1Le passage du lycée à l’université est réputé être un moment difficile pour les primo-entrants. D’après une étude récente effectuée auprès d’étudiants sortis sans diplôme de l’enseignement supérieur entre 2003 et 2006 (Beaupère & Grunfeld, 2012), les étudiants doivent faire face à deux difficultés majeures. La première a trait à la gestion du temps. A l’université, les journées ne se déroulent plus sur un mode continu comme au lycée. Les emplois du temps offrent de longues périodes de temps libre entre les cours et, selon les choix d’options, les parcours choisis ; ces derniers pouvant être très différents d’un étudiant à l’autre, y compris au sein d’une même formation. Sans compter que l’assiduité aux cours n’est pas obligatoire. Cela a des conséquences à la fois sur le plan social, les étudiants ayant parfois du mal à créer des liens avec leurs pairs, certains allant même jusqu’à éprouver un réel sentiment d’isolement, voire de solitude, mais également sur le plan organisationnel puisqu’ils ne parviennent pas toujours à occuper les plages horaires laissées vacantes entre les cours. La deuxième difficulté a trait à la méthodologie du travail universitaire. Les étudiants ont du mal à décrypter les attentes de l’institution et à ajuster en conséquence leurs manières de travailler. Dans l’attente de consignes explicites et d’indications méthodologiques, ils développent des stratégies qui peuvent se révéler inadaptées. Il faut dire que « dans la tradition académique, la préoccupation pédagogique ne relève pas de l’université » (Albero, 2011, p. 12). Force est de constater en effet que la majorité des enseignements à l’université passe encore « par l’exposé magistral de la connaissance qui constitue le seul objet du cours » (p. 12). Ce qui, on en conviendra, ne facilite pas la tâche des étudiants et en amène quelques-uns à décrocher.
2Nous présentons dans cet article une expérience d’utilisation de Twitter dans un cours de linguistique générale proposé en première année de licence. L’objectif visé était d’accompagner les étudiants dans leur découverte du métier d’étudiant (Coulon, 1997) en les amenant, à travers des activités d’échanges et de réflexion relativement informelles sur Twitter, non seulement à s’approprier des notions linguistiques (intégration académique) mais aussi à créer du lien entre eux et avec l’enseignant (intégration sociale). Amener ainsi les étudiants à jouer un rôle actif dans leurs apprentissages, c’était également chercher à rompre avec un modèle de cours jusqu’ici trop directif, essentiellement basé sur des cours magistraux et des exercices d’application. Dans un premier temps, les notions d’intégration académique et sociale seront présentées à partir du modèle de Tinto (1975, 1997, 2006) sur la persévérance à l’université. Ensuite, après avoir brièvement présenté Twitter ainsi que le contexte de l’expérience, nous exposerons en détail le cadre méthodologique utilisé, construit à partir des travaux menés dans le domaine de l’apprentissage des langues assisté par ordinateur. Enfin, dans l’analyse, nous ferons le point sur le contenu des tweets, la participation des étudiants et leur degré d’engagement cognitif et socio-affectif dans les échanges. Dans la conclusion nous esquisserons quelques pistes pédagogiques dans la perspective de reconduire l’expérience.
