Navigation – Plan du site

AccueilNuméros83Dossier - Réformer l'éducationL’avenir de l’éducationLes systèmes éducatifs formels on...

Dossier - Réformer l'éducation
L’avenir de l’éducation

Les systèmes éducatifs formels ont-ils un avenir ?

Formal education systems: Do they have a future?
¿Tienen un futuro los sistemas educativos formales?
Mark Bray
Traduction de Sylvaine Herold
p. 123-129

Résumés

Des siècles de développement ont conduit les systèmes éducatifs formels à devenir des piliers essentiels de la société, avec la réalisation de la scolarisation universelle aux niveaux primaire et secondaire inférieur et l’inscription de la majorité des groupes d’âge concernés dans le secondaire supérieur. Le développement des systèmes pour en arriver là a été remarquable. Mais des forces extérieures remodèlent actuellement les systèmes éducatifs formels. Dans de nombreux contextes, il ne s’agit pas tant d’un processus actif et descendant de réforme que d’un processus de changement ascendant ou horizontal. Cet article met en lumière les implications des progrès technologiques et de l’érosion de la suprématie de l’école à travers l’expansion des formes de soutien scolaire privé « de l’ombre ». À la question de savoir si les systèmes éducatifs formels ont un avenir, notre réponse courte serait donc « Oui, mais… ».

Haut de page

Texte intégral

1La question posée dans le titre de cet article est issue du colloque international 2019 organisé par la Revue internationale d’éducation de Sèvres, comme l’explique Jean-Marie De Ketele dans son introduction au présent numéro, intitulé « Réformer l’éducation ». La réponse courte et évidente à cette question, avec laquelle nous pensons que tous les participants du colloque seraient d’accord, est : « oui ». Mais ils pourraient également être d’accord avec une réponse plus élaborée, du type « oui, mais… ». Ce sera en tout cas le fil conducteur de cet article.

2Pour aborder l’avenir, cet article doit nécessairement prendre note de certaines tendances du passé ; mais il examine également des tendances émergentes qui devraient se poursuivre. L’article débute par ce que l’on pourrait appeler la grande histoire de la scolarisation, avant de se tourner vers des développements plus récents, parmi lesquels l’accent mis par certains éducateurs et institutions sur les moyens de faciliter l’apprentissage, quel que soit le lieu. Les progrès technologiques spectaculaires précipitent et accélèrent certaines évolutions des priorités et, au-delà de la scolarisation publique, l’enseignement supplémentaire privé connaît des développements importants. Ces changements montrent que la réforme n’est pas seulement une action menée par un gouvernement, mais qu’elle peut également être un processus indépendant, ascendant et horizontal, qui modifie à coup sûr la nature des systèmes éducatifs formels sans les rendre superflus.

La grande histoire de la scolarisation

3Les XIXe et XXe siècles se sont caractérisés par un développement remarquable de l’école dans le monde entier, au point que celle-ci est devenue une institution obligatoire et universelle par essence, même dans les pays les plus pauvres. L’étude historique de Boli et al. (1985) relève que dans les années 1980, près de 75 % des enfants en âge d’aller à l’école primaire dans le monde étaient inscrits dans « quelque chose que l’on peut appeler une école ». Depuis, la scolarisation s’est encore étendue. L’Unesco (2019) enregistrait un taux brut mondial de scolarisation de 104 % dans l’enseignement primaire et des taux nets de scolarisation de 84 % dans le secondaire inférieur, de 64 % dans le secondaire supérieur.

4En tant que processus ascendant, les principaux moteurs de l’expansion de la scolarisation ont notamment été le désir des familles d’alphabétiser leurs enfants et de les doter de compétences afin qu’ils puissent, le moment venu, intégrer le marché du travail et la promotion de certaines valeurs par les Églises et les autres institutions qui bâtissaient des écoles. En temps opportun, les États se sont impliqués afin de promouvoir ce que l’on appellerait aujourd’hui le capital humain et de garantir des formes de socialisation propices au développement local et national. La combinaison de l’éducation de masse et de l’orchestration étatique a entraîné des processus d’isomorphisme, par lesquels les écoles se sont ressemblé de plus en plus, s’agissant des formats de notation, des curricula, des emplois du temps et d’autres aspects organisationnels, malgré la diversité des cultures plus vastes (Baker, 2014 ; Benavot et Resnik, 2006).

