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Dossier - Croyances et pratiques professionnelles des enseignants

Quelles approches pédagogiques sous-tendent les pratiques des futurs enseignants belges francophones ?

What approaches to teaching underpin the practices of future French-speaking Belgian teachers?
¿Qué aproximaciones pedagógicas determinan las prácticas de los futuros docentes belgas francófonos?
Chloé Gravé, Marie Bocquillon, Nathanaël Friant et Marc Demeuse
p. 153-162

Résumés

L’ancien débat relatif aux approches pédagogiques oppose aujourd’hui les auteurs mettant en évidence l’efficacité de l’enseignement explicite et ceux d’orientation socioconstructiviste, peu d’auteurs se revendiquant d’une approche transmissive. Cet article examine dans quelle mesure les futurs enseignants de différentes institutions de formation de Belgique francophone (hautes écoles et universités) adhèrent à ces trois approches. Sur la base d’un questionnaire adapté de celui de Wanlin et Crahay, les résultats indiquent que plus les futurs enseignants du primaire avancent dans leurs études, plus ils sont favorables à une approche socioconstructiviste et moins favorables que ceux du secondaire inférieur à une approche transmissive. Les futurs enseignants du secondaire supérieur, formés à l’université, sont le moins favorables à une approche socioconstructiviste. Quant à l’approche explicite, elle est encore peu présente dans la formation initiale des enseignants belges.

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Notes de l’auteur

Ce texte fait l’objet d’une publication plus développée, notamment par rapport aux résultats et aux aspects méthodologiques, en langue anglaise : Gravé, C., Bocquillon, M., Friant, N., & Demeuse, M. (2020). « Pre-service teachers’ conceptions on explicit, socioconstructivist and transmissive approaches to teaching and learning in French Speaking Belgium ». In J. Madalińska-Michalak (Ed.), Studies on Quality Teachers and Quality Teacher Education. Warsaw : Foundation for the Development of the Education System.

Texte intégral

1À côté d’un corps de connaissances théoriques et empiriques, plus ou moins partagées et validées, chaque professionnel adopte une démarche qui se base, en partie, sur ses croyances et celles du ou des groupes au(x)quel(s) il appartient ou s’affilie. Celles-ci sont influencées par de nombreuses sources, y compris extra-professionnelles. Nous préférons, pour notre part, utiliser le terme « conception » qui nous semble moins péjoratif, même si, comme le souligne Pajares (1992), il existe de nombreux synonymes du terme « conceptions » : opinions, valeurs, mais aussi croyances… Vause (2009) définit les conceptions comme des idées préconçues, des théories tirées de diverses sources, des généralisations d’expérience personnelle qui permettent à l’enseignant d’agir et de justifier cette action. Les conceptions recouvrent donc bien aussi des croyances, mais ne s’y limitent pas.

2Comme les croyances, les conceptions ne sont pas directement observables ou mesurables et doivent donc être déduites de ce que les gens disent ou font (Pajares, 1992). Un questionnaire a été utilisé dans le cadre de notre étude pour étudier les conceptions pédagogiques de futurs enseignants en formation initiale en Belgique francophone. Nous ne tenterons pas de savoir ici comment ces conceptions se sont formées ou comment elles pourraient être argumentées, mais d’identifier les principes et les éléments auxquels les futurs enseignants adhèrent, avec plus ou moins de conviction. En un sens, nous ne pouvons pas différencier dans la suite de cet article ce qui est de l’ordre de la conception pédagogique construite sur une base documentée d’une croyance pédagogique sans réelle base scientifique.

  • 1 . L’Éducation nouvelle marque notamment un glissement de la centration sur les contenus à enseigner (...)

3Depuis la naissance de l’Éducation nouvelle1, à la fin du XIXe siècle, un débat parfois très vif à propos des approches pédagogiques anime la scène éducative. Aujourd’hui, il oppose notamment les auteurs d’orientation instructionniste et les auteurs d’orientation socioconstructiviste, dont nous tenterons plus loin de présenter schématiquement les positions.