3Au début des études sur la persévérance à l’université qui, selon Tinto (2006), remontent maintenant à une cinquantaine d’années, le phénomène du décrochage s’expliquait uniquement du fait des caractéristiques individuelles des étudiants : « les étudiants qui ne restaient pas étaient considérés comme étant moins capables, moins motivés et moins enclin à anticiper les avantages que l’obtention du diplôme était censé leur apporter » (Tinto, 2006, p. 2). C’est au détour des années 1970 que le point de vue de la recherche sur la question évolue et que le rôle de l’environnement est pris en compte. En 1975, Tinto est un des premiers, en s’appuyant notamment sur une synthèse des travaux de l’époque, à proposer un modèle dans lequel l’abandon à l’université est considéré comme « le résultat d’un processus longitudinal d’interactions entre l’individu et l’institution (pairs, corps professoral, administration) » (p. 94). Le modèle prend tout aussi bien en compte les caractéristiques personnelles (sexe, personnalité), familiales (statut socio-économique, niveau d’éducation des parents, qualité des relations au sein de la famille, etc.) et scolaires des étudiants, ainsi que les buts qu’ils poursuivent (goal commitment) et l’attachement à l’université (engagement institutionnel), que les expériences académiques et sociales qu’ils sont amenés à vivre au sein de l’institution. Si les caractéristiques individuelles sont premières, c’est le degré d’intégration académique et sociale des étudiants qui aura une influence décisive sur leur décision de persister. L’intégration académique dépend à la fois des notes obtenues aux examens et de la perception par les étudiants d’un gain sur le plan des apprentissages (learning gain, Tinto, 1997). L’intégration sociale, quant à elle, renvoie aux interactions entre pairs aussi bien dans des contextes informels que semi-formels (activités extracurriculaires), et aux interactions avec le personnel administratif de l’institution et les enseignants. Plus les étudiants se sentent intégrés socialement et sur le plan académique, plus ils ont l’intention de persévérer. Au contraire, plus le degré d’intégration est faible, plus une distance se crée entre l’individu et l’université, ce qui favorise le désengagement.
4Plusieurs travaux ont depuis validé le modèle de Tinto. Ainsi, Schmitz, Frenay, Neuville, Boudrenghien, Wertz, Noel et Eccles (2010) ont publié les résultats d’une étude de grande ampleur réalisée auprès de 2 632 étudiants de première année issus de différentes facultés belges francophones. Les données ont été récoltées à trois moments différents de l’année à l’aide de questionnaires autorapportés. Il en ressort que « le modèle de Tinto fournit une bonne description, une bonne explication de ce qui se passe dans la réalité et de la manière dont les différentes variables interagissent » (Schmitz et al., 2010, p. 52). Si l’intégration académique semble jouer un rôle plus important que l’intégration sociale dans l’intention de persévérer à l’université, il apparaît en revanche que « la satisfaction des besoins sociaux prime sur celle des besoins académiques durant les premières semaines [de l’arrivée à l’université] » (Schmitz et al., 2010, p. 56)
5Des mesures existent dans les universités pour faciliter l’intégration des étudiants, mesures qui ont été renforcées à l’occasion du plan licence lancé en 2007 par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de l’époque, Valérie Pécresse. Un rapport récent de la Cour des Comptes (2012) établit la liste des actions déployées : amélioration des conditions d’orientation avant l’entrée à l’université, diversification de l’offre de formation (mise en place de parcours renforcés pour les publics fragiles, création d’unités d’enseignement transversales sur des thématiques comme le sport ou la culture), renforcement de l’encadrement pédagogique et de l’accompagnement personnalisé, généralisation du contrôle continu, professionnalisation des formations. Il est toutefois surprenant de constater qu’il n’existe aucune mesure visant à renouveler les pratiques pédagogiques. En 1997, Tinto faisait le même constat : » Bien que [les institutions] n’ignorent pas la classe, beaucoup d’entre elles ne l’ont pas considérée comme une pièce maîtresse dans leurs efforts pour promouvoir la persévérance des étudiants, préférant concentrer leurs efforts en dehors de la classe » (p. 599). Pour Tinto pourtant, c’est dans la classe que se trouve la clé pour réduire le décrochage à l’université. Une étude longitudinale effectuée auprès d’étudiants participant à un programme d’études coordonnées (Coordinated Studies Program), qui mise sur l’interdisciplinarité et le travail collectif (Tinto, 1997), lui permettra d’affirmer plus tard, dans un article qui dresse le bilan des recherches sur le sujet, qu’il existe un lien évident entre, d’une part, les innovations pédagogiques et, d’autre part, « les formes les plus soutenues de l’engagement et de la persistance des étudiants » (Tinto, 2006, p. 5).
