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Le corps au Moyen Âge : anthropologie, histoire, littérature (2e partie)
Corps lointains, corps de l’Au-delà

Un paradis sans corps ? Festins célestes et ivresses spirituelles dans l’Angleterre anglo-saxonne

Paradise without bodies? Heavenly feasts and spiritual ebriety in Anglo-Saxon England
Alban Gautier
p. 243-268

Résumés

La littérature religieuse de l’Angleterre anglo-saxonne, lorsqu’elle évoque le sort et l’apparence des défunts bienheureux dans l’Au-delà, fait une place, comme il se doit en contexte chrétien de croyance en la résurrection de la chair, à la question de leur corps et en particulier de leurs comportements alimentaires. À l’instar de l’ivresse spirituelle et de l’image de l’ingestion de la parole divine, la représentation du paradis comme un festin appartient au répertoire de cette littérature spirituelle. Toutefois, on observe des nuances qui dessinent un gradient entre d’une part la prose et la poésie, d’autre part les textes en latin et ceux en langue vernaculaire, c’est-à-dire en vieil anglais. Si la prose latine évoque ces images corporelles et alimentaires de façon relativement libre, la poésie vernaculaire s’avère beaucoup plus réticente face à ce type de représentations.

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Texte intégral

Le corps des bienheureux

  • 1  Mt 22.30. Les citations bibliques seront faites d’après la Vulgate : Biblia sacra iuxta vulgatam v (...)
  • 2  Lc 24.36-43.

1À quoi ressemblent les saints et les bienheureux qui sont au ciel ? Sont-ils semblables aux habitants des régions terrestres, et jusqu’à quel point ? En particulier, leurs corps — puisque corps il y a en contexte chrétien de croyance en une « résurrection de la chair » — sont-ils comparables aux corps des vivants, et qu’en font-ils ? Comment se comportent-ils ? Sont-ils nus ou habillés ? Sont-ils hommes et femmes, et dans ce cas ont-ils un sexe, sont-ils mariés1 ? Ont-ils une vie d’abstinence totale ou ont-ils des relations sexuelles exemptes de tout péché ? Mangent-ils, boivent-ils comme le Christ avait mangé et bu après sa mort et sa résurrection, prouvant par là qu’il n’était pas un esprit ou un revenant2 ? Passent-ils au contraire leur éternité sans faim ni soif à chanter sans fatigue les louanges du Créateur ? Toutes ces questions ont, dès l’époque patristique et jusqu’aux périodes les plus récentes, occupé et parfois obsédé fidèles et théologiens.

  • 3  Je renvoie aux réflexions esquissées dans Gautier (2014).
  • 4  Ladaria (1995), ici p. 445.
  • 5  Le Goff (1981), ici p. 889.

2Quand on se penche sur les réponses que le haut Moyen Âge occidental a pu apporter à ces interrogations parfois inquiètes, on pourrait a priori être amené à considérer qu’il existait d’une part un discours ecclésiastique officiel, ancré dans l’héritage scripturaire et patristique, et d’autre part les conceptions et représentations des fidèles, et en particulier des laïcs, plus difficiles à repérer dans une documentation presque exclusivement cléricale. Si tel était le cas, notre étude pourrait s’avérer vaine et redondante : non seulement il serait quasiment impossible d’atteindre le sentiment des fidèles, mais même celui des clercs « du rang » serait inaccessible, masqué par le discours stéréotypé et répétitif de leurs confrères plus instruits ou mieux placés dans la hiérarchie3 ; en outre, prisonnières de leurs origines scripturaires et patristiques, les réponses ne changeraient que très peu à travers l’Occident latin, et il serait par conséquent impossible de repérer des spécificités régionales dans un discours globalement hérité et peu original. De fait, si l’on consulte le volume consacré à la question du salut dans la magistrale Histoire des dogmes dirigée par Bernard Sesboüé, on ne peut que constater l’absence de toute « nouveauté » doctrinale entre l’époque patristique (l’auteur le plus tardif mentionné par l’article portant sur les fins dernières est Bède le Vénérable, au début du viiie siècle4) et la « renaissance du xiie siècle » (où des auteurs comme Hugues de Saint-Victor reviennent à ces questions et avancent des réponses parfois légèrement différentes de celles des Pères). La « stagnation doctrinale5 » du haut Moyen Âge ne serait pas un vain mot.

  • 6  Ladaria (1995), p. 446-448 ; Carozzi (1994), p. 90-95.
  • 7  Le Goff (1981), 1re partie : « Les Au-delà avant le purgatoire », p. 793-925 ; Carozzi (1994).
  • 8  Le Goff (1981), p. 911 ; Carozzi (1994), p. 208 sq, p. 243 sq.

3De fait, dans le haut Moyen Âge et à la suite des définitions patristiques, les destins des défunts promis au salut étaient imaginés de manière encore assez imprécise et mouvante. Dans une conception qui semble avoir été dominante, les âmes de certains d’entre eux, encore incapables de voir Dieu, subsistaient détachées de leur corps dans l’attente ou dans la mise en œuvre d’une purification qui, selon certains, ne prendrait fin qu’au Jugement dernier ; d’autres au contraire, saints et martyrs, jouissaient déjà de la vision de Dieu et goûtaient aux prémices de la résurrection de la chair censée intervenir de façon pleine et entière à la fin des temps. Cette doctrine, progressivement élaborée à partir d’Origène, précisée par Augustin et Grégoire le Grand, avait été systématisée à la fin du viie siècle dans le traité de l’évêque Julien de Tolède sur La préconnaissance du siècle à venir (Prognosticon futuri saeculi), d’inspiration à la fois augustinienne et grégorienne, qui a exercé une grande influence sur les conceptions ultérieures6. Dans le même temps, et particulièrement dans les îles Britanniques, un important corpus de visions et autres récits de voyage dans l’Au-delà a progressivement prolongé et modifié la réflexion doctrinale des premiers siècles : ce corpus a été abondamment étudié par Jacques Le Goff et Claude Carozzi7. L’Au-delà y est conçu comme quadripartite, et non tripartite comme celui qui s’est imposé après la « naissance du Purgatoire ». « Ciel », « Royaume des Cieux » ou « Jérusalem céleste » ; « paradis », « antichambre du ciel » ou lieu « de l’attente joyeuse » ; « enfer intérimaire » ou lieu « de la dure correction » ; « enfer » ou « Tartare » : tels sont les quatre lieux entre lesquels se répartissent les âmes des défunts dans l’attente du Jugement dernier. Un fleuve de feu, qui peut avoir une fonction purgatoire, pouvait éventuellement séparer certains de ces lieux et interdire l’accès aux espaces les plus « heureux » à ceux qui ne le méritaient pas, ou du moins pas encore8.

  • 9  Je renvoie, entre autres discussions de cette question, aux articles de Schmitt (2001), en particu (...)
  • 10  Gautier (2006), p. 234-241 ; Gautier (2011) ; Gautier (2017).

4Mais l’un des apports importants des études de ces dernières décennies sur la culture du haut Moyen Âge a été de montrer que la culture cléricale, en pratique la seule qui nous ait transmis des textes, n’était pas restée aussi isolée, coupée de la culture laïque qu’on avait longtemps voulu le croire9 : il existait bien des résonances entre ce que disaient les clercs et ce que vivaient les laïcs. Et de fait, à côté des traités dogmatiques et des récits de visions de l’Au-delà, la poésie religieuse en latin et plus encore en langue vernaculaire, c’est-à-dire dans le cas de l’Angleterre en anglo-saxon ou vieil anglais — textes hagiographiques, paraphrases bibliques, poèmes homilétiques —, donne accès à une parole qui pourrait bien ne pas avoir été prioritairement destinée aux clercs, même si le plus souvent elle émane bien d’eux. En effet, cette poésie vernaculaire est née d’une forme de syncrétisme culturel par lequel les clercs continuaient à témoigner de leur attachement à une culture commune à l’ensemble des élites, une culture faite de poésie héroïque en langue anglaise, de signes de reconnaissance et de pratiques collectives auxquelles les clercs anglo-saxons n’avaient nullement renoncé : loin de combattre ou de fuir cette culture, ils l’avaient de fait adaptée à leurs propres usages10. Il ne s’agit donc pas de se pencher sur le dogme ou sur les croyances en tant que telles, mais sur la manière de présenter ces questions dans des textes au statut original et, pourrait-on dire, intermédiaire : des textes certes d’origine cléricale et à sujet religieux, mais pas officiels et normatifs comme le seraient des traités dogmatiques ou des canons de conciles.

  • 11  On retrouve dans ce mot la racine du mot anglais contemporain heaven.
  • 12  Le mot wang signifie « prairie » ; le sens du premier composant pourrait signifie « non proche », (...)
  • 13  Kabir (2001).

