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HomeNumérosTome CXXII N°2VariaSièm Occitans en prumièr o […] si...

Varia

Sièm Occitans en prumièr o […] sièm pas ren du tot : une allocution d’Yves Rouquette (2009). Édition d’extraits, avec une introduction, des notes et une étude des diatopismes remarquables

Jean-Pierre Chambon, Marjolaine Raguin-Barthelmebs and Jean Thomas
p. 423-456

Abstracts

This contribution aims to give a philologically correct edition of extracts from an Occitan contemporary oral text which makes sense for the history of Occitan literature and the Renaissance movement. The speaker is the great Occitan writer Yves Rouquette (1936-2015). The treatment of the document strives to satisfy the editorial requirements most often reserved to Occitan medieval literary texts: a presentation of the speech and its context, an elaboration of editing criteria adapted to the document, an establishment of the text in the orthography used by Yves Rouquette in his literary work, a critical apparatus of a particular type (giving an account of the speaker's gestures, of some phonetic and phonostylistic realizations, speech misses, etc.), explanatory notes interpreting in detail the meaning of the text, a translation, and a study of the most local features of the speaker's Occitan variety (identifiable with that of Camarès, Aveyron).

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Full text

« Ce que la voix dit est beaucoup plus
visible que ce que les yeux lisent » (Rouquette 2004, 9)

1Le 25 juillet 2009, Yves Rouquette (dorénavant Y. R.) prit la parole lors d’un banquet organisé par le Partit de la Nacion Occitana (olim Parti nationaliste occitan). Des extraits de cette allocution ont été conservés grâce à un enregistrement vidéo réalisé par Miquèu Gravier (s. d.).

Introduction

  • 1 Abrate (2001), par exemple, cite des interviews, mais ne les édite pas.

2L’édition que nous proposons, qui se veut philologique, s’efforce de répondre à l’appel d’Alberto Varvaro (2012, 29) en faveur de l’extension de la philologie (romane) au traitement des textes oraux et en premier lieu de ceux qui — comme l’allocution d’Y. R. — « sono insieme orali e non privi di carattere letterario ». Dans le cadre des études occitanes, ce genre de traitement fait défaut, à notre connaissance1. C’est pourquoi notre travail est, dans une certaine mesure, expérimental.

Qui parle ?

  • 2 Lafont/Anatole (1970, 2, 812-813).
  • 3 Sur différents aspects de la vie et de l’œuvre, voir Kirsch (1965, 76-78), Lafont-Anatole (1970, 2, (...)
  • 4 Pour la seconde date, voir Rouquette (2004, 14) et Roqueta (2009a, 20).

3Le locuteur est Y. R. (1936-2015), l’un des principaux auteurs occitans de la seconde moitié du xxe siècle et du début du xxie. Figure de proue de la « génération de 1956 »2 puis du mouvement des « poètes de la décolonisation »3, il fut aussi, des années 1950 à 19824, l’un des principaux acteurs du mouvement renaissantiste d’oc (occitanisme moderne et occitanisme politique).

Quand et où ?

  • 5 Le 17 juillet 2009, le PNO renouvelait par voie électronique l’invitation au banquet qu’il organisa (...)
  • 6 Voir PNO (2009). Rendez-vous était pris à 12 h 30.
  • 7 Sur le PNO, voir Abrate (2001, 493-505, 518) et Jeanjean (1992, 49-50, 54-55, 63-64).
  • 8 Voir PNO (2009), Grande (2015), Viaule (2015, 7).

4L’allocution peut être précisément datée : samedi 25 juillet 2009 à la mi-journée5. Âgé alors de 73 ans (2), Y. R. prit la parole à Rodez, à l’Hôtel du Midi (1, rue Béteille), au cours d’un « repas amical »6 organisé dans le cadre de l’Estivada par le Parti de la Nation Occitane (PNO) à l’occasion du cinquantième anniversaire du PNO et du quatre-vingtième anniversaire de la naissance de son fondateur François Fontan (1929-1979)7. Deux drapeaux du PNO flanquaient la table d’honneur. Y. R. était l’invité d’honneur et le président de ce banquet8. Il parle debout, sans micro et sans notes, depuis le centre de la table d’honneur, face à l’assistance.

À qui ?

5Tout porte à croire que l’auditoire était principalement composé d’adhérents ou de sympathisants du PNO. Ce destinataire collectif oriente les propos de l’invité de marque vers la figure et les idées de François Fontan ; l’orateur évoque brièvement Jacques Ressaire, successeur de Fontan à la présidence du PNO (18-26). Plusieurs interventions manifestent l’assentiment du public.

Dans quelle langue ?

6Mis à part trois citations françaises (9-11, 52-53, 57-58), un court segment de code switching (76) et deux mots français en mention (76, 78), l’allocution est prononcée en occitan. Les auditeurs interviennent presque toujours en occitan. On verra (ci-dessous § 4) que la variété diatopique employée par Y. R. coïncide pour l’essentiel avec celle de Camarès.

Le genre textuel et le style

  • 9 Le mot taulejada est employé par le PNO dans l’invitation qu’il avait lancé (PNO 2009).
  • 10 À telles enseignes que « le rituel de [la] “taulejado” (banquet) est défini dans le règlement intér (...)
  • 11 On se souvient notamment de la description de la taulejada de la Santa Estèla del Centenari (Boudou (...)
  • 12 Voir Discours e Dicho de Frédéric Mistral (Avignon, 1906).

7Les circonstances énonciatives s’inscrivent dans une longue tradition : celle de la taulejada (“banquet”)9, un rite social depuis longtemps caractéristique du mouvement renaissantiste d’oc10 (et parfois thématisé de manière critique par la littérature occitane dans la seconde moitié du xxe siècle)11. L’allocution de taulejada — le plus souvent un discours écrit à l’avance et parfois publié, au moins dans la presse renaissantiste, — doit être tenue pour l’un des genres mineurs de la littérature occitane contemporaine12. Attendue mais improvisée, l’allocution de Rodez s’insère pleinement dans ce genre mineur et donne une idée des qualités d’orateur-improvisateur d’Yves Rouquette : « Je ne sais pas ce que je vais dire lorsque je prends la parole. […] / La pensée se fait en parlant. Je suis orateur, mais pas de ceux qui composent leur discours. J’utilise toutes les ressources que j’ai, de vocabulaire, de syntaxe, sans savoir à l’avance ce que je vais choisir, donc en utilisant tout. / J’aime profondément cela » (Rouquette 2004, 10).

  • 13 Accents emphatiques et/ou par les coupes syllabiques ; répétitions (29 et 37, 35, 47, 48, 71-72, 90 (...)

8Le public destinataire — « sièm entre nautres » (42) — explique le style de langue peu formel, mais non dépourvu de quelques irruptions poétiques, et le ton souvent familier, détendu et complice. L’orateur se plaît cependant à prendre parfois ses auditeurs à contre-pied (44-47, 77-78, 112-114). Le débit est généralement assez lent, parfois didactique. De nombreux mots, syntagmes ou phrases sont mis en relief de la voix13. Y. R. accompagne son propos de gestes et de mimiques expressives.

Le contenu

9Les cinq extraits édités ci-dessous, de longueur fort inégale, concernent surtout (i) l’histoire du mouvement occitan à travers les relations d’Y. R. et de François Fontan (1-89) et (ii) l’affaire du refus par la revue Viure de L’estrangier del dedins de Jean Larzac (90-104). Bien plus brièvement : (iii) l’affirmation de la primauté de l’identité nationale occitane (105-109) et (iv) les rapports tactiques avec le Félibrige (110-113). Un épilogue très bref (v) rappelle « la seule chose qui compte : la nation » (114-115).

  • 14 Sur les positions d’Y. R. et de son frère Jean Larzac au sein de l’occitanisme politique, voir Abra (...)
  • 15 Dès 1965, Y. R. exprimait assez longuement son jugement, positif, somme toute, sur le PNO et son rô (...)
  • 16 Viaule 2015, 7 ; Grande 2015. C’est ainsi qu’Y R. soutiendra les candidats du PNO aux élections eur (...)
  • 17 Le banquet de Rodez ne manque pas d’être rappelé dans les deux nécrologes que nous venons de mentio (...)

10Ces extraits permettent de mieux saisir, au-delà des divergences anciennes avec Fontan, la continuité de la pensée d’Y. R., présentée ici comme fondée de longue date sur l’idée de nation occitane14. L’orateur s’attache à persuader son auditoire qu’il partage depuis longtemps l’essentiel avec le PNO15, sans qu’il s’agisse pour autant d’un ralliement de sa part. De fait, selon les nécrologes publiés en 2015 par le PNO, Y. R. était devenu, « pauc a cha pauc, simpatisant del Partit de la Nacion Occitana »16. L’allocution de 2009 marque une étape significative — puisque publique — dans ce processus de rapprochement17.