6Nous ne nous intéresserons pas directement dans cet article à la notion de persévérance en tant que telle. Il aurait fallu pour cela étudier le parcours d’une cohorte d’étudiants sur plusieurs années. Par ailleurs, l’expérience sur laquelle nous nous appuyons est bien trop isolée et ne saurait, à elle seule, avoir un impact sur le parcours de ces derniers. Si le modèle de Tinto (1997, 2006) constitue le cadre général à l’intérieur duquel prend place cette étude, c’est aux conditions de la persévérance que nous nous intéressons ici, à savoir l’intégration sociale et académique des étudiants. Dans quelles mesures l’utilisation de Twitter, en complément des cours en présentiel, a permis aux étudiants, d’une part, de nouer des relations entre eux et avec l’enseignant et, d’autre part, de construire des connaissances ?
7L’expérience dont il est question dans cet article a été menée dans un cours de linguistique générale en première année de licence. A dominante transmissif, ce cours alterne cours magistraux et activités de découverte et de réflexion à mener, tantôt de manière individuelle, tantôt par petits groupes. Chaque année, même s’il ressort de l’évaluation du cours que les étudiants semblent satisfaits, certaines notions posent de manière récurrente des difficultés. Considérant avant tout la langue comme un outil et non comme un objet d’étude, les étudiants ont du mal à la manipuler et à la questionner. Il est donc difficile pour eux de participer pleinement aux réflexions et aux discussions pendant le cours, d’autant plus qu’ils n’ont pas été sensibilisés aux sciences du langage lors de leurs études secondaires. Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement de les amener à maitriser des concepts, mais également de développer leur curiosité pour qu’ils portent au quotidien, et dans leur environnement, un regard renouvelé sur la langue. Il s’agissait par conséquent de trouver un moyen, non seulement de développer leurs aptitudes heuristiques, mais également de les encourager à davantage s’exprimer et à échanger entre eux en dehors des heures de cours sur des thématiques en relation avec le programme.
8Nous avons choisi pour cela d’utiliser Twitter. Notons que plusieurs recherches ont déjà été consacrées à son utilisation à l’université, par exemple Junco, Heibergert et Loken (2010), Ebner, Lienhardt, Rohs et Meyer (2010), Sinnapan et Zutshi (2011). D’après Vorvoreanu et Bowen (2012), qui consacrent une partie de leur article à dresser l’état actuel de la recherche sur le sujet, Twitter aurait déjà démontré son efficacité pour favoriser la collaboration entre étudiants et la construction de communautés d’apprentissage, pour faciliter l’apprentissage informel, et pour soutenir l’engagement et la participation des étudiants. Même si ces premiers résultats doivent être pris avec précaution (il s’agit en effet exclusivement d’études de cas et les scénarios d’utilisation sont très différents d’une expérience à l’autre), on peut espérer, au vu de l’intérêt de la communauté scientifique pour Twitter et des espoirs qu’elle place dans le microblogging de manière générale, que ce réseau social présente un réel potentiel pour renouveler les pratiques pédagogiques à l’université et, ce qui nous concerne, pour favoriser l’intégration académique et sociale des primo-entrants à l’université. C’est du moins l’hypothèse que nous faisons.
9Le cours de linguistique générale s’est déroulé du 21 septembre au 14 décembre 2012, soit pendant 12 semaines, à raison de deux heures par séance. Twitter n’a pas été utilisé de manière continue au fil du semestre. Lorsque le cours s’y prêtait, il était proposé aux étudiants d’illustrer des notions linguistiques à l’aide d’exemples tirés de leurs observations et questionnements au quotidien et d’en faire part dans des tweets pendant la semaine. Pour l’occasion, un compte a été spécialement créé, @UGR3LGS1, auquel tous les étudiants devaient s’abonner. Les tâches faisaient appel, soit à leur connaissance du fonctionnement de la langue (Trouvez des exemples de phrases qui jouent sur la sonorité des mots de la langue), soit à leur expérience personnelle (Avez-vous déjà été confrontés à des malentendus dont la cause était un mot dont vous ne partagiez pas le même sens avec votre interlocuteur ?), soit encore à leur sens de l’observation (Partez à la recherche d’icônes, de symboles et d’indices). Certaines pouvaient également nécessiter un rapide travail de recherche. Dans tous les cas, il s’agissait, en suscitant les échanges et la réflexion, d’éveiller la conscience métalinguistique des étudiants. En tout, 21 tâches leur ont été proposées, réparties sur sept séances de cours (cf. annexe 2). Les étudiants étaient régulièrement incités à participer, mais aucune évaluation n’était prévue.