5Entre le viie et le xie siècle, ces questions du devenir des corps et du comportement corporel au paradis se sont donc posées dans le monde anglo-saxon. Dans les pages qui suivent, je les aborderai en me penchant plus particulièrement sur un aspect un peu négligé : celui du comportement alimentaire des bienheureux. Ananya J. Kabir a montré comment les textes vernaculaires anglo-saxons du ixe-xie siècle se sont fait l’écho des conceptions patristiques de l’Au-delà en distinguant nettement deux espaces célestes. Ainsi, les textes anglo-saxons séparent le « ciel » (heofon11), généralement décrit comme un palais ou une cité étincelante (c’est la Jérusalem céleste) qui abrite les saints admis en présence de Dieu, du « paradis » (neorxnawang12), souvent présenté comme une prairie, et en tout cas un espace découvert13. Mais que faisaient les sauvés anglo-saxons qui, plus tard ou déjà, seraient amenés à jouir de la pleine vision béatifique en présence même de La Trinité ? Siégeaient-ils très matériellement « au festin du Royaume » et festoyaient-ils joyeusement à l’instar des héros de la poésie ? Se contentaient-ils au contraire de nourritures spirituelles ? La réponse est bien entendu entre les deux, mais on verra qu’elle penche plutôt du côté d’une spiritualisation du comportement céleste. Je partirai de l’image de l’ivresse spirituelle, en montrant qu’elle est très ambivalente dans la tradition anglo-saxonne. Je tenterai ensuite de comprendre la vision qu’avaient les Anglo-Saxons de ce ciel et des corps qui y résidaient : le ciel anglo-saxon apparaît singulièrement éthéré, sans houris ni fruits fabuleux, et l’on y buvait surtout la parole de Dieu. Et pourtant, le ciel n’était pas immatériel. Ce paradoxe apparent avait sans doute à voir avec la tradition poétique antérieure et parallèle à la christianisation, dans laquelle l’appartenance et la fidélité s’exprimaient avant tout en termes d’échange et de communion alimentaires.

Ivresses spirituelles

  • 14  Magennis (1999), p. 137.
  • 15  Albert (1991).
  • 16  Solignac (1983).

6On évoquera donc pour commencer les (rares) images d’ivresse spirituelle dans la littérature vernaculaire anglo-saxonne. De fait, comme l’a rappelé Hugh Magennis, cette littérature semble avoir été étrangement rétive à de telles images, elle qui pourtant se complaît dans l’évocation de festins et beuveries bien terrestres et dans la description d’ivresses bien matérielles : ainsi « dans le corpus de poésie anglo-saxonne qui nous a été transmis, les boissons alcoolisées ne reçoivent jamais d’interprétation spirituelle14 ». Cette observation est plus curieuse encore si l’on ajoute qu’il n’en est pas de même de la poésie ou de la prose latines de l’Angleterre du haut Moyen Âge, qui reprend volontiers ces images assez classiques qui n’ont rien de spécifiquement anglo-saxon. La métaphore de l’ivresse spirituelle est en effet très ancienne dans le christianisme, qui cependant la désigne souvent sous le nom de sobria ebrietas, pour bien la distinguer des ivresses dionysiaques et pour insister sur son caractère symbolique15. D’abord avancée par Origène, l’image est reprise en Occident par des auteurs aussi prestigieux et abondamment lus qu’Ambroise et Grégoire le Grand. En milieu anglo-saxon, Bède l’utilise dans ses commentaires sur le Cantique et les Actes, et Alcuin dans son commentaire sur la Genèse16.

  • 17  Aldhelm, Prosa de Virginitate, ch. 30, éd. R. Ehwald R., Aldhelmi Opera, MGH Auct. Ant., XV, Berli (...)
  • 18Collectanea Pseudo-Bedae, § 388, éd. M. Bayless et M. Lapidge, Scriptores Latini Hiberniae, XIV, D (...)
  • 19  Alcuin, Ep. 34, éd. E. Dümmler, Alcuini sive Albini epistolae, MGH Ep., IV, Berlin, 1895, p. 75-76 (...)

7En continuité avec les écrits des Pères, la prose latine anglo-saxonne n’a pas reculé devant l’évocation de festins célestes et d’ivresses spirituelles, et ceci dès l’origine : Aldhelm parle volontiers de festins célestes dans son De Virginitate, par exemple dans un passage où il compare l’œuvre de Benoît de Nursie à celle d’un vigneron préparant une boisson afin que « les banquets des habitants d’en haut soient glorifiés17 ». Une prière d’origine anglo-saxonne, attestée au viiie siècle et promise à un certain succès, comporte la demande suivante : « conduis-moi au banquet de ton festin, où festoient avec toi tous tes amis18 ». On remarquera toutefois que nos auteurs se mettent souvent en peine de préciser qu’ils parlent bien d’une ivresse spirituelle et de banquets célestes. Alcuin, envoyant à un de ses élèves quelques conseils, lui recommande de s’enivrer et de festoyer de la Parole de Dieu, mais il prend soin de mettre les points sur les i : quand il encourage son élève à « [s’]enivrer du vin pur de ses calices », il précise qu’il ne parle pas des « plaisirs du corps » mais de biens spirituels19. Dans son commentaire sur la Genèse, le même Alcuin propose d’ailleurs ce que l’on pourrait appeler une « traduction religieusement correcte » du mot inebriare :

Comment devons-nous comprendre, au sujet du saint homme Joseph, le fait qu’il enivra ses frères ?

  • 20  Alcuin, Quaestiones in Genesim, § 266, dans J.-P. Migne, PL, C, col. 515-566 : « Quomodo de viro s (...)

– Ebrietas selon la langue hébraïque est mis pour satietas, comme dans le psaume « Tu as visité la terre et tu l’as enivrée », ou encore « Qu’ils s’enivrent à la fécondité de ta demeure.20 »

8Il s’agit ici pour Alcuin d’enseigner à des chrétiens moins instruits que lui la manière de comprendre et de tirer profit de ces images. Ces remarques sont donc formulées dans un contexte qu’on pourrait définir comme didactique et prescriptif, voire homilétique, propre à la prose. On remarquera toutefois que, là encore, ce type d’images est caractéristique de la prose latine : les homélies en vieil anglais, qui nous ont été transmises en grand nombre pour le tournant des xe et xie siècles, ne s’y prêtent guère.

  • 21  Alcuin, Carmen 32, v. 7-12, éd. E. Dümmler, Poetae Latini Aevi Carolini, MGH Poet., I, Berlin, 188 (...)
  • 22  Alcuin, Ep. 158, op. cit., p. 256-257 : « Curremus simul, donec introducat nos rex in cellam vinar (...)
  • 23  Sur cette pratique, cf. par ex. Bischoff (1967).
  • 24  Ct 1.3 : « introduxit me rex in cellaria sua ».

9La poésie latine et savante, en revanche, n’a que plus rarement besoin de préciser les choses : reposant plus foncièrement sur les effets de style et la puissance des images, s’adressant sans doute à un auditoire plus cultivé, plus habitué aux figures du discours et généralement au fait de la nature métaphorique de l’évocation des festins célestes, elle peut se permettre de les mentionner sans les accompagner d’un sermon. Ainsi, même dans un poème adressé à une « brebis égarée » — l’élève qu’il surnomme « Corydon » et qu’il s’efforce de ramener dans le droit chemin de la discipline monastique —, Alcuin ne juge pas nécessaire de donner des précisions : « Corydon », habitué aux métaphores, n’a pas besoin qu’on lui explique ce que signifient des tropes tels que « boire les puissants Falernes » et « se nourrir de nourritures solides21 ». Dans sa prose aussi, Alcuin se permet, avec quelques amis choisis, d’utiliser de telles images sans crainte d’être mal compris. Ainsi dans une lettre adressée à son collègue et ami Arn de Salzbourg : « Courons ensemble, jusqu’à ce que le roi nous introduise en son cellier vineux, mettant en nous la douceur de sa charité22. » Alcuin ici ne craint pas d’utiliser des métaphores « à la limite », y compris les mots à double sens matériel et spirituel que sont rex, cella et même caritas : ce dernier mot est en effet particulièrement ambigu puisqu’il désigne aussi, et surtout en contexte monastique (et c’est ici le cas), le repas ou la collation festive partagés par les moines dans les grandes occasions23. C’est parce qu’Arn est aussi instruit que son interlocuteur qu’il saura faire la part des choses et même apprécier l’habileté de la métaphore filée : la quasi-citation du Cantique des Cantiques24 donne en effet la clef de ce passage, qui doit être interprété comme Bède ou Alcuin interprétaient le Cantique, c’est-à-dire de manière analogique et symbolique.