11Des extraits choisis

12Il est bon de rappeler enfin qu’on va lire des extraits choisis. La sélection a été opérée par l’auteur de la vidéo dans la perspective du PNO (Miquèu Gravier est co-président de ce parti).

Principes d’édition

13Nous éditons le texte (ci-dessous § 3) d’après l’enregistrement vidéo de Miquèu Gravier (s. d.) disponible sur le site http://lo.lugarn-pno.over-blog.org/​article-35388831.html (consulté en avril et mai 2015).

  • 18 Notre transcription conserve évidemment tous les particularismes morphologiques, syntaxiques et lex (...)
  • 19 Cette graphie n’a pas été conçue pour noter orthographiquement l’occitan réel, mais pour sélectionn (...)

14Au même titre que toute autre édition, « les transcriptions d’enregistrements sont différentes selon les buts qu’on se fixe pour l’étude » (Blanche-Benveniste/Rouget/Sabio 2002, 9). Considérant l’allocution d’Y. R. comme une source d’histoire littéraire et d’histoire (en second lieu seulement comme testo di lingua) et plus concrètement comme une pièce qui pourrait être versée au corpus des œuvres de l’écrivain, nous avons pris le parti (i) d’éditer le texte non pas en notation phonétique, mais en graphie conventionnelle ; (ii) de prendre pour base l’orthographe de l’occitan employée constamment par Y. R. : celle dite classique (ou alibertine) ; (iii) de respecter néanmoins, autant que possible, les particularismes phoniques du texte18. L’expérience nous a vite convaincus que la transcription réaliste d’un texte oral en graphie classique était une gageure19 : les compromis auxquels, après de nombreuses hésitations, nous nous sommes arrêtés, restent souvent critiquables.

  • 20 Et non ceux adoptés pour l’édition de textes oraux (cf., par exemple, pour le français parlé, Blanc (...)
  • 21 En particulier, [ː] note la durée ; [ˈ], l’accent d’intensité ; [.], une limite de syllabe ; [/], u (...)

15En outre, (iv) nous avons toiletté le texte en adoptant les principes employés pour les textes écrits : titre et sous-titres empruntés au texte de l’allocution, répartition en paragraphes, ponctuation, emploi de la typographie pour rendre les principaux faits phonostylistiques, etc.20. De tels choix sont fortement interprétatifs et éliminent une part non négligeable des caractéristiques orales et circonstancielles du texte. C’est pourquoi nous avons adopté les dispositions suivantes : (v) nous avons employé l’apparat pour spécifier les formes phonétiques dès que cela nous a paru utile ; (vi) nous avons relevé dans l’apparat de nombreux faits prosodiques non rendus typographiquement ; (vii) nous avons également placé dans l’apparat plusieurs ratés de parole manifestes et sans incidence sur la signification ; (viii) nous avons conservé dans le texte, en petits caractères, les deux brefs dialogues, la plupart des interventions du public (entre crochets) et les réactions de la salle (entre parenthèses) ; (ix) nous avons sommairement décrit dans l’apparat la gestuelle de l’orateur. Enfin, (x) nous avons numéroté les extraits et les lignes ; (xii) nous avons employé l’italique pour les mots autonymes et les passages ou les mots énoncés en français ; (xiii) nous avons employé le symbole ‘X’ pour noter une syllabe incompréhensible (Blanche-Benveniste/Jeanjean 1987, 179) ; (xiv) dans l’apparat et dans les notes explicatives ainsi qu’au § 4, les symboles phonétiques sont ceux de l’Alphabet phonétique international21.

Texte

Apparat critique

16Titre

17Nous avons choisi comme titre, placé entre crochets, un passage du texte (109).

18Titre secondaire

19Nous avons repris en titre secondaire, placé entre crochets, le titre donné aux extraits par notre source (http://www.p-n-o.org/​PNOTV.htm). — Estrachs : sans majuscule initiale dans notre source. — alocucièu : écrit alaucucièu dans notre source. Nous corrigeons ce probable hypercorrectisme sur base mentale française (d’après fr. orage = occ. auratge, etc.) en alocucièu d’après la graphie employée dans le titre donné à l’enregistrement vidéo sur la page du PNO (cf. Gravier s. d.). — Rodès : nous ne corrigeons pas cette graphie qui pourrait correspondre soit à une phonie [-ˈɛs] plusieurs fois entendue en Haut Rouergue auprès de bons informateurs, soit à l’usage de néo-locuteurs observant en occitan la distribution allophonique de [ɛ] et [e] du français méridional.

1. [Aquò, o devi a Fontan]

201-2. setze ans : [set͡ʃ]. — 2. la nacion : accent d’insistance sur la première syllabe de nacion. — 4. dels : [des]. L’un d’entre nous entend pels : [pes]. — 5. benlèu : accent d’insistance sur la première syllabe.— Occitania : [ut͡sitaˈnijɔ]. — subretot pas : [sː-] initial long à valeur d’insistance. — 6-7. estudis occitans : peu audible. — 8. nacionalista : accent d’insistance sur la première syllabe. — 8, 64, 65 et 68. païs/lenga d’òc : [ˈɔk]. — 9. siècle : accent d’insistance sur la première syllabe. — 10. Fr. fait : [ˈfɛtə]. — Fr. nation : [naˈsjɔ͂]. — Fr. connais : [koˈne]. — 11 òc : [ˈɔ].

2113. Ren : fort accent d’insistance, rendu par des petites capitales. — 14. dels Occitans : [de/zusiˈtans]. — la França : fort accent d’insistance sur l’article, rendu par des petites capitales. — 15. inter-nacionalista : [intex/ˈna/sjunaˈliste], segmenté par deux pauses avec accent d’insistance sur [-ˈna-]. Le segment final [-e] pourrait être, après apocope, l’amorce du mot suivant (en). — entre : accent d’insistance sur la première syllabe. — 17. Cal far : on entend peut-être [u] o entre cal et far. — 18. L’un d’entre nous entend podiá. — 19. prenièm : [preˈnjɛŋ]. — 20. Mouvement du buste en avant ; Y. R. s’adresse à un membre de l’assistance. — 26. mai d’un còp : accent d’insistance sur mai.

2228, 34 et 77. siái : [ˈsjɔi̯]. Nous écrivons siái notamment d’après Roqueta (2009a, 11, 15). — 29. etnia : [ɛtˈnijɔ]. — 30. es lo mème mòt : accent d’insistance sur même, rendu des petites capitales. — 31. D’acòrd : [d  aˈkwɔʁ].

2332. Se : accent d’insistance sur ce mot. — per ce que : [pesˈkɛ]. — 33. sègle dotze : [ˈsɛkle ˈdut͡ʃ]. — 35. E me’n fote : accent d’insistance sur E. Pas de voyelle finale perceptible. — 37. una lenga : [yˈno] (accent d’insistance déplacé sur la seconde syllabe). — 37. Après qu’es pas la lenga : del (amorce d’une construction abandonnée). — 34 et 43. tot : accent d’insistance sur ce mot. — 39. un enemic : [n ene-].

2443. soguèt : [ˈswɛt]. Prétérit P3 du verbe èsser. L’amuïssement de la consonne intervocalique est à rapprocher de certaines des prononciations d’Y. R. pour des formes telles que dièri (88), decidièt (94), dièm (63). Ronjat (1930-1941, I, 88) et Buckenmaier (1934, 38, 39, 40, 92) — 44. òmòsexual : segmenté par une pause en [omo/sɛkˈsɥal]. — Après tapeta, on entend peut-être un rire féminin dans la salle. — 47. Après Tant aimi : euh d’hésitation. — 48. Après me soveni : mon paire euh. Nous avons considéré que euh équivalait à une biffure de mon paire. — 50. macarèl : [ˈmɑ:/kɑˈʁɛl].

2554, 59, 61, 98 et 106. bòn : [bɔ͂]. Nous écrivons bòn d’après Roqueta (1970, 26). — 54.  : nous écrivons d’après Roqueta (1967, 96 ; 1970, 36). — a-n aquel est coupé [a/na/ˈkel] (effet d’insistance). — 55. ordinaris accent d’insistance sur la syllabe initiale. — 56. fòrces : [ˈfɔses]. — garda : accent d’insistance sur la première syllabe. — 59. Mouvement du buste de l’orateur, index de la main gauche tendu vers un auditeur. — 61. Après A tu tanben ?, une auditrice : Fontan était homosexuel. — 62. A : [?ɑ].

2667. Va plan : le second mot (désaccentué) est difficilement perceptible. — Impòrtantissima : pas de voyelle finale perceptible. — 68. Fontan sabiá pas : accent d’insistance sur la première syllabe de sabiá. — 71 (2), 72 et 81. paur : [ˈpɔu̯]. — 72, 79. vòs : nous écrivons vòs d’après Rouquette (1972, 28). — 75. chimarròta : [t͡ʃimaˈrːɔtɔ]. — 78. Après se : di… (début de dison, mot repris ensuite). — tractor : [tʁakˈtu]. — 79. après se volètz : e… e… (hésitation). — 81. sans : [ˈsãᵑ] (devant une pause) ; accent d’insistance sur ce mot. — 81 et 82. las semblanças : [lai̯].