Figure 1. Répartition des tâches Twitter sur le semestre. Chaque colonne bleue représente une séance de cours (de S1 à S12). Les tâches sur Twitter (Tw 1 à Tw7) ont été proposées entre certaines séances seulement.
10D’une semaine sur l’autre, les étudiants étaient incités à participer aux tâches sous la forme d’encouragements et de relances à l’oral, lors des séances de cours. Les tâches, intégrées dans les diaporamas, étaient présentées à la fin des séances. Le lien avec les contenus de cours faisait à chaque fois l’objet d’explications détaillées. En revanche, peu de références au contenu des tweets étaient faites en cours.
11Nos questions de recherche étaient les suivantes :
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Dans quelles mesures les étudiants, grands utilisateurs de réseaux sociaux, notamment de Facebook, allaient-ils s’emparer de Twitter ? Publieraient-ils leurs tweets depuis un ordinateur ou un outil nomade (téléphone portable, tablette) ? La pleine réussite de certaines tâches reposait en effet sur la possibilité d’écrire des tweets au moment même où une idée, une réflexion ou une question, prenait forme dans l’esprit.
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Les échanges allaient-ils permettre que s’établissent des liens entre les étudiants, d’une part, et entre les étudiants et l’enseignant, d’autre part et soutenir ainsi l’intégration sociale des étudiants ?
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Enfin, sous quelles formes s’exprimeraient les réflexions dans les tweets ? Les tâches allaient-elles donner aux étudiants le sentiment d’un gain sur le plan des apprentissages, et donc, favoriser leur intégration académique ?
12Pour répondre à ces questions, nous avons eu recours à deux types de données : les tweets (données invoquées) et un questionnaire (données provoquées). Le questionnaire comportait 22 questions (cf. annexe 1). Il s’agissait de recueillir des informations sur l’utilisation de Twitter par les étudiants, avant et pendant le cours. Plusieurs questions portaient également sur leurs sentiments concernant la création de liens et la construction de connaissances, dans le but d’avoir un premier retour concernant leur intégration sociale et académique. 24 étudiants sur 28 ont répondu au questionnaire. Pour traiter ces données nous avons procédé, en ce qui concerne les questions fermées, à des comptages et, pour les questions ouvertes, à une analyse de contenu qui a consisté pour l’essentiel à repérer les thèmes récurrents et à les regrouper en unités significatives. Ces éléments d’informations ont ensuite été croisés avec l’analyse des tweets dans lesquels nous avons cherché à identifier la présence des dimensions cognitives et socio-affectives, toujours avec le même objectif de déterminer dans quelle mesure les échanges avaient pu contribuer à renforcer l’intégration sociale et académique des étudiants. Nous nous sommes appuyé pour cela sur différents travaux réalisés dans le champ de la communication médiatisée par ordinateur.
13Considérons tout d’abord la dimension cognitive des échanges. Les cadres habituellement proposés se focalisent essentiellement sur les compétences de haut niveau : le raisonnement par exemple dans l’article pionnier de Henri (1992), ou encore la pensée critique chez Garisson, Anderson et Archer (2000), dont les travaux sur les community of inquiry ont inspiré un grand nombre de recherches. Or, compte tenu de la nature des tâches proposées sur Twitter, il était important de pouvoir tenir compte également d’activités cognitives moins élaborées comme la simple référence à des notions ou à des termes spécifiques ou encore la formulation de définitions personnelles. Les récents travaux de Yang, Richardson, French et Lehman (2011) répondent à cette préoccupation. La grille d’analyse qu’ils proposent s’intéresse en effet à « tous les niveaux de compétences cognitives » (p. 47). Pour parvenir à ce résultat, ils ont procédé selon la méthode dite de la théorie ancrée (ou grounded theory) qui consiste, à l’inverse des méthodes de recherche classiques, à faire ressortir des catégories d’analyse à partir de la confrontation directe aux données, en l’occurrence 800 messages tirés de deux cours hybrides portant sur l’usage des technologies en éducation. Ce travail leur a permis d’identifier un premier ensemble de catégories qu’ils ont ensuite affinées en les comparant à d’autres travaux de recherche dans le domaine et en étudiant leur fréquence dans un corpus élargi à 1 603 messages. Ils aboutissent ainsi à une dizaine de catégories réparties en types de connaissances et de processus cognitifs, des plus simples, comme le partage d’information, aux plus complexes, comme la capacité à élaborer un nouveau concept.