  • 25  Magennis (1986b).
  • 26  Wulfstan, Homilies, V (« The Last Days »), l. 114-120, éd. D. Bethurum, The Homilies of Wulfstan, (...)
  • 27  O’Keefe (1990), p. 191.

10En revanche, Hugh Magennis a bien montré que les auteurs chrétiens anglo-saxons ont eu une grande répugnance à utiliser en langue vernaculaire les images de l’ivresse spirituelle et du festin céleste : Magennis signale ainsi que, paraphrasant une homélie de Bède sur les noces de Cana, Ælfric omet dans son texte en vieil anglais tout un passage sur l’ébriété spirituelle25. Cette méfiance va même jusqu’à refuser d’utiliser certains termes trop connotés : ainsi l’archevêque Wulfstan d’York, dans son Homélie sur les Derniers Jours, n’utilise pas pour évoquer la joie des cieux les mots wynn (joie) ou dream (plaisir extatique), termes qui, on le verra, sont alors courants dans la poésie vernaculaire pour décrire un bonheur lié à la table et à la sociabilité ; au contraire, l’homéliste préfère parler de myrhð (gaîté) et de blis (bonheur), deux mots beaucoup moins associés à l’idée de la joie du festin26. Le medium que représentait la langue vernaculaire, où l’évocation du repas apparaissait chargée de connotations héroïques, ne semble plus, à partir du ixe siècle, avoir convenu à l’expression de tels sentiments : Katherine O’Brien O’Keefe a montré que les lecteurs et scribes anglo-saxons avaient une attitude très différente face à l’écrit vernaculaire et face à l’écrit latin, mais on pourrait bien sûr en dire autant des auteurs eux-mêmes27. Je comparerais volontiers cette attitude avec celle qui préside à l’usage des figures mythologiques tirées de la fabula : peu courantes et assez maladroites dans la prose latine, elles s’imposent naturellement et presque sans fard dans la poésie, y compris religieuse ; en revanche, de telles allusions sont presque entièrement absentes des textes vernaculaires. Tout se passe comme si les Anglo-Saxons avaient réparti leur rapport aux dieux et héros du paganisme en trois attitudes possibles : usage assez libre dans la poésie latine, destinée à une très petite élite cultivée, capable de goûter sans danger ces allusions ; usage bien plus restreint et prudent dans la prose latine, accessible à un plus grand nombre de clercs, voire à quelques laïcs ; refus presque total dans les textes vernaculaires, qui auraient supposé de faire référence à des figures mythologiques indigènes, tout à fait inacceptables en contexte chrétien. Il est frappant de voir une répartition assez semblable en ce qui concerne les représentations de l’ivresse.

  • 28  Bède, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, IV, 22, éd. A. Crépin et M. Lapidge, trad. P. Mon (...)
  • 29  Murphy (1989) ; Magennis (1985a).
  • 30  Magennis (1986b).

11Ainsi, à la différence de la poésie élégiaque du viie-viiie siècle telle que l’évoque Bède à travers l’épisode du bouvier Cædmon28, ou encore de la paraphrase évangélique saxonne du Heliand29 — dont le principe reposait sur l’adaptation de la doctrine et du récit chrétiens à la culture littéraire indigène —, la majorité des textes vernaculaires anglo-saxons, écrits en vers ou en prose à partir du ixe siècle, avaient largement renoncé à « dépouiller les Égyptiens de leurs trésors » pour en parer les chrétiens. Cela était-il dû au fait que les mots mêmes de la poésie vernaculaire, les phrases et les formules consacrées de la tradition littéraire orale, en étaient venus, avec le temps, à rappeler trop explicitement le paganisme ? Les auteurs spirituels devaient-ils par conséquent, selon l’expression de Hugh Magennis, « s’aventurer avec prudence dans le vieil anglais30 » ? Il est difficile de le dire, mais il semble bien que cette réticence ait influencé la manière dont les auteurs anglo-saxons ont présenté le devenir des bienheureux au paradis.

Visions de l’Au-delà

  • 31  Le Goff (1981), p. 893-894 ; Carozzi (1994), p. 99-138 ; Kabir (2001), p. 85-86. La vision de Furs (...)
  • 32Navigatio sancti Brendani, éd. G. Vincent, sur le site « Bibliotheca Augustana » [en ligne, http:/ (...)
  • 33Ibid., ch. I : « terra repromissionis sanctorum », « ante portam Paradisi ».
  • 34  Dont le nom rappelle étrangement celui du moine Barontus, l’un des visionnaires de l’Au-delà au vi (...)
  • 35Ibid., ch. I : « sine cibo et potu », « Ibi in tantum habuimus de satietate corporali ut ab aliis (...)
  • 36Ibid., ch. XXXVII (ch. 28 chez Webb) : « Accipiebant tantum de pomis et de fontibus bibebant ».
  • 37Ibid., ch. XXV (ch. 18 chez Webb) : « Ita per XL dies reficiebantur de uvis et herbis seu radicibu (...)

12En effet, dès que l’on aborde, dans la tradition anglo-saxonne, la question de l’activité des bienheureux au paradis, les images alimentaires cessent, dans la prose comme dans la poésie, en anglais comme en latin. Or les clercs insulaires du viie-ixe siècle semblent avoir été particulièrement réputés pour leurs visions de l’Au-delà. Les Irlandais sont les premiers à avoir multiplié de telles visions, avec les visions de Fursy de Péronne au viie siècle, puis divers textes anonymes31, parmi lesquels la Navigation de saint Brendan occupe, à la fin du ixe siècle, une place particulière, puisque Brendan et ses compagnons découvrent de nombreuses îles paradisiaques situées au large de l’Irlande, regorgeant parfois de fruits et de nourritures célestes32. Toutefois, un seul de ces espaces peut à proprement parler être décrit comme un lieu de séjour des bienheureux ressuscités ou en attente de la résurrection : la « terre de la promesse des saints », située « à la porte du paradis33 », évoque par certains aspects le « lieu de l’attente joyeuse » des textes continentaux. L’abbé Mernoc et son père Barinthus34 y séjournent durant deux semaines « sans manger ni boire », et pourtant ils s’y trouvent « si rassasiés de corps que d’autres auraient pu croire qu’[ils étaient] pleins de vin35 ». L’image alimentaire est donc présente, mais pour être niée dans le même mouvement. Certes, quand Brendan et ses compagnons atteignent à leur tour cette île, ils y « récoltent des fruits et boivent aux sources36 », mais à la différence d’autres lieux traversés au cours de leur périple37, le texte ne les montre pas en train de manger. Le cas de la Navigation est donc très particulier. L’espace situé au-delà de la « terre de la promesse », appelé « paradis » dans ce récit, n’est pas la Jérusalem céleste car c’est un lieu d’où l’on revient : les hommes qui, comme Mernoc, y ont séjourné en reviennent avec leurs vêtements imprégnés d’un parfum merveilleux. Il est donc difficile d’identifier précisément les lieux décrits par le texte, de leur trouver un équivalent exact dans les autres textes. Le « paradis » du texte serait-il le « lieu de l’attente joyeuse », dont la « terre de la promesse des saints » ne serait finalement que le seuil, l’antichambre d’une antichambre ? En tout cas, malgré une certaine ambiguïté, la tradition irlandaise ne répugne pas entièrement à évoquer des images alimentaires en lien avec un Au-delà bienheureux.

  • 38Annales Bertiniani, s. a. 839, éd. F. Gras, J. Vieillard et S. Clémencet, Paris, Société de l’Hist (...)
  • 39  Carozzi (1994), p. 66-69.
  • 40  Marrou (1985), p. 102-103 ; Février (1977).
  • 41  Par exemple dans l’Apocalypse de Paul, texte du iiie siècle analysé par Le Goff (1981), p. 817-820

13À partir du début du viiie siècle, les Anglo-Saxons ont emboîté le pas aux Irlandais, donnant le la à toute une tradition carolingienne de descriptions du destin des défunts. C’est ainsi que, d’après les Annales de Saint-Bertin, le roi ouest-saxon Æthelwulf signala en 839 à Louis le Pieux qu’un moine de son royaume avait eu une telle vision — malheureusement, celle-ci se concentre, du moins dans la version tronquée que les Annales nous ont transmise, sur des avertissements aux contemporains38. Il est vrai que les insulaires n’avaient pas le monopole de tels récits : les visions d’époque romano-barbare antérieures au développement de la tradition insulaire ne se privent pas de multiplier les images alimentaires, comme par exemple chez Grégoire de Tours ou dans les Vies des Pères de Mérida. Dans ce dernier texte, que l’on date de la deuxième moitié du viie siècle, le locus amoenus où vivent les bienheureux est caractérisé par des tables où l’on sert non des viandes vulgaires mais des volailles grasses39 : même s’il est bien précisé qu’il s’agit d’une image, celle-ci n’en est pas moins utilisée. De même, l’ambiguïté du terme refrigerium, qui dans l’Antiquité tardive signifiait à la fois le « rafraîchissement » pris à la tombe des défunts40 et le « lieu de fraîcheur » où les bienheureux attendaient la résurrection des corps41, ne semble pas avoir gêné les auteurs chrétiens de l’Antiquité tardive. L’absence d’images alimentaires dans la tradition anglo-saxonne de description de l’Au-delà semble donc un trait typiquement indigène.

