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Dossier - La sanction en éducation

La sanction dans les établissements scolaires béninois

Une réflexion sur quelques réalités éducatives au Bénin
Sanctions in Beninese schools. A reflection on a few educational realities
La sanción en los establecimientos escolares benineses. Una reflexión sobre algunas realidades educativas
Clarisse Napporn
p. 45-54

Résumés

Les modalités du fonctionnement des établissements scolaires béninois (écoles élémentaires, collèges et lycées) sont mentionnées dans le règlement intérieur. Ce dernier détermine en principe les sanctions correspondant aux manquements. Dans le contexte éducatif du pays, la sanction est facilement assimilée à la punition. Les pratiques punitives sont diverses et fonction de l’exercice de l’autorité de l’éducateur. Elles peuvent ne pas être appropriées, de même que certains manquements peuvent ne pas se trouver référencés dans le règlement intérieur. Cet article se propose de déterminer la place de la sanction dans les pratiques scolaires à travers une analyse des règlements intérieurs, l’examen de quelques pratiques punitives, et les perceptions de quelques élèves et parents. Il s’agit de montrer que la sanction, pour bien remplir sa fonction, doit avoir une visée éducative, ce qui est loin d’être compris.

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Texte intégral

1L’école est en principe un lieu qui instruit tout en cultivant l’intégration sociale et en préparant, dans la mesure du possible, l’insertion professionnelle. De notre point de vue, l’écolier, l’élève devrait pouvoir y trouver des adultes cohérents, bienveillants, censés l’orienter, l’accompagner tout au long de son cursus car les jeunes ont besoin de repères. C’est d’ailleurs l’un des buts de l’acte éducatif.

2La vie en communauté que le fonctionnement des établissements scolaires implique met aux prises les élèves et leurs parents, les enseignants, le personnel administratif et de soutien avec leurs caractéristiques respectives. Cette vie exige ordre, discipline et comporte des obligations auxquelles chaque acteur doit se soumettre. Ces dernières figurent dans les règlements intérieurs qui fixent les modalités de fonctionnement des établissements et les règles de vie commune. Il y est prévu des sanctions, dont nous envisageons l’aspect négatif dans cet article.

3Tout en prenant en compte les niveaux primaire et secondaire du système éducatif, la réflexion s’appuie sur une enquête exploratoire par questionnaires (questions semi fermées) menée auprès de 774 acteurs volontaires du système éducatif dans trois villes béninoises (Cotonou, Bohicon, Parakou), pour une cohérence par rapport à notre étude précédente sur la relation maître-élève et la question de l’autorité (Napporn, 2016). Des élèves du primaire (CM2) et du secondaire (toutes classes), des enseignants du primaire et du secondaire, des surveillants généraux (secondaire), des parents (ayant des enfants au primaire et/ou au secondaire) ont été interrogés par douze enquêteurs formés.

4Après avoir défini la sanction et présenté les caractéristiques de la sanction éducative, cet article s’articule autour de l’analyse des règlements intérieurs, des exemples de pratiques punitives, des perceptions des élèves et des parents ainsi que de la place et du rôle de la sanction en milieu scolaire ou éducatif.

Définition de la sanction et caractéristiques de la sanction éducative

5Il nous est apparu important d’entamer la réflexion en définissant la sanction et en donnant les caractéristiques de la sanction éducative.

6Prairat (2011) définit la sanction comme « la réaction prévisible d’une personne juridiquement responsable, ou d’une instance légitime, à un comportement qui porte atteinte aux normes, aux valeurs, ou aux personnes d’un groupe constitué ». La sanction est donc une prescription. Dans les groupes sociaux, l’existence des sanctions est normale et permet d’exercer une contrainte sur l’action des sujets. Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait des sanctions dans les écoles. Mais l’école n’est pas un lieu « commun ».

7Prairat souligne la spécificité de l’espace scolaire, un lieu où s’effectue « la transmission spécifique entre des adultes et des enfants… ». Nous partageons naturellement son avis quand il suggère de « penser la sanction » afin qu’elle soit éducative, qu’elle ait du sens (Prairat, 1999, 2004).

8Il lui attribue trois visées (éthique, politique, sociale ou psychologique) et quatre principes structurants (signification, objectivation, privation, socialisation).

9Selon la finalité politique, « la sanction vise à rappeler la primauté de la loi et non la prééminence des adultes (…) pour préserver l’identité et la cohésion du groupe » (Prairat, 2004). Dans sa finalité éthique, « la sanction éducative vise à faire advenir un sujet responsable en lui imputant la responsabilité et les conséquences de ses actes ». La finalité psychologique ou sociale indique que « la sanction éducative est un coup d’arrêt… dans une trajectoire déviante pour réorienter un comportement ». Le principe de signification indique que « la sanction s’adresse à un sujet (…), doit être expliquée car la parole relie la sanction à la transgression ». Le principe d’objectivation exprime l’idée selon laquelle « on sanctionne un acte (…). L’adulte doit centrer son intervention sur la situation et se refuser à tout discours sur le caractère ou la personnalité de l’enfant ». En ce qui concerne le principe de privation, « la sanction éducative prend une forme privative… Proposition qui n’a de sens que si l’espace éducatif décline de manière lisible les droits et les obligations de chacun (ibid.).

