1Avec la fin de la dictature en 1985, le défi au Brésil était de démocratiser le pays. Les mouvements sociaux qui étaient directement liés aux thèmes et revendications unis autour de l’écologie, dans son acception la plus large, avaient affronté la dictature puis le conservatisme de la gauche orthodoxe et acquis légitimité et visibilité politique. La notion de l’écologie, à cette époque, était directement liée aux questions relatives à l’environnement, à la sexualité, au racisme et aux droits des peuples autochtones. Dans les dernières années de la dictature, une nouvelle génération d’intellectuels, profondément marquée par les mouvements sociaux et culturels des années précédentes, est arrivée dans les universités. Celles-ci sont devenues des lieux d’effervescence théorique et de participation politique en étroite relation avec le mouvement étudiant qui était dans la clandestinité, avec la grève des métallurgistes conduite par Luiz Inácio Lula da Silva et avec le mouvement pour l’amnistie des prisonniers politiques et bannis qui a permis le retour au pays des intellectuels, artistes et professeurs.
- 1 La théologie de la libération est un courant théologique chrétien visant à rendre dignité et espoir (...)
2Invité par le cardinal de São Paulo, Mgr Evaristo Arns, l’une des voix les plus connues de la théologie de la libération1 et farouche défenseur des droits de l’homme, Paulo Freire, après seize ans d’exil, devient professeur à l’Université pontificale catholique de São Paulo (Lima et Dias, 2018). Cette université accueillera également des professeurs tels que Florestan Fernandes et Octavio Ianni, empêchés par le régime dictatorial d’enseigner à l’Université de São Paulo. Ceux-ci sont des noms incontournables de la renommée « École de sociologie pauliste », née du dialogue et de l’apprentissage avec Claude Lévi-Strauss et Fernand Braudel, arrivés au Brésil dans la première moitié des années 1930. Ces groupes, mouvements sociaux et culturels, personnes et institutions tiendront un rôle fondamental dans le processus de démocratisation du pays en mettant l’accent sur le rôle politique de l’éducation, des enseignant(e)s dans les écoles, mais aussi en dehors de l’institution scolaire.
- 2 Doctorat en pédagogie de la biologie sous la direction des professeurs Jean-Marie De Ketele et Paul (...)
3Au début des années 1980, la Coordination pour le perfectionnement du personnel de niveau supérieur (CAPES), organe du ministère de l’éducation, a lancé le sous-programme de l’éducation pour la science (SPEC), visant la formation des chercheurs en matière d’enseignement des sciences physiques et naturelles. Des bourses de doctorat ont été offertes pour se former dans des universités étrangères, comme, par exemple, l’Université catholique de Louvain (UCL), où j’ai étudié les représentations sociales de l’environnement des professeurs de sciences de la ville de São Paulo et leurs pratiques pédagogiques quotidiennes2 (Reigota, 1990). Des travaux ultérieurs ont été développés dans le groupe de recherche « Perspective écologiste de l’éducation », qui aborde les études sur la représentation sociale de thèmes liés à l’écologie en mobilisant le concept de « lectures du monde », c’est-à-dire « les connaissances acquises par l’expérience » selon Paulo Freire (2013).
4Les résultats du SPEC ont été très positifs, notamment en ce qui concerne la production de connaissances sur l’enseignement des sciences (et ses dérivés, comme l’éducation relative à l’environnement), ainsi que l’émergence de domaines scientifiques spécifiques axés sur l’enseignement de la chimie, la physique, les mathématiques et la biologie. Des associations de spécialistes ont vu le jour, ainsi que des revues, des congrès et des programmes de troisième cycle afin de former des chercheurs et de participer à la formation des enseignants de tous les niveaux d’enseignement.
5La légitimité et la pertinence de l’émergence de ces nouveaux champs scientifiques spécifiques, situés dans différents référentiels théoriques, épistémologiques et méthodologiques, ont contribué à l’institutionnalisation de thèmes controversés dans les universités et les structures gouvernementales. Le débat politique, éducatif, culturel et social est devenu plus complexe et plus polémique, alors qu’il gagnait l’espace public grâce aux médias de masse, en rencontrant, au-delà des connaissances scientifiques, des représentations sociales et des lectures du monde, les croyances religieuses.