5L’un des tournants historiques majeurs a été la Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée en 1948 par les Nations unies. L’article 26 de la Déclaration affirme non seulement le droit à l’éducation, mais également l’obligation de recevoir une éducation (entendue comme la scolarisation) au moins au niveau élémentaire. Cet article 26 ajoute que l’enseignement technique et professionnel doit être généralisé et que l’enseignement supérieur doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leurs mérites. La Déclaration a tracé la voie à des objectifs d’enseignement primaire universel, d’abord, entraînant le moment venu des pressions en faveur de l’enseignement secondaire inférieur universel, puis contribuant au développement considérable de l’enseignement secondaire supérieur et de l’enseignement supérieur.

Mais l’apprentissage est une activité, pas un lieu

6Les précédents paragraphes ont traité principalement des institutions – « quelque chose que l’on peut appeler une école ». Mais, évidemment, l’apprentissage a toujours eu lieu avant, après, aussi bien que pendant la scolarité ; cela implique un apprentissage informel par le biais de la famille et de formes plus vastes d’interaction sociale, et ce que Philip H. Coombs (1985) a appelé l’éducation non formelle. Coombs a fondé et dirigé l’Institut international de planification de l’éducation (IIPE) de l’Unesco en 1963 ; il faisait preuve d’une vaste vision. Par éducation non formelle, il entendait « une activité éducative organisée, systématique, menée en dehors du cadre du système formel ». Pourtant, l’attention qu’il portait à ce thème s’inscrivait toujours dans le cadre du modèle dominant de scolarisation et d’un désir d’atteindre toutes les populations de manière équitable. Aucun gouvernement ne considérait sérieusement que l’éducation non formelle pût se substituer de façon permanente à l’éducation formelle et l’Unesco, comme d’autres organismes guidés par la Déclaration universelle des droits de l’Homme, demeurait résolument axée sur la scolarisation.

7Néanmoins, même au cours de la période relativement courte qui s’est écoulée depuis les écrits de Coombs et d’autres, le terrain sur lequel opèrent les structures institutionnelles a considérablement changé. L’un des changements les plus évidents est lié aux progrès technologiques, qui ont entraîné des évolutions particulièrement spectaculaires au cours de la décennie passée. L’ancien modèle de scolarisation, que les lecteurs de cet article ont sans doute encore en mémoire, était bâti pour transmettre des connaissances dont, en ce qui concerne les élèves, les enseignants étaient la source principale. Les salles de classe étaient organisées en rangées de bureaux faisant face au tableau noir et au bureau de l’enseignant, à partir duquel les connaissances étaient transmises et l’apprentissage orchestré. Mais l’avènement d’internet et des moteurs de recherche fait que, d’un clic de souris ou d’iPhone, les élèves peuvent instantanément accéder à des réservoirs de connaissances bien plus vastes que ceux que les enseignants pourront jamais fournir. Certains établissements cherchent à conserver leur autorité et à limiter les « distractions » en classe, en interdisant l’utilisation des smartphones et des technologies connexes pendant les cours ordinaires. D’autres choisissent de faire évoluer leur rôle pour faire des enseignants, de façon plus évidente, des facilitateurs d’apprentissage plutôt que des sources de connaissances. Les établissements cherchant à conserver leur autorité en maintenant les sources électroniques de savoir en dehors des salles de classe devront tôt ou tard s’incliner, y compris dans les environnements les plus traditionnels.