4De manière générale, les premiers soulignent la plus grande efficacité des approches instructionnistes telles que l’enseignement explicite comparativement aux approches (socio)constructivistes. Pour ce faire, ils s’appuient sur les résultats de recherches en psychologie cognitive et/ou de recherches expérimentales, comparant l’efficacité de diverses approches pédagogiques sur l’apprentissage des élèves (Gauthier, Bissonnette et Richard, 2013). De leur côté, d’autres auteurs questionnent ces résultats de recherches et promeuvent les approches socioconstructivistes (par exemple, Herman et Gomez, 2009) en s’appuyant davantage sur une réflexion philosophique que sur des recherches empiriques (Tobias, 2009). Pour Wanlin et Crahay (2015), « la scène pédagogique actuelle est dominée par la doxa du socioconstructivisme », alors que les tenants de cette approche considèrent que les approches instructionnistes véhiculent une vision essentiellement utilitaire et béhavioriste des apprentissages. Cette opposition a également été mise en évidence par l’Agence pour l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur (2014), dans le cadre de l’évaluation du cursus instituteur(-trice) primaire organisé par les hautes écoles en Belgique francophone :

[E]n matière de méthodes pédagogiques, les sections pédagogiques privilégient très nettement le modèle du socioconstructivisme. Souvent même, tout se passe comme si la section ne connaissait que le socioconstructivisme, comme seule approche pédagogique alternative à la transmission de savoirs de type « cours magistral ». Il n’est pas rare d’observer une attitude prescriptive qui veut que toutes les séances conduites en stage respectent ce modèle unique – modèle que les enseignants formateurs aimeraient voir adopté par les écoles primaires de la région.

5L’objectif de notre étude est d’examiner dans quelle mesure les futurs enseignants de différentes institutions de formation de Belgique francophone (hautes écoles et Université) adhèrent à l’une et/ou l’autre approche pédagogique. Elle fait suite à une enquête menée en Suisse par Wanlin et Crahay (2015). Celle-ci avait mis en évidence que les conceptions des futurs enseignants sont moins clivées que certains débats le laissent entendre. Ainsi, certains futurs enseignants sont favorables à l’approche transmissive, sans pour autant s’opposer à l’approche socioconstructiviste, ce qui peut pourtant sembler difficilement conciliable.

6Néanmoins, le questionnaire de Wanlin et Crahay (2015) ne distingue pas l’approche transmissive et l’approche explicite, ce qui nous semble regrettable mais au fond peu étonnant dans un contexte francophone. La lecture attentive du débat relatif aux approches pédagogiques met en effet en évidence que l’enseignement explicite, une approche instructionniste dont l’efficacité a été démontrée par des recherches empiriques, est confondue avec l’approche transmissive par de nombreux auteurs. Les auteurs d’orientation instructionniste, de leur côté, distinguent bien les approches transmissive et explicite, mais ils ne mettent pas en évidence l’efficacité d’un enseignement transmissif « traditionnel », contrairement à l’enseignement explicite qui s’en distingue.

7Cet article vise donc à mesurer l’adhésion des futurs enseignants quant à trois approches pédagogiques : l’approche socioconstructiviste, l’approche transmissive et l’approche explicite, en ajoutant cette dernière dimension au questionnaire de Wanlin et Crahay.

Cadre théorique

Les approches socioconstructiviste, transmissive et explicite

  • 2 Le lecteur intéressé par la différence entre (socio)constructivisme comme démarche d’apprentissage (...)

8Avant de présenter de manière synthétique ces différentes approches pédagogiques, il est important de souligner que les auteurs d’orientation (socio)constructiviste (par exemple, Arcà et Caravita, 1993) et les auteurs d’orientation instructionniste (par exemple Gauthier, Bissonnette et Richard, 2013) s’accordent sur la manière dont l’élève apprend (en construisant activement ses connaissances et en étant confronté à son environnement), mais pas sur les moyens à mettre en œuvre pour favoriser cet apprentissage actif2. L’approche transmissive se caractérise le plus souvent par une conception de l’apprentissage comme davantage lié à l’incorporation directe, par l’élève, de la matière enseignée, c’est-à-dire comme une sorte de remplissage plutôt qu’une assimilation au sens piagétien.