  • 42  Boniface, Ep. X, éd. M. Tangl, Die Briefe des Heiligen Bonifatius und Lullus, MGH Ep. Sel., I, Ber (...)
  • 43  Le Goff (1981), p. 907.
  • 44  Bède, HEGA, V, 12.1, t. III, p. 68-85, ici p. 68 : « quidam aliquandiu mortuus ad uitam resurrexit (...)
  • 45  Le Goff (1981), p. 886.

14Le premier auteur anglo-saxon à évoquer une vision de l’Au-delà est Boniface, le futur archevêque de Germanie. Dans l’une de ses lettres, datée des années 716 à 719, celui-ci se fait l’écho de la vision d’un frère du monastère de Wenlock, dans le Shropshire non loin de la frontière galloise42. On remarquera avec intérêt que cette vision n’avait été rendue possible que grâce à une maladie qui l’avait soudain dépouillé du poids de son corps, permettant à son âme d’accéder à l’Au-delà : on est bien là dans l’évocation d’un Au-delà décorporalisé, où les âmes seules attendent la résurrection finale. Dans la même veine, Bède le Vénérable, que Jacques Le Goff regarde comme « le fondateur des visions médiévales de l’Au-delà43 », rapporte, au livre V de son Histoire ecclésiastique, plusieurs visions et récits de voyage dans l’Au-delà, et en particulier celui de Dryhthelm, un pieux laïc revenu de la mort44, étudié en détail par Claude Carozzi. Cette description, qui constitue l’un des chapitres les plus longs de l’Histoire ecclésiastique, est très proche de celle que Grégoire le Grand rapporte au livre IV de ses Dialogues, où un certain Étienne, mort « par erreur », rapporte à son entourage ce qu’il a vu dans l’Au-delà45. Comme Étienne, Dryhthelm n’a donc accédé à la vision que parce qu’il était mort, et donc parce que son âme se serait détachée de son corps.

  • 46  Carozzi (1994), p. 210.
  • 47Ibid., p. 250.
  • 48Ibid., p. 239.
  • 49  Homélie n° 9, l. 185-205, éd. D. G. Scragg, The Vercelli Homilies and Related Texts, Oxford, Oxfor (...)

15Aucune de ces visions anglo-saxonnes ne fournit de détails corporels, et encore moins alimentaires, au-delà de la reprise du texte de l’Apocalypse, mais aussi des topoi du locus amoenus peuplé de jeunes gens très beaux, couvert de fleurs et où souffle une brise rafraîchissante au parfum agréable46. Le récit de Dryhthelm, à la fois le plus détaillé et le plus soucieux de décrire les lieux dans les termes de l’expérience humaine47, évoque des images convenues d’odeurs suaves, de prairies fleuries, de vêtements blancs, de lumière vive et d’airs mélodieux, qui valent pour le ciel à proprement parler autant que pour son antichambre paradisiaque : rien ne distingue donc ces deux lieux en dehors de l’intensité de la lumière, de la beauté des chants et de la douceur des parfums. On notera que les trois sens mobilisés dans ces visions sont l’odorat, l’ouïe et la vue, c’est-à-dire les moins matériels des cinq, qui ne supposent pas un contact direct avec la source émettrice de la sensation ; le toucher et le goût ne sont au contraire presque jamais sollicités, comme s’ils relevaient d’une forme grossière de corporalité. Ainsi, dans la vision du moine de Wenlock, c’est le parfum (flagrantia) suave du paradis qui sert de nourriture aux bienheureux qui résident dans le paradis intérimaire — une idée que Boniface reprend à Grégoire le Grand, et que Grégoire de Tours avait déjà avancée48. Ces âmes détachées de leurs corps auraient-elles donc besoin de nourriture ? Dans ce cas, elle est immatérielle et « subtile », et n’évoque pas d’images de nutrition. Il en est de même dans les visions en langue vernaculaire. L’une d’entre elles, incluse dans une homélie vernaculaire du codex de Verceil (xe siècle), rapporte comment un anachorète a contraint un démon à lui décrire le paradis (neorxnawang) : celui-ci est évoqué en termes de montagnes d’or, fleuves de miel, musique céleste et trésors splendides, toute une série de biens tellement supérieurs aux biens terrestres que quiconque les verrait renoncerait à ceux-là49 — mais là encore, bien qu’un aliment (le miel) apparaisse dans la description, on ne trouve aucune image de repas ; et de toute manière, la description est présentée comme hypothétique : « même s’il y avait au paradis… ».

  • 50  Kabir (2001), p. 147-149.
  • 51  Hume (1974) ; Gautier (2006), p. 180-185.
  • 52  Bède, Vita Cuthberti metrica, v. 141 et v. 204, éd. W. Jaager, Bedas metrische Vita sancti Cuthber (...)
  • 53  Hume (1974).
  • 54Christ I, v. 4, éd. G. P. Krapp et E. V. K. Dobbie, Anglo-Saxon Poetic Records (désormais ASPR), v (...)
  • 55  Ap 21.1-27.
  • 56  Riché (1976).

16Il faudrait donc en réalité, pour connaître la nature précise du corps des bienheureux, accéder à des descriptions du ciel proprement dit, de l’inaccessible Jérusalem céleste, et non du paradis « intérimaire » où patientent les seules âmes des défunts promis au salut : or bien souvent dans ces textes en prose, le visionnaire n’a droit qu’à un bref coup d’œil — ou d’oreille, voire de narine — sur ce saint des saints qui lui reste inaccessible. Pour comprendre la forme et le fonctionnement du ciel proprement dit, il n’y a donc que la poésie, latine autant que vernaculaire, qui se risque bien plus souvent que les visions en prose à décrire ce lieu inaccessible. En effet, la poésie évoque régulièrement le Jugement dernier et ses suites, c’est-à-dire le moment où disparaîtront les deux lieux intermédiaires sur lesquels les visions s’attardent habituellement. Or le ciel ou la Jérusalem céleste sont souvent décrits par la poésie dans des termes proches de ceux qu’utilise la poésie héroïque pour décrire la salle de festin. Comme l’a remarqué Ananya J. Kabir, leur évocation passe souvent, pour les Anglo-Saxons, par des images de nature architecturale50 : c’est aussi le cas dans la vision de moine de Wenlock. Dans les textes poétiques anglo-saxons, latins autant que vernaculaires, le ciel est régulièrement évoqué comme une aula (palais, grande salle d’apparat et de festin), en vieil anglais heall ou sele, termes dont les connotations poétiques évoquent avant tout le repas partagé et le compagnonnage guerrier51. Dans la Vie en vers de Cuthbert par Bède, l’évêque Aidan fut emmené à sa mort « vers l’aula du Seigneur », et l’ange qui rend visite au jeune Cuthbert à l’hôtellerie de son monastère est descendu de l’aetherea aula52. Comme l’aula, le ciel suscite des descriptions reposant sur la majesté, la brillance, la hauteur, la sécurité et la solidité53. Dans le poème Christ I, daté du ixe siècle, le Christ est décrit comme la « tête du grand hall54 » : les images scripturaires de la « tête du corps » et de la « pierre angulaire » sont ici comprises littéralement. Si l’on en croit Pierre Riché, cette image, répandue dans le monde carolingien, du paradis comme un palais — plutôt que comme une ville, figure habituelle au moins depuis l’Apocalypse55 — serait bien d’origine insulaire56.

  • 57Beowulf : Édition diplomatique et texte critique, traduction française, commentaire et vocabulaire(...)
  • 58Christ III, v. 1027-1028, ASPR, vol. 3, p. 31 : « Þonne eall hraðe Adames cynn onfehð flæsce ».
  • 59Judgment Day II, v. 258, ASPR, vol. 6, Londres, Routledge, 1942, p. 65 : « oððe hunger oþþe þurst (...)
  • 60  Lee (1972), passim.
  • 61Fates of the Apostles, v. 32-33, ASPR, vol. 2, Londres, Routledge, 1932, p. 52 : « swegle dreamas  (...)
  • 62  Ap 4.4.
  • 63  Magennis (1986a).

