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Dossier - Réformer l'éducation
Sur les conditions pour réussir les réformes en éducation

Les comparaisons internationales, la science et l’expérimentation au cœur des réformes en éducation

International comparisons, science and experimentation at the heart of education reforms
Las comparaciones internacionales, la ciencia y la experimentación en el centro de las reformas en educación
Jean-Michel Blanquer
p. 57-62

Résumés

À partir d’une interrogation sur le défi majeur posé aux politiques éducatives dans un monde qui change radicalement sur le plan technologique, le ministre français de l’éducation nationale et de la jeunesse expose sa vision du sens, des objectifs et des conditions de réussite de la politique éducative. À l’heure où nous vivons un changement de civilisation en matière d’accès au savoir, il s’agit de garantir la transmission des savoirs existants aux enfants, notamment en matière de culture scientifique et technologique, et de personnaliser davantage la pédagogie. Trois éléments peuvent éclairer le chemin vers ces deux objectifs que sont l’élévation générale du niveau et la justice sociale : la science, la comparaison internationale, l’expérimentation. La formation initiale et continue des professeurs et l’amélioration du bien-être et de la confiance en l’école sont les principales conditions pour faire évoluer en profondeur les politiques publiques d’éducation.

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Texte intégral

1Tenter d’identifier les conditions de réussite des réformes en éducation est l’une des questions les plus importantes qui soient pour l’avenir de l’humanité.

2Notre démarche doit s’inscrire dans une anthropologie résolument humaniste, celle de la perfectibilité intellectuelle et morale de l’Homme par l’acte de transmission, qui est l’acte le plus essentiel d’une société. L’être humain existe par l’interaction avec les autres, et l’éducation est l’interaction sociale par excellence. Nous nous définissons comme êtres humains par l’éducation donnée par ceux qui nous entourent lorsque nous naissons et par l’institution scolaire lorsqu’elle existe. Ce discours sur l’école peut sembler une évidence. Mais nous constatons que cette évidence philosophique est contestée par des tendances contemporaines qui ont en commun l’obscurantisme, c’est-à-dire tout simplement la négation du savoir. L’acte de transmission, et donc l’éducation, est ainsi la garantie de l’humanité du monde. À partir de là, les politiques publiques de l’éducation ne sont pas autre chose que la manière dont les êtres humains s’organisent pour que la transmission du savoir se passe au mieux.

3Le premier défi à relever de nos politiques est de garantir la transmission de ce qui existe, c’est-à-dire de donner des racines aux enfants. Ce point est central à rappeler, à l’heure où nous vivons un changement civilisationnel profond : le passage d’un paradigme de rareté de l’accession au savoir à un paradigme d’abondance de l’accession au savoir. Face à cela, nous devons plus que jamais transmettre à nos enfants, à nos élèves, une idée de l’endroit d’où ils viennent : l’histoire humaine en général et le savoir que chaque société a produit en particulier.

4Si nous devons leur donner des racines, nous devons tout autant leur donner des ailes. Il ne fait aucun doute que nous devons transmettre aux élèves une culture scientifique et technologique, dans un monde où le goût pour le mensonge, pour l’information fausse préférée à l’information vraie ne peuvent être combattus que par une éducation à la logique et par une solide culture générale des enfants.

5Nous devons aussi, et c’est un second défi, personnaliser davantage la pédagogie, pour prendre en compte les spécificités cognitives des élèves, par exemple lorsqu’ils ont un handicap ou lorsqu’ils sont intellectuellement précoces. L’évolution des techniques, mais aussi de nos connaissances en pédagogie, nous permet, au XXIe siècle, d’envisager de relever ce défi d’une manière inédite : il s’agit d’une personnalisation des savoirs au bénéfice de tous, là où, autrefois, le premier des enjeux était la massification de la transmission du savoir.