9La figure 1 permet de comparer les « grandes étapes » par lesquelles un enseignant passe pour aider ses élèves à maîtriser les apprentissages visés, selon qu’il utilise l’enseignement explicite, l’approche (socio)constructiviste ou l’approche transmissive.

Figure 1. Déroulement schématique d’une séquence d’enseignement / apprentissage selon les approches socioconstructiviste, transmissive et explicite

Figure 1. Déroulement schématique d’une séquence d’enseignement / apprentissage selon les approches socioconstructiviste, transmissive et explicite
  • 3 Certains lecteurs seront sans doute tentés d’y reconnaître une approche de type « pédagogie rationn (...)

10L’approche explicite renvoie à une démarche d’enseignement systématique procédant du simple au complexe et comportant notamment trois étapes essentielles (Gauthier et al., 2013) : (1) l’enseignant démontre clairement les procédures permettant de réaliser les tâches proposées en mettant, en quelque sorte, un « haut-parleur sur sa pensée » (modelage) ; (2) les élèves s’exercent à pratiquer la tâche avec les autres élèves et avec l’enseignant (pratique guidée) ; (3) l’élève réalise la tâche seul (pratique autonome). Tout au long d’une leçon d’enseignement explicite, l’enseignant met en œuvre différents gestes professionnels tels que la vérification de la compréhension des élèves et la rétroaction. Les élèves sont donc très loin d’absorber passivement la parole du maître3.

11Lorsqu’il met en œuvre une approche transmissive, l’enseignant expose les contenus aux élèves, qui les appliquent ensuite seuls dans des exercices. Cette définition rejoint celle de Wanlin et Crahay (2015) pour construire les items de leur questionnaire :

[N]ous avons des items qui insistent sur la nécessité des explications, démonstrations et exposés des contenus par les enseignants, de la communication des marche-à-suivre pour les résolutions des problèmes. Ces items qui incluent aussi la nécessité des exercices et de l’application correspondent […] aux idées des partisans de la transmission.

12Lors d’une leçon transmissive, l’enseignant vérifie la compréhension et fournit de la rétroaction en fin de leçon, sur la base des exercices, sans organiser de pratique guidée (Gauthier et al., 2013).

13L’approche (socio)constructiviste, quant à elle, débute généralement par des activités que les élèves réalisent seuls ou en groupes. Par la suite et si nécessaire, l’enseignant leur enseigne les procédures pour réaliser ces tâches (Hmelo-Silver et al., 2007). Cette définition rejoint celle de Wanlin et Crahay (2015) :

[L]es items représentant le socioconstructivisme tournent autour de l’idée selon laquelle les élèves peuvent trouver seuls et sans l’aide d’un adulte les procédures de résolution de beaucoup de problèmes, mais aussi que cette identification de solutions peut être groupale et qu’elle se déroule avant même que l’enseignant ne montre les procédures de résolution de problèmes.

Conceptions des enseignants et influence de leur formation

14Comme nous l’avons évoqué plus haut, les conceptions des enseignants ne sont pas toujours aussi clivées que le débat relatif aux approches pédagogiques. Bien que la formation initiale des enseignants vise à changer les conceptions des futurs enseignants (Cole et Knowles, 1993, cités dans Nettle, 1998), certaines recherches ont montré que la formation est souvent inefficace pour changer ces conceptions et, partant, modifie aussi difficilement les pratiques de manière durable (Boraita et Crahay, 2013).

