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Critique

Giuseppe Noto, Francesco Redi provenzalista. La ricezione dei trovatori nell’Italia del Seicento

Jean-François Courouau
Référence(s) :

Giuseppe Noto, Francesco Redi provenzalista. La ricezione dei trovatori nell’Italia del Seicento. Alessandria : Edizioni dell’Orso, 2012, 188 p.

Texte intégral

1Au xvie siècle, en Italie, la connaissance de la littérature médiévale occitane est assurée par une grande figure que tout bon romaniste connaît au moins pour sa dimension historique, Bembo, et par ses successeurs et épigones, tous à peu près également familiers sinon aux médiévistes, du moins aux seiziémistes italiens et français (Varchi, Equicola, Castelvetro…). La transmission et le développpement du savoir accumulé dans l’espace culturel italien autour de la langue et de la littérature des troubadours entre ces fondements posés par Bembo au début du xvie siècle et la naissance, au début du xixe siècle, de la philologie scientifique (Diez, Raynouard, Rochegude) ne sont pas des sujets qui ont mobilisé les chercheurs depuis les travaux fondateurs de Santorre Debenedetti (1911, 1930) et la Bibliografia antica dei trovatori d’Eleonora Vincenti (1963). Or, au xviie et au xviiie siècle, en Italie, les connaissances progressent, on continue à s’intéresser aux troubadours, à leur langue, à leurs mots surtout, à leurs manuscrits, recherchés à défaut d’être édités, à leurs textes, lus et compris par des savants et des érudits. En Italie, au xviie siècle, du point de vue de ce qu’on appelle alors les studi provenzali, trois noms s’imposent : le Siennois Federico Ubaldini (1610-1657), secrétaire du cardinal Francesco Barberini, le Modénan Alessandro Tassoni (1565-1635), successivement secrétaire du cardinal Colonna, de Charles-Emmanuel ier de Savoie et de François Ier d’Este, duc de Modène, et enfin, le Toscan, né à Arezzo, Francesco Redi (1626-1697), peut-être celui, comme le suggère Giuseppe Noto, qui incarne le mieux, par son savoir, sa documentation et sa longévité, la vigueur des « études provençales » en Italie au xviie siècle. À la fois médecin réputé (il sera archiâtre du grand-duc Ferdinand II) et biologiste qui contribua à l’avancée de la science dans plusieurs domaines, Redi est membre de l’académie de la Crusca et il s’intéresse à ce titre à la lexicographie. De la masse absolument considérable de documents, imprimés mais aussi manuscrits, laissés par Redi et conservés, pour les manuscrits, aux archives de l’Académie de la Crusca et dans des bibliothèques de Florence (Riccardienne, Laurentienne, Nationale Centrale) et d’Arezzo, Giuseppe Noto a choisi d’extraire les éléments liés à la langue et à la littérature médiévales occitanes. L’étude très documentée qu’il procure s’appuie sur trois sources, présentées successivement après une bibliographie particulièrement complète et une introduction remarquable de précision.

2La première source est constituée par les éléments amassés par Redi en vue d’un Vocabolario aretino, précieux outil dialectologique auquel Redi n’a pas cessé de travailler de 1669-1670 à sa mort. Ce Vocabolario, accessible par deux éditions (Viviani 1928, Nocentini 1989, la seconde étant plus fiable que la première), n’offre que peu de matière : neuf entrées à peine pour lesquelles Redi envisage un rapprochement avec le « provençal ». Là encore avec une précision remarquable, G. Noto établit leurs provenances : les travaux imprimés de ses prédécesseurs (Nostredame, à travers les éditions française et italienne (1575), Ubaldini (1640), peut-être Tassoni (1609)), mais aussi, visiblement, le chansonnier P, alors conservé, comme de nos jours, à la Laurentienne de Florence.

3La moisson est quantitativement comparable (neuf entrées) dans les Etimologie italiane auxquelles Redi s’active à partir des années 1660, en relation avec son homologue français Gilles Ménage (correspondance conservée mais non éditée dans sa totalité). Ces Etimologie italiane sont destinées à être insérées dans la seconde édition des Origini della lingua italiana que Ménage publie à Genève en 1685 (première édition : 1669), pendant italien des Origines de la langue françoise du même auteur (1650). Les étymologies « provençales » proposées par Redi, toujours accompagnées, comme dans ses autres travaux, de citations de troubadours (quatorze ici), proviennent majoritairement, comme le résume un tableau très clair (p. 98), du chansonnier P et, dans un seul cas, d’Ubaldini.

