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Critique

Maria-Clàudia Gastou, Mistral abans Mirèio. Cossí Mistral prenguèt part a l’espelison del Felibrige e de l’Armana prouvençau (1854-1859)

Jean-François Courouau
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Maria-Clàudia Gastou, Mistral abans Mirèio. Cossí Mistral prenguèt part a l’espelison del Felibrige e de l’Armana prouvençau (1854-1859) PLH-ELH / LAHIC (IIAC, CNRS), s. l., IEO edicions, 2012, 369 p.

Texte intégral

1On le dit parfois : la fin est un commencement. Et inversement. Ce livre devait marquer l’entrée publique dans le monde de la recherche en littérature occitane d’une chercheuse pleine d’avenir. Agrégée de philosophie, diplômée en lettres modernes, en littérature comparée et en occitan, Marie-Claude Gastou, domiciliée à Orléans où elle enseignait, avait entrepris en 2005, sous ma direction, un master 1 consacré aux premières années d’activité de Frédéric Mistral au sein de la publication annuelle qu’il avait fondée au lendemain de la création du Félibrige (1854), l’Armana prouvençau. Ce périodique, souvent délaissé par la critique mistralienne pour son prétendu manque d’élévation littéraire, représentait, pour Marie-Claude Gastou, le lieu idéal pour étudier les premières années de vie d’un mouvement culturel dont c’était la première réalisation, juste avant la publication qui allait assurer la notoriété de Mistral, Mirèio (1859). Une fois le mémoire soutenu, brillamment, en 2006, à l’Université de Toulouse, il donna lieu à deux publications. Un article dans Lengas. Revue de sociolinguistique présente de façon condensée les fruits de cette première recherche (« L’escritura militanta de l’Armana prouvençau », n° 63, 2008, p. 47-96). Cet article, comme le mémoire, est rédigé en occitan, langue à laquelle Marie-Claude Gastou était particulièrement attachée. La richesse des éléments accumulés demandait cependant un cadre plus vaste et l’idée de publier la totalité du mémoire s’imposa très rapidement. Alors qu’elle avait décidé de poursuivre ses recherches (master 2) sous la direction de Philippe Martel, à Montpellier, spécialiste reconnu de la période félibréenne, Marie-Claude Gastou entreprit donc de recomposer et de compléter son mémoire en vue de la publication. L’éditeur pressenti, IEO edicions, venait de recevoir le texte définitif de son Mistral abans Mirèio, lorsque Marie-Claude Gastou, en 2009, à l’âge de 51 ans, fut victime d’un brutal et fatal accident de la circulation.

2Un an se passa et, fin 2010, l’éditeur remit le projet sur le chantier. La relecture de la dernière version fut confiée à Philippe Gardy, François Pic et moi-même. La tâche était ardue puisqu’il s’agissait d’harmoniser les choix effectués par l’auteure et adapter l’ensemble à la publication. Le travail était peu avancé, bloqué au stade antérieur aux premières épreuves lorsque — nouvelle péripétie — parvint la nouvelle de la parution du livre. Celui-ci a donc été publié sans relecture de premières ni de secondes épreuves comme en attestent les nombreuses erreurs typographiques, une mise en page très négligée, comme souvent, du reste, chez un éditeur peu rompu à la publication de travaux universitaires et scientifiques, et surtout un plan d’ouvrage présenté en dépit du bon sens (« Taula detalhada », non paginée en fin d’ouvrage). De longs moments sont nécessaires pour comprendre le principe qui organise les hiérarchies de titres et lorsqu’on croit y parvenir, on s’aperçoit, un chapitre plus loin, qu’on n’avait rien compris du tout. Ce genre de maladresses dans la présentation, dommageable à la lecture discontinue, aurait dû être évité.

3Par chance, le style de Marie-Claude Gastou est précis, clair, lumineux. Les recherches qu’elle a accomplies sur un sujet qui n’avait guère retenu l’attention des spécialistes sont présentées avec exactitude et prudence, deux qualités essentielles pour un chercheur. La cohérence de la démonstration, quasiment sans failles, permet, si on la suit dans le détail, de disposer d’une vision renouvelée sur un moment fondamental dans l’itinéraire de Mistral et de son mouvement qui vient compléter les travaux plus généraux menés ces dernières années, principalement par Claude Mauron, Philippe Martel et Jean-Yves Casanova.