2785. [XXX.] : dit par la salle. — 86. portable : [puʁˈtaple]. — 86-87. L’intervention de l’auditrice se superpose à la fin du mot portable. — 87. Entre entendèri et quauqu’un : quicòm (lapsus). — 88. dièri : [ˈdi̯ɛri].

2. [Un dacòs fantastique : L’estrangièr del dedins]

2890. XX : on pourrait reconnaître ou conjecturer un prétérit P3 du verbe escriure. — fantastique : toutes les syllabes sont détachées. — 91. L’estrangièr del dedins : les syllabes sont didactiquement détachées. Nous écrivons ce titre avec e- minuscule conformément à la graphie de la page 4 de couverture de l’impression originale (Larzac [1968]). — Après estrangièr, une photographie de Jean Larzac apparaît brièvement dans la vidéo, avec en sous-titre : « “Joan LARZAC” Jean ROUQUETTE / “L’ESTRANGIER DEL DEDINS” ». — Entre quand et escripièt : un euh d’hésitation. — Le troisième aquel est réalisé [a.a.ˈkel]. — 92. grand poèma na-cio-na-lis-ta : fort accent d’insistance sur grand que nous rendons par des petites capitales Les syllabes de na-cio-na-lis-ta sont détachées par des pauses. Battement de mains sur chaque syllabe. — 93. qu’aviái creada ieu amé Lafònt : geste d’Y. R., qui touche son torse, pour s’autodésigner. — 94. decidièt : geste signifiant probablement “en catimini”. — 95-96. que voliá pas de son poèma, que lo podiá pas publicar : sur les deux que, geste des deux mains exprimant le rejet. — 97. tu n’ages pas volgut : fort accent d’insistance sur tu, que nous rendons par des petites capitales. Réactions confuses dans l’assistance. Battement de mains sur tu. Battement de mains sur la dernière syllabe de volgut. — 98. soguèt : [suˈɛ]. — 99. Après publiquèt son : lib, amorce de libre, mot abandonné. — 100. 4 Vertats : dans la première occurrence de ce syntagme, les deux syllabes de 4 sont détachées, avec accent d’insistance sur la première et pause avant Vertats. Nous écrivons le mot en chiffres comme sur la page de couverture de l’édition originale de L’estrangièr del dedins (Larzac [1968]). — soguèt : [suˈɛt]. — a causa : battement de mains sur la première syllabe, fortement accentuée, de causa.

29102. Èri pas content. Èri pas content : sourdement, à mi-voix.

3. [Occitans en prumièr]

30107. que sièm Occitans en prumièr o que sièm pas ren du tot : Y. R. martèle les syllabes en frappant dans ses mains. — du tot : [δy ˈtu]. — 109. Ieu n’èri : pòdi tornar : dit d’un air malicieux.

4. [Parlar amé lo Felibritge]

31110. oblijats : [ubliˈd͡za]. —evidentament : accent d’insistance sur la première syllabe ; toutes les syllabes sont détachées. — 111. Anam : réalisé [a.a.ˈ-]. — un… : réalisé [yː.yː yː]. — 112. « Anem ! òc ! per la lenga occitana ! Anem ! òc !  » : Y. R. scande énergiquement ce slogan en se dandinant d’un pied sur l’autre, l’air hébété. — Les deux òc sont réalisés [ˈhɔ], avec [h-] expressif. — 112-113. Avant le premier Per de qué far : peut-être E ou Mes.

5. [La nacion]

32115. Après Me fòu vièlh, on entend ce dialogue en français entre deux auditeurs :

L1 — Et Calandreta ?
L2 — Ben oui !
L1 — Y en a cinquante.

Notes explicatives

33[Titre secondaire]. L’emploi de alocucièu s’inscrit peut-être dans la tradition de Mistral et de sa célèbre Aloucucioun i felibre catalan (Mistral 1906, 13-14).

1. [Aquò, o devi a Fontan]

341-2. aviái setze ans : Y. R. a donc adhéré en 1952 au mouvement occitan, c’est-à-dire à l’Institut d’études occitanes (IEO), à l’incitation de Robert Lafont (cf. Roqueta 2009a, 13). C’est par erreur que l’article nécrologique du Monde fait adhérer Y. R. à l’IEO « à 14 ans » (Rouquette 2015). — 4-5. Los Occitans, i aviá pas d’autre mòt que benlèu Occitania : construction disloquée du style oral. Los Occitans y sont un thème mais pas le sujet du verbe. Par ailleurs, il y a évidemment une métonymie : ces Occitans désignent ici les occitanistes. — 5. que benlèu Occitanía : sur l’éclipse de ce mot dans littérature occitaniste, cf. Chambon (2014b, 247-248). — 6-7. en cinquanta un o dos un comunicat de l’Institut d’estudis occitans : il s’agit de « la déclaration du Bureau Directeur de l’I.E.O. du 9 mars 1952 » (Abrate 2001, 430). — 7-9. que i aviá pas jamai avut cap d’esperit nacionalista en païs d’òc, levat dins los esperits fosques, bestiasses, del siècle passat : la mémoire d’Y. R. s’avère fidèle. On lit en effet dans la déclaration du 9 mars 1952 : « Le mot de nationalisme occitan a été plusieurs fois prononcé ces temps derniers de façon tendancieuse. Nous tenons à souligner qu’un tel nationalisme n’a jamais existé sauf sous la forme d’un rêve imprécis chez certains écrivains du siècle dernier » (cité dans Abrate 2001, 430). Il s’agit là de l’expression de la ligne impulsée par le nouveau secrétaire général de l’IEO Robert Lafont et par Félix Castan : « Coma cresiái al pes dels mots, mon primièr repòrt d’organisme, presentat a Sèta [en 1952 ou 1953], foguèt una critica del nacionalisme occitan, ideós, practicament paralizaire e ipocritament confidencial. Aquò èra un pauc lo manifèst de la nòva generacion » (Lafont 1999, 79). Y. R. adhérait alors à cette ligne pro-française, se faisant ainsi « la voix de son maître » (Roqueta 2009a, 13). — 9. siècle : [ˈsjɛkle]. Emprunt à frm. siècle (cf. aveyr. siècle dans Vayssier 1879, 585 ; M 2, 892 : siècle) à ajouter à FEW 11, 44b, saeculum. Y. R. emploie plus loin [ˈsɛkle] sègle (33), conformément à l’usage renaissantiste puriste. — 9 et 93. Lafònt : Robert Lafont (1923-2009), professeur, écrivain, dirigeant du mouvement occitaniste, maître d’Y. R., venait de décéder, le 24 juin 2009. Voir la présentation de son œuvre par Y. R. dans Lafont/Anatole (1970, 2, 800-812) et le nécrologe paru dans Oc (Roqueta 2009a). « Es d’el, a 10 ans, que nasquèri a ma lenga » (Roqueta 2009a, 12). — 10-11. la nation gardiane : la Nacioun gardiano, association consacrée à la sauvegarde des traditions taurines de Camargue et du costume d’Arles, fondée par le marquis Folco de Baroncelli-Javon (1869-1943), un temps proche de Mistral et félibre. D’abord désignée Lou Coumitat Vierginen à partir de 1904, elle devient la Nacioun gardiano en 1909. Aujourd’hui toujours active, l’association a son siège aux Saintes-Maries-de-la-Mer.

  • 22 Voir Possenti (2007, 80-81) pour qui François Fontan pris contact avec l’Institut d’études occitane (...)