4Francesco Redi est également poète. En 1685, il publie une fantaisie mythologique de 980 vers, Bacco in Toscana, qu’il assortit de très abondantes Annotazioni lexicographiques (entamées en 1671). Plusieurs fois rééditées avec le Bacco in Toscana, ces Annotazioni sont également présentes dans trois manuscrits de la Biblioteca Marucelliana dont tient compte G. Noto dans son étude à côté des éditions de 1691 et 1809. Ces 24 entrées comportant au total 72 citations de troubadours forment la partie la plus documentée de l’activité provençalisante de l’académicien florentin. Si les sources imprimées sont peu problématiques, il n’en va pas de même des sources manuscrites. Au chansonnier P s’ajoutent le chansonnier V (Venise, Bibl. Marciana), alors propriété de l’érudit florentin Antonio Magliabechi (1633-1714), et le chansonnier U, conservé à la Laurentienne de Florence. À côté, toutefois, de ces sources avérées, Redi se réfère à deux manuscrits dont on peut se demander s’ils ont jamais existé : un manuscrit censé appartenir à Carlo Strozzi et un chansonnier appartenant à Redi lui-même, comprenant outre les œuvres d’au moins treize troubadours, un glossaire provençal/latin et peut-être un autre travail lexicographique (onomastique). Parmi les troubadours figurant dans ce mystérieux manuscrit se détache un troubadour qui ne l’est pas moins. Redi l’appelle Giuffredi di Tolosa, soit Jaufre de Tolosa en occitan. Les nombreuses citations de ce troubadour dont Redi émaille ses recherches lexicographiques ne font qu’ajouter aux doutes qui planent sur son existence. Les hypothèses ingénieuses que présente G. Noto autour du nom de Giuffredi qui contient à la fois celui de Redi et la mention de la froideur à laquelle se refère souvent l’auteur lorsqu’il met en scène son propre personnage, ne permettent pas d’exclure, de l’aveu même de G. Noto, l’existence de ce manuscrit. Si l’on parvenait un jour toutefois à prouver une entreprise de falsification, il faudrait, je pense, s’interroger sur son sens, en la rapportant, comme cela a été fait tout récemment pour le faussaire fondateur Jean de Nostredame (Casanova 2012, Jourde 2014, Couffignal 2014), à des stratégies personnelles situées à la croisée d’intérêts locaux, sociaux, épistémologiques et littéraires. Giuseppe Noto rappelle opportunément la rivalité qui oppose Redi à Magliabechi, mais il y a peut-être d’autres contraintes qui auraient pu ainsi mener Redi à prendre sa place, parmi les auteurs de forgeries médiévales occitanes, entre Nostredame et Fabre d’Olivet.

5Les mérites du travail de Giuseppe Noto sont nombreux et ils concernent différentes disciplines. Les analyses des différentes entrées et des citations de troubadours, menées avec une rigueur et un luxe de précisions dignes de ce que la tradition italienne a de meilleur, intéressent les lexicographies et, plus particulièrement, les métalexicographies italienne, occitane et française. Les médiévistes, même s’ils ne sont pas toujours soucieux du devenir de leurs auteurs de prédilection au-delà de la période médiévale, ne peuvent pas ne pas voir en quoi ils dépendent de l’histoire externe de leurs sources. En l’occurrence, la question n’est pas vaine de savoir si Redi a possédé ou inventé des chansonniers qui nous sont inconnus. Enfin, du point de vue des études historiques, culturelles et littéraires modernes, l’activité provençaliste de Redi permet de jeter un nouveau regard sur les liens qui unissent, en plein Grand Siècle français, les savants italiens et français. L’intérêt de Ménage pour la matière occitane est rappelé ici par la correspondance avec Redi dont une précision sur Savaric de Mauléon, connu par ailleurs à travers les liens avec l’érudit toulousain Pierre de Caseneuve, n’a pas été très étudié dans les travaux consacrés à cet érudit (Leroy-Turcan 1991, 1995…). De la même façon, au titre de la diffusion de la littérature occitane contemporaine, on trouvera dommage que G. Noto ne s’intéresse pas davantage à la mention de Pierre Godolin et à la connaissance que Redi peut avoir du dictionnaire de Doujat (1638, nombreuses rééditions avec les œuvres de Godolin) qu’il appelle Vocabolario Tolosano, présentes dans les Annotazioni au Bacco in Toscana (p. 101-102), relevées récemment dans une contribution sur la réception de Godolin dont Redi est un des premiers témoins en Europe (Courouau 2014). De façon générale, on pourrait se demander ce que Redi connaît de l’occitan contemporain. À quoi se réfère-t-il quand il affirme, par exemple, qu’« in lingua di Cahors dicono ieu » pour io (VA.V, p. 81) ?

6Les travaux sur la réception des troubadours, récemment relancés par une série de colloques, ne peuvent ignorer l’espace culturel italien pas plus qu’ils ne devraient, à l’intérieur de cet espace, se limiter au seul siècle de Bembo. Les publications, déjà réalisées comme ce beau travail, ou annoncées, de Giuseppe Noto, incontestablement le meilleur spécialiste de ce sujet, paraissent absolument essentielles à la connaissance d’un pan des études romanes et occitanes sans doute laissé de côté jusqu’à présent car il est situé à la croisée de plusieurs disciplines et exige des qualités rares d’érudition et de méthode, ici splendidement réunies.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-François Courouau, « Giuseppe Noto, Francesco Redi provenzalista. La ricezione dei trovatori nell’Italia del Seicento »Revue des langues romanes [En ligne], Tome CXIX N°1 | 2015, mis en ligne le 18 mars 2020, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/2721 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rlr.2721

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Auteur

Jean-François Courouau

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