17Mais si le ciel est décrit comme une aula, celle-ci n’est pas un lieu de consommation alimentaire, en particulier dans la poésie vernaculaire : en cela, le contraste est net avec la poésie héroïque, puisque le Beowulf évoque avec beaucoup de précision la boisson partagée dans le grand hall57. Au contraire, les poèmes Christ III et Le Jour du jugement II, respectivement datés du ixe et de la fin du xe siècle, évoquent longuement le Jugement dernier et la Jérusalem céleste et parviennent à aligner plusieurs centaines de vers sans aucune image alimentaire et très peu d’images corporelles. Certes, il ne s’agit pas pour eux de nier ou de dissimuler la corporéité et la matérialité de la Résurrection : Christ III rappelle ainsi que « la parenté d’Adam reprendra chair58 », mais Le Jour du jugement II, précise que « faim, soif et sommeil abject » auront disparu59. Tout au plus admettent-ils de reprendre pour évoquer le hall céleste les images, typiques de la poésie héroïque, d’une nombreuse compagnie de guerriers réunie autour du prince des cieux — ce qu’Alvin Lee appelle une « truste céleste », qu’il oppose à la truste terrestre du hall royal et à la truste infernale réunie autour de Satan60. Ces fidèles, parfaits guerriers du combat de Dieu, connaîtront ensemble le dream (plaisir extatique) ou la wynn (joie) dans le « bâtiment brillant ». Dans le poème Les Destins des Apôtres, attribué au poète du ixe siècle Cynewulf, Jean l’Évangéliste, à la fin de sa vie, rejoint enfin les « plaisirs célestes » et le « brillant bâtiment61 ». Référence lointaine à un possible banquet du Royaume, et surtout reprise des images apocalyptiques des vieillards entourant le trône divin62, l’insistance sur la position assise évoque elle aussi le vocabulaire que la poésie héroïque réserve habituellement au festin, mais sans en expliciter les connotations : en effet, être assis est en général, dans la poésie héroïque, lié à la boisson partagée, à la sociabilité et à la convivialité, du moins quand cette position concerne plusieurs personnes festoyant de conserve63. Le vocabulaire est donc souvent emprunté au concept poétique du hall, mais la nature précise des dreamas célestes n’est pas développée comme l’est celle des dreamas de la fête alimentaire dans la poésie héroïque. En tout cas, les auteurs se gardent bien de décrire les bienheureux en train de se rassasier, chose courante dans la poésie héroïque qui évoque avec complaisance les beuveries des guerriers dans la salle.

18Comment rendre compte d’une telle répugnance, d’un écart aussi important par rapport à la tradition poétique indigène représentée par des poèmes comme le Beowulf, mais aussi, de manière moins criante, par rapport à la tradition continentale des visions de l’Au-delà ? Est-elle due à la crainte de réactiver des images liées à un paganisme encore frais dans les mémoires ? Il est vrai que le vocabulaire de la salle et du repas, en particulier dans un poème vernaculaire, n’aurait pas manqué de rappeler au lecteur ou à l’auditeur celui de la poésie héroïque ; et il est vrai que les poèmes héroïques de l’Angleterre chrétienne du haut Moyen Âge s’inscrivaient dans une tradition indigène de composition poétique, païenne jusqu’au viie siècle. Pourtant, d’autres images issues de la tradition héroïque étaient utilisées sans réticence : c’était, on l’a vu, le cas de l’image de la salle et de la truste guerrière. En outre, les poètes anglo-latins répugnaient eux aussi à de telles images. La poésie religieuse latine de l’Angleterre anglo-saxonne, plus savante et moins influencée par la poésie héroïque de tradition orale, n’était pas plus prolixe en images alimentaires, à quelques rares exceptions près, et presque jamais en référence au paradis. En cela, l’évocation du paradis différait de l’ivresse spirituelle, les auteurs anglo-latins ne l’abordaient pas de manière fondamentalement différente de leurs confrères vernaculaires. Expliquer leur réticence par la peur du souvenir du paganisme n’est donc pas satisfaisant.

  • 64  Magennis (1999), p. 59-64.

19Cette gêne des auteurs anglo-saxons face aux fonctions corporelles pourrait plutôt s’expliquer par le fait que, dans le cadre d’un régime alimentaire valorisant la viande, la fonction de nutrition impliquait la tuerie violente et sanglante d’un animal : or, au paradis, seul l’Agneau immolé règne. Mais il me semble, surtout dans des textes de genre et de ton « élevés » comme les paraphrases bibliques ou les poèmes héroïques, que la nutrition était perçue comme une fonction « basse », basse parce que corporelle64. Mais si cette double explication vaut pour les images de nourriture (également rares dans la poésie héroïque), elle n’explique pas suffisamment l’absence de boisson au paradis (que la poésie héroïque évoque abondamment, et qui n’était visiblement pas perçue comme « basse » et indigne de figurer dans des textes au ton élevé). De fait, au sein d’un corpus qui, dans les deux langues, est tout de même assez important, seuls deux poèmes — l’un vernaculaire et l’autre latin — explicitent à ma connaissance les images alimentaires que recouvrait potentiellement la représentation relativement courante du paradis comme aula héroïque : encore le font-ils de manière très discrète. Ces deux exceptions, d’une certaine manière, confirment la règle.

  • 65  Gautier (2006), p. 62. Voir aussi Sansterre (2009).

20L’Exaltation de la Croix, chef-d’œuvre du ixe siècle (dont de premières versions ont probablement circulé dès le siècle précédent), correspond parfaitement à la fois aux thèmes et aux formes attendus dans ce genre de poèmes. La forme, qui rappelle la poésie héroïque — le Christ « bondit » vers la Croix — témoigne bien du déplacement qui a pu avoir lieu. J’ai essayé ailleurs d’imaginer les circonstances qui ont pu amener un évêque ou un abbé à commander ce poème, bien adapté à une caritas à l’occasion d’une des deux fêtes de la Croix — fêtes particulièrement mises en avant dans le calendrier liturgique et festif anglo-saxon65. Le poème se clôt sur une évocation du paradis qui, tout en reprenant un vocabulaire directement issu de la poésie héroïque et de la mystique du hall, comporte exceptionnellement une image alimentaire :

  • 66The Dream of the Rood, v. 139-143, ASPR, vol. 2, p. 65 (ma traduction) : « Þær is blis mycel, / dr (...)

Là est le grand bonheur,
L’extase dans les cieux, là est le peuple du Seigneur
Assis au festin, là est le bonheur éternel,
Et puissé-je alors m’asseoir là où ensuite je pourrai
Demeurer dans l’émerveillement, parmi les saints,
Jouir de l’extase66.

  • 67  Lapidge (1999), p. 6.
  • 68Æthelwulf : De abbatibus, éd. A. Campbell, Oxford, Clarendon Press, 1967, p. xxiii.
  • 69  Howlett (1975).
  • 70  Carozzi (1994), p. 304-310.
  • 71  Une telle description semble relativement classique ; à la fin du viie siècle, Valerius du Bierzo (...)
  • 72De abbatibus, v. 720 : « aula marmore premira ».

21Cette image est pour une fois explicite, mais elle reste plutôt discrète. Les choses sont plus développées dans le poème latin connu sous le titre de Carmen de Abbatibus. Sans doute northumbrien, ce texte de longueur moyenne (819 hexamètres) est daté du début du ixe siècle et a été composé par un moine par ailleurs inconnu dénommé Æthelwulf67, dans un monastère qui n’est pas identifié avec certitude : l’éditeur du poème, Alistair Campbell, propose d’y voir la cella de Crayke, près de York, une dépendance du monastère-évêché de Lindisfarne68 ; David Howlett préfère le situer à Bywell, plus au nord, près du mur d’Hadrien69. Ce poème rappelle en termes énigmatiques l’histoire du monastère, et rapporte entre autres deux visions de l’Au-delà70 où le paradis est représenté comme une cella, un petit monastère71. La première vision reprend de manière assez classique des images architecturales, avec une demeure « très blanche, avec des murs hauts comme les cieux », qui semble être celle qu’occupe au ciel la défunte et sainte épouse du visionnaire. La seconde vision est plus intéressante pour notre propos : Æthelwulf lui-même y est introduit dans les demeures célestes par un saint homme, son ancien maître le moine défunt Eadfrith. Le ciel, soigneusement décrit, y prend une forme classiquement architecturale, mais c’est ici celle d’un monastère idéal, avec une église, des cellules, et surtout une « merveilleuse salle de marbre72 ». Ici, l’imagerie céleste ne fuit pas l’évocation de la nourriture et de la boisson :

  • 73De abbatibus, v. 721-722 et 775-787 (ma traduction) : « Ast pauimenta domus medii sub culmine temp (...)