Tableau 1. Onze catégories pour le cognitif, accompagnées d’exemple de tweets tirés du corpus
14Intéressons-nous maintenant à la dimension sociale ou socio-affective des échanges. Henri (1992) ne lui consacre qu’une seule catégorie, définie qui plus est en des termes assez généraux : « énoncé ou partie d’un énoncé qui n’est pas en relation directe avec le sujet » (p. 126). Dans le cadre des recherches portant sur la Community of Inquiry, cette dimension a en revanche fait l’objet de plus amples développements. Pour Rourke, Anderson, Garrison et Archer (1999) le socio-affectif s’exprime à travers trois catégories principales : l’affectif proprement dit, qui renvoie à l’expression des sentiments et des émotions, mais aussi à l’humour, les répliques qualifiées d’interactives, qui signifient une volonté de maintenir le contact avec les participants et la reconnaissance des contributions de chacun, et enfin les contenus cohésifs qui servent « à construire et soutenir l’engagement envers le groupe » (p. 15). Depuis, d’autres catégories descriptives ont été proposées. A partir d’une revue de la littérature, Quintin (2008) en dénombre pas moins de 14. Si l’on retrouve dans ces catégories celles qui étaient déjà présentes dans l’inventaire dressé par les collaborateurs de Garisson, d’autres font leur apparition comme la gestion relationnelle, les digressions, ou bien encore la sollicitation à participer. Certes, le projet de Quintin n’est pas d’analyser des messages des apprenants, mais les modalités d’intervention tutorale. La confrontation de ces catégories à notre corpus a toutefois permis d’en identifier un certain nombre qui pouvaient également s’appliquer aux tweets des étudiants. Enfin, dans la mesure où les émoticônes sont présents en nombre dans notre corpus, nous avons également tenu compte de la typologie de Marcoccia (2007), qui distingue quatre fonctions de smiley, de manière à faciliter par moment le travail de classement des tweets :
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Les smiley expressifs qui « permettent de rendre plus accessibles les sentiments et les émotions de l’auteur du message » (p. 43) ;
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Les smiley d’ironie et d’humour ;
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Les smiley relationnels de proximité qui permet à un locuteur « d’indiquer qu’il entretient ou aimerait entretenir une relation de familiarité ou de connivence avec son destinataire » (p. 45) ;
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Les smiley de politesse.
15La confrontation de l’ensemble de ces classifications avec les données de notre corpus a permis d’identifier huit catégories socio-affectives (cf. tableau ci-dessous).
Tableau 2. Huit catégories pour le socio-affectif, accompagnées d’exemple de tweets tirés du corpus
16Ce sont les réponses au questionnaire et l’identification dans les tweets des dimensions cognitives et socio-affectives qui nous ont permis de faire des hypothèses concernant le degré d’intégration académique et sociale des étudiants.
17Sur les 28 étudiants présents en cours, 24 se sont abonnés au compte Twitter spécialement créé pour l’occasion. 174 tweets ont été envoyés par les étudiants entre le 28 septembre, coup d’envoi des tâches sur Twitter, et le 14 décembre, date du dernier cours. Entre ces deux dates, neuf séances de cours ont eu lieu, l’une d’entre elles ayant dû être reportée à une date ultérieure. Si l’on rapporte le nombre d’étudiants participants au nombre de semaines pendant lesquelles le compte Twitter était actif, on obtient un nombre de tweets par étudiant et par semaine inférieur à 1 (0,80 exactement). Même si deux étudiants déclarent dans le questionnaire avoir fait les tâches mais ne pas être allés jusqu’à les publier sur Twitter, la participation reste très faible et bien en deçà de ce qui était attendu. De plus, 75 % des tweets ont été envoyés par 5 étudiants seulement.