15Pour qu’il y ait un changement de conceptions, le futur enseignant doit être dans une situation de déséquilibre (Pajares, 1992), ce qui est rarement le cas lors de la formation initiale, puisque l’étudiant est dans une situation familière et se trouve peu confronté à des événements perturbateurs, avant les stages. Ces derniers sont rarement l’occasion d’une remise en cause de l’approche pédagogique adoptée en classe, mais plutôt une opportunité pour corriger la mise en œuvre des leçons données. Il faut aussi garder à l’esprit que les futurs enseignants ne sont pas dépourvus de conceptions préalables à leur entrée en formation car ils sont immergés dans le monde scolaire depuis leur plus tendre enfance. Les futurs enseignants formés dans les hautes écoles ont été confrontés à une perspective principalement socioconstructiviste, dans le contexte belge (ou suisse) francophone, contrairement à leurs collègues universitaires qui ont été confrontés, pendant leurs cinq années d’études de master, à de nombreuses leçons basées sur la transmission (en amphithéâtre).

16En effet, en Fédération Wallonie-Bruxelles, les enseignants du primaire et du premier cycle du secondaire sont formés pendant trois ans (300 crédits) dans des établissements d’enseignement supérieur appelés « hautes écoles » par des formateurs, le plus souvent porteurs d’un master, voire d’un diplôme identique à celui pour lequel ils forment. En revanche, leurs collègues du niveau secondaire supérieur sont exclusivement formés à l’université, après un parcours long (master en cinq ans, 180 crédits) disciplinaire et sont confrontés principalement à des titulaires, porteurs d’un doctorat, généralement en charge d’enseignements disciplinaires et plus rarement spécialistes de l’enseignement/apprentissage dans l’enseignement obligatoire. La liberté pédagogique au sein des organismes de formation est fortement revendiquée en Fédération Wallonie-Bruxelles : chaque formateur, en tant que « praticien réflexif », est libre d’adopter sa propre approche de l’enseignement et de l’apprentissage. On pourrait donc s’attendre à y observer une large variété d’approches. Cependant, en haute école, la formation initiale des enseignants vise largement à modifier les conceptions des étudiants, dès leur entrée en formation, dans une perspective socioconstructiviste, considérant souvent que ceux-ci y arrivent avec une idée préconçue de leur futur métier comme principalement transmissif.

17Tout comme Nettle (1998), nous émettons l’hypothèse que la formation initiale a, potentiellement, un effet sur les conceptions des enseignants en formation, au-delà de leurs conceptions personnelles. Nous émettons également l’hypothèse que les différentes hautes écoles peuvent avoir une influence spécifique sur leurs étudiants, leurs formateurs pouvant adopter/valoriser différentes approches et ainsi les transmettre à leurs étudiants, même si cela s’inscrit dans une approche majoritairement d’inspiration socioconstructiviste. De leur côté, les futurs enseignants du secondaire supérieur, après avoir terminé leur formation disciplinaire (agrégation) ou à la fin de celle-ci (master à finalité didactique), se définissent en fonction de leurs compétences disciplinaires spécialisées et nous nous attendons à ce qu’ils adhèrent davantage à une approche transmissive que socioconstructiviste.

Mesurer les conceptions des enseignants

18L’outil construit par Wanlin et Crahay (2015) permet d’identifier les conceptions socioconstructivistes et transmissives des enseignants. Ces auteurs se sont intéressés aux conceptions de 228 futurs enseignants du primaire et du secondaire du canton de Genève et aux facteurs qui influencent ces conceptions. Ils ont également abordé la question du caractère antagoniste de deux conceptions : le fait d’avoir des conceptions socioconstructivistes implique-t-il le rejet des conceptions transmissives ?

19Une analyse en classes latentes a révélé trois profils avec des différences entre les futurs enseignants du primaire et du secondaire. À la fin de leur formation, les futurs enseignants du primaire présentent des conceptions plus socioconstructivistes et plus opposées à la transmission, alors que les futurs enseignants du primaire en première année de formation et la majorité des futurs enseignants du secondaire ont des profils mitigés : pro-transmission sans rejet du socioconstructivisme ou rejet du socioconstructivisme sans se prononcer en faveur de la transmission.

20Compte-tenu de la situation belge francophone et de la littérature, nous testerons l’hypothèse d’une adhésion plus large des futurs instituteurs à une approche socioconstructiviste, contrairement à leurs collègues du secondaire inférieur et, plus encore, du secondaire supérieur. Cette adhésion plus large pourrait également être influencée par l’année d’étude en haute école (1re année ou 3année).