4Le livre est divisé en quatre parties. Dans la première, « Mistral e la logistica de l’Armana prouvençau », M.-Cl. Gastou s’intéresse à la préhistoire de la publication (chapitre I), à sa fondation et à son fonctionnement (chapitre II). Elle rappelle le rôle initiateur joué par la publication en 1850-1851 de poèmes en provençal dans les colonnes de l’hebdomadaire avignonnais La Commune, bientôt suivie (1852) par celle de ces poèmes en recueil (Li Prouvençalo) ainsi que les deux congrès de poésie, organisés à Aix en 1852 et 1853 par le poète J.-B. Gaut. Elle fait le point sur l’épineuse question de la graphie, entre les tenants de l’étymologie, suivant Honnorat, et ceux de la prononciation (Reybaud), en montrant bien les hésitations de Mistral et l’influence de Roumanille, finalement vainqueur. Le chapitre II de la première partie, « Dins las colissas de l’Armana prouvençau », montre la naissance d’un projet qui doit beaucoup à Aubanel et constitue assurément une première, si on excepte une tentative sans lendemain sous la Révolution. Un almanach comprend, on le sait, des parties utilitaires (calendrier…) et des parties écrites assez hétérogènes. Le public ciblé est large, il comprend des parties de la population, encore peu ou tout juste récemment touchées par l’alphabétisation qu’il s’agit d’amener à un usage écrit, utilitaire et littéraire, du provençal. Pour s’adresser à ces catégories, regroupées sous l’appellation « pople » [peuple], il convient de recourir à des formes d’expression adaptées. C’est ce qu’exprime Mistral dans une lettre programmatique adressée à Roumanille le 9 décembre 1853 : « per se presenta’u pople fau pas metre l’abit, leis gants, lou capèu à franjos d’or, fau tant que se pou bouta la vèsto e leis esclops, voulounta-dire que fau presenta seis vers au pople dins uno formo umblo e bon mercat » (cité p. 46). Cette recherche de simplicité affichée, la modestie du support (petit format, mauvais papier), le caractère utilitaire de la publication et, plus que tout, sa destination « populaire » ont incontestablement nui à l’étude, menée ici d’un point de vue littéraire, de la première action d’envergure entreprise par le Félibrige naissant. Dans ce même chapitre, M.-Cl. Gastou fait apparaître le rôle central de Frédéric Mistral comme correcteur et hamonisateur de textes (bel exemple sur un texte d’Adolphe Dumas, p. 56), l’importance des pseudonymes, la présence d’un courrier des lecteurs.

5La seconde partie, « Mistral e lo militantisme de l’Armana prouvençau », se veut centrée sur l’activité propre à Mistral sans qu’il soit jamais question — c’est un des mérites de l’approche de M.-Cl. Gastou — de délaisser les autres auteurs participant à l’entreprise. Mistral n’est en effet qu’un parmi d’autres. Un essai de typologie générale (chap. I) recense les auteurs par année sur les cinq livraisons du corpus, puis les classe en fonction du nombre total de textes. Ce classement fait apparaître que l’auteur le plus prolixe n’est pas Mistral, mais Roumanille. La répartition entre la prose et les vers, hautement significative des enjeux dont est investie l’entreprise félibréenne en termes de conquête de nouveaux espaces d’expression, ne modifie pas ces proportions. Distinguant entre des textes à valeur fonctionnelle et des textes d’ambition purement littéraire, M.-Cl. Gastou propose ensuite une seconde typologie (chap. 2), centrée cette fois sur les textes de prose fonctionnelle pour lesquels elle identifie huit catégories, parfois divisées en sous-catégories (lettres, conseils pratiques pour la vie quotidienne, informations climatiques, hommage à des Provençaux célèbres, festivités provençales, actualités littéraires…). Ces catégories dont les limites, selon les propres mises en garde de l’auteure, ne sont pas faciles à établir, font l’objet d’un examen détaillé dans le chapitre 3 de cette partie à la fin de laquelle est également rappelée la polémique qui opposa au Mistral de l’Armana et à Roumanille le journaliste parisien, d’origine provençale (honteusement vécue), Taxile Delord, dans les colonnes du journal satirique Le Charivari.