8En outre, le rythme du changement technologique ne montrant aucun signe de ralentissement, d’autres évolutions sont certainement à prévoir. Les technologies de l’enseignement et de l’apprentissage à distance existent depuis longtemps, au format individuel et collectif, mais elles sont en train de se révolutionner. Les entreprises de tutorat, en Chine par exemple, ont recours à des logiciels visant à tirer profit des compétences de leurs meilleurs enseignants en ville pour atteindre des classes d’apprenants situées dans les zones rurales. Le logiciel de leurs caméras à distance analyse les expressions faciales des élèves pour indiquer dans quelle mesure ils sont concentrés sur leur tâche et comprennent les cours. Les enseignants qui se trouvent à des centaines, voire des milliers de kilomètres, travaillent avec des assistants sur place et adaptent leur pédagogie en fonction des informations fournies par la technologie. Et ces enseignants à distance n’ont pas besoin de se limiter à des partenariats avec des écoles formelles. De plus en plus de familles s’inscrivent à des formes de soutien sur internet dans des centres dédiés, dans des bibliothèques, des cafés ou d’autres espaces publics, mais également à leur domicile. Dans certains cas, les cours demeurent axés sur le contenu mais, de plus en plus, le leitmotiv devient : « Notre manière d’enseigner est plus importante que ce que nous enseignons ». Les élèves sont guidés afin de trouver leur propre contenu et de bâtir leur propre compréhension.

Expansion du soutien supplémentaire privé

9La remarque sur les sociétés de tutorat privées mérite d’être approfondie. L’un des résultats de l’expansion et de la standardisation de la scolarité dans nos sociétés, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’Homme et aux objectifs de l’enseignement primaire puis secondaire universel, a été que les individus et les groupes sociaux sont contraints de rechercher, au-delà du système éducatif, des qualités susceptibles de les distinguer des masses. Bien sûr, les différentes filières au sein des systèmes scolaires ainsi que les différents systèmes au sein des pays permettent encore une certaine diversité, mais de nombreuses familles ont de plus en plus le sentiment que « l’école ne suffit pas ». Et les pressions augmentent avec l’intensification de la mondialisation, car les familles ne sont plus seulement en concurrence avec leurs voisins immédiats et avec des groupes de leur propre pays, mais également avec leurs homologues du monde entier. De nombreuses familles recherchent des formes de soutien scolaire supplémentaire par l’intermédiaire du secteur privé, afin d’obtenir un avantage concurrentiel.

10Si, là encore, les formes de soutien scolaire supplémentaire ont une histoire aussi longue que celle de la scolarisation, l’expansion massive de l’offre date, dans la plupart des régions du monde, des années 1990 et de la première décennie du siècle actuel (Bray, 2011 ; 2017). Les tendances en Corée du Sud ont une histoire plus longue et illustrent, en précurseur, la situation globale. En 1980, par exemple, 12,9 % des élèves sud-coréens au niveau primaire, 15,3 % des élèves de collège et 26,2 % des élèves de lycée avaient reçu des formes de soutien supplémentaire. Les autorités ont cherché à réduire ces proportions afin d’alléger le poids des études et de réduire la stratification sociale ; mais les statistiques 2018 du gouvernement indiquaient que 82,5 % des élèves du primaire recevaient un soutien supplémentaire tout comme 69,6 % des élèves du collège et 65,2 % des élèves du lycée (KOSIS, 2019). Si l’on se tourne maintenant vers une culture très différente : la tradition du soutien scolaire privé est peu développée en Angleterre, du moins pour les élèves ordinaires des écoles publiques ; mais une enquête menée en 2018 par le Sutton Trust (2019) auprès d’élèves âgés de 11 à 16 ans a révélé que 41 % des élèves interrogés à Londres avaient reçu des cours de soutien privé ou de soutien à domicile à un moment donné de leur scolarité, contre 27 % dans le reste du pays.

11À bien des égards, ce soutien scolaire supplémentaire est également manifeste dans les pays à faible revenu, comme l’illustrent par exemple les statistiques de l’Égypte et de l’Inde. En Égypte, une enquête nationale menée en 2014, citée par Sieverding et al. (2019), indiquait que 36 % des élèves du primaire, 53 % des élèves du secondaire inférieur et 84 % des élèves du secondaire supérieur recevaient un soutien scolaire supplémentaire. Dans l’État du Bengale occidental, en Inde, 69,9 % des élèves ruraux de la première à la cinquième année et 77,4 % des élèves ruraux de la sixième à la huitième année interrogés par Pratham (2019) bénéficiaient d’un soutien scolaire privé en 2018 – des proportions qui auraient probablement été encore plus élevées pour les élèves des zones urbaines.