6Les études des thèmes liés à l’écologie dans différents niveaux scolaires, et en particulier dans la formation des enseignants du primaire et du secondaire, ont commencé avec les politiques éducatives menées par le gouvernement Fernando Henrique Cardoso et ont connu leur apogée sous le gouvernement Luiz Inácio Lula da Silva. Au cours de ces quatre décennies, les propositions politiques et pédagogiques de Paulo Freire liées à l’écologie sont restées présentes dans la production académique et dans les pratiques pédagogiques (Reigota, 2020).
7Il existe une vaste littérature scientifique spécialisée produite au Brésil au sujet du mouvement pédagogique lié aux croyances et pratiques professionnelles des enseignant(e)s montrant des possibilités d’action politique démocratique, qui peuvent être synthétisées en trois volets principaux : 1) les recherches soulignant l’importance du rôle de l’État et des politiques publiques dans la formation des enseignants ; 2) les recherches qui analysent et renforcent le rôle des appareils idéologiques d’État, dans la définition des contenus, des auteurs, des méthodologies et du matériel didactique ; 3) les recherches qui privilégient l’élaboration conjointe avec les enseignants, en activité ou en formation, d’alternatives communautaires visant à renforcer la société civile et la citoyenneté.
8La présence de la pensée politique et pédagogique de Paulo Freire, « qui ne posa jamais comme antagonistes les formes systématiques du savoir et celles issues du sens commun du peuple et de nos intuitions » (Araújo Freire, 2013) se retrouve dans les trois volets, car son héritage est large et polysémique (Lima et Dias, 2018 ; Araújo Freire, 2013 ; Reigota, 2013).
9Le dialogue et l’écoute qui caractérisent la pédagogie freirienne posent une question de recherche fondamentale : que pensent les professeurs du contenu scientifique de leurs programmes et de leur relation avec les aspects politiques, religieux et culturels de la vie quotidienne ?
10Tout au long de son œuvre, Paulo Freire a affirmé que l’activité enseignante dépasse la relation classique d’enseignement-apprentissage dans laquelle l’enseignant doit s’occuper uniquement de la transmission de contenus scientifiques définis comme prioritaires par les organismes éducatifs liés à l’État. Le positionnement politique de chaque enseignant est au centre de la pédagogie freirienne. Dans son dernier livre, publié au Brésil peu avant son décès, Paulo Freire observait ceci :
Au nom du respect que je dois aux élèves, il n’y a aucune raison que j’omette ou dissimule mon option politique en assumant une neutralité qui n’existe pas. Et même, cette omission au nom du respect de l’élève est sans doute la meilleure manière de lui manquer de respect. Au contraire, mon rôle est de témoigner du droit de comparer, de choisir, de rompre, de décider et de stimuler ce droit pour les apprenants. (Freire, 2013).
11Les études portant sur les lectures du monde, les représentations et les croyances des enseignant(e)s s’élargissent aux modes de vie et de survie, aux droits des minorités et des animaux et à la bioéthique, provoquant un impact important dans le débat public, dans les pratiques pédagogiques quotidiennes et dans les politiques gouvernementales de formation des enseignant(e)s (Reigota, 2020). Elles contribuent à l’approfondissement des droits civiques liés aux thèmes contemporains.
12Toutefois, au cours de la même période, différents mouvements religieux fondamentalistes étendirent leur influence sur les pratiques pédagogiques. Des Églises s’appuyant sur les interprétations les plus diverses de la Bible se sont multipliées dans les périphéries et les centres des villes. Les récits de personnes s’étant converties à certaines de ces nouvelles religions sont devenus fréquents dans le quotidien scolaire. Les chaînes de télévision ont eu une relation directe avec les églises pentecôtistes. Les pasteurs sont devenus millionnaires et politiquement puissants. Ce ne sont que quelques-uns des aspects qui caractérisent ce que nous définissons comme un tournant fondamentaliste dans la société brésilienne, qui s’est concrétisé par l’expansion et l’acceptation des arguments et des croyances religieuses dans la politique institutionnelle et dans l’État. Les interprétations bibliques sont devenues omniprésentes dans les discours des élu(e)s au parlement et au sénat qui bloquent les avancées politiques et pédagogiques touchant aux sujets controversés. La théologie de la libération a fait place aux mouvements du renouveau charismatique (tourné vers l’expérience personnelle avec Dieu, particulièrement à travers le Saint-Esprit). De ce fait, des enseignant(e)s et des personnes des classes sociales les plus diverses sont revenu(e)s au catholicisme, si bien que de constantes références religieuses s’observent dans le quotidien scolaire. Les fondamentalistes et les charismatiques ont revendiqué l’inclusion de l’enseignement religieux dans les écoles publiques laïques, ce qui est devenu effectif dans la Base nationale commune des programmes (BNCC), en 2017, document normatif du ministère de l’éducation qui définit l’ensemble des apprentissages fondamentaux que tous les élèves doivent maîtriser. Dans un éditorial pour la revue Ciência & Educação, la présidente de l’Association brésilienne de recherche sur l’éducation aux sciences (Abrapec), a tiré la sonnette d’alarme :
La polémique sur l’enseignement religieux dans les écoles publiques brésiliennes apparaît liée à de nouveaux éléments, introduisant pour la première fois des discussions liées non seulement à la citoyenneté et à la liberté religieuse, mais aussi à la confrontation – nouvelle et croissante au Brésil – entre les points de vue créationniste et évolutionniste. Ce scénario résulte de la formation de nouvelles alliances entre groupes religieux contestant l’espace public en opposition aux défenseurs de la laïcité. (Selles, 2016).