Figure 2. Nombre d’étudiants et de comptes Twitter créés.
Figure 3. Nombre de tweets par rapport au nombre d’étudiants. 8 étudiants n’ont envoyé aucun tweet, 11 en ont envoyés 45 et 5 étudiants en ont envoyés 129.
Figure 4. Nombre de tweets postés chaque semaine.
18L’analyse de contenu des tweets permet de porter un regard différent sur l’expérience, tout du moins pour ce qui est de la dimension cognitive. On relève en effet dans 65 % des tweets la présence de notions et/ou la trace d’activités cognitives. Pour ce qui des connaissances, la grille de Yang, Richardson, French et Lehman(2011), à la suite des travaux d’Anderson et Krathwohl (2001), fait la différence entre les connaissances factuelles (éléments d’information liés à une discipline), conceptuelles (les concepts, les caractéristiques et les relations qu’ils entretiennent) et procédurales (les étapes à suivre pour accomplir une tâche). Dans notre corpus, les connaissances factuelles consistent pour l’essentiel en des références à la terminologie linguistique (cf. termes en caractères gras) :
« "Sussurer", voilà un mot motivant, euh motivé ;) »
« Un tatouage, n'est-il pas constitué de symboles ? :) »
« C'est quoi la linguistique componentielle ? »
19Les connaissances conceptuelles sont moins nombreuses. Elles sont identifiables dans les tweets lorsque des notions sont présentées comme complémentaires les unes des autres, comme appartenant à un même système de classification, parfois en précisant la nature du lien qui les unit.
« Je pensais aussi à un indice, ou peut-être un icône puisque c'est une représentation du réel... »
« Help, je ne comprends pas les notions de linéarité vs spatialité ! (Oui, je révise la LG « et ça se voit, je sais.) @UGR3LGS1 »
« Implicite ou explicite ? "Bouge tes fesses !" »
20On ne relève en revanche aucune trace de connaissances procédurales. Pour ce qui des compétences cognitives, celles-ci sont également bien représentées. Les tweets ci-dessus par exemple appartiennent aux catégories suivantes (nous mettons en italique les passages des définitions qui correspondent aux exemples de tweets) :
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(CC1.3) Poser des questions. Réagir aux questions et messages des autres : (3), (5), (6)
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(CC2) Répondre aux questions. Suggérer ou proposer des solutions ou des réponses personnelles. Donner son opinion en l’expliquant ou en l’illustrant à l’aide d’exemples : (2), (4)
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(CC4) Démontrer ou illustrer l’application d’une théorie, un principe ou un outil. Intégrer les théories, les principes, les outils, les résultats de recherche dans la pratique. Résoudre des problèmes ou suggérer des solutions relatives à une théorie apprises ou un principe : (1)
21D’autres exemples sont présentés dans l’annexe 2 pour les autres catégories. Notons que seule la catégorie « Créer » (CC.5) n’est pas représentée.
Figure 5. Les différentes catégories du cognitif présentes dans les tweets.
22Il n’est pas surprenant de constater que les deux catégories les plus représentées, avec respectivement 40 et 63 tweets sont, d’une part, les connaissances factuelles (C1.1) et, d’autre part, l’illustration de notions (CC4). En effet, l’objectif, à travers les tâches, était bien d’amener les étudiants à repérer dans leur quotidien des phénomènes expliqués et travaillés en cours. Ce travail de classement des tweets met ainsi en évidence un déséquilibre dans les compétences cognitives travaillées, et attire ainsi l’attention, dans la perspective de la reconduction de cette expérience, sur l’intérêt qu’il y aurait à varier les types de tâches.