12Les formes du soutien supplémentaire sont diverses : les cours peuvent être individuels, en petits groupes ou en grandes classes. Leur contenu également est varié : certains cours vont au-delà du cadre du curriculum ordinaire sous la forme d’enrichissements, d’autres imitent la scolarité ordinaire et ont été largement décrits comme une « éducation de l’ombre » (Bray, 2011). Pourtant, si toutes ces catégories peuvent être qualifiées de soutien scolaire supplémentaire, certaines ne sont pas des suppléments neutres et sapent en fait la scolarité ordinaire. Ainsi, en Égypte et en Inde, il est courant que les enseignants du système scolaire classique dispensent des cours particuliers supplémentaires en dehors des heures de cours. Notamment lorsqu’ils dispensent ces cours aux élèves qu’ils ont en classe, les enseignants peuvent être tentés d’économiser leur énergie et même de réduire délibérément le contenu des cours pendant les heures ordinaires, afin de promouvoir leurs activités privées. Et même lorsque les enseignants ne donnent pas eux-mêmes de cours particuliers, ils peuvent supposer que tous les élèves qui en ont besoin bénéficient d’un soutien supplémentaire et, de ce fait, consacrer moins d’efforts à leurs cours qu’ils ne l’auraient fait autrement. De telles forces peuvent être à l’œuvre aussi bien dans des pays comme la Corée du Sud et l’Angleterre qu’en Égypte et en Inde.

13En outre, le fait que ces cours supplémentaires sont fournis par le secteur privé signifie que les entrepreneurs qui les proposent doivent attirer des clients. Le plus souvent, ils le font en affirmant leur supériorité sur les écoles. Implicitement ou explicitement, les élèves sont encouragés à suivre des cours privés plutôt que de « perdre » leur temps à l’école. Ainsi, en Égypte, en Inde et dans de nombreux autres pays, un nombre considérable d’élèves se contentent de prétendre suivre l’enseignement ordinaire, alors que dans les faits, ils sèchent les cours pour se consacrer aux cours privés. Dans certains cas, les écoles conservent un avantage grâce à leurs équipements, comme les laboratoires scientifiques, mais souvent, le secteur privé peut en effet se targuer de disposer d’une expertise spécialisée en matière de préparation aux examens importants et peut également proposer des types d’enrichissement qui ne sont pas disponibles dans des établissements scolaires bureaucratisés.

Réformer par défaut ?

14Comme cela est illustré à d’autres endroits dans ce numéro, « réformer » est, dans la plupart des contextes, un verbe actif, qui implique une action délibérée. S’agissant du secteur éducatif, cela implique généralement une action menée par le gouvernement dans le but d’améliorer certaines parties ou la totalité des systèmes éducatifs. Certaines des observations faites ci-dessus peuvent être des ingrédients de cette action gouvernementale, par exemple l’utilisation des nouvelles technologies, mais, dans d’autres cas, elles se produisent indépendamment des politiques gouvernementales, voire en dépit de celles-ci. Les processus décisionnels des gouvernements sont généralement lents et les systèmes scolaires conservateurs. Cela est valable dans de nombreux domaines, y compris les normes en matière de sélection et de comportement attendu des élèves, ou encore les processus de recrutement, de supervision et (très rarement) de licenciement des enseignants. S’agissant de ces deux domaines, les technologies se sont développées beaucoup plus rapidement que les processus gouvernementaux et, à ce titre, les évolutions des systèmes éducatifs qui ont façonné le comportement de nombreux élèves et enseignants se sont, dans une large mesure, développées par défaut. Il en va de même pour l’expansion de l’enseignement supplémentaire.