Deux objectifs à poursuivre

6Appliquée à la France, cette approche m’a souvent conduit à dire que nous avions deux objectifs dans les politiques publiques françaises d’éducation. L’un est l’élévation du niveau général : parvenir à amener chaque enfant le plus loin possible et, ce faisant, amener le pays le plus loin possible. L’autre est celui de la justice sociale, puisqu’au travers de l’éducation se jouent des enjeux de compensation des inégalités qui peuvent exister entre les familles, entre les environnements des enfants. En réalité, ces deux objectifs n’en font qu’un car en élevant le niveau général, on peut assurer un objectif de justice sociale ; et en assurant des objectifs de justice sociale, on a évidemment un objectif et une réalisation d’élévation du niveau général. Je prendrai un seul exemple : lorsqu’en France, nous avons décidé, au tout début de la constitution du gouvernement, de diviser par deux les classes de CP et de CE1 dans les territoires défavorisés, que nous appelons les réseaux d’éducation prioritaire, nous avons pris une mesure de justice sociale, dont le but très clair est d’en finir avec l’écart de réussite qui existe entre les territoires défavorisés et les autres territoires – phénomène que connaissent pratiquement tous les pays du monde. Cet objectif de justice sociale est aussi un objectif d’élévation du niveau général dans un pays où, comme dans d’autres, la moyenne générale de performance est largement grevée par les 20 % d’élèves les plus en difficulté. Ces deux objectifs n’en font donc bien qu’un en réalité et doivent nous permettre de tirer l’ensemble du pays vers le haut, au service de tous les enfants.

Pour éclairer notre chemin : la science, la comparaison internationale, l’expérimentation

7Trois éléments peuvent éclairer le chemin des politiques publiques vers ces deux objectifs que sont l’élévation générale du niveau et la justice sociale.

8Il y a d’abord la science, qui est à la base même de la démarche de transmission. Si nous pensons que nous pouvons transmettre des connaissances, de la culture, de la logique, c’est que nous pensons que la science et le progrès sont encore possibles, quelles que soient les crises qu’a connues l’idée de progrès depuis le XXe siècle. Si nous sommes convaincus de cela, il est évident que l’éducation doit pouvoir s’appuyer sur la science. J’ai accordé pour ma part une importance particulière au progrès des sciences cognitives, tels que nous avons pu les connaître depuis une vingtaine d’années, parce que dans le domaine des sciences de l’éducation, entendues au sens large, c’est le sujet qui a connu les plus grands bouleversements. Je pense que l’on doit entendre le mot de sciences cognitives au sens large, incluant d’ailleurs la psychologie. En disant cela, je me situe dans une perspective résolument non-scientiste. Personne ne peut prétendre qu’une science, quelle qu’elle soit, puisse donner des réponses toutes faites aux problèmes posés par l’éducation. Mais je considère que cette avancée des sciences cognitives est l’une des révolutions scientifiques de notre époque et qu’il serait déraisonnable de ne pas en tenir compte – avec du recul, avec la conscience aussi que ces sciences en sont au début de leur évolution et que nous en saurons beaucoup plus dans dix ou vingt ans. Il serait déraisonnable de faire comme si nous n’étions pas les contemporains d’une science du fonctionnement du cerveau qui nous permet de mieux connaître les mécanismes d’apprentissage, a fortiori chez l’enfant très jeune, au moment où il est en situation d’acquérir les savoirs fondamentaux. Il ne s’agit pas d’affirmer une sorte de monopole des sciences cognitives sur cette question. Les sciences qui concernent l’éducation sont vastes, et c’est l’ensemble du savoir sur l’Homme qui doit être mobilisé lorsqu’on parle de politiques publiques d’éducation.

9Le deuxième élément qui doit nous éclairer, c’est la comparaison internationale. Celle-ci a beaucoup progressé depuis une vingtaine d’années, notamment grâce à des institutions comme l’OCDE et l’Unesco. Bien entendu, nous ne devons pas avoir une sorte de révérence sans recul sur ce que les classements nous apprennent ; mais, comme pour la science, ce serait une erreur de ne pas tenir compte de ce qu’ils nous disent. Si l’on prend le cas de PISA, au-delà du classement général, qui nous en dit finalement assez peu, il nous faut regarder toute une série d’éléments précis fournis par cette enquête. À mes yeux, la situation internationale, si on devait la caractériser de manière schématique, nous montre aujourd’hui deux groupes de pays qui font plutôt mieux que les autres. Il est intéressant de voir que ces groupes de pays correspondent à des paradigmes assez différents. On a, d’un côté, le groupe des pays asiatiques qui semblent faire reposer leurs performances notamment sur le travail, l’exigence, le nombre d’heures, l’approfondissement des programmes, les exercices répétés… autant d’éléments que l’on peut probablement rattacher à la tradition confucéenne. On voit bien les critiques que l’on peut en faire : le taux de suicide des jeunes, par exemple, dans certains pays, ou l’exclusion sociale que ceci peut provoquer. De l’autre côté, il y a les pays scandinaves (auxquels nous pouvons rattacher d’autres pays tels que certaines provinces du Canada et même certains États des États-Unis), dont les performances semblent reposer sur un modèle tout à fait différent : l’épanouissement de l’enfant, la confiance en soi, une certaine liberté dans l’acquisition des connaissances. Ces deux paradigmes correspondent d’ailleurs souvent aux paradigmes qui structurent les débats en France et dans d’autres pays. Or l’équation politique de la France en ce moment est souvent résumée par l’expression « en même temps », et je l’assume à dessein. « En même temps » suppose que nous soyons capables de prendre le meilleur de ce qui peut exister dans ces deux paradigmes. Il faut de l’exercice, du travail, mais il faut aussi de l’épanouissement, de la confiance en soi, de la liberté, de la créativité et il serait finalement absurde d’opposer l’un et l’autre. J’observe que les pays les mieux classés sont probablement ceux qui ont justement commencé à réussir cet « en même temps ». Je pense par exemple aux réformes réalisées par Singapour ces dernières années, qui ont reposé, selon mon analyse, sur des réussites basées sur la tradition asiatique que j’ai mentionnée, mais qui sont aussi allées chercher, grâce à la comparaison internationale, des éléments d’inspiration dans des systèmes que l’on pourrait qualifier « de type scandinave ». Cette combinaison, qui repose sur la comparaison internationale, me semble être une bonne démarche. C’est dans cette approche que je suis engagé en tant que ministre français de l’éducation nationale. La comparaison internationale doit nous amener non pas à imiter tel pays – il n’existe pas de solutions toutes faites – mais à nous inspirer des autres pays. Dans le cas de la France, nous devons puiser dans notre très belle tradition scolaire, qui est faite à la fois de cartésianisme et de sens aigu de la créativité, cet « en même temps » éducatif, qui, à mes yeux, conditionne la réussite des politiques publiques.