3513. Ieu veni d’aquel temps : irruption lyrique (facule lyrique, selon la terminologie d’Albert Henry). — 17. Venèm d’aquí : Y. R. passe de la première personne du singulier (Ieu veni d’aquel temps, 12), à la première personne du pluriel incluant l’assistance et par conséquent le PNO. François Fontan fut d’abord, en effet, membre de l’IEO (selon Lafont 1999, 80, il adhéra, si nous comprenons bien, deux ans après l’assemblée générale de Sète de l’IEO, c’est-à-dire probablement en 1954 ou 1955)22. — Cal far plan atencion. Sièm pas d’endacòm mai : Y. R. entend rappeler à son auditoire, d’une part, l’origine partagée par le courant auquel il a longtemps appartenu (IEO, COEA) et le PNO, et, d’autre part, le fait que la fondation du PNO en 1959 ne peut être comprise que si l’on se réfère à l’orientation pro-française qui prévalait à l’IEO dans les années 1950. — 17 et passimfar (constant) : cf. Camarès [ˈfa] à côté de [ˈfajre] (Buckenmaier 1934, 85 et n. 403). — 17-18. A un moment : sans doute vers la fin des années 1950. — 18-19. Ressaire o vos podriá dire que lo plaser que prenièm : construction orale où Ressaire o vos podriá dire est une incise dans laquelle dire est aussi le verbe régissant de que lo plaser que prenièm, le premier que reprenant onte (17). — 18. Ressaire : Jacques Ressaire (1940-2010), responsable de l’UNEF à Montpellier, l’un des tout premiers adhérents du PNO, brièvement emprisonné pour avoir soutenu des déserteurs français de la guerre d’Algérie, libraire, élu président (1979) puis président honoraire (2009) du PNO, ancien ministre des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Intérieur dans le premier Gouvernement provisoire occitan. Voir Abrate (2001, 494-495, 497-498, 612) et Bonnet (2011). — 23-24. se lo monde ausavon parlar, sabiáu parlar : il s’agissait pour les deux jeunes occitanistes de tester l’aptitude des Méridionaux à répondre en occitan à un inconnu qui les aborde dans cette langue. Ces sondages semblent être inspirés par l’article de Lafont (1952) sur le « comportement linguistique des Occitans » (cf. Lafont 1999, 111-112). — 24-26. i aviá pas gaire d’endreches ante nos faguèssem pas comprene, e mai d’un còp que lo monde respondèsson pas : passage difficile ; le second que reprend ante. Il en ressort que, dès les années 1950, l’usage social de l’occitan était déjà restreint, d’où sans doute, dans l’esprit d’Y. R., la compréhensible nécessité de la fondation du PNO, laquelle est évoquée immédiatement après ce passage (27-30).

3627. Fontan : sur François Fontan (1929-1979), théoricien de l’ethnisme (Fontan 1975 [19611]), fondateur et dirigeant du PNO, puis du MAO (vallées occitanes du Piémont), voir Abrate (2001, 493-498). — Le syntagme lo signe marcat per Fontan semble relever de la facule lyrique et dénoter une clairvoyance presque prophétique de Fontan, clairvoyance à inscrire dans la continuité mistralienne : « Au front de la Tour-Magno / Lou sant signau es fa » (« Lou Cinquantenàri dóu Felibrige », Mistral 1912, 98). — 29. anam pas contar nòstra vida: le propos reste volontairement dans le vague (allusion probable à l’histoire de la mouvance IEOïste). — 29-30. lo signe de l’etnia, lo signe de la nacion (es lo mÈme mòt), es la lenga e pas ren pus : Y. R. donne ici son adhésion à la thèse fondamentale du nationalisme fontanien selon laquelle la langue est le « seul critère objectif possible » et « l’indice synthétique de la nation » (Fontan 1975 [19611], 14-15, 16, 55 ; 1969, 2). Le mot etnia (fr. etnie) est typique du vocabulaire de Fontan. La stricte équivalence entre ethnie et nation est un point fondamental de sa théorie (Fontan 1975 [19611], 14). — 30. mòt : au sens métonymique de “signification d’un mot, concept, notion”. — 32-33. de trobadors qu’aurièn inventat l’amor al sègle dotze : écho de la célèbre citation « l’amour est une invention du xiie siècle » attribuée — à tort ou à raison — à Charles Seignobos. — 36. un prèmi Nobel que s’apèla Mistral : sur l’attribution du prix Nobel de littérature (ex aequo) à Frédéric Mistral (1904) et sur l’effet de cette attribution, on pourra écouter les remarques caustiques d’Y. R. dans un entretien donné à l’occasion du centenaire de la mort (France 3 Midi-Pyrénées 2014).

3741. Aquò, o devi a Fontan : dès l’Oda a Sant Afrodisi (1968), Y. R. avait inscrit le nom de Fontan après celui de Mao Tsé-toung dans le « cortègi de la revòlta planetària » (Roqueta 2009a, 18) : « de Mao de Mistral de Fontan de Bouddah » (Rouquette/Roqueta 1972, 34).

3842-43. o podèm dire tot : tour fréquent sous la plume d’Y. R. ; cf., par exemple : qu’o embarran tot “qui enferment le monde”, lo silenci […] o plega tot “le silence se referme sur tout”, qu’o an tot estipulat “qui ont tout arrangé” (tous les trois Roqueta 2004, 119, trad. 122). — 43 et 100. soguèt : dans [ˈswɛt]/[suˈɛt] devant voyelle (cf. au contraire [suˈɛ] 97 devant consonne). Cf. Camarès [sant], variante de [san] “sans” devant voyelle (Buckenmaier 1934, 67, 113) ; pour l’amuïssement de la consonne finale de [es] “est” devant consonne, Camarès [e] “est” devant consonne (ALLOr 104 p 12.35). — 44. se disiá, e èra, òmòsexual : sur l’homosexualité de Fontan, voir Abrate (2001, 494). Cf. le témoignage autocritique livré par Y. R. à Abrate (2001, 495) en 1983 : « En 1955 lo sistèma Fontan es pas doncas refutat. çò que compta es de l’enterrar leu fach. E per aquò ren non val los arguments “ad hominem” : Fontan es un caluc, un paranoïac, una tapeta, etc… Confèssi — e n’ai vergonha — qu’ai presa ma part a aquela “campanha” ». — 45. Se’n foti : intervention d’un auditeur irrité qu’Y. R. fasse allusion à l’homosexualité de Fontan. Le curieux Se’n foti est à rapprocher de frm. rég. on s’en fouti “on s’en fout” dont on trouvera deux occurrences (2013 et 2015) sur l’Internet. — 45-46. un mòt, finalament, que, ieu, a l’ora d’ara, me sembla amistós : en qualifiant le mot tapeta “homosexuel passif” d’amistós, Y. R. se plaît à prendre le contre-pied de la bienséance et du vocabulaire aseptisé généralement en usage en 2009. — 47-48. tant aimi lo mot populari coma lo mòt convengut : Y. R. trouve deux raisons de ne pas répudier le mot tapeta. Il s’agit, d’une part, d’un mot populaire et, d’autre part, d’un mot ‘engagé’ exprimant une conviction très forte. L’orateur ne recule donc pas d’un pouce devant la novlangue politiquement correcte. Y. R. avait employé tapeta dans Einführung in die Florida et dans L’ordinari del monde (Roqueta 1970, 10, 11 ; 2009b, 12). — lo mòt convengut : Y. R. aurait en vue le mot òmòsexual (44) comme mot convenu, se jouant de la paraphonie convengut / convencut le poète prend ici le contre-pied de l’esprit commun. — 49 et 50. òmòsexuèls : emprunt, mis par Y. R. dans la bouche de son père dans la seconde occurrence, à fr. homosexuel, dont l’intégration à l’occitan ne se signale que par le morphème pluratif [-s]. — 51. famòsexuèlas : création d’un féminin sur òmòsexuèl par étymologie populaire à partir de fr. femme, homo- étant rapproché de fr. homme. — 52. Louis : [luˈiː] ; prénom du père d’Y. R. (ALLOr 1, Annexe I, non paginée ; Coll. 2004, 45). — 53. libiennes : attraction paronymique exercée par l’ethnique libyenne “(celle) qui est née en Libye ou y habite” sur lesbienne. Les deux mots exprimaient sans doute, pour la tante maternelle d’Y. R., des notions aussi exotiques l’une que l’autre. — Rires d’Y. R. et de la salle : le comique naît de la surenchère des étymologies populaires. Les rires sont peut-être aussi cathartiques.

3954. Es que ié siètz ? : l’anecdote précédente avait pour but de replonger les auditeurs dans l’atmosphère des années 1960. — 64, 65 et 68 : on relève dans l’allocution trois occurrences de lenga d’òc, une du substantif occitan (19) et, dans une citation, deux occurrences de lenga occitana (111, 112).