21L’outil de Wanlin et Crahay (2015) ne faisant pas de distinction entre les deux approches transmissive et explicite, notre étude vise à enrichir cet instrument en tentant de distinguer les trois approches pédagogiques que nous avons décrites. Nous n’avons pas émis d’hypothèse préalable par rapport à l’approche explicite, celle-ci étant encore très peu implantée dans le contexte belge francophone.

Méthodologie

Échantillon

22Pour tester nos hypothèses, un questionnaire papier-crayon a été administré à 563 enseignants en formation initiale en Belgique francophone. Cet échantillon provient de cinq hautes écoles et d’une université dans différents réseaux scolaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il compte 298 futurs enseignants du primaire en formation initiale et 265 futurs enseignants du secondaire inférieur et supérieur. Les étudiants se répartissent en 439 femmes pour 124 hommes.

23Les 298 futurs enseignants du primaire sont issus de cinq hautes écoles différentes, avec des étudiants de première et troisième année. Parmi ces futurs enseignants du primaire, on compte 257 femmes et 41 hommes.

24Les 265 futurs enseignants du secondaire viennent de trois établissements différents, avec des étudiants de première et troisième années des hautes écoles et des étudiants de l’agrégation universitaire. Il y a 182 femmes pour 83 hommes. Les étudiants formés à l’université sont issus des différentes facultés, avec une prédominance des disciplines scientifiques, des mathématiques et des langues modernes. Les futurs enseignants qui se destinent au premier cycle du secondaire suivent différentes formations selon la matière qu’ils enseigneront : français / morale, français / français langue étrangère (FLE), philosophie et éducation à la citoyenneté, langues germaniques, mathématiques, sciences, sciences humaines, économie domestique et sociale et arts plastiques.

Questionnaire

25Le questionnaire est composé de 65 items, dont 63 sont associés à des approches socioconstructiviste, transmissive ou explicite4. Deux items « caricaturaux » ont été ajoutés. Sur ces 65 éléments, 30 ont été tirés du questionnaire de Wanlin et Crahay (2015) et 35 ont été ajoutés. Les items se présentent sous la forme d’une échelle de Likert en six points, allant de « désaccord total » à « accord total ».

26Les items relatifs aux différentes conceptions ont été mélangés pour éviter un effet d’ordre. Le nombre pair de catégories de l’échelle de Likert encourage la prise de décision de la part des répondants qui sont donc obligés de se positionner.

27D’autres informations telles que le type de formation (instituteur, enseignant du secondaire inférieur ou enseignant du secondaire supérieur), l’année d’étude, le sexe, les antécédents professionnels dans l’enseignement, l’établissement fréquenté et la matière choisie par les futurs enseignants du premier cycle du secondaire ont également été collectées pour permettre l’analyse de l’influence possible de ces variables sur les conceptions des futurs enseignants.

Résultats

28Aucune dimension liée à l’approche explicite n’apparaît chez les répondants, alors que les dimensions socioconstructiviste et transmissive sont bien présentes. La cohérence de l’échelle « approche explicite » est en effet malheureusement trop faible pour calculer un score fiable pour cette dimension.

29Nos analyses montrent par ailleurs qu’il existe une faible corrélation négative (r = -.13) entre les deux premiers facteurs (échelle « socioconstructiviste » et échelle « transmissif »), mais cette valeur faiblement négative ne permet pas de considérer qu’avoir un score élevé « en socioconstructivisme » est nécessairement associé à un score faible « en transmission ». Dit autrement, cela met en évidence qu’il n’existe pas une opposition radicale entre ces deux approches chez les enseignants en formation. Quel que soit l’établissement de formation considéré, le score de l’échelle socioconstructiviste est cependant toujours plus élevé que le score de l’échelle transmissive.