10Le troisième élément qui doit éclairer notre chemin, c’est l’expérimentation, qui correspond à la dimension pragmatique que doit avoir une politique publique. L’objectif de l’expérimentation, en effet, doit être de pouvoir tester à des échelles petites des dispositifs et des approches qui fonctionnent et qui peuvent ensuite éventuellement être élargis. C’est une démarche de nature scientifique qui s’est développée depuis quelques années dans le monde entier en matière éducative, avec en arrière-plan un autre concept clé, l’évaluation. Nous devons avoir de plus en plus le réflexe d’évaluation des politiques publiques, dans le domaine de l’éducation comme dans d’autres domaines.

11La science, la comparaison internationale et l’expérimentation me semblent ainsi être les trois éléments permettant à la fois de renforcer et de légitimer les politiques publiques.

L’école : un objet hyper- et hypo-politique

12L’école est un objet politique d’une nature très particulière, parce que c’est à la fois un objet hyper-politique et un objet hypo-politique. C’est d’abord un objet hyper-politique parce que l’école est ce qui détermine le plus le devenir d’une société. Il est donc normal qu’il y ait du débat sur l’école, normal que ce soit un sujet dont se saisisse un gouvernement, un parlement et que ce soit une question au cœur du débat public. Et en même temps, l’école doit être un objet hypo-politique. Un ancien ministre de l’éducation nationale, parmi les plus grands que nous ayons eus, Jean Zay, a eu une formule que je répète souvent : « Les querelles des hommes doivent s’arrêter à la porte de l’école ». Et nous devons en effet éviter que ce qui fait le tumulte de la société, ce qui parfois se fait avec du bruit, de la passion – et la France est un pays très politique, qui aime les débats passionnés –, ne polluent la vie quotidienne des établissements. Nous devons accepter cette tension, cette dialectique entre le fait que nous avons à faire à un objet hyper-politique, y compris au sens des politiques publiques, et un objet hypo-politique, au sens où nous devons arriver à créer à la fois du consensus de la société autour de son école, où nous devons épargner l’école au quotidien du tohu-bohu du débat politique. Nous observons que les pays qui progressent le plus sur le plan scolaire sont ceux qui ont le mieux compris cette dimension hyper- et hypo-politique de l’école. Ce n’est pas encore le cas en France : il nous faut réussir à créer ces éléments de consensus. L’expression que j’utilise en permanence pour notre projet éducatif c’est « l’école de la confiance », car je suis convaincu que le rôle de l’école est à la fois de donner confiance aux élèves et de contribuer à créer une société de confiance, par le type de formations qu’elle prodigue. C’est un cercle vertueux : rétroactivement, la société doit produire de la confiance pour l’école.

13Pour y arriver, cela suppose d’avoir une approche pratique et pragmatique de la façon de mener des politiques publiques. Le changement doit toujours être précédé d’une prise de conscience des acteurs. Nous devons prendre acte du réel et faire partager un constat avant toute réforme. C’est, je pense, ce qui caractérise les réformes réussies de celles qui échouent. Là où nous avons pu réussir le plus de choses ces derniers temps – je pense par exemple au dédoublement des classes de CP et CE1 en éducation prioritaire –, c’est lorsque nous avons pu être clairs sur le point de départ et lorsque nous avons réussi à communiquer le sens.