Mais le sol de la maison sous le point central du toit du temple portait les trésors dorés d’une merveilleuse table [autour de laquelle siègent tous les moines défunts de son abbaye]. Puis lentement je me tournai vers le sommet du monastère, qui regardait vers le nord, accompagné de mon vieux maître ; là, de nombreux vases resplendissaient de gemmes merveilleuses, alors que d’autres, d’or, vibraient d’une lumière changeante, et pouvaient vraiment surpasser par leur beauté tous les objets de métal du monde, parce qu’ils étaient tirés d’un filon précieux. Parmi ceux-ci une table, chargée de mets divers et de toutes sortes de nourritures, offre les dons d’un repas. Il [Eadfrith] y prit un calice de verre, venu d’un filon de cristal, versa avec ses mains les dons de la liqueur sacrée et la bénissant par de pieuses prières, il servit à boire. Alors quand j’eus reçu les vins d’une saveur merveilleuse, je fis monter aux cieux la louange au Seigneur et l’action de grâce73.

  • 74  Ap 21.18-23 : les remparts de la Jérusalem céleste sont fait de nombreuses pierres précieuses.
  • 75  Gautier (2006), p. 125.
  • 76  Enright (1996), p. 75-77.
  • 77  C’est le cas après la vision de Dryhthelm chez Bède, ou après celle de Maximus chez Valerius du Bi (...)

22À travers cette vision, Æthelwulf reprend en partie l’imagerie du hall pour l’appliquer à la salle de festin céleste. La tradition héritée de l’Apocalypse, qui voit dans le paradis un lieu de lumière et de richesse matérielle, de pierres précieuses et de splendeur74, rejoint ici la tradition héroïque car le hall des guerriers et des princes est lui aussi toujours décrit comme brillant, doré, lumineux75. Comme dans le hall, une compagnie choisie est assise au festin (ici, la familia des défunts du monastère) ; comme dans le hall, l’acte alimentaire essentiel est la présentation d’une coupe, signe d’intégration à la familia et expression du fait que le nouveau venu y a sa place76. Il n’est donc pas innocent que, conformément au modèle77, le moine visionnaire meure peu de temps après avoir goûté à la nourriture céleste et avoir raconté à ses frères sa vision : ayant bu à la coupe du hall céleste, il réintègre rapidement la truste divine à laquelle il appartient désormais.

Ingérer et ruminer la parole

  • 78  Bède, Vita Cuthberti prosaica, ch. 28, éd. B. Colgrave, Two Lives of St Cuthbert, Cambridge, 3e éd (...)
  • 79  Magennis (1985b).
  • 80  Citation de 1P 2.9.
  • 81  Alcuin, Ep. 286, op. cit., p. 244-245 : « Vero filii estis sanctorum, vos nobile genus et regale s (...)

23La participation au banquet céleste, si ténue qu’elle soit, se prépare aussi ici-bas par l’incorporation de la parole céleste. Tout homme qui goûterait ardemment à la coupe de l’ivresse spirituelle serait amené, comme sous la plume d’Æthelwulf, à rejoindre la truste céleste. Bède explique ainsi comment l’ermite Hereberht, rendant visite à Cuthbert, fut abreuvé par lui de « gorgées de sagesse céleste », et mourut peu après78. Comme le guerrier dans le hall de son seigneur est beore druncen, enivré par la boisson et lié par là-même à son seigneur79, le moine a bu la parole, et doit donc rejoindre définitivement le comitatus auquel il vient de se lier. Alcuin écrit de même aux moines de Jarrow : « Vous êtes en vérité les fils des saints, la race noble et le sacerdoce royal80, nutriti dans l’Église du Christ81 ». Pour Alcuin, les moines sont, comme les foster-sons d’un prince, redevables envers le Christ de leur éducation et de leur nourriture, et ils lui doivent donc fidélité.

  • 82  Goscelin, Liber confortatorius, éd. C. H. Talbot, « The Liber confortatorius of Goscelin of Saint (...)
  • 83Soul and Body I, v. 142-143, ASPR, vol. 2, p. 58 : « Gefyldest me godes lichoman, gastes drynces.  (...)
  • 84Ibid., v. 39-41, p. 55 : « Ic ofþyrsted wæs godes lichoman, gastes drynces. »
  • 85Ibid., v. 112-126, p. 57-58.
  • 86  Bède, HEGA, V, 14, t. III, p. 90-95.
  • 87  Irving (1992), p. 133 et p. 150.

24L’ivresse que procure ici-bas la parole, avant-goût des festins célestes, est aussi mentionnée en lien avec l’eucharistie, nourriture céleste par excellence, mais seulement dans des textes plus tardifs. Dans la seconde moitié du xie siècle Goscelin de Saint-Bertin conseille à la recluse Ève de communier fréquemment « pour avoir, grâce à une telle nourriture, le Christ comme convive avec les saints anges » : ainsi, elle ne sera pas solitaire, mais goûtera par avance « aux festins de la paix éternelle82 ». Dans le poème L’Âme et le Corps I, une « bonne âme » rappelle à un « bon corps » qu’il a « jeûné sur la terre » et qu’il l’a « nourrie du corps de Dieu, de la boisson spirituelle83 ». Mais plus haut dans le même poème, une autre âme reproche à son corps de l’avoir trop nourrie de vin et de viandes terrestres, et de l’avoir ainsi « assoiffée du corps de Dieu, de la boisson spirituelle84 ». La répétition de ces deux expressions ne désigne pas nécessairement deux réalités distinctes, car la poésie anglo-saxonne se plaît à répéter deux fois la même chose de deux manières différentes. La punition en est la destruction du corps, qui devient lui-même matière à festin. En effet, le ver, qui « se nomme glouton », « invite les autres à l’abondance de nourriture, les vers au repas » : une longue description s’attarde alors sur la façon dont les vers se repaissent des différentes parties du corps du damné, et plus précisément de sa tête85. Continuant la métaphore du côté des Enfers, on dira donc que le mauvais chrétien est celui qui goûte trop à la coupe terrestre, qui s’abandonne à l’ivrognerie — celui par conséquent qui goûte par avance à la coupe d’une aula infernale et s’enrôle dans la truste diabolique, qu’il rejoint à terme par la damnation. C’est là une interprétation possible d’un épisode rapporté par Bède où un moine, bien que bon artisan et utile à son monastère, est « esclave de l’ivresse » : négligeant les offices, la prière et la parole de Dieu, il est entraîné en enfer86. Un enfer que la poésie religieuse anglo-saxonne décrit généralement comme une aula à l’envers, à l’instar des demeures des monstres dans la poésie héroïque87.

  • 88  Bède, HEGA, IV, 22, t. II, p. 330-341.
  • 89Ibid., IV, 22.4, p. 336 : « mundum animal ».
  • 90  Lv 11.3 ; cf. aussi Dt 14.6.
  • 91  Bède, HEGA, IV, 22.5, p. 340.
  • 92Ibid. : « Placidam ego mentem, filioli, erga omnes Dei famulos gero ».

25Le moine ivrogne de Bède s’oppose terme à terme au bouvier Cædmon, un autre personnage du même auteur, qui représente l’image idéale du poète chrétien anglo-saxon et le symbole même de cette convergence remarquable du monde du hall héroïque et de celui du monastère88. Cædmon est un personnage dont on peut dire, d’une certaine manière, qu’il est une « bouche pure ». Répondant parfaitement au commandement évangélique, il fait en sorte que rien d’impur ne sorte de sa bouche en fuyant le hall dès que s’approche de lui la harpe, qui le forcerait à chanter les carmina gentilia qu’il refuse de connaître. Au contraire, ce qui sort de sa bouche, c’est la louange et le chant sacré. Cette image est encore plus forte dans la comparaison qu’introduit Bède entre Cædmon et un ruminant : comme un « animal pur89 » (rappelons qu’un animal pur, selon la Loi juive, est celui qui a le sabot fendu et qui rumine90), Cædmon ingurgite les textes sacrés puis les régurgite sous forme de poèmes vernaculaires. Il est donc en tous points semblables au bon guerrier du hall : recevant ce qui est effectivement une nourriture (la Parole n’est-elle pas pour le moine aliment à manduquer ?) et une boisson (dont on peut s’enivrer), et même la nourriture et la boisson par excellence (car la Parole, bien sûr, n’est autre que le Christ), il rend à son seigneur, à celui avec qui cet acte alimentaire a créé un lien indissoluble, un service et une fidélité perpétuels. Cette analogie continue jusque sur son lit de mort où Cædmon, devenu moine, est le seul de sa communauté à avoir compris qu’il allait mourir et demande à recevoir l’eucharistie. Ses frères se récrient : pourquoi faire une telle demande ? il ne va pas mourir tout de suite, puisqu’il parle aussi gaiement que s’il était en parfaite santé. Remarquons au passage que Cædmon se distingue par sa joie, puisqu’il parle hilariter91 : or la joie (wynn) est une des modalités essentielles de la parole, et même du brouhaha, du hall. Mais le mourant insiste et on lui apporte la communion. Sa dernière confession est, dans une certaine mesure, une réponse à l’ingestion de l’eucharistie, et donc une ultime rumination : « Je m’en vais l’esprit tranquille, mes petits enfants, en présence de tous les familiers de Dieu92. » Le terme important, ici, est bien entendu famulos : en acceptant cette ultime nourriture de son seigneur/Seigneur, Cædmon accepte de rentrer définitivement dans sa familia, de devenir un compagnon éternel du Roi des cieux. Cædmon se révèle donc, à travers sa vie et son œuvre, comme un trait d’union par excellence entre les deux mondes, permettant l’importation au cœur même du monastère des formes poétiques traditionnelles et des images qui les accompagnent. Du moins est-ce ainsi que Bède le présente.

