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Critique

Théodore Blanc, As paysans coume jou, Aux paysans comme moi. Chroniques politiques gasconnes de la Gironde du dimanche (1869-1971) et œuvres diverses. Traduites et présentées par Guy Latry

Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2017, 505 p.
Claire Torreilles
p. 459-464
Referéncia(s):

Théodore Blanc, As paysans coume jou, Aux paysans comme moi. Chroniques politiques gasconnes de la Gironde du dimanche (1869-1971) et œuvres diverses. Traduites et présentées par Guy Latry. Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2017, 505 p.

Tèxte complet

1La découverte et la publication par Guy Latry de plus de cent cinquante chroniques de Théodore Blanc dans le journal républicain La Gironde du dimanche, allant de 1869 à 1871, donne à cet ouvrier typographe originaire du Bouscat, auparavant connu comme rimeur local et auteur d’almanach, un statut d’écrivain politique et une entrée en littérature occitane.

2À partir d’un lieu qui comprend Bordeaux et les villages de la campagne maraichère et viticole, le journaliste témoigne de la période tumultueuse qui va de la fin de l’Empire aux débuts de la République : le second plébiscite en faveur de Napoléon III, la déclaration de guerre, Sedan et la honteuse reddition de l’Empereur, « en calèche, la cigaréte à la bouque ! », la République si vite arrivée « chens une goutte de sang », la guerre en France et le siège de Paris, l’héroïsme de Gambetta, les élections de février 1871, l’Assemblée à Bordeaux, la Commune.

3Son regard sur la société de son temps et sur les événements est celui d’un républicain modéré, en accord avec l’orientation du journal La Gironde. C’est surtout celui d’un homme du peuple convaincu et proche du public qu’il veut convaincre, des ouvriers et des paysans dont il connaît la vie, les manières de penser et de parler. « As paysans coume jou » dit-il, par fidélité à ses origines, mais il dit aussi : « nous aouts, oubreys », par solidarité de classe.

4Le seul usage de la langue de la conversation quotidienne crée, comme souvent dans la prose politique, de la connivence. Une langue fluide et claire, sans recherche de couleur locale, pour un discours abondant. Les chroniques hebdomadaires suivies forment parfois un texte long sous un même titre : « L’électurt daou billatche », « Guillaoume », « Lou manturt », « Caoufrés ».

5En outre, le genre du dialogue en patois, pratiqué depuis un siècle, est un bon vecteur du débat politique populaire. Il permet d’informer et de persuader, en parlant familièrement de sujets comme la paix et la guerre, les campagnes dépeuplées au profit des casernes, les lois militaires, les libertés, les impôts, les lois électorales. Les discussions ont pour cadre les chemins de vignes, la place de l’église le jour des Rameaux ou le salon de coiffure et opposent le maire, généralement bêta, aux ordres du préfet, et des citoyens à la répartie facile, Arnaud, Guillaume ou Michel, paysans pleins de bon sens, de culture politique et d’humour.

6Sous l’Empire, en 1869 et 1870, Théodore Blanc joue avec brio son rôle d’agent électoral, que ce soit lors des élections municipales, pour inciter les paysans à choisir les plus intelligents et non les plus serviles, ou lors du plébiscite de mai 1970 à l’occasion duquel il fait le bilan désastreux de dix-huit ans de régime impérial. Son discours prend volontiers la forme du récit national. Depuis la répression des opposants au Coup d’État, parmi lesquels se trouvait son père, il martèle que l’Empire a toujours fait la guerre, réprimé les mouvements ouvriers, engraissé les nantis et favorisé le gaspillage des possédants. Il dénonce les slogans officiels et le paternalisme des grands propriétaires et désire provoquer un sursaut de conscience populaire : « Adare acos a nous-aouts, Francés, à nous tira d’aquet mechan pas ! »

7Il veut encore acclimater les paysans à l’idée de République et en modifier l’image sans brusquerie. Que les républicains ne sont ni des misérables, ni des égorgeurs ni des partageux, il ne manque aucune occasion de le faire comprendre, même s’il doit prendre pour exemples — bien discutables — Amédée Larrieu ou Jules Simon, de riches candidats républicains nullement prêts à partager leur fortune ! Et s’il commence une chronique sur le droit par une question bénigne : « D’oun bén que jou, paysan que suy, n’ey pas poou de la République ? », il poursuit en convoquant la mémoire nationale de la République de 89, celle qui a déclaré que les hommes étaient égaux et libres, et qu’un peuple est maître de ses destinées, « meste de ses destinades ».

8Blanc est un chroniqueur habile, sachant jouer de tous les tons, de tous les genres, usant du procédé symbolique, de la fable, de la légende, du récit burlesque ou édifiant pour donner à son discours militant la vivacité et l’efficacité requises.

9Mais l’exercice devient plus difficile, paradoxalement, à partir de l’installation de la République le 4 septembre 1870, en pleine guerre. Les scènes de violence font irruption dans le paysage : statue de Napoléon III jetée à terre et traînée dans la Garonne par le peuple en colère, récits du siège de Paris envoyé aux Bordelais par un message en ballon, sauvagerie des soldats prussiens et misère des Français. Pour soutenir le peuple en armes, voici que le pacifiste entonne la harangue guerrière et prône l’union sacrée : « Partén ! », « Couratje ! », « Réléouen-nous ! ». Et quand, le 8 février 1871, les « ruraux » envoient à l’Assemblée une écrasante majorité de monarchistes, le désespoir de Blanc se tourne en colère. Il donne à voir, avec les yeux d’un certain Bernardot de la Queyrote, honteux de son « vote rural », la séance historique du 13 février de l’Assemblée au Grand Théâtre de Bordeaux. Au silence qui se fait pendant l’intervention de Thiers succède le vacarme des aristocrates « jappayres » qui interrompent le discours de Victor Hugo et causent sa démission. Il n’y a rien à attendre de cette assemblée bientôt versaillaise, et l’idéal démocratique de Théodore Blanc trouve de moins en moins d’arguments pour soutenir le régime. Il s’exclut alors du monde des paysans et n’a pas de mots assez forts pour fustiger leur aveuglement, leur égoïsme et leur ignorance : « praoubes pecs », « praoubes ignourèns », « Bous faou un rey, pas bray ! » Il en vient à désespérer du suffrage universel lui-même.