13Le débat public et les controverses entre, par exemple, l’évolutionnisme et le créationnisme ont donné lieu à un large éventail d’études empiriques, centrées sur les connaissances, les représentations sociales et les croyances religieuses des participants au processus éducatif, dans lequel on observe la résistance, de la part du public et en particulier des élèves et des étudiants, aux théories scientifiques (Faria et Pereira, 2009).
14Dans le contexte brésilien, la situation s’est aggravée lorsque les divers mouvements politiques issus du camp religieux conservateur et fondamentaliste sont devenus alliés des gouvernements de Luiz Inácio Lula da Silva et Dilma Rousseff. Cette alliance s’est rompue avec le gouvernement Dilma Rousseff peu avant son expulsion du gouvernement le 31 août 2016.
15L’expansion de l’évangélisme politique au Brésil date des années 2000, mais son positionnement fortement conservateur dans le champ politique est plus tardif : certains temples furent, en particulier, des alliés des gouvernements Lula et une majorité de ses adeptes, au moins jusqu’en 2010, des électeurs du Parti des travailleurs. Une inflexion apparaît à la fin des années 2000, dont le mouvement de l’« École sans parti » (« Escola Sem Partido », ESP) est l’organisation témoin. Fondé en 2004 par un avocat néolibéral, Miguel Nagib, l’ESP ne prend alors son essor que grâce à la rencontre de son hostilité féroce à toute pensée de gauche sur les questions économiques et sociales avec l’évangélisme fondamentaliste, qui commence alors à se mobiliser autour des questions de genre et de sexualité. (Chirio, 2019)
- 3 Vote parlementaire de destitution en 2016.
16Ce que Maud Chirio n’a pas observé dans son essai, c’est que le principal objectif du mouvement École sans parti était d’éliminer l’influence de Paulo Freire dans l’éducation brésilienne. Les directives éducatives concernant l’écologie dans son acception la plus large, adoptées par le gouvernement qui a pris le pouvoir après le coup d’État contre Dilma Rousseff3, et les discours contraires à Paulo Freire auront un impact direct sur le tournant fondamentaliste et sur les résultats des élections de 2018. Parmi les nombreuses manifestations contraires se trouve le positionnement ci-dessous du conseil d’administration de la Société brésilienne d’enseignement de biologie (SBEnBio) :
Comme vous le savez tous, nous avons subi dans notre pays une série d’attaques contre la pensée et l’action démocratiques, avec de fortes implications pour les écoles, leurs programmes, les enseignants et les étudiants. Dans le cas de l’enseignement de la biologie, nous avons été interpellés sur le fait que nous diffusions des connaissances qui nous font questionner le sens commun sur l’espèce humaine et la nature, alors que, dans le cadre des savoirs socialement construits, les sciences biologiques peuvent nous aider dans la remise en cause des structures qui produisent et soutiennent historiquement les inégalités sociales, raciales, ethniques et de genre dans notre pays (...). Dans l’enseignement de la biologie, nous continuerons à défendre l’approche des thèmes traditionnels de notre domaine et qui en sont partie intégrante – tels que l’évolution, le genre et la sexualité, pour donner quelques exemples – qui nous aident tant à questionner le sens commun et le royaume des opinions préconçues qu’à lutter pour une société moins inégale et plus diverse, valorisant les singularités et les différences. (Ferreira, Chaves, Gestal et Amorim, 2018)
17Avec la consolidation du tournant fondamentaliste lors des élections de 2018, l’image et l’héritage de Paulo Freire « en faveur des défavorisés, des exclus, des opprimés » (Araújo Freire, 2013), ont commencé à être constamment ridiculisés par la population qui sortait dans les rues, enveloppée dans le drapeau national et avec le maillot de l’équipe de football brésilienne. Le président de la République élu et le ministre de l’éducation des premiers mois du nouveau gouvernement, ainsi que son successeur, ont fait référence à Paulo Freire de manière péjorative. Ils ont notamment souligné que l’application de la « méthode Paulo Freire » dans les écoles est responsable, selon eux, du classement tout au bas de l’échelle du Brésil parmi les pays ayant participé à l’évaluation internationale PISA.