4067-73. Critique de la position de Fontan en matière de langue. Cf. Roqueta (2009a, 14) : « Ieu estimi qu’es asclat mai que mai quand, sens saupre brica parlar cap de parlar d’òc, lo vesi decidit a fargar l’occitan de l’Estat occitan a venir ». Selon Y. R., Fontan entendait créer (far) une langue qui aurait maximalisé les différences avec le français, et entrait par là même en opposition avec la langue d’oc dans son usage réel. Ce second point de divergence avec le fondateur du PNO est qualifié d’« importantissime » (67). — Les deux divergences retenues — l’orientation sexuelle et l’enracinement langagier dans l’occitan patrimonial — sont plus personnelles que doctrinales : c’est-à-dire en dépit du ton plaisant et anecdotique sur lequel elles sont évoquées, très profondes. — 71-72. a l’origina, après sai pas çò qu’es devengut : cette précision implique que les relations personnelles entre Y. R. et Fontan se sont interrompues assez vite et n’ont jamais été renouées. Un autre témoignage d’Y. R. laisse entendre qu’il n’a rencontré qu’une seule fois Fontan, en 1955, à Toulouse, puis qu’il l’a perdu de vue (Roqueta 2009a, 14). — 72. sai : Buckenmaier (1934, 87) relève Camarès [saj] “(je) sais” comme « Kurzform » à côté de la forme pleine [ˈsaβi]. Roqueta (1967) emploie sai (25, 58, 64, 98) à côté de sabi (16, 17, 23, 26, 28, 45, etc.). — 72 et 79. se vòs [se ˈβɔs] : deuxième personne du singulier à valeur indéfinie “on” (Ronjat 1930-1941, 3, 631), qui, en 79, reprend se volètz. — 73. nòstre amic : convive non identifié assis à la table d’honneur, à la droite d’Y. R. — 74. une bouteille d’eau minérale : une bouteille d’eau de Saint-Géron, employée comme carafe. — 75. chimarròta : « chimarroto, s. f. Bouteille, en Auvergne » (M 1, 547). Non retrouvé dans les sources auvergnates que nous avons pu consulter. Il s’agit donc, selon toute probabilité, d’un mot livresque trouvé par Fontan dans le Tresor dóu Felibrige. — 76. le français bouteille : l’autonyme français bouteille provoque par anticipation le passage au français. — 77-78. Ieu siái tranquile : quand disi lo tractor, en francés se dison lo tracteur, m’es egal : la question des « ressemblances » entre occitan et français recoupe en partie celle des emprunts de l’occitan au français (« gallicismes »), comme dans le cas dans l’exemple de tractor. La position d’Y. R. de fidélité à l’occitan tel quel se distingue non seulement de celle de Fontan, mais aussi de celle d’Alibert. — 79. sentit : sans doute dans le sens de “connaissance immédiate, conscience plus ou moins claire, de qch, sentiment, intuition”. Mot absent des sources lexicographiques consultées, sauf de Rapin (2013, S-50), au sens d’“idée intelligible qui sert à justifier l’existence de qch, sens, signification”, avec un seul exemple récent (1995, Franc Bardòu, poète toulousain). Emprunt à cat. sentit ? — 81 et 82. las : [lai̯] devant consonne (cf. Camarès [lai̯] ALLOr 234, 235, 316, 745, 807 p 12.35 ; Buckenmaier 1934, 35-36, 77), mais [las] devant occlusive sourde initiale causas (42).

4185-86. Es un polit mòt quand mème, lo telefonet, e ! : remarque ironique. Le substantif telefonet a en effet été lancé dans les milieux renaissantistes en raison de la même « peur des ressemblances » (81) avec le français que celle qu’Y. R. vient précisément de critiquer chez Fontan. — 86. È ! podètz dire lo portable ! : Y. R. déconseille l’usage de telefonet en faveur de portable. Le mot telefonet est certes « joli », mais il est aussi inutile et ridicule que chimarròta, puisque portable est d’un usage général, tant en occitan qu’en français. Nous comprenons : “Eh quoi ! vous pouvez dire le portable” comme tout le monde, de même que tout le monde dit botelha ou tractor (75-78). La remarque renvoie, en tirant parti de l’interruption, aux considérations précédentes (71-75) et rappelle que les similarités entre l’occitan et le français ne sont pas à craindre. — 87. Un polit mòt : l’intervention réagit avec un peu de retard au propos d’Y. R. sur telefonet, propos dont l’auditrice n’a pas perçu l’ironie. — 87-89. Nous comprenons ainsi l’anecdote du téléphone : la première fois qu’il entendit le néologisme telefonet, Y. R., qui possédait un téléphone portable, mais était habitué au mot portable emprunté au français, et ne s’en émouvait point, ne comprit pas la signification néologique accordée au diminutif et fournit par conséquent une réponse inappropriée à la question qui lui était posée. L’ironie a posteriori d’Y. R. envers ce néologisme est évidente.

2. [Un dacòs fantastique : L’estrangièr del dedins]

4290. […] XX : coupé au montage, le début de la phrase contenait le sujet, qui désignait l’auteur de L’estrangièr del dedins, à savoir Jean Larzac, né en 1938, frère d’Y. R., prêtre, poète, essayiste et traducteur de la Bible en occitan (voir Fourié 2009, 194). « C’est mon frère de sang et de cœur — et certainement le plus grand des poètes d’oc vivants » (Rouquette 2004, 20). — un…, un…, un dacòs ; aquel…, aquel…, aquel poèma : les hésitations et le premier choix lexical (dacòs) expriment le caractère inclassable de L’estrangièr del dedins. — 90, 99 et 111. dacòs : « S’emploie dans l’arr. de St-Affrique, comme le mot éstre, dans celui de Vill[efranche-de-Rouergue] pour désigner un objet qu’on ne nomme pas, soit parce que le nom ne vient pas à l’esprit, soit par l’habitude de remplacer le mot propre par un terme général » (Vayssier 1879, 180, s. v. docouó […], dacós). D’après FEW (4, 443a, hoc), ce type est limité à l’Aveyron. — 91. L’estrangièr del dedins : long poème en prose (neuf pages dans l’impression originale), écrit avant mai 1968 (Rouanet 1971, 13, 18). « Un beau et terrible chant de poète et de prophète, au sens biblique de ce mot. Cette “saison en enfer” a provoqué le surgissement d’une poésie d’oc faite de prédilection et d’esprit de conquête » (Rouquette 2004, 20). Le post-scriptum de L’estrangièr del dedins associe Y. R. à l’écriture du poème :

P.S. — E lo poeta Ives Roqueta ajusta a son Oda a Sant Afrodisi aquela imprecacion afrodisaca, afrosa.
Urós aquel qu’arraparà tos pichonèls e los espotirà contra la pèira !
AMEN

4392. poèma na-cio-na-lis-ta : Y. R. souligne de la voix cet adjectif central. L’épisode politico-littéraire de L’estrangièr del dedins lui donne l’occasion de suggérer que la ligne de partage fondamentale à l’intérieur du mouvement occitan ne passait pas entre Viure (et le Comitat occitan d’estudis et d’accion) et le PNO, mais entre les nationalistes, quelle qu’ait été leur appartenance organisationnelle, et la majorité lafontienne de Viure et du COEA. — 93. la revista Viure : revue trimestrielle novatrice (1965-1973) d’orientation progressiste, émanant du Comitat occitan d’estudis et d’accion (COEA) sans en être pour autant l’organe officiel ; voir Abrate (2001, 611-612). — 94. èri pas a l’acampada ont se decidièt : Y. R. était membre du comité de rédaction de Viure. La date de la réunion est difficile à préciser : 1967 ou début de 1968 ? (voir aussi note à 103-104). Le refus de la rédaction est révélateur non seulement les profondes divergences politiques et esthétiques qui se faisaient jour (pour la première fois si ouvertement, semble-t-il) à l’intérieur de la revue et du COEA, mais aussi le caractère minoritaire des positions des deux frères Rouquette. — l’equipa de Viure : Y. R. entend souligner la responsabilité collective de la direction de la revue. Dans son nécrologe de Robert Lafont, il met nommément en cause ce dernier comme élément moteur : « Lafònt, a un comitat de lectura de Viure qu’i ai pas assistit, a fach refusar la publicacion de l’Estrangièr del dedins de Larzac, poèma francament nacionalista e antifrancés mas pas isolat brica dins la produccion poetica del moment » (Roqueta 2009a, 18). — 95-96. que voliá pas de son poèma, que lo podiá pas publicar : en employant voler puis poder, Y. R. énonce d’abord la réalité du refus, qui relève d’une volonté délibérée (cf. sa déclaration dans Rouquette 2004, 20 : « Viure refusa de publier [L’estrangièr del dedins] à cause de sa puissance ouvertement nationale »), puis le motif invoqué : une impossibilité matérielle. En 1971, la version diplomatique de l’incident révèle la justification avancée par Viure : « Jean Larzac qui ne sait où caser l’Estrangièr del dedins, trop long pour VIURE, le publie à son compte comme le premier recueil d’une collection nouvelle : “4 VERTATS” » (Rouanet 1971, 17). — 97-98. « N’èri pas ! » : dans la bouche d’un lecteur assidu des Évangiles (cf. Roquette 2004, 11), la formule peut rappeler les deux premiers reniements de Pierre : « Pierre répondit : “Je n’en suis pas !” » (Lc 22, 58 ; Jn 18, 17) ; « Pierre nia en disant : “Je n’en suis pas !” » (Jn 18, 25). Cette réminiscence semble être l’expression d’une responsabilité encore inconsciemment ressentie en 2009 comme une trahison. — 100-101. sol titre de 4 Vertats : “sous le titre [de collection] 4 Vertats”. — Se 4 Vertats existiguèt, soguèt a causa d’aquò : la collection 4 Vertats fut fondée par Jean Larzac afin de publier à compte d’auteur L’estrangièr del dedins, « juste après mai [1968] » (Rouanet 1971, 13 n° 18). Elle publia plus de trente titres, essentiellement de 1968 à 1973.