Deux leviers de réussite : la formation des professeurs ; le bien-être et la confiance

14Pour transformer en profondeur notre système éducatif, nos politiques publiques d’éducation doivent s’appuyer sur deux leviers indispensables.

15Le premier levier est la formation initiale et continue des professeurs. Celle-ci doit reposer sur deux piliers. D’une part, l’excellence scientifique : nous devons veiller à l’excellence des intervenants qui forment les futurs professeurs. De même, si nous disons qu’il faut nous nourrir des sciences, de l’expérimentation et de la comparaison internationale, il est évident que nos futurs professeurs doivent eux-mêmes avoir été nourris de cela. Nous devons ainsi chercher à ce que nos professeurs aient une expérience internationale : il est bon non seulement qu’ils connaissent les autres systèmes éducatifs, mais qu’ils en aient même l’expérience. D’autre part, les futurs professeurs doivent avoir des expériences de terrain, et leurs formateurs doivent être des personnes de terrain encore en activité. Cette double assise de la formation initiale des professeurs me paraît essentielle, et c’est le sens de la réforme que nous sommes en train de mener en France. Cette réforme de la formation initiale s’accompagne aussi d’une réforme de la formation continue, que nous conduisons actuellement.

16Le deuxième levier de réussite, c’est l’amélioration du bien-être et de la confiance en l’école. Sur ce point, on doit d’abord souligner l’importance de la relation entre les familles et l’école. Les systèmes éducatifs qui vont bien sont des systèmes où familles et école convergent dans les valeurs qu’elles transmettent et dans la direction qu’elles indiquent ensemble aux élèves. Il est très important qu’une famille dise à son enfant que l’école compte ; qu’on respecte le professeur ; que les valeurs de l’école sont les valeurs de la famille. Et vice-versa. L’enfant doit se sentir respecté dans ce qu’il est, dans ce qu’est sa famille à l’école. De façon générale, j’ai essayé de faire du respect d’autrui une valeur cardinale de ce que nous disons sur l’école, en rappelant qu’à l’école primaire, en particulier, on devait apprendre à lire, écrire, compter et respecter autrui. Il en découle un certain nombre de sujets d’évolution de notre système, notamment en matière de vie scolaire, de lutte contre la violence, de lutte contre le harcèlement.

Le défi de l’entrée dans une nouvelle civilisation

17Voilà ce qui me semble être les principales conditions de réussite pour faire évoluer en profondeur nos politiques publiques d’éducation.

18Notre défi majeur est d’être en mesure de les repenser dans un monde qui change radicalement sur le plan technologique. Dans quelle mesure nos politiques publiques de l’éducation tiennent-elles compte du défi posé par l’évolution de la science et par l’évolution des technologies et dans quelle mesure réussissons-nous à rendre ce monde plus humain, alors même qu’il va être plus technologique ? D’une certaine façon, c’est un retour sur nous-mêmes, dans la grande tradition antique, que nous avons à faire. Puisque l’homme se caractérise par l’éducation, va-t-il continuer à se caractériser par l’éducation ? Si oui, est-ce que cette éducation gardera sa dimension humaniste, où l’être humain reste toujours au centre ? C’est pour moi ce qui doit caractériser notre analyse des politiques publiques. Elles ne sont jamais qu’une simple technique : nous devons toujours savoir les remettre en perspective dans leur dimension philosophique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Michel Blanquer, « Les comparaisons internationales, la science et l’expérimentation au cœur des réformes en éducation »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 83 | 2020, 57-62.

Référence électronique

Jean-Michel Blanquer, « Les comparaisons internationales, la science et l’expérimentation au cœur des réformes en éducation »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 83 | avril 2020, mis en ligne le 17 juin 2020, consulté le 11 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/9298 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.9298

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Auteur

Jean-Michel Blanquer

Jean-Michel Blanquer est ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse (France) depuis 2017. Juriste de formation, il a dirigé plusieurs établissements de recherche et d’enseignement supérieur (Institut des hautes études de l’Amérique latine, ESSEC) avant d’exercer la fonction de recteur des académies de Guyane, de Créteil, puis de directeur général de l’enseignement scolaire. Dans son ouvrage récent Construisons ensemble l’École de la confiance (Odile Jacob, 2018), il expose son projet pour l’école.

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Droits d’auteur

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