23Dans le questionnaire, à la question de savoir si les tâches leur ont été utiles pour mieux comprendre des notions du cours, 12 étudiants sur 24 répondent oui. Les notions le plus souvent citées, et qui ont donné lieu au plus grand nombre de tweets, et parfois même à des échanges nourris, ont trait à la typologie des signes de Pierce (icône, indice, symbole) et à l’une des distinctions posées par Saussure entre l’arbitraire absolu et l’arbitraire relatif. 13 étudiants sur 23 estiment par ailleurs que ce travail leur a permis de porter, « dans [leur] vie de tous les jours », un autre regard sur la langue, ce qui était le but poursuivi :
« Je fais plus attention au langage maintenant, ça retient mon attention lorsque dans une discussion je retrouve un point du cours repris par une tâche, par exemple un néologisme, des comparaisons, les manières de prononcer et le sens mobilisé par divers interlocuteurs. »
« Je suis devenue paranoïaque j'ai compris que les mots qu'on utilise n’ont pas forcément qu'un sens. »
« Simplement sur la place et le réel impact de la linguistique dans notre vie de tous les jours : étonnant ! »
24Toutefois, il faut également souligner que 70 % estiment malgré tout que ce travail ne leur a pas permis d’être mieux préparés pour les examens.
25Contrairement à ce à quoi l’on aurait pu s’attendre, la dimension socio-affective est moins présente dans les tweets que la dimension cognitive. Comme cela ressort du graphique ci-dessous, les formes qui reviennent le plus souvent sont la recherche de proximité, notamment à travers les smiley, l’expression d’émotions, l’humour et la politesse.
« Le mot "pop corn" est trop cool à prononcer, il reflète bien l'aliment en plus ... ♥ *First tweet :D* »
« Ça c'est une expression arbitraire et motivé ! (enfin j'crois... :D) »
« J'ai tarpin de faim !, il y a tarpin de monde !, Je le prend tarpin de mal ! Vous connaissiez cette expression les gens ? ;) »
« Arf je suis perduuue ! »
« Carrément d'accord, c'est haaaaard ! Je m'y perd complètement. Mais bon, on va faire avec. Tant pis ! »
« Ressortir avec l'envie de se couper les veines avec ses fiches de révisions. (L'exercice sur l'ENA... L'horreur.) »
« Tweet tweet tweet ! Voila :-) »
« Je me suis rendu compte vendredi soir en relisant le sujet qu'il y avait un exercice 5... oui, je ne suis pas douée »
« Vous savez ce que s'est un canif ? Un petit fien ! :D »
« Pourriez-vous s'il vous plait, mettre le pdf de la sixième séance sur Alfresco ? Merci d'avance »
« Merci :) »
« D'accord merci beaucoup pour les précisions ! »
Figure 6. Les différentes catégories du socio-affectif présentes dans les tweets.
26La quasi-absence des autres formes de socio-affectif s’explique peut-être du fait de la faible participation des étudiants. On peut en effet considérer que les encouragements, les sollicitations, les digressions et l’expression d’un sentiment d’appartenance sont des formes plus marquées de socio-affectif que l’on ne trouve que dans des communautés d’apprentissage bien soudées. Or, dans le cas présent, il semble bien que l’objectif de créer des liens entre les étudiants n’ait pas été atteint. Pour 21 étudiants, les échanges sur Twitter n’ont joué aucun rôle de ce point de vue. Un étudiant regrette même : « Si cela avait pu nous rapprocher (tous les étudiants de la classe) cela aurait été vraiment bien et peut-être qu'une meilleure ambiance aurait régné dans la classe. » En revanche, pour 13 étudiants, soit un peu plus de 50 %, Twitter a tout de même permis de modifier la relation pédagogique. Il y a « moins de distance », les rapports sont « plus détendus », « moins officiels », le contact est « plus facile » et « plus rapide ». Un étudiant apprécie également le fait de pouvoir rester en contact avec l’enseignant en dehors des cours.