30Les futurs enseignants de troisième année en haute école ont un score nettement inférieur à leurs collègues de première année sur la conception transmissive. La formation des enseignants semble donc avoir un impact progressif sur le rejet de l’approche transmissive. La différence entre les étudiants de première année et ceux de troisième année sur la conception socioconstructiviste est moins marquée : dès leur première année de formation, les futurs enseignants adoptent des conceptions davantage socioconstructivistes. Ce résultat pourrait être dû à la période de l’année où notre enquête a été réalisée, c’est-à-dire en février et mars, alors que les étudiants de première année avaient déjà passé un trimestre complet dans les hautes écoles.

31Afin de tester notre hypothèse relative à l’effet de l’institution de formation, nous avons effectué des analyses multiniveaux, en essayant de prédire dans quelle mesure les étudiants adoptent une approche progressivement plus socioconstructiviste. Cette analyse permet de mettre en évidence un effet modéré de l’établissement de formation sur les échelles « socioconstructiviste » et « transmissif ». En ajoutant l’année d’étude dans le modèle, pour les hautes écoles, l’analyse met en évidence un effet de l’année d’étude sur les deux échelles, le passage de la première année à la troisième année de formation augmentant la moyenne sur l’échelle « sociocontructiviste », la moyenne sur l’échelle « transmissif » diminuant. Par contre, l’effet lié à l’établissement sur l’échelle « sociocontructiviste » disparaît alors au profit de l’année d’étude, ce qui semble indiquer que si l’établissement peut avoir un effet, celui-ci reflète avant tout la différence de répartition des étudiants en première et troisième année et selon la formation suivie dans chaque établissement. Autre constat : les étudiants de l’université ont un score plus faible sur l’échelle socioconstructiviste.

32En ajoutant la formation suivie en haute école (primaire vs secondaire inférieur), l’analyse révèle un effet de la formation suivie sur les conceptions transmissive et socioconstructiviste, ne neutralisant pas l’effet année d’étude et établissement : les enseignants se destinant au premier cycle du secondaire, davantage spécialisés de manière disciplinaire, ont une conception plus transmissive et moins socioconstructiviste que les enseignants du primaire en formation initiale, ce qui les rapproche des étudiants se formant à l’université après une formation disciplinaire longue.

*
**

33Nos résultats ne confirment pas l’existence d’une conception explicite consistante chez nos répondants, ce qui peut certainement s’expliquer par la faible présence de cette approche en formation initiale en Belgique francophone. Cela provient sans doute aussi de la confusion entre enseignement explicite et enseignement transmissif qui existe, y compris chez Wanlin et Crahay. Cependant, nos analyses montrent des résultats intéressants concernant les approches transmissive et socioconstructiviste.

34Les futurs enseignants présentent généralement des conceptions socioconstructivistes plus affirmées, sans rejeter les conceptions transmissives. Ceci est conforme aux conclusions de Wanlin et Crahay (2015), qui ont invalidé l’antagonisme systématique entre ces deux conceptions.

35Néanmoins, comme lors de l’étude de Wanlin et Crahay (2015), les profils sont différents en fonction de la formation suivie. Par exemple, les futurs enseignants du primaire sont moins favorables à l’approche transmissive, probablement en raison du fait que leurs formateurs privilégient le modèle socioconstructiviste (Agence pour l’évaluation de la qualité de l’enseignement supérieur, 2014). La formation actuelle en Belgique francophone préconise une approche basée sur les compétences qui y est largement assimilée à l’approche socioconstructiviste. Les futurs enseignants de l’enseignement secondaire supérieur formés à l’université sont, quant à eux, moins favorables à l’approche socioconstructiviste que leurs collègues, ce qui correspond sans doute aussi à une formation disciplinaire plus longue et spécialisée, dans un contexte souvent transmissif, au moins au premier cycle.

36Nous observons également un effet d’année d’étude comparable à celui identifié par Wanlin et Crahay (2015), les futurs enseignants étant plus favorables à l’approche socioconstructiviste et moins favorables à l’approche transmissive au fur et à mesure de leur avancée dans la formation. Ces résultats sont similaires à ceux de Su (1992, cité par Nettle, 1998), pour qui la formation initiale des enseignants influence les conceptions des enseignants. Ce résultat, s’il est confirmé sur la base d’un échantillon plus large et mieux balancé, nous permettra de modérer la position de Chin et Benne (1969, cités par Boraita et Crahay, 2013), pour qui la formation permet rarement un changement conceptuel.