  • 93  Sur cette idée de « payer pour son hydromel », que l’on retrouve dans la poésie galloise et dans l (...)

26On peut donc dire qu’une grande partie de la littérature et en particulier de la poésie vernaculaire anglo-saxonne s’inscrivait, dans son projet et dans sa forme, dans la logique de textes comme le Heliand saxon, transposant et paraphrasant les textes du canon chrétien dans le vocabulaire et avec les automatismes de la poésie héroïque. Mais elle le faisait sur un plan bien plus spirituel et bien moins matériel. Ces textes supposent en réalité une fusion étonnante et originale des valeurs chrétiennes et de celles de l’aristocratie laïque. Bien ancrés dans leur époque, ils sont pénétrés des valeurs guerrières de fidélité au seigneur, de loyauté dans les rapports interpersonnels, de constance dans le combat : et, tout comme dans le monde laïque, ces valeurs peuvent être exprimées par l’acte de boire ce que le seigneur offre à son homme, en échange de quoi ce dernier lui doit sa fidélité93. Bien que souvent dépourvus d’images corporelles, ces textes ne peuvent se départir d’une vision de la sociabilité céleste exprimée dans les mêmes termes que la sociabilité terrestre, celle des fidélités où le guerrier offre son bras et son sang à un seigneur qui l’abreuve et le nourrit. Seule la mention explicite de la nourriture est abandonnée dans le processus de transfert du vocabulaire héroïque vers le vocabulaire religieux : mais cet abandon même est signifiant et doit être expliqué. De fait, la réticence ne concerne pas seulement les festins célestes, elle touche toutes les allusions à la nourriture dès que l’on approche des textes vernaculaires à portée religieuse, en particulier les textes poétiques.

  • 94  Magennis (1999), p. 64.

27On pourrait donc dire de la poésie religieuse anglo-saxonne, latine et vernaculaire, qu’elle était une poésie écartelée : écartelée entre une tradition héroïque — née de l’oralité et héritière de pratiques antérieures à la conversion — et une tradition écrite — scripturaire, patristique ou hagiographique — qui proposaient l’une comme l’autre des images corporelles. Hugh Magennis a pu écrire que « le registre de la poésie anglo-saxonne n’incluait généralement pas le corps matériel94 » : il me semble au contraire qu’il était bien présent dans la poésie héroïque, et même d’une manière qui pouvait aisément faire écho aux images corporelles de la tradition spirituelle chrétienne. Entre les deux traditions, certaines images étaient étonnamment semblables : l’ivresse spirituelle, le Christ comme nourriture, le rituel à la fois fraternel et hiérarchique de l’eucharistie auraient pu rejoindre des motifs héroïques bien connus des auditoires, tant cléricaux que laïcs. Est-ce pour cette raison même que de telles images mettaient mal à l’aise les clercs anglo-saxons ?

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Notes

1  Mt 22.30. Les citations bibliques seront faites d’après la Vulgate : Biblia sacra iuxta vulgatam versionem, éd. R. Weber, Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 4e éd., 1994. Les abréviations des livres bibliques sont celles de la Bible de Jérusalem.

2  Lc 24.36-43.

3  Je renvoie aux réflexions esquissées dans Gautier (2014).

4  Ladaria (1995), ici p. 445.

5  Le Goff (1981), ici p. 889.

6  Ladaria (1995), p. 446-448 ; Carozzi (1994), p. 90-95.

7  Le Goff (1981), 1re partie : « Les Au-delà avant le purgatoire », p. 793-925 ; Carozzi (1994).

8  Le Goff (1981), p. 911 ; Carozzi (1994), p. 208 sq, p. 243 sq.

9  Je renvoie, entre autres discussions de cette question, aux articles de Schmitt (2001), en particulier « Une histoire religieuse du Moyen Âge est-elle possible ? » (p. 31-41), « La croyance au Moyen Âge » (p. 77-96), et surtout « Les traditions folkloriques dans la culture médiévale » (p. 129-152), où l’auteur montre que c’est au xiiie siècle que commence le processus de constitution par les literati eux-mêmes de la « culture populaire » en tant qu’objet séparé (et donc rejeté) de la culture officielle.

10  Gautier (2006), p. 234-241 ; Gautier (2011) ; Gautier (2017).

11  On retrouve dans ce mot la racine du mot anglais contemporain heaven.

12  Le mot wang signifie « prairie » ; le sens du premier composant pourrait signifie « non proche », mais cela reste discuté. Le terme est aussi utilisé pour décrire le paradis terrestre du début de la Genèse : Magennis (1996), p. 145 ; Hordis (2015).

13  Kabir (2001).

14  Magennis (1999), p. 137.

15  Albert (1991).

16  Solignac (1983).

17  Aldhelm, Prosa de Virginitate, ch. 30, éd. R. Ehwald R., Aldhelmi Opera, MGH Auct. Ant., XV, Berlin, 1919, p. 269 : « supernorum convivia […] glorificarentur. »

18Collectanea Pseudo-Bedae, § 388, éd. M. Bayless et M. Lapidge, Scriptores Latini Hiberniae, XIV, Dublin, Dublin Institute for Advanced Studies, 1998, p. 196 : « Et perduc me ad conuiuium epularum tuarum, ubi epulantur tecum omnes amici tui. »

19  Alcuin, Ep. 34, éd. E. Dümmler, Alcuini sive Albini epistolae, MGH Ep., IV, Berlin, 1895, p. 75-76 : « huius te calicis mero inebrierare » ; « delectationes corporis. »

20  Alcuin, Quaestiones in Genesim, § 266, dans J.-P. Migne, PL, C, col. 515-566 : « Quomodo de viro sancto Joseph intellegere debemus, quod inebriasset fratres suos ? (Gn 43.34) — Ebrietas secundum Hebræam linguam pro satietate ponitur, sicut in psalmo : Visitasti terram et inebriasti eam. Et iterum : Inebriantur ab ubertate domus tuæ. »

21  Alcuin, Carmen 32, v. 7-12, éd. E. Dümmler, Poetae Latini Aevi Carolini, MGH Poet., I, Berlin, 1881, p. 249-250 : « solidos sumere cibos », « fortia potere Falerna ».

22  Alcuin, Ep. 158, op. cit., p. 256-257 : « Curremus simul, donec introducat nos rex in cellam vinariam ordinans in nobis suae caritatis suavitatem. »

23  Sur cette pratique, cf. par ex. Bischoff (1967).

24  Ct 1.3 : « introduxit me rex in cellaria sua ».

25  Magennis (1986b).

26  Wulfstan, Homilies, V (« The Last Days »), l. 114-120, éd. D. Bethurum, The Homilies of Wulfstan, Oxford, Clarendon Press, 1957, p. 141.

27  O’Keefe (1990), p. 191.

28  Bède, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, IV, 22, éd. A. Crépin et M. Lapidge, trad. P. Monat et P. Robin, Paris, Cerf (« Sources chrétiennes », vol. 489-491), t. II, p. 330-341 [désormais HEGA].

29  Murphy (1989) ; Magennis (1985a).

30  Magennis (1986b).

31  Le Goff (1981), p. 893-894 ; Carozzi (1994), p. 99-138 ; Kabir (2001), p. 85-86. La vision de Fursy, d’abord incluse dans la Vita sancti Fursei du milieu du viie siècle (mais omise dans l’édition des deux versions de la vita par B. Krusch, MGH SRM, IV, Hanovre, 1902), est rapportée par Bède, HEGA, III, 19, t. II, p. 104-107. La Visio Fursei est éditée par Carozzi (1994), p. 679-692.