10Détruisant ses dernières illusions, la Commune le met en rage. Il commence par s’en désolidariser : « Aquits misérables que troublen l’ordre né soun pas das républicains », et veut croire que la France restera républicaine, que la révolte ne durera pas ni ne s’étendra en province. Mais les événements le laissent sans voix, ou plutôt lui font prendre, comme dit Guy Latry, « le détour de la fiction ». La chronique se présente en effet, du 2 avril au 18 juin, sous la forme d’un étonnant roman-feuilleton. En quelque sorte le roman du malheur français. Sous le titre Caoufrés, lou mobile daou 3e batailloun, il raconte la traversée de la France, d’ouest en est, de deux jeunes Bordelais, Caoufrès, ouvrier imprimeur, et Hortense, prostituée au grand cœur, qui, comme Candide et Cunégonde, se cherchent toujours et ne se trouvent jamais. Ils sont entraînés dans la tourmente de l’hiver 1870-71 à la suite du troisième bataillon de la Gironde qui est fait prisonnier en Suisse. L’analepse est significative d’un refus du présent indicible. Elle permet aussi de prendre du recul, loin des bois, vignes et jardins, pour plonger les lecteurs dans la boue et la détresse de la guerre. À juste titre, Guy Latry rapproche cet essai romanesque du Nouvè Grané de Victor Gelu, qui dépayse le héros et l’initie aux dangers du monde moderne. Le journaliste avait tenté, à plusieurs reprises, d’intégrer des récits en vers à sa chronique, comme La médaille é soun rebert, sous prétexte de peindre les mœurs du temps. Mais Coufrés s’interrompt sans commentaire et, le même jour, le journal publie une lettre au rédacteur annonçant une ultime adresse aux paysans à l’occasion des élections complémentaires de juillet. Cette lettre se termine par un « Adichat, lectur » définitif.

11Théodore Blanc disparaît à Toulouse en 1880, à presque quarante ans. Son œuvre comprend, outre les chroniques, divers poèmes comme La pénitènce. Coumbersatioun dé dux bigneyrouns das émbirous de Bourdèou ; L’Electioun. Prepaous tingut per dux electurs daou Bouscat ; Lou supplice d’un paysan, ainsi que plusieurs numéros d’un Armanac bourdelés pour 1869 et d’un Armanac gascoun pour 1874 où s’exprime, sous une forme plus traditionnelle, l’engagement politique. Lou Raouzelet est le numéro unique du 17 juillet 1870 d’une revue dont il est le seul rédacteur, comme une tentative de poursuivre en franc-tireur la chronique de La Gironde du dimanche. On en retient, alors que l’auteur est en général peu prolixe sur son choix de langue, une belle allégorie de la Langue gasconne en vieille femme déguenillée, abandonnée de tous, même dans les villages, même dans les marchés de Bordeaux où elle régnait du temps de Meste Verdié.

12La publication par Guy Latry de l’ensemble de ces textes, dont certains avaient été notés par Édouard Bourciez, remarqués et commentés par Alain Viaut, apporte donc à l’œuvre une cohérence qui n’apparaissait pas et, véritablement, une existence littéraire. Le fait qu’elle s’inscrive dans le contexte de L’écrit politique en occitan en Gironde (1860-1914), pour citer le titre de la thèse de David Escarpit, la rend encore plus significative. Car c’est tout un continent des lettres d’oc que, depuis quelques années, les chercheurs de l’université de Bordeaux font émerger, par une série de volumineuses publications de la collection Saber, des Leutres a l’Henri, chroniques politiques gasconnes du Travailleur landais de P. Roumegous, en 2014, à ces deux volumes parus simultanément en 2017, les Chroniques politiques gasconnes de Théodore Blanc et les 549 pages de Folies électorales, Le manuscrit Codersac, Véridique récit en vers gascons et français d’une élection au Conseil général de la Gironde au xixe siècle, édition établie et présentée par David Escarpit.

13En Bordelais, la veine de l’écrit politique républicain en occitan s’est généreusement et diversement exprimée à la fin du xixe siècle et au début du xxe, en dehors, semble-t-il, de l’influence du Félibrige. Son exploration actuelle, exemplaire à plus d’un titre, en fait une source — bilingue — de réflexion historique et linguistique.

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Claire Torreilles, «Théodore Blanc, As paysans coume jou, Aux paysans comme moi. Chroniques politiques gasconnes de la Gironde du dimanche (1869-1971) et œuvres diverses. Traduites et présentées par Guy Latry»Revue des langues romanes, Tome CXXII N°2 | 2018, 459-464.

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Claire Torreilles, «Théodore Blanc, As paysans coume jou, Aux paysans comme moi. Chroniques politiques gasconnes de la Gironde du dimanche (1869-1971) et œuvres diverses. Traduites et présentées par Guy Latry»Revue des langues romanes [En linha], Tome CXXII N°2 | 2018, mes en linha lo 01 décembre 2018, consultat lo 11 septembre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/1198; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rlr.1198

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Autor

Claire Torreilles

Université Paul-Valéry Montpellier 3, LLACS EA 4582

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