6Dans la troisième partie, « Mistral e las istorietas de l’Armana prouvençau », l’enquête se concentre sur les petites histoires courtes, « non fonctionnelles » selon la typologie de l’auteure, quels qu’en soient les auteurs (chap. 1). Parmi ceux-ci, les compositions du « Felibre Calu » derrière lequel se cachent Roumanille, Mistral, Aubanel, Mathieu ou Crousillat, sont l’objet d’une analyse qui glisse ensuite sur celles, proprement humoristiques de Mistral lui-même (chap. 2). L’humour occupe, en effet, une place fondamentale dans ce qu’on pourrait appeler la stratégie communicationnelle de l’Armana prouvençau et Mistral en est le grand maître. Sans doute recourt-il aux mêmes procédés que ses co-rédacteurs (jeux de mots, plaisanteries, martegalado, c’est-à-dire plaisanteries sur la bêtise légendaire des habitants de Martigues, brèves satires…), mais l’élaboration littéraire de ses textes est autrement plus développée que celle dont peuvent faire preuve ses compagnons d’écriture. La dimension symbolique des textes mistraliens, même parmi les plus insignifiants, leur polysémie, voire leur opacité, une fois dépassé le sens premier, évident, concourent à ce que Sully-André Peyre, fin lecteur de Mistral, comme on sait, appelait le « trobar clus dans la galéjade » de Mistral. De façon générale, l’analyse du comique se révèle parfois bien plus difficile que d’autres types d’écritures et cela est particulièrement vrai chez Mistral. Grâce à sa solide (double) formation de philosophe et de littéraire, M.-Cl. Gastou, à travers l’analyse qu’elle propose des ressorts du comique chez Mistral et chez les autres armanacaires, rend compte d’une dimension essentielle et jusque-là négligée aussi bien dans l’étude de la création mistralienne que dans celle de son activisme militant. Ces analyses sur l’humour mistralien et félibréen, au sens large, sont d’un apport considérable.

7Enfin, dans la quatrième et dernière partie, « La participacion literària de Mistral a l’Armana prouvençau », le sous-corpus étudié est constitué par les textes d’ambition proprement littéraire de Mistral. Au nombre de vingt-trois, dont dix-neuf en vers et quatre en prose, ces textes font aussi l’objet d’une typologie : les écrits de circonstance, les exercices de style littéraires, les contes et récits et un genre créé par Mistral lui-même, les pantai qu’on pourrait traduire par « rêveries ». C’est dans ce dernier genre que Mistral semble pousser le plus loin l’expérimentation poétique, à la limite d’une mystique de la nature (« Li grihet », 1856 ; « Lou Prègo-Diéu d’estoublo », 1857) qui ferait presque penser à Max Rouquette, lecteur probable — comme l’a suggéré Ph. Gardy dans son édition du Bestiari de Rouquette (2000) — des Isclo d’or où la plupart de ces différents textes seront repris par Mistral.

8L’ouvrage est totalement dépourvu d’index (une rareté de nos jours !) mais cinq annexes le complètent. La première rassemble des documents iconographiques, la deuxième des renseignemens biographiques sur les auteurs, tandis que la troisième donne les équivalences des pseudonymes. La quatrième annexe est la plus importante puisqu’elle founit la liste des auteurs avec les titres de leurs pièces, publiées sous leur nom ou sous leur pseudonyme. Enfin, la cinquième annexe établit la liste des textes signés collectivement (« Li felibre »), les textes totalement anonymes et les textes signés par le « Felibre Calu ». Dans ces deux derniers cas, des attributions, la plupart assurées, sont proposées. Une très riche bibliographie, arrêtée en 2009, clôt l’ensemble.

9Les perspectives ouvertes par ce beau travail sont nombreuses. Le corpus constitué par l’Armana prouvençau mériterait qu’on l’étudie dans sa globalité, de 1855 à 1914, date de la mort de Mistral, en se tenant soigneusement à l’écart des a priori d’une certaine critique élitiste. C’est ce qu’avait commencé à faire Marie-Claude Gastou. Les fondements de l’humour mis en œuvre dans l’approche d’un lectorat étranger aux codes littéraires élaborés demanderaient à être encore explorés. Marie-Claude Gastou se proposait de poursuivre dans cette voie. On pourrait également s’intéresser à l’audience réelle, en termes de lectorat, de cette publication, ainsi qu’aux choix idéologiques qu’elle véhicule. Certes, ces derniers sont marqués par le conservatisme mistralien qui tourne le dos aussi bien à l’industrialisation qu’à l’urbanisation, mais le fait est que l’Armana prouvençau est lu, très lu, en Provence, voire au-delà, et qu’en ce sens, c’est peut-être un des succès les plus massifs — sinon le succès le plus massif — du mouvement renaissantiste initié par Frédéric Mistral. Sur tout cela, et sur bien d’autres choses encore, Marie-Claude Gastou aurait pu poser le regard intelligent et fin qui était le sien et dont ce Mistral abans Mirèio nous laisse un ultime et beau témoignage. Gageons que de ce commencement qui est aussi une fin naîtront d’autres commencements.

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Jean-François Courouau, « Maria-Clàudia Gastou, Mistral abans Mirèio. Cossí Mistral prenguèt part a l’espelison del Felibrige e de l’Armana prouvençau (1854-1859) »Revue des langues romanes [En ligne], Tome CXIX N°1 | 2015, mis en ligne le 18 mars 2020, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/2727 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rlr.2727

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Jean-François Courouau

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