27Le taux de participation des étudiants a été très faible. Au-delà des raisons invoquées de manière explicite dans les réponses au questionnaire, il semble que les caractéristiques de Twitter (impossibilité de créer des groupes et de gérer différents niveaux de confidentialité), et le fait que les étudiants aient un accès limité à Internet, aient joué un rôle déterminant. Twitter est indéniablement un réseau social destiné au nomadisme. L’utilisation de Facebook aurait-elle permis que davantage d’étudiants s’impliquent dans les tâches, comme ils le soutiennent eux-mêmes ? Le risque n’aurait-il pas été de perdre ce qui fait tout l’intérêt de Twitter, à savoir la concision des messages, dû au nombre de caractères limités que doit comporter un tweet ? Une autre solution aurait été de se tourner vers un service de microblogging éducatif, comme Twiducate (http://www.twiducate.com) ou Cirip.ro (http://www.cirip.ro), mais l’activité ne perdrait-elle pas en termes d’authenticité cette fois-ci ?
28Quoi qu’il en soit, les tâches se sont révélées très productives sur le plan cognitif. Les étudiants qui ont régulièrement participé aux tâches ou du moins, qui ont suivi les échanges sur Twitter, ont eu le sentiment d’un gain sur le plan des apprentissages (c’est en tout cas ce qui ressort du questionnaire) et l’on peut faire l’hypothèse que cela a eu impact sur leur intégration académique.
29En ce qui concerne l’intégration sociale en revanche, le résultat est en demi-teinte. Si les étudiants ont le sentiment que Twitter a permis d’améliorer la relation enseignant/apprenants, leur point de vue quant aux relations entre pairs est sans appel. C’est la conséquence directe du peu de participation.
30Si cette expérience devait être répliquée, il faudrait prévoir quelques séances de tutorat en parallèle des cours pour faire évoluer les représentations négatives que certains peuvent avoir à l’égard des réseaux sociaux, à travers des discussions en lien avec les échanges de tweets. Il faudrait également initier les étudiants à un autre usage de Twitter qui consiste à faire de la veille. On pourrait par exemple leur demander de sélectionner au fil du semestre les tweets qui leur auraient semblé les plus intéressants et de les organiser dans un document final, pourquoi pas à l’aide d’un outil comme Storify (https://storify.com), en expliquant leurs choix. Ce travail pourrait être noté, ce qui contribuerait certainement à renforcer l’engagement des étudiants et, par là même, leur intégration académique. Enfin, il faudra se poser la question de choix de l’outil. Twitter présente en effet des inconvénients sur le plan ergonomique. Il est par ailleurs peu utilisé par les étudiants. Quel autre outil pourrait être utilisé ? Facebook ? WeChat ? Il semble que le choix d’un outil ne puisse se passer d’une étude préalable des usages que font les étudiants des objets techniques.
31La réussite des étudiants à l’université est devenue une question prioritaire pour le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les recherches en sciences de l’éducation sur la persistance des étudiants montrent que la première année de licence est un moment clé et qu’il convient d’être particulièrement attentif à l’intégration des étudiants dans la vie universitaire, tant sur le plan social qu’académique, et ce, quelles que soient leurs caractéristiques personnelles et leur parcours scolaire. De nombreuses mesures d’accompagnement existent déjà, que ce soit avant l’entrée à l’université, pendant les études, ou même au moment où les étudiants cherchent à s’insérer sur le marché de l’emploi. Mais les initiatives en matière d’innovation pédagogique tardent à se mettre en place dans les classes (cf. éléments théoriques). Le dispositif présenté dans cet article est loin d’être une panacée, et il devra bien sûr faire l’objet d’aménagements, comme ceux proposés précédemment, dans la perspective de sa reconduction. Mais il offre au moins un intérêt, celui de pouvoir être mis en place sans pour autant réorganiser les contenus de cours, ni modifier l’approche pédagogique. Il se présente donc comme une alternative intéressante à d’autres options pédagogiques plus ambitieuses mais plus chronophages, comme la pédagogie de projet ou la télécollaboration par exemple, qui elles aussi cherchent à rendre les apprenants plus actifs et impliqués dans leurs apprentissages.