37Des différences entre les institutions de formation des enseignants du primaire en formation initiale peuvent également été mises en évidence, mais celles-ci disparaissent lorsque l’on prend en compte les années d’études en même temps dans le modèle.

38Des entretiens avec des formateurs d’enseignants et de futurs enseignants permettraient de comparer leurs conceptions, comme nous l’envisageons à présent. De cette manière, il serait également possible d’identifier la source de la variation des conceptions, comme l’a fait Vause (2009), pour qui les cours théoriques développent des croyances sur les stratégies d’enseignement et les stages développent des croyances sur les élèves et l’apprentissage. L’étude de l’impact des stages pourrait également être un prolongement de cette étude. Nous suggérons d’interroger les futurs enseignants avant et après les stages, afin de savoir si ceux-ci provoquent un retour vers des croyances préalables à la formation (Leavy, McSorley et Boté, 2007, cité par Boraita et Crahay, 2013) ou une évolution (Boraita et Crahay, 2013). Il serait également intéressant de comparer les conceptions identifiées par le questionnaire avec les pratiques de classe mises en œuvre par les futurs enseignants, de manière à dépasser l’étude déclarative et confronter les conceptions des enseignants à leurs pratiques effectives.

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Bibliographie

AGENCE POUR L’ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (2014). Évaluation du cursus instituteur(-trice) primaire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Analyse transversale. Bruxelles : AEQES (éditeur responsable : C. Duykaerts). [En ligne]. Page consultée le 15 avril 2020. [https://bit.ly/3kbYxnE]

ARCÀ M. et CARAVITA S. (1993). Le constructivisme ne résout pas tous les problèmes. Aster, 16, p. 77-101.

BOCQUILLON M., GAUTHIER C., BISSONNETTE S. et DEROBERTMASURE A. (2020). « Enseignement explicite et développement de compétences : antinomie ou nécessité ? ». Formation et Profession, 28 (2), 3-18. http://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.18162/fp.2020.513

BORAITA F. et CRAHAY M. (2013). « Les croyances des futurs enseignants : est-il possible de les faire évoluer en cours de formation initiale et, si oui, comment ? ». Revue française de pédagogie, 183, p. 99-158.

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HMELO-SILVER C., DUNCAN R.G. et CHINN C.A. (2007). « Scaffolding and achievement in problem-based and inquiry learning: A response to Kirschner, Sweller, and Clark (2006) ». Educational Psychologist, 42, p. 99-108.

NETTLE E.B. (1998). « Stability and change in the beliefs of student teachers during practice teaching ». Teaching and teacher education, 14(2), p. 193-204.

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VAUSE A. (2009). « Les croyances et connaissances des enseignants à propos de l’acte d’enseigner. Vers un cadre d’analyse ». Les cahiers de Recherche en Éducation et Formation, 66.

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Notes

1 . L’Éducation nouvelle marque notamment un glissement de la centration sur les contenus à enseigner vers une centration sur l’élève et son développement global et personnel. Elle concentre ses critiques, parfois très radicales, sur une pédagogie qu’elle qualifie de « traditionnelle » et qu’elle juge essentiellement transmissive, sans considération pour l’enfant en développement et les mécanismes d’apprentissage. Elle apparaît sous des formes très variées, à travers des figures emblématiques comme Claparède, Ferrière, Decroly, Neill ou Montessori. Cette opposition entre « pédagogie traditionnelle » centrée sur les contenus et « pédagogie nouvelle », soucieuse du développement de chaque élève, est encore au cœur des discours sur l’école aujourd’hui.

2 Le lecteur intéressé par la différence entre (socio)constructivisme comme démarche d’apprentissage et (socio)constructivisme comme démarche d’enseignement peut se référer au texte de Bocquillon, Gauthier, Bissonnette et Derobertmasure (à paraître).