15S’agissant de ce dernier, de nombreux gouvernements élaborent actuellement, de manière tardive, des réglementations et des politiques associées. Les autorités chinoises se sentent menacées par l’éducation de l’ombre et, en 2018, elles ont promulgué différents règlements pour affirmer la primauté du système éducatif formel et pour maintenir le secteur supplémentaire dans l’ombre. Les autorités ont cherché à freiner la demande de soutien scolaire supplémentaire dans le but de réduire le poids des études pour les élèves et de remédier aux forces de stratification sociale ; un point de la réglementation interdit aux établissements d’enseignement supplémentaire d’enseigner de façon anticipée sur les écoles. Cette opposition à l’enseignement anticipé a constitué une réponse à la prise de conscience du fait que de nombreux élèves s’ennuyaient dans les classes ordinaires car ils avaient déjà appris les contenus dans le secteur du soutien supplémentaire. Cet ennui était à l’origine de problèmes de discipline dans les écoles et, dans de nombreux cas, exacerbait les tensions car les élèves respectaient plus leurs tuteurs privés, qu’ils rémunèrent et qu’ils ont choisi, que leurs enseignants ordinaires, qui sont gratuits et qui leur sont imposés.

16D’autres gouvernements peuvent se montrer plus conciliants et reconnaître que la demande d’enseignement supplémentaire, y compris d’enseignement anticipé, ne disparaîtra pas. Certains gouvernements développent ainsi des partenariats public-privé afin d’exploiter la puissance du secteur privé et de définir plus clairement leurs politiques en lien avec les réalités sociales. Néanmoins, le tableau général est celui d’une réforme ascendante et d’une privatisation par défaut en parallèle du système éducatif public ; même les partenariats public-privé peuvent être développés par défaut au niveau des écoles, en réponse aux réalités locales plutôt que du fait des politiques gouvernementales nationales ou en accord avec elles. En outre, des formes internes de privatisation cachée, dans lesquelles des enseignants employés par le gouvernement dispensent des cours supplémentaires privés non autorisés, sont évidentes dans des pays aussi différents que le Cambodge, la République tchèque, le Mexique ou le Nigeria.

Conclusions

17À la question de savoir si les systèmes éducatifs formels ont un avenir, nous répondons : « Oui, mais… ». Les systèmes éducatifs formels se sont développés sur plusieurs siècles et ils jouent un rôle social et éducatif considérable. Ils préparent les jeunes à s’adapter à des normes sociales plus vastes et, outre leur rôle dans la formation du capital humain, ils jouent un rôle fondamental pour allouer aux individus et aux groupes des fonctions dans la société au sens large. Les gouvernements consacrent une part importante de leur budget à l’éducation formelle et, dans de nombreux pays, les ministères de l’éducation sont, dans les faits, des ministères de la scolarisation.

18Néanmoins, les importantes évolutions survenues au cours des décennies passées, dont on peut penser qu’elles vont se poursuivre, ont brouillé les frontières de l’éducation formelle. Cet article a mis en évidence les forces externes dynamiques qui débordent le secteur scolaire formel et le remodèlent. Dans la plupart des pays, le contrôle de l’État sur les examens à enjeux, notamment ceux conditionnant l’entrée à l’université et/ou sur le marché du travail, est un instrument majeur pour maintenir la suprématie des systèmes éducatifs formels ; mais, dans ce domaine également, il peut en grande partie s’agir d’une façade, derrière laquelle les élèves cherchent ailleurs les compétences et les connaissances. L’internet est devenu une source de connaissance beaucoup plus importante que les enseignants et les encyclopédies scolaires réunis (voire les bibliothèques scolaires tout entières). Heureusement pour l’institution scolaire, les enseignants ont encore des capacités d’organisation, une sagesse et un leadership, mais leur rôle a été remodelé par ces forces, même s’il n’a pas été réformé de manière active et descendante.

19À la dynamique du pouvoir, on peut opposer les questions de responsabilité. Les administrateurs et les personnels des établissements scolaires, pourrait-on dire, ont la responsabilité d’évoluer avec leur temps et de faciliter l’apprentissage plutôt que d’insister sur le respect d’un modèle rigide et peut-être dépassé. De leur côté, les responsables des développements technologiques et des formes parallèles d’enseignement ont la responsabilité d’évaluer et de rendre compte de l’impact de leur travail, de la même manière que les grands projets d’infrastructure, tels que les barrages et les ponts, et même des actions moindres, comme l’utilisation quotidienne des emballages plastique, sont évalués pour leur impact environnemental et social. Une telle attention aux responsabilités contribuera à garantir que les systèmes scolaires conservent un rôle constructif et positif dans la société au lieu de n’être que des structures héritées du passé.