10Le principe de socialisation stipule que :

La sanction doit s’accompagner d’un geste du coupable à l’attention de la victime ou du groupe. Ce doit être un geste d’apaisement, de bonne volonté. Il peut prendre différentes formes. La sanction peut aussi s’accompagner, voire se réduire à un acte de réparation. (Ibid.)

11En résumé, en milieu scolaire, seule la sanction éducative devrait compter. Cela invite l’éducateur à un changement de comportement s’il veut vraiment assumer sa fonction. Nous allons exposer la situation qui prévaut dans les établissements à travers quelques exemples.

Une enquête empirique exploratoire

12Nous avons effectué une enquête exploratoire afin de disposer de données qui nous permettent de circonscrire la problématique de la sanction dans un pays comme le Bénin. Les questions posées étaient de plusieurs ordres et relatives surtout aux punitions et aux sanctions : pour les enseignants (primaire et secondaire), appréciation du contenu du règlement intérieur, adéquation par rapport aux manquements, finalités des punitions ou des sanctions, propositions d’amélioration ; pour les surveillants généraux, en plus des rubriques qui s’adressent aux enseignants, les cas les plus fréquents de punitions et de sanctions, ceux où ils recourent à la police, les suggestions ; pour les élèves, la connaissance du règlement intérieur, une punition ou une sanction qui a marqué, l’appréciation faite, les réactions au besoin ; pour les parents, mêmes rubriques que les enfants, et les réactions, etc.

Les « sanctions » dans les règlements intérieurs au Bénin

13Chaque niveau, à travers son ministère (enseignements maternel et primaire, enseignements secondaire, technique, et de la formation professionnelle), dispose d’un règlement intérieur. Nous avons examiné pour chacun la version la plus récente disponible.

14Au niveau primaire, le règlement intérieur en vigueur actuellement dans les enseignements maternel et primaire comporte 16 titres et 63 articles. Il date de mars 2018. Les titres sont les suivants : entrée, sortie, horaire et discipline ; protection des écoliers en situation de handicap ; gratuité des enseignements maternel et primaire publics ; décrochage, orientation professionnelle ; interdiction des châtiments corporels et traitements inhumains ou dégradants, récompenses, protection de l’environnement de l’école ; tenue vestimentaire des écoliers et des restauratrices ; propreté, hygiène et ordre ; santé de l’écolier et absences ; cérémonie du salut des couleurs ; vendeuses dans l’école, utilisation des latrines ; solidarité et esprit de groupe, gardien de l’école et autres personnels de soutien, utilisation des langues nationales ; dispositions diverses.

15À première vue, le règlement a envisagé un maximum de situations (même si la formulation de certains articles devrait être revue). Il comporte une liste des punitions autorisées mais les sanctions sont inexistantes.

16Au niveau secondaire, le règlement intérieur en vigueur actuellement date de mars 2016. Il comporte 17 titres et 142 articles ; 14 titres et 92 articles concernent le régime d’externat et les établissements enquêtés. Le reste concerne les internats.

17Les titres du règlement intérieur des établissements des enseignements secondaire général, technique et professionnel sont : conditions d’inscription ; tenue vestimentaire des apprenants ; horaires de fermeture et d’ouverture des voies d’accès ; rapports des apprenants avec les personnels administratif, enseignant, de service et de soutien ; rapport entre apprenants ; assiduité en classe ; propreté et ordre, rôle des divers responsables de classe ; absences, infirmerie et visites dans les bureaux ; cérémonie du salut des couleurs ; clubs, sections et réunions. Le reste des titres est relatif aux dispositions particulières aux écoles de santé et à la vie à l’internat. Les titres 16 et 17 sont relatifs aux sanctions pour le premier et aux dispositions diverses pour le second, et une échelle des punitions est annexée au document. Les sanctions prévues sont : l’avertissement, le blâme, les exclusions (temporaires ou définitive après conseil de discipline). Il n’y a ni avant-propos ni préliminaire pour en expliquer les finalités. Il n’est pas fait mention de personnes susceptibles de siéger au conseil de discipline. Il n’est pas prévu non plus un accompagnement ou un suivi de la sanction.

18Qu’il s’agisse du primaire ou du secondaire, il n’a pas été possible de connaître avec précision les personnes responsables de l’élaboration des règlements. Il s’agirait de commissions ministérielles à composition variable. Les modalités de révision des règlements (tous niveaux) ne sont pas établies. Globalement, les punitions y prédominent.

Constats : les pratiques punitives

19La liste des punitions autorisées à l’école primaire comporte : la mise en garde, les échanges avec l’écolier, la présentation d’excuses par le coupable, le recours aux parents, la restitution de l’objet volé ou la vérité, la retenue, la copie en plusieurs exemplaires (exercice mal fait, leçon non sue), la suspension temporaire, etc. (article 24, titre V).

