. 3.

11  Belmon 1990 et Digard 1993.

12  De cette conviction d’une identité commune témoigne notamment dans ses papiers autographes conservés au Palais du Roure un texte consacré à la Damiselo, Madame de La Borde, fille de manadier et figure tutélaire des gardians, dont il écrit : « En entendant de la bouche de ces hommes rudes [les gardians] l’épopée grandiose qu’a été la vie de cette jeune fille, on ne peut s’empêcher de songer aux héroïnes de Cooper, celles qui, aux premiers âges de la conquête américaine, se retiraient parmi les / Indiens et devenaient pour eux un objet de respect et d’adoration » ; manuscrit autographe, Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli, haut de page « Saintes Maries de la Mer » p. 5-6. De la même manière on verra ses déclarations dans des lettres réunies par Rémi Venture (2010) ; hors de leur valeur informative du coup soumise à caution, on déplorera les maigres qualités de l’édition.

13  Auteur par exemple de Charles-Roux (1910). Voir aussi Charles-Roux/Flandreysy/Mellier (1916).

14  Folco de Baroncelli dirigera le journal dès sa création en 1891, néanmoins il part s’installer en Camargue au mas de l’Amarée en 1899, alors que sa manade Santenco est fondée en 1894. La périodicité du journal s’en ressentira, de même que l’agacement des auteurs, des abonnés et de Frédéric Mistral face à sa gestion parfois fantasque. Le journal, dont le sous-titre est « que vai cremant tres fes pèr mes », paraît d’abord trois fois par mois (1891-1899), devient ensuite bi-mensuel (1930-mars 1931), et enfin mensuel (avr. 1931-1932).

15  Journal officiel de la République française, 16 septembre 1909, « Annonces », p. 9508.

16  Folco de Baroncelli (autographe), « La Nacioun gardiano », s. d., p. 1, Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli.

17  « Paroles prononcées sur la tombe de Mistral. Mars 1919 », Folco de Baroncelli (autographe), p. 1, s. d., Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli. C’est Baroncelli qui souligne. Sur ces pélerinages et ce qu’ils permettent de plaider, voir Lespoux 2009.

18  Copie dactylographiée (s. d.) d’une lettre de Frédéric Mistral à Folco de Baroncelli, 4 juin 1912, Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli.

19  Voir Venture 2010. À lire ces lettres échangées avec les Indiens qu’il a fréquentés, et en se gardant de porter un regard anachronique sur ses relations, on a surtout l’impression que l’amitié sincère — et un brin puérile — est du côté de Baroncelli là où ses amis Indiens, lapidaires, cherchent surtout à lui vendre leur artisanat et objets de souvenir.

20  Fête provençale du 4 mai 1924 de la Ville de Lyon, Programme, n. p., Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli. Ces fêtes sont une sorte de Wild Camargue Show sur le modèle des troupes indiennes en Europe.

21  Id.

22  Cet état d’esprit est au fond un peu le même que celui de la réception du Félibrige en milieu parisien cinquante ans plus tôt ; cf. Martel 1986.

23  Jeanne de Flandreysy fut ensuite la femme d’Émile Espérandieu.

24  Conversation téléphonique, printemps 2016.

25  Il sera ensuite détruit par les Allemands en 1944.

26  Baroncelli-Javon/Flandreysy (2013).

27  Barouncelli-Javoun 1890.

28  Baroncelli-Javon/Flandreysy (2013). Il était convaincu que le taureau de Camargue et son importance locale constituaient un reliquat du mithraïsme : « Mitra, forço immourtalo dóu Miéjour, incarnado dedins lou Biòu. » Manuscrit autographe de Souto la tiaro d’Avignoun, préface (provençal), p. 6., Avignon, fonds Baroncelli.

29  Lettre manuscrite d’A. André, félibre nîmois à Folco de Baroncelli (Nîmes, le 22 janvier 1886), Avignon, Palais du Roure, fonds Baroncelli.

30  Id.

31  Flandreysy 1947.

32  Baroncelli-Javon 1935. On notera que ce recueil est celui d’une réunion sous une même couronne d’Avignon et de la Camargue toujours pensées comme une unité.

33  On compte 33 illustrations (Baroncelli-Javon 1910).

34  Bauduc, zone de plage hauturière sur la commune d’Arles dans les Bouches-du-Rhône, connue pour ses conditions météorologiques de grand vent et de mer agitée.

35  Par exemple, l’autographe biffé de son Noël de la Nacioun Gardiano.

36  Chambon/Raguin-Barthelmebs/Thomas (2018), texte édité, lignes 9-11.

37  Baroncelli-Javon/Flandreysy 2013.

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Ensenhador de las illustracions

Títol DP2 = texte de la dédicace en provençal, publié chez Rey à Lyon en 1935. DF2 = texte de la dédicace en français, publié chez Rey à Lyon en 1935.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/docannexe/image/2956/img-1.png
Fichièr image/png, 324k
Títol DP1 = texte du brouillon autographe de la dédicace en provençal (Avignon, Palais du Roure, fds Baroncelli)
Legenda DF1 = première écriture du brouillon autographe de la dédicace en français (Avignon, Palais du Roure, fds Baroncelli). DF1’ = DF1 une fois raturé et corrigé. DF1 et DF1’ sont deux phases textuelles d’un même document écrit : les modifications en lesquelles DF1’ consiste sont faites sur DF1.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/docannexe/image/2956/img-2.png
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Referéncia papièr

Marjolaine Raguin, «« Coume li chivalié d’antan avèn voua nosto vido au triounfle d’uno Idèio. » Folco de Baroncelli, du Félibrige à la Nacioun Gardiano, d’après les archives d’auteur du Palais du Roure (Avignon)»Revue des langues romanes, Tome CXXIV n°1 | 2020, 141-160.

Referéncia electronica

Marjolaine Raguin, «« Coume li chivalié d’antan avèn voua nosto vido au triounfle d’uno Idèio. » Folco de Baroncelli, du Félibrige à la Nacioun Gardiano, d’après les archives d’auteur du Palais du Roure (Avignon)»Revue des langues romanes [En linha], Tome CXXIV n°1 | 2020, mes en linha lo 01 novembre 2020, consultat lo 12 décembre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/2956; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rlr.2956

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Marjolaine Raguin

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