20En retour, cela signifie que même si la société doit s’attendre à ce que les systèmes éducatifs formels demeurent une caractéristique permanente de l’écosystème social plus large, des questions subsistent quant à leur forme et au rôle des autres acteurs. Les systèmes scolaires devront coexister avec de nombreux autres canaux d’apprentissage et d’enseignement, et l’évolution de ces autres canaux nécessitera des ajustements des modèles de scolarisation. Ces ajustements peuvent se produire plus rapidement dans certaines sociétés que dans d’autres, mais le fait que les évolutions technologiques et les progrès de l’éducation de l’ombre sont manifestes dans toutes les cultures semble indiquer que ces changements seront visibles dans des sociétés de tous types, partout dans le monde.

Haut de page

Bibliographie

BAKER D. (2014). The Schooled Society: The Educational Transformation of Global Culture. Stanford : Stanford University Press.

BENAVOT A. et RESNIK J. (2006). « Lessons from the Past: A Comparative Socio-Historical Analysis of Primary and Secondary Education ». In Global Educational Expansion: Historical Legacies and Political Obstacles. Cambridge MA : American Academy of Arts and Sciences, p. 1-89.

BOLI J., RAMIREZ F.O. et MEYER J.W. (1985). « Explaining the origins and expansion of mass education ». Comparative Education Review, n° 29(2), p. 145-170.

BRAY M. (2011). L’ombre du système éducatif : Quel soutien scolaire privé, quelles politiques publiques ? Paris : UNESCO Institut international de planification de l’éducation (IIPE).

BRAY M. (2017). « Schooling and its supplements: Changing global patterns and indications for comparative education ». Comparative Education Review, n° 62(3), p. 469-491.

COOMBS P.H. (1985). The world crisis in education: The view from the eighties. New York : Oxford University Press.

KOSIS [Korean Statistical Information Service] (2019). Participation rate on private education by school level and characteristics. [En ligne] [https://bit.ly/38r05os] (consulté le 1er août 2019).

PRATHAM (2019). Annual Status of Education Report 2018. New Delhi : Pratham.

SIEVERDING M., KRAFFT C. et ELBADAWY A. (2019). « An exploration of the drivers of private tutoring in Egypt ». Comparative Education Review, n° 63(4), p. 562-590.

SUTTON TRUST (2018). Private tuition polling 2018. [En ligne] [https://bit.ly/39syuU0] (consulté le 3 novembre 2019).

UNESCO (2019). Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2019 : Migration, déplacement et éducation : bâtir des ponts, pas des murs. [En ligne] [https://bit.ly/39rDW9C] (consulté le 12 février 2020).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Mark Bray, « Les systèmes éducatifs formels ont-ils un avenir ? »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 83 | 2020, 123-129.

Référence électronique

Mark Bray, « Les systèmes éducatifs formels ont-ils un avenir ? »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 83 | avril 2020, mis en ligne le 17 juin 2020, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/9377 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.9377

Haut de page

Auteur

Mark Bray

Mark Bray est professeur émérite à la faculté d’éducation de l’Université normale de la Chine de l’Est (East China Normal University, ECNU), à Shanghai. Il est également professeur émérite de l’Université de Hong-Kong. Il a débuté sa carrière en tant qu’enseignant du secondaire au Kenya, puis au Nigeria, avant d’occuper des postes dans les universités d’Édimbourg, de Papouasie-Nouvelle-Guinée et de Londres. Il s’est installé à Hong-Kong en 1986 et, de 2006 à 2010, il a été directeur de l’Institut international de planification de l’éducation (IIPE) de l’Unesco à Paris. Il a rejoint l’ECNU en 2018. Auteur de nombreux travaux sur le système de l’éducation de l’ombre et le soutien scolaire privé, dans une perspective comparative, il est par ailleurs membre du conseil scientifique de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Courriel : mbray@hku.hk

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search