3 Certains lecteurs seront sans doute tentés d’y reconnaître une approche de type « pédagogie rationnelle », par opposition à une approche « pédagogie pragmatiste » ou une « pédagogie critique », associée à l’approche socioconstructiviste, mais cela mériterait une analyse plus fine.

4 Le questionnaire est disponible à l’adresse : http://www.umons.ac.be/inaspub3.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Déroulement schématique d’une séquence d’enseignement / apprentissage selon les approches socioconstructiviste, transmissive et explicite
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/docannexe/image/9673/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 47k
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Pour citer cet article

Référence papier

Chloé Gravé, Marie Bocquillon, Nathanaël Friant et Marc Demeuse, « Quelles approches pédagogiques sous-tendent les pratiques des futurs enseignants belges francophones ? »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 84 | 2020, 153-162.

Référence électronique

Chloé Gravé, Marie Bocquillon, Nathanaël Friant et Marc Demeuse, « Quelles approches pédagogiques sous-tendent les pratiques des futurs enseignants belges francophones ? »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 84 | septembre 2020, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/9673 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.9673

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Auteurs

Chloé Gravé

Chloé Gravé est institutrice primaire en Fédération Wallonie-Bruxelles depuis 2015. En parallèle, elle a entrepris des études en sciences de l’éducation à l’Université de Mons (Belgique). Lors de sa dernière année d’étude, elle a fait une recherche dont le but était d’identifier les conceptions pédagogiques de futurs enseignants sur base d’un travail de Wanlin et Crahay (2015). Une fois diplômée, elle a travaillé au sein de l’Institut d’administration scolaire de l’Université de Mons pour poursuivre cette recherche. Actuellement, elle enseigne dans une école primaire. Courriel : chloe.grave@hotmail.com

Marie Bocquillon

Marie Bocquillon est assistante sous mandat au sein de l’Institut d’administration scolaire de l’Université de Mons, Belgique. Ses recherches portent sur la formation initiale des enseignants de l’enseignement secondaire supérieur. Elle intervient aussi dans l’encadrement des travaux pratiques, des stages et des mémoires des étudiants de master en sciences de l’éducation. Elle dispense également des formations continuées relatives à l’éducation fondée sur des données probantes dans des écoles primaires et secondaires. Courriel : Marie.BOCQUILLON@umons.ac.be

Nathanaël Friant

Nathanaël Friant est chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles. Ses recherches portent sur ce qui touche au caractère juste et équitable des systèmes éducatifs tant au niveau des politiques éducatives en Belgique francophone que dans différents pays européens. Il a également travaillé sur le sentiment des usagers d’être traités avec justice, sur les ségrégations scolaires, sur le quasi-marché scolaire belge francophone et sur les représentations sociales des usagers du système éducatif belge francophone. Courriel : nathanael.friant@ulb.ac.be

Marc Demeuse

Marc Demeuse est professeur à l’Université de Mons (Belgique) et vice-recteur à l’enseignement. Il y dirige l’Institut d’administration scolaire. Psychologue et statisticien, il consacre une partie de ses recherches aux politiques ciblées (éducation prioritaire) et à la formation des enseignants. Il participe, comme expert, à différentes commissions et organes de pilotage du système éducatif belge francophone, a été président du conseil d’école de l’école supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) de Lorraine. Il est membre du conseil scientifique de l’éducation nationale (France). Courriel : Marc.DEMEUSE@umons.ac.be

Articles du même auteur

  • Le curriculum oublié [Texte intégral]
    Analyse comparée des programmes de sciences en Belgique francophone
    Forgotten curriculum. A comparative analysis of science programmes in French-speaking Belgium
    El currículum olvidado. Análisis comparado de los programas de ciencias en la Bélgica francófona
    Paru dans Revue internationale d’éducation de Sèvres, 56 | avril 2011
  • Careers Advice at School in the French Community in Belgium
    La orientación escolar en la Comunidad francesa de Bélgica
    Paru dans Revue internationale d’éducation de Sèvres, 38 | avril 2005
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