32Navigatio sancti Brendani, éd. G. Vincent, sur le site « Bibliotheca Augustana » [en ligne, http://www.hs-augsburg.de/~harsch/Chronologia/Lspost10/Brendanus/bre_navi.html] (page consultée le 24/6/2017). Trad. angl. J. F. Webb, « The Voyage of St Brendan », dans Webb (1998), p. 231-267.

33Ibid., ch. I : « terra repromissionis sanctorum », « ante portam Paradisi ».

34  Dont le nom rappelle étrangement celui du moine Barontus, l’un des visionnaires de l’Au-delà au viie siècle : Carozzi (1994), p. 139 sq.

35Ibid., ch. I : « sine cibo et potu », « Ibi in tantum habuimus de satietate corporali ut ab aliis videbamur repleti musto ».

36Ibid., ch. XXXVII (ch. 28 chez Webb) : « Accipiebant tantum de pomis et de fontibus bibebant ».

37Ibid., ch. XXV (ch. 18 chez Webb) : « Ita per XL dies reficiebantur de uvis et herbis seu radicibus fontium. »

38Annales Bertiniani, s. a. 839, éd. F. Gras, J. Vieillard et S. Clémencet, Paris, Société de l’Histoire de France, 1964, p. 28. Cette « Visio presbyteri » est traduite et commentée par Dreillard 2011).

39  Carozzi (1994), p. 66-69.

40  Marrou (1985), p. 102-103 ; Février (1977).

41  Par exemple dans l’Apocalypse de Paul, texte du iiie siècle analysé par Le Goff (1981), p. 817-820.

42  Boniface, Ep. X, éd. M. Tangl, Die Briefe des Heiligen Bonifatius und Lullus, MGH Ep. Sel., I, Berlin, 1916, p. 7-15 ; Carozzi (1994), p. 199 ; Sims-Williams (1990).

43  Le Goff (1981), p. 907.

44  Bède, HEGA, V, 12.1, t. III, p. 68-85, ici p. 68 : « quidam aliquandiu mortuus ad uitam resurrexit corporis ».

45  Le Goff (1981), p. 886.

46  Carozzi (1994), p. 210.

47Ibid., p. 250.

48Ibid., p. 239.

49  Homélie n° 9, l. 185-205, éd. D. G. Scragg, The Vercelli Homilies and Related Texts, Oxford, Oxford University Press, vol. 300, 1992 (Early English Texts Society, Original Series), p. 180-182 ; Kabir (2001), p. 70.

50  Kabir (2001), p. 147-149.

51  Hume (1974) ; Gautier (2006), p. 180-185.

52  Bède, Vita Cuthberti metrica, v. 141 et v. 204, éd. W. Jaager, Bedas metrische Vita sancti Cuthberti, Leipzig, Mayer & Müller, 1935 p. 68 et 73.

53  Hume (1974).

54Christ I, v. 4, éd. G. P. Krapp et E. V. K. Dobbie, Anglo-Saxon Poetic Records (désormais ASPR), vol. 3, Londres, 1936, p. 3 : « heafod healle mære ».

55  Ap 21.1-27.

56  Riché (1976).

57Beowulf : Édition diplomatique et texte critique, traduction française, commentaire et vocabulaire, éd. A. Crepin, Göppingen, 1991, vol. II, p. 561-562.

58Christ III, v. 1027-1028, ASPR, vol. 3, p. 31 : « Þonne eall hraðe Adames cynn onfehð flæsce ».

59Judgment Day II, v. 258, ASPR, vol. 6, Londres, Routledge, 1942, p. 65 : « oððe hunger oþþe þurst oððe heanlic slæp ».

60  Lee (1972), passim.

61Fates of the Apostles, v. 32-33, ASPR, vol. 2, Londres, Routledge, 1932, p. 52 : « swegle dreamas », « beorht boldwela ».

62  Ap 4.4.

63  Magennis (1986a).

64  Magennis (1999), p. 59-64.

65  Gautier (2006), p. 62. Voir aussi Sansterre (2009).

66The Dream of the Rood, v. 139-143, ASPR, vol. 2, p. 65 (ma traduction) : « Þær is blis mycel, / dream on heofonum, þær is dryhtnes folc / geseted to symle, þær is singal blis, / ond me þonne asette þær ic syþþan mot / wunian on wuldre, well mid þam halgum / dreames brucan. »

67  Lapidge (1999), p. 6.

68Æthelwulf : De abbatibus, éd. A. Campbell, Oxford, Clarendon Press, 1967, p. xxiii.

69  Howlett (1975).

70  Carozzi (1994), p. 304-310.

71  Une telle description semble relativement classique ; à la fin du viie siècle, Valerius du Bierzo décrit déjà une cellula d’or dans le paradis : voir Carozzi (1994), p. 76-77.

72De abbatibus, v. 720 : « aula marmore premira ».

73De abbatibus, v. 721-722 et 775-787 (ma traduction) : « Ast pauimenta domus medii sub culmine templi / aurea mirifice portabant munera mense […]. / Hinc ergo me sensim, prisco comitante magistro, / conuerti ad culmen cellae, que respicit Arcton, / plurima qua miris micuerunt uascula gemmis. / Ast alia ex auro uariato lumine uibrante, / ornatuque suo mundi superare metalla, / omnia iam poterant, pretioso germine facta. / Haec inter dapibus diuersio mensa refecta / omnigenisque aepulis escarum munera profert. / Sumpserat hinc calicem uitrei de uena metalli, / hauserat et manibus uenerandi dona liquoris, / sanctificansque piis precibus potumque ministrat. / Ast ubi preceperam mirandi uina saporis, / in celos domino laudes gratesque rependi. »

74  Ap 21.18-23 : les remparts de la Jérusalem céleste sont fait de nombreuses pierres précieuses.

75  Gautier (2006), p. 125.

76  Enright (1996), p. 75-77.

77  C’est le cas après la vision de Dryhthelm chez Bède, ou après celle de Maximus chez Valerius du Bierzo.

78  Bède, Vita Cuthberti prosaica, ch. 28, éd. B. Colgrave, Two Lives of St Cuthbert, Cambridge, 3e éd. 1985, p. 248-249 : « Qui dum sese alterultrum coelestis sapientiae poculis debriarent. »

79  Magennis (1985b).

80  Citation de 1P 2.9.

81  Alcuin, Ep. 286, op. cit., p. 244-245 : « Vero filii estis sanctorum, vos nobile genus et regale sacerdotium, in ecclesia Christi nutriti. »

82  Goscelin, Liber confortatorius, éd. C. H. Talbot, « The Liber confortatorius of Goscelin of Saint Bertin », Studia Anselmiana, 37, Analecta Monastica, 5e série, 1955, p. 1-117, ici p. 90 : « Talis cibo Christum cum sanctis angelis conuiuam habitura […] non eris solitaria, sed in fortitudine cibi celestis transibis letabunda ad eterne pacis conuiuia. »

83Soul and Body I, v. 142-143, ASPR, vol. 2, p. 58 : « Gefyldest me godes lichoman, gastes drynces. »

84Ibid., v. 39-41, p. 55 : « Ic ofþyrsted wæs godes lichoman, gastes drynces. »

85Ibid., v. 112-126, p. 57-58.

86  Bède, HEGA, V, 14, t. III, p. 90-95.

87  Irving (1992), p. 133 et p. 150.

88  Bède, HEGA, IV, 22, t. II, p. 330-341.

89Ibid., IV, 22.4, p. 336 : « mundum animal ».

90  Lv 11.3 ; cf. aussi Dt 14.6.

91  Bède, HEGA, IV, 22.5, p. 340.

92Ibid. : « Placidam ego mentem, filioli, erga omnes Dei famulos gero ».

93  Sur cette idée de « payer pour son hydromel », que l’on retrouve dans la poésie galloise et dans la poésie anglo-saxonne, voir par ex. Rowland (1990).

94  Magennis (1999), p. 64.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alban Gautier, « Un paradis sans corps ? Festins célestes et ivresses spirituelles dans l’Angleterre anglo-saxonne »Revue des langues romanes, Tome CXXIII N°2 | 2019, 243-268.

Référence électronique

Alban Gautier, « Un paradis sans corps ? Festins célestes et ivresses spirituelles dans l’Angleterre anglo-saxonne »Revue des langues romanes [En ligne], Tome CXXIII N°2 | 2019, mis en ligne le 01 décembre 2020, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/2022 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rlr.2022

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Auteur

Alban Gautier

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