18L’opposition à ces allégations officielles a été constante de la part des enseignant(e)s. Néanmoins, ce positionnement était prévisible si l’on considère l’incommensurable héritage de Paulo Freire contre « l’idéologie qui nous nie et nous humilie en tant qu’êtres humains » (Freire, 2013). Ce qui apparaît comme un élément nouveau dans le contexte éducatif brésilien, c’est la forte adhésion d’élèves, d’étudiant(e)s et d’enseignant(e)s à la pensée politique et pédagogique anti-freirienne et à sa manifestation publique. De même, des discours de responsables gouvernementaux expliquant publiquement leurs croyances religieuses fondamentalistes et mettant en cause la science, et notamment la philosophie, la sociologie et les arts, sont fréquents. Dans ce contexte, les enseignant(e)s se demandent sur quoi et comment enseigner, par exemple, l’origine de la vie et les modes de vie non conventionnels de nos jours. Différentes études ont montré que désormais, pour les enseignants, il ne s’agit plus d’aborder des controverses scientifiques (ce qui serait cohérent avec les perspectives pédagogiques contemporaines), mais de se positionner par rapport aux assertions fondamentalistes pour les récuser ou les valider et non par rapport à la science.
19Les attaques gouvernementales contre Paulo Freire et ses arguments pour « l’éducation comme bien public, droit universel et processus social de libération » (Lima et Dias, 2018), et les propositions éducatives et culturelles officielles liées à l’écologie, ont intensifié les processus de production et de diffusion d’idées relativisant « l’extermination » et la disqualification des plus faibles (des corps, de la nature, des ethnies), provoquant un clivage social à fort impact dans la vie quotidienne, dans les relations sociales et affectives ainsi que dans les pratiques pédagogiques. Dans le tournant fondamentaliste, on observe l’appropriation d’un des arguments les plus répandus du darwinisme à savoir que, dans la lutte pour la vie, survivent les plus forts et les mieux adaptés à l’environnement. Dans ce cas, les plus forts et les mieux adaptés sont les personnes qui obéissent aux préceptes religieux et gouvernementaux. Les croyances, les représentations, les lectures du monde et les discours officiels pénètrent le quotidien scolaire à travers d’innombrables récits et réaffirment la force du « curriculum imprévisible ».
20Outre le programme scolaire officiel et le programme caché, largement étudiés dans les sciences de l’éducation, intervient le « curriculum imprévisible », qui se compose des discours publics officiels et officieux qui mettent en échec les théories scientifiques, remettent en question les faits historiques nationaux et internationaux, et font l’apologie du racisme et du sexisme. « Le curriculum imprévisible » se constitue et se pratique à cause de l’exigence constante, immédiate, faite aux enseignant(e)s de prendre position sur les discours officiels quotidiens largement diffusés dans les médias et les réseaux sociaux.
21L’un des faits les plus significatifs liés à la politique de formation universitaire et à la dimension politique et pédagogique de l’écologie dans le tournant fondamentaliste a eu lieu quand la présidence de la CAPES a été confiée à l’ancien recteur de l’Université presbytérienne Mackenzie, ex-professeur de l’Université fédérale de Campina Grande, docteur en ingénierie électrique de l’Université technique de Berlin. Si ce nouveau dirigeant de la CAPES ne se déclarait pas publiquement créationniste, son parcours universitaire lui permettrait certainement de remplir une fonction aussi importante.
- 4 Sigle utilisé pour qualifier les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes (...)