44103. quauques meses après — vos cal espiar los libres — : la chronologie paraît inexacte (voir ci-dessous note à 103-104). C’est sans doute parce qu’il sent que sa mémoire pourrait le trahir qu’Y. R. ajoute en incise vos cal espiar los libres, pour inviter l’assistance à se reporter aux sources à fin de vérification. — 103-104. dins Viure publiqui Bodon : le mécontentement d’Y. R. dans l’affaire de L’Estrangièr del dedins est d’autant plus vif qu’il était parvenu peu après, selon lui, à faire paraître Boudou dans la revue Viure. Nous n’avons cependant repéré aucun texte de Boudou dans Viure durant la période a priori pertinente. La bibliographie de Delmas (1983-1984, 201, 206) ne mentionne que trois textes parus dans cette revue : « Eran tres fraires » (numéro 1, printemps 1965) et « La Caça de la quimèra » (numéro 3, automne 1965 ; cf. Roqueta 2009a, 15) ne peuvent convenir. S’il s’agissait de « La fin de la Sala » (numéro 6, été 1966), on devrait faire remonter l’incident de la non-publication de L’estrangièr del dedins — et par conséquent l’achèvement de l’œuvre — au plus tard au début de 1966, ce qui nous paraît peu vraisemblable (la publication de L’estrangièr semble avoir suivi de près le refus de Viure : cf. 98-101). — 104. Bodon : Jean Boudou (1920-1975), romancier et poète occitan, originaire de l’Aveyron, considéré par Y. R. comme l’« un des plus importants et peut-être le plus grand des écrivains occitans de ce siècle [= le xxe] » (Rouquette 2004, 19). Le fait de présenter la publication de Boudou comme une réplique au refus essuyé par L’estrangièr del dedins implique que, dans l’esprit d’Y. R., les positions de Boudou à l’intérieur du mouvement occitan étaient alors proches du nationalisme de Jean Larzac. Y. R. indique ailleurs que, lors de sa publication dans Viure, « La Caça de la quimèra » fut « amputat, “al marbre” » d’un quatrain jugé nationaliste (Roqueta 2009a, 15).

3. [Occitans en prumièr]

45105-106. de l’Estat occitan, euh, francés : lapsus immédiatement corrigé, mais néanmoins révélateur. Au-delà de l’idée de nation occitane partagée avec Fontan, celle, typiquement fontanienne, d’État occitan à venir, idée à laquelle Y. R. n’adhère pas (cf. Roqueta 1975, 244-246, sur la question de la nation, de l’État et de « l’aparelhatge institucional »), demeure latente. — 107. que sièm Occitans en prumièr o que sièm pas ren du tot : affirmation fondamentale, dans la droite ligne de la pensée de Fontan, de la primauté de l’identité nationale au-delà des appartenances étatiques circonstancielles. — 109. Ieu n’èri : pòdi tornar : Y. R. s’amuse de la perspective d’un retour à une identité nationale française qu’il a abandonnée. L’écrivain ne se considérait pas comme Français. Il y avait là, chez lui, un sentiment ancien : « una impossibletat d’identificacion de nosautres a França qu’es benlèu dins mon cas radicala, esclairada e entretenguda per mon occitanisme » (in : Coll. 1965, [26]).

4. [Parlar amé lo Felibritge]

46110. Coma sièm oblijats de parlar amé lo Felibrige, evidentament : les discussions avec le Félibrige sont évidemment nécessaires, car l’identité nationale d’oc (107-108), si elle est pleinement réappropriée comme centrale, transcende, dans la mesure où elle est fondée sur la lenga e pas ren pus (30), les divergences et les conflits du hérités du passé. — Pour l’emploi de oblijar, cf. Roqueta (1970, 137). — 111. un…, un dacòs per la lenga occitana : allusion à la grande manifestation unitaire en faveur de la langue d’oc qui allait se dérouler le 24 octobre 2009 à Carcassonne. La manière dont la manifestation — un dacòs (mot employé ici avec une nuance péjorative) — est présentée n’est guère favorable. — 112. « Anem ! òc ! per la lenga occitana ! Anem ! òc ! » : slogan des manifestations unitaires en faveur de la langue occitane régulièrement organisées depuis 2005 et dont la manifestation de 2009 prenait la suite. Le ton et la gestuelle qui accompagnent ce slogan (voir apparat, note à 112) révèlent une claire moquerie. — 112-113. Per de qué far ? : la récupération de la langue occitane possède une signification différente pour le Félibrige et les autres tendances pro-françaises, d’une part, pour Y. R. et le PNO, de l’autre. Y. R. met en cause le manque de perspective et le confusionnisme du slogan (112) et des manifestations en faveur de la langue occitane. Peut-être craignait-il que les membres du PNO puissent se laisser influencer par l’unanimisme moutonnier ambiant.

5. [La nacion]

47114. Cal trabalhar a tot çò que còmpta : la nacion : conclusion solennelle, parfaitement assumée. Le montage tend à opposer cette ligne de travail à long terme à l’agitation confuse à court terme (111-112). — a tot çò que còmpta : “à la seule chose qui compte”. — 115. fòu : [fɔu̯] ; Buckenmaier (1934, 92) relève [fɔw] à Camarès, à côté de [faw].

Traduction

[Nous sommes Occitans d’abord ou nous ne sommes rien du tout.]

1. [Cela, je le dois à Fontan]

  • 23 En français dans le texte.

48Vous (trois syllabes inaudibles) : quand je suis entré dans le mouvement occitan — j’avais seize ans, j’en ai soixante-treize… —, il n’était pas question de nation : la nacion était un mot entièrement confisqué pour dire “la France”. Et pour dire “la France” par les Occitans. Les Occitans, il n’y avait [pour eux] pas d’autre mot sauf peut-être Occitania, mais surtout pas nacion occitana. Je me souviens en cinquante-et-un ou cinquante-deux d’un communiqué de l’Institut d’études occitanes où il était écrit qu’il n’y avait jamais eu aucun esprit nationaliste en pays d’oc, excepté dans les esprits nébuleux, ignorants, du siècle passé. Et je me souviens de Lafont disant : « En fait de nation en Occitanie, je ne connais que la nation gardiane »23. (Rires discrets.) Eh oui ! [une auditrice : Eh oui !]

49Moi, je viens de ce temps-là. Rien ne pouvait être pensé en dehors d’un rapport des Occitans avec la France en tant que nation. On ne pouvait pas se penser comme inter-nationaliste en dehors d’un rapport entre les nations, et nous, nous serions toujours les nationaux de la France. Nous venons de là. Il faut faire bien attention. Nous sommes de là et pas d’ailleurs. À une époque où, Ressaire pourrait vous le dire, le plaisir que nous prenions, c’était de parler uniquement en occitan, y compris pour prendre de l’essence.

Y. R.  — Tu te souviens ?
une femme — Je me souviens.

50Nous avions dans l’idée, nous avions envie de savoir si les gens osaient parler, savaient parler. Et dans les années cinquante, je vous garantis qu’il n’y avait guère d’endroits où ne nous faisions pas comprendre, et plus d’une fois où les gens ne nous répondaient pas.

51Cela signifie qu’il y a cinquante ans, le signe marqué par Fontan — et j’ai toujours été d’accord avec lui là-dessus (après, il y a des choses… : nous n’allons pas raconter notre vie) —, le signe de l’ethnie, le signe de la nation (c’est la même notion), c’est la langue et rien d’autre ! [un auditeur : D’accord !]

52Si nous sommes Occitans, ce n’est pas parce que nous avons eu des troubadours qui auraient inventé l’amour au xiie siècle, — cela se dit [une auditrice : Peut-être, peut-être…], mais je n’en suis pas tout à fait sûr [la même auditrice : Peut-être…] et je m’en fous. Et je m’en fous. Ce n’est pas parce que nous avons eu un prix Nobel qui s’appelle Mistral. Si nous sommes Occitans, c’est que nous avons une langue qui n’est pas la langue des autres gens sur la planète ; qui fait de tous les autres gens des étrangers. Des étrangers ! Mais, un étranger, ce n’est pas obligatoirement un ennemi : avec un étranger, on n’est pas sûr de faire la guerre.

53Cela, je le dois à Fontan.

  • 24 En français dans le texte.

54Pour simplifier les choses — puisque nous sommes entre nous, nous pouvons tout dire —, ce qui causa mes réticences envers Fontan, c’est d’abord le fait qu’il se disait, et était, homosexuel. Nous, nous disions tapeta. (Rires d’Y. R. et rire féminin dans la salle.) Ce qui n’est pas un mot méchant. Et même, c’est un mot qui finalement me semble, à moi, aujourd’hui, amical. J’aime autant…, j’aime autant le mot populaire que le mot convenu. Convenu. À ce propos, je me souviens : nous regardions la télévision, il était question d’homosexuels, et mon père dit : « Oh, putain ! des homosexuels ! tu vas voir que nous allons avoir des femmosexuelles ! » (Rires dans la salle.) [une auditrice : Oui !]. Et sa sœur de dire à mon père : « Mais, Louis, on ne dit pas femmosexuelles, on dit libiennes »24. (Rires d’Y. R. et de la salle.)

  • 25 En français dans le texte.

55Est-ce que vous y êtes ? Bon. Eh bien, à cette époque, je vous garantis une chose : c’est que pour les gens ordinaires, comme je l’étais moi et comme nous étions beaucoup à l’être, c’était quelque chose qui vous mettait en garde contre un homme. Et je le dis. Et je ne vous dirai pas qui m’écrivit : « Méfiez-vous de Fontan : il fait commerce de son corps »25.

Y. R. — Je te l’ai raconté à toi, hein ! Bon.
un homme :  — (Trois syllabes inaudibles) à moi.
Y. R. — À toi aussi ? Bon.

  • 26 En français dans le texte.

56Il fait commerce de son corps26. Ah ? Il a fallu que je réfléchisse, parce que nous, nous disons fa la puta [il fait la pute]. (Quelques rires, surtout féminins.) C’est ainsi que nous disons en langue d’oc. Fa negòci de son còrs [Il fait commerce de son corps], vous dites ça à un type qui sait la langue d’oc, il dit : « Peux-tu me traduire en anglais ? ». (Rires dans l’assistance.)

  • 27 le français bouteille : en français dans le texte.

57Bien. Donc, seconde chose, importantissime. C’est que Fontan ne savait pas la langue d’oc — il ne la savait pas — et il voulait la fabriquer. Et il y avait quelque chose qui, moi, à cette époque, me scandalisait complètement : c’est qu’on veuille fabriquer une langue qu’on ne parle pas. Et qu’on en ait peur, ce que Fontan avait, peur (à l’origine, après je ne sais pas ce qu’il en est advenu) : il avait peur, si l’on veut, que le mot occitan ressemble au mot français. Je disais à l’instant à notre ami : (Y. R. montre une bouteille d’eau minérale) ça, pour Fontan, c’était une chimarròta, parce que cela ne ressemble pas à une botelha ! La botelha, ça ressemble au français bouteille27. Alors, est-ce que nous sommes Occitans lorsque nous disons botelha ? (Rire d’une auditrice.) Moi, je suis tranquille : quand je dis tractor, si l’on dit tracteur en français, ça m’est égal. Et il y avait ceci, si vous voulez, ce sentiment, si l’on veut, d’une langue unifiée. D’accord. Hein ? Unifiée le plus possible, le plus vite possible. D’accord. Mais sans avoir des ressemblances, à mon avis, si l’on veut : des ressemblances avec l’italien, évidemment, avec l’espagnol, évidemment, avec le catalan, évidemment, avec le portugais, bien sûr ; (un téléphone portable sonne) le roumain…

58XXX Cela s’appelle un telefonet [téléphone portable]. C’est un joli mot quand même, le telefonet, hein ! Et quoi ! vous pouvez dire le portable ! [une auditrice : Un joli mot.] Mais moi, le jour où j’ai entendu quelqu’un me dire « As un telefonet ? [compris par Y. R. : Tu as un petit téléphone ?] », j’ai répondu : « Ah, non, ! (Rires d’Y. R. et de l’assistance.) Non, je n’en ai pas ».

2. [Un machin fantastique : L’estrangièr del dedins]

59[…] un…, un…, un machin fantastique qui s’intitule L’estrangièr del dedins [L’étranger du dedans]. Et quand il écrivit ce…, ce…, ce grand poème na-tio-nal-lis-te, quand il l’écrivit, il l’envoya à la revue Viure que j’avais créée, moi, avec Lafont. Et comme je n’étais pas à la réunion où la décision fut prise, l’équipe de Viure répondit à mon frère qu’elle ne voulait pas de son poème, qu’elle ne pouvait pas le publier. Mon frère m’écrivit, il me dit : « Mais enfin, Yves, comment se fait-il que toi, tu n’en aies pas voulu ? ». Je lui dis : « Je n’en étais pas ! ». Bon. Nous nous sommes engueulés. Évidemment. Mais ce n’est pas compliqué : Larzac, à ce moment-là, publia son livre, son machin, sous le label 4 Vertats [4 Vérités]. Si 4 Vertats a existé, c’est à cause de ça.

60Je n’étais pas content. Je n’étais pas content. Je n’étais pas content, parce que quelques mois plus tard — il faut que vous regardiez les livres — je publie Boudou dans Viure !

3. [Occitans d’abord]

61[…] pour oser poser que, si l’on veut, nous sommes de l’État occitan, euh, français, que nous sommes de l’État européen, que nous sommes…, bon, mais que nous sommes Occitans d’abord ou que nous ne sommes rien du tout ! Nous pouvons être Français, évidemment, si, si nous ne pouvons pas faire autrement. (Rire d’Y. R.) Moi, j’en étais : je peux revenir !

4. [Parler avec le Félibrige]

62Tout comme nous sommes obligés de parler avec le Félibrige, évidemment. Évidemment ! Nous allons avoir un…, un machin pour la langue occitane : « Allez ! oui ! pour la langue occitane ! Allez ! oui ! ». Mais pour quoi faire ? (Rire masculin.) Pour quoi faire ?

5. [La nation]

63Il faut travailler à la seule chose qui compte : la nation.

64Je me fais vieux ; je m’arrête. Et je vous remercie.

65(Applaudissements nourris de l’assistance.)

Diatopismes remarquables : un cas de loyauté linguistique

66Nous relevons ci-dessous les particularismes diatopiques du texte suffisamment bien documentés pour permettre de déterminer la variété géographique d’occitan employée par Y. R.

67Sur le réseau de l’ALF, six formes verbales (avoir et être) ne coïncident entièrement qu’avec celles du point 746, à savoir Belmont-sur-Rance, chef-lieu de canton de l’Aveyron :

(1) [aˈβei̯re] aveire inf. “avoir” (50, 111). ALF 82 : HérE. p 757, 766, AveyrS. p 746 ; Buckenmaier (1934, 12, 92) : Camarès [aˈβejre]. — (2) [aˈβ yt] avut part. passé m. sg. “eu” (7, 32, 36). ALF 102, 103 : HérO. Aude p 776, Aveyr. ; formes phonétiques présentant à la fois [a-] et [-ˈy-] : HérO. p 758 et 766, Aude p 776, AveyrS. p 746 ; Buckenmaier (1934, 93) : Camarès [aˈβyt]. — (3) [ˈsjɔi̯] siái ind. pr. P1 “suis” (28, 34, 77). ALF 803 : HérO. P 757, 758, 768, AveyrS. p 746 ; ALLOr (45* p 12.35) et Buckenmaier (1934, 88, 92) : Camarès [sjɔi̯]. — (4) [ˈsjɛn] sièm ind. pr. P4 “sommes” (17, 32, 36, 42, 76, 105, 106 [2], 107 [2], 110). ALF 506 : Hér. p 757, 766, 779, TarnS. p 753, 755, 764, AveyrS. p 746 ; Buckenmaier (1934, 92) : Camarès [sjɛn]. — (5) [ˈsjɛs] siètz ind. pr. P5 “êtes” (54). ALF 508 : AveyrS. [sjɛs] p 746 ; Buckenmaier (1934, 92) : Camarès [sjɛs]. — (6) [seˈʁjɛn] serièm cond. pr. P4 “serions” (16). ALF 515 : HérE. P 757, 766, TarnS. 753, 755, 764, AveyrS. p 746 ; Buckenmaier (1934) : pas de donnée (mais forme attendue).

68Chaque fois qu’il est possible de faire intervenir l’un des très rares parlers de la région décrits par une monographie (Buckenmaier 1934), on note cinq accords formels sur cinq (1, 2, 3, 4, 5) avec Camarès, chef-lieu de canton de l’Aveyron (arrondissement de Millau), voisin à l’est de Belmont-sur-Rance.

69En ce qui concerne les deux numéraux suivants, leur forme ne coïncide pas avec le parler de Belmont-sur-Rance (p. 746), mais avec celui de Camarès :

(7) [set͡ʃ] setze adj. num. card. (devant voyelle) “seize” (1). — ALF 1212 : [-tʃj-] Hér. p 758, 759, 768, 777, 778, 779, AveyrN. p 727, 728, Lozère (partout) ; Buckenmaier (1934, 52, 74) : Camarès [ˈsetʃe] (l’affriquée est parfois intermédiaire entre [tʃ] et [ts]  ; Buckenmaier 1934, 9). — (8) [ˈdut͡ʃ] dotze (devant voyelle) “douze” (33) présente la même distribution géographique. — ALF 424 ; Buckenmaier (1934, 74) : Camarès [ˈdutʃe].