22Quelques mois avant que la CAPES ne soit dirigée par un universitaire de ce profil, la professeure de bioéthique de l’Université de Brasilia, Débora Diniz, a été menacée de mort pour ses prises de position dans les débats sur les droits des femmes et pour la dépénalisation de l’avortement. Elle a été obligée de quitter le pays et enseigne actuellement dans une université aux États-Unis. Plus largement, des résistances au tournant fondamentaliste se font entendre. Les voix des peuples autochtones se lèvent contre la politique d’extermination de leurs modes de vie et d’invasion de leurs terres et parcourent le monde en dénonçant les massacres et la dévastation de la forêt amazonienne. Des conférences publiques, des écrits, des films, des performances et expositions d’artistes et d’intellectuels tels que Ailton Krenak, Arissana Pataxó, le cacique Raoni, David Kopenawa, Denilson Baniwa, Jaider Esbell, Sonia Guajarara, parmi de nombreux autres, se multiplient à travers le monde. Des militant(e)s historiques de défense des minorités sexuelles, comme l’écrivain João Silvério Trevisan, dénoncent avec constance les meurtres et le mépris dont est victime la communauté LGBTQIA+4. Grâce à ses interventions publiques, la jeune philosophe Djamila Ribeiro atteint les filles noires, les incitant à étudier.
23Des pratiques pédagogiques audacieuses et innovantes se répandent dans tout le pays. Des recherches en master et doctorat fondées sur les trajectoires et expériences de leurs auteur(e)s mettent l’accent sur les processus de conquête de leur citoyenneté grâce à leur parcours scolaire. Ils positionnent le discours politique, social et éducatif à partir de leurs expériences concrètes. Une nouvelle génération de chercheurs actifs apprend de son histoire, explore et approfondit les possibilités offertes par la recherche narrative (Reigota, 2020). Dans ce processus politique et pédagogique, en se racontant et se découvrant publiquement, ils et elles deviennent et se reconnaissent comme « des êtres humains capables de transgresser » (Freire, 2013).
24Des collectifs de production culturelle radicale se multiplient dans les périphéries et les marges sociales, apportant dans l’espace public des arguments légitimes et combatifs tant du point de vue esthétique qu’éthique, écologique et politique, exposant leurs savoirs, désirs, expériences, compétences et arguments de consolidation de la citoyenneté et du bien commun, et attirent l’attention sur l’importance des connaissances produites en dehors du contexte universitaire dans le processus de production de subjectivités solidaires et communautaires. La production académique, artistique, littéraire et visuelle liée à l’écologie, dans laquelle ne manquent pas les références à Paulo Freire et à son appel pour « réinventer la forme historique de lutte » (Freire, 2013) est présente dans les espaces alternatifs, ainsi que dans les espaces institutionnalisés comme les musées et les fondations culturelles non gouvernementales, telles que la Biennale des Arts de São Paulo et le carnaval dans les principales villes du Brésil. Le mouvement culturel et politique de résistance face au tournant fondamentaliste permet de reconfigurer et d’élargir la pédagogie freirienne et actualise les défis de la démocratisation qui se sont présentés à la fin de la dictature.
25Cependant, les étudiant(e)s et/ou leurs familles en désaccord avec le mouvement pédagogique et politique de résistance ont été encouragés à enregistrer des vidéos des cours et à dénoncer leurs enseignant(e)s au ministère de l’éducation. Des groupes de surveillance paraétatiques se sont formés dans plusieurs villes, offrant une aide aux parents et aux étudiant(e)s mécontent(e)s, et leur proposant de transmettre leurs dénonciations des enseignants subversifs et les pratiques pédagogiques non conformes au nouvel ordre, en vue de procédures punitives (y compris le chômage), et de discréditer ces professionnels sur les réseaux sociaux et sur leur lieu de travail. Les menaces à l’égard des enseignant(e)s se sont multipliées et ont servi de publicité au modèle d’école proposé par le ministère de l’éducation. Les personnes mécontentes du mouvement politique et pédagogique démocratique ont trouvé dans les écoles civiles-militaires la proposition éducative la plus concrète du premier gouvernement du tournant fondamentaliste. Dans ces écoles, l’apprentissage et les pratiques d’obéissance à Dieu et à la patrie, la discipline et le contrôle des corps, le révisionnisme historique et géostratégique sont prioritaires, ainsi que l’apprentissage sans critique du contenu des examens internationaux d’évaluation des connaissances. Les écoles civiles-militaires professent en détail le modèle pédagogique a-historique et anti-émancipateur de la « culture du silence » (Lima et Dias, 2018) que Paulo Freire combattait.
26La dimension politique et pédagogique de l’écologie a gagné en visibilité planétaire avec le Covid-19. Les faits largement diffusés par les réseaux sociaux et les médias de masse montrent que ce qui se passe au Brésil et dans le monde amorce peut-être le déclin du tournant fondamentaliste. On reste en quarantaine, à attendre.