70Un neuvième particularisme, relevé seulement en Limousin par l’ALF, a été également enregistré à Camarès :

(9) [ˈante] ante pron. rel. “où” (25, 94) en variation libre avec onte (18). — ALF 549 : Creuse, HVienne ; FEW (14, 32a, unde) : Creuse, HVienne ; Ronjat (3, 485) : lim. ; Vayssier (1879) : ø ; Buckenmaier (1934, 17, 26, 80) : Camarès [ˈante] à côté de [ˈunte].

71Un autre particularisme n’est attesté, à notre connaissance, qu’à Camarès :

(10) [eskriˈpjɛt] escripièt ind. prét. P3 “écrivit” (91), à côté de [eskrypjɛt] escrupièt (96). — Buckenmaier (1934, 93) : Camarès [eskriˈpjɛri] ind. parf. P1.

  • 28 D’autres diatopismes plus larges sont également attestés dans les parlers de Belmont-sur-Rance et d (...)
  • 29 Le regretté Jacques Boisgontier tenait l’écrivain, ses parents et son frère Jean pour des informate (...)

72C’est assez pour conclure que la variété orale de l’écrivain coïncide avec l’usage de la partie la plus méridionale du département de l’Aveyron et plus spécifiquement avec celui de Camarès28. Ce constat ne surprend pas : Y. R. déclarait tenir la langue d’oc « de [s]on père, de [s]a mère et de [s]es grands-parents » (Rouquette 2004, 13) originaires de Camarès (côté paternel) et de Couffouleux (côté maternel), commune de Peux-et-Couffouleux, limitrophe de Camarès29. On a donc affaire à un cas remarquable de loyauté linguistique.

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Notes

1 Abrate (2001), par exemple, cite des interviews, mais ne les édite pas.

2 Lafont/Anatole (1970, 2, 812-813).

3 Sur différents aspects de la vie et de l’œuvre, voir Kirsch (1965, 76-78), Lafont-Anatole (1970, 2, 818-824), Coll. (2004), Fourié (2009, 280).

4 Pour la seconde date, voir Rouquette (2004, 14) et Roqueta (2009a, 20).

5 Le 17 juillet 2009, le PNO renouvelait par voie électronique l’invitation au banquet qu’il organisait à Rodez, banquet « honoré par la présence du poète occitan Yves Rouquette » (PNO 2009). Lo Lugarn/Lou Lugar (97-98, prima/estiu 2009, 2, 3, 4) avait précédemment annoncé le banquet sans mentionner la présence d’Y. R.

6 Voir PNO (2009). Rendez-vous était pris à 12 h 30.

7 Sur le PNO, voir Abrate (2001, 493-505, 518) et Jeanjean (1992, 49-50, 54-55, 63-64).

8 Voir PNO (2009), Grande (2015), Viaule (2015, 7).

9 Le mot taulejada est employé par le PNO dans l’invitation qu’il avait lancé (PNO 2009).

10 À telles enseignes que « le rituel de [la] “taulejado” (banquet) est défini dans le règlement intérieur [du Félibrige] de 1975, puis par celui de 1997 à l’article 23 » (Calamel/Javel 2002, 106-107).

11 On se souvient notamment de la description de la taulejada de la Santa Estèla del Centenari (Boudou 1960, 67-74) ainsi que du court, mais percutant poème de gilabèrt suberròcas : « a la taulejada deus regents » (suberròcas 1966, 56-57 ; Chambon 2014a, 63-66.).

12 Voir Discours e Dicho de Frédéric Mistral (Avignon, 1906).

13 Accents emphatiques et/ou par les coupes syllabiques ; répétitions (29 et 37, 35, 47, 48, 71-72, 90, 91, 102, 110-111, 112, 112-113).

14 Sur les positions d’Y. R. et de son frère Jean Larzac au sein de l’occitanisme politique, voir Abrate (2001, 534-537).

15 Dès 1965, Y. R. exprimait assez longuement son jugement, positif, somme toute, sur le PNO et son rôle dans les années 1959-1965 : « Aguèssi pas pensat, tot plan comptat e rebatut, que lo fondator del Partit Nacionalista Occitan èra tocat de deliri ideologic, […] probable qu’a aquela epòca i aguèssi aderit » ; « Sens aquel ventolet de foliá que lo P.N.O. faguèt passar sus la capèla occitanista, […] ne seriàm pas ont ne siám ara » ; « Dins las construccions desesperadas dels nacionalistas nòstres passava quicòm coma un crit de santat morala » (in : Coll. 1965, 28-29, 31, 32 = Roqueta 1975, 21-22, 26 ; cf. aussi Abrate 2001, 495).

16 Viaule 2015, 7 ; Grande 2015. C’est ainsi qu’Y R. soutiendra les candidats du PNO aux élections européennes de 2014.

17 Le banquet de Rodez ne manque pas d’être rappelé dans les deux nécrologes que nous venons de mentionner (n. 16).

18 Notre transcription conserve évidemment tous les particularismes morphologiques, syntaxiques et lexicaux.

19 Cette graphie n’a pas été conçue pour noter orthographiquement l’occitan réel, mais pour sélectionner une norme. Dans cette orthographe, il n’est, par exemple, pas prévu d’écrire [sjɛn] sièm, mais seulement sèm ou — de manière non classique (à titre de prononciation figurée) — sièn (Alibert 2000, 158). Nous avons cependant écrit sièm.

20 Et non ceux adoptés pour l’édition de textes oraux (cf., par exemple, pour le français parlé, Blanche-Benveniste/Jeanjean (1987).

21 En particulier, [ː] note la durée ; [ˈ], l’accent d’intensité ; [.], une limite de syllabe ; [/], une pause. Dans plusieurs cas, l’issue de -a inaccentué final, que nous avons toujours graphiée -a, est [-ə] (par exemple dans cinquanta, guerra, planeta). La présence ou non du segment [ɣ] à l’intervocalique est souvent difficile à percevoir ; l’usage du parler de Camarès était flottant sur ce point (Buckenmaier 1934, 38).

22 Voir Possenti (2007, 80-81) pour qui François Fontan pris contact avec l’Institut d’études occitanes en 1953-1954.

23 En français dans le texte.

24 En français dans le texte.

25 En français dans le texte.

26 En français dans le texte.

27 le français bouteille : en français dans le texte.

28 D’autres diatopismes plus larges sont également attestés dans les parlers de Belmont-sur-Rance et de Camarès. Ainsi — a-n prép. (devant voyelle) “à” (54, 69, 99) : ALF 460 et Buckenmaier (1934, 65, 75) ; — anam ind. pr. P4 “allons” (29, 111) : ALF 27 et Buckenmaier (1934, 92) ; — èrem ind. imparf. P4 “étions” (55) : ALF 512 et Bruckenmaier (1934, 90) ; — [-ˈjɔu̯] -iáu ind. imparf. P6 dans sabiáu “savaient” (24) : ALF 401 et Buckenmaier (1934, 90) ; — sans prép. “sans” (81) : ALF 1158 et Buckenmaier (1934, 111, 113, 114) ; — saupre v. tr. “savoir” (23) : ALF 1200 et Buckenmaier (1934, 83, 93). Enfin, concernant [ˈsinne] signe s. m. “signe” (27, 29 [2]), si l’ALF 1233 ne relève que [siɲe] à Belmont-sur-Rance, Buckenmaier (1934, 59) connaît aussi [ˈsinne] à Camarès. Pour dacòs, cf. ci-dessus la n. à 90, 99 et 111.

29 Le regretté Jacques Boisgontier tenait l’écrivain, ses parents et son frère Jean pour des informateurs représentatifs du parler de Camarès (ALLOr 1, Annexe I, non paginée, p 12.35). Jean Larzac déclarait en 2013 ou 2014, à propos de l’occitan de sa traduction de l’Ancien Testament, que c’est celui « de [s]on Roërgue del Pont de Camarés » (Larzac s. d.).

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References

Bibliographical reference

Jean-Pierre Chambon, Marjolaine Raguin-Barthelmebs and Jean Thomas, Sièm Occitans en prumièr o […] sièm pas ren du tot : une allocution d’Yves Rouquette (2009). Édition d’extraits, avec une introduction, des notes et une étude des diatopismes remarquablesRevue des langues romanes, Tome CXXII N°2 | 2018, 423-456.

Electronic reference

Jean-Pierre Chambon, Marjolaine Raguin-Barthelmebs and Jean Thomas, Sièm Occitans en prumièr o […] sièm pas ren du tot : une allocution d’Yves Rouquette (2009). Édition d’extraits, avec une introduction, des notes et une étude des diatopismes remarquablesRevue des langues romanes [Online], Tome CXXII N°2 | 2018, Online since 01 December 2019, connection on 07 September 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rlr/1182; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rlr.1182

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Jean-Pierre Chambon

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