20Les punitions dans l’enseignement secondaire correspondent à 45 types de fautes (mot ayant quelque chose de très culpabilisant) sans une réelle classification pour plus de lisibilité. Il s’agit des heures de colle ou de retenue, des retraits de points de la note de conduite, du conseil de discipline, des réparations, des avertissements, des exclusions, des renvois des salles de cours, de la confiscation d’objets jugés dangereux (couteaux, lames de rasoirs, pistolet), de la convocation des parents, de l’interdiction de composer, etc. L’enseignant ou le surveillant général choisit la punition jugée appropriée.

21Les pratiques punitives révélées par les données de l’enquête sont diverses. 45 % des élèves du secondaire (soit 68 personnes) évoquent les violences verbales, les railleries, les moqueries ; 50 % (soit 75 personnes) se plaignent de châtiments corporels alors que c’est interdit et 30 % (45 personnes) parlent de retenues, de mauvaises notes injustifiées, d’absence de communication (l’enseignant n’adresse pas la parole à l’élève), d’intimidations et de menaces.

22La situation n’a pas vraiment changé dans les relations maître-élève. Les répondants rappellent que « l’élève a toujours tort face à l’administration qui soutient l’enseignant afin de lui conserver son autorité » (Napporn, 2016). Ainsi, 5 % des parents (soit 15 personnes) approuvent les décisions de l’administration. 10 % des élèves du secondaire (15 personnes) évoquent les abus des enseignants à travers des mensonges. Ces derniers modifieraient les versions des évènements pour les faire punir. 50 % des enseignants du primaire (45 personnes) font toujours usage du châtiment corporel et en déplorent l’interdiction.

23La persistance du châtiment corporel (20 % des enseignants tous niveaux, soit 48 personnes, le pratiquent toujours) s’appuie sur une idée tenace selon laquelle « le bâton éduque l’enfant ». Ce n’est pas vrai.

24Qu’il s’agisse du primaire ou du secondaire, tous les acteurs interrogés (enseignants, directeurs d’écoles pour le primaire, enseignants, surveillants généraux, élèves, parents) déclarent avoir connaissance du règlement intérieur. La question reste de savoir jusqu’à quel point. Nous allons en donner trois exemples à titre d’illustrations.

  1. Il y a quelques mois (mars 2018), à l’heure de la cantine (entre 12 et 15 heures), un élève de CE2 grimpe sur un arbre dans la cour de l’école jusqu’à la cime, ayant échappé à la vigilance du maître chargé de surveiller les élèves. Ce dernier interpelle l’élève, qui descend de l’arbre et rentre chez lui. À 15 heures, quand il revient en classe, l’enseignant lui donne des fessées (ce qui est interdit). L’élève sort de la classe et rentre chez lui. Sa mère arrive en furie dans l’école, alertant tout le quartier, prête à se battre avec l’enseignant. La directrice gère la crise avec l’aide des autres enseignants. Pour toute réaction, la mère exige de récupérer tous les cahiers de l’enfant, son livret, et le retire de l’école en pleine année scolaire.
    Monter sur un arbre n’est pas en soi un acte grave. Par contre, il peut être dangereux car une branche pourrait se casser et l’enfant pourrait perdre l’équilibre et se blesser. C’est de ces risques et dangers que l’enseignant aurait dû entretenir l’enfant. Si l’on veut rester dans une logique éducative, l’enfant ne devrait pas être puni.

  2. Durant l’année scolaire 2017-2018, au mois de mai, un élève de CE1 a volé 25 F à un camarade dans une école primaire privée. Voler est interdit. Et il est prévu de rendre l’objet volé. Mais le directeur a fait passer l’élève dans toutes les classes. Les parents étaient désolés de la violence dont l’enfant a fait l’objet. Ils ont désapprouvé mais n’ont pas réagi en cherchant à comprendre. Ils l’ont changé d’école à la rentrée suivante.
    Il n’y a pas de démarche éducative dans l’attitude du directeur. C’est plutôt de l’humiliation, ce que le règlement interdit. Cet écolier aurait eu grand besoin de paroles.

  3. J. a 13 ans. Il est en 4e. C’est un élève discipliné, habituellement ponctuel, plutôt sans histoires. Il a la même coupe de cheveux (courts avec deux petites raies discrètes) depuis qu’il est dans l’établissement. Un matin d’avril 2019, il a cours à 7 heures et accuse 5 minutes de retard. L’enseignant le renvoie et l’oriente vers le surveillant général afin de mettre sa coiffure aux normes. Le surveillant général confirme la punition de l’enseignant et renvoie l’élève sans avertir les parents. J. demande au surveillant l’autorisation de suivre les cours de la matinée et de se coiffer à la pause de midi, en faisant remarquer qu’à cette heure-là, il n’y a aucun adulte chez lui. Aucun salon de coiffure n’est ouvert non plus. Le surveillant finit par accepter. Si l’élève s’était exécuté, il aurait perdu les cours de la matinée.
    Cet exemple révèle le « punir sans réfléchir », par automatisme, sans bon sens. Finalement, l’élève a été puni pour autre chose que son retard.

25Les manquements que les enseignants sont amenés à punir au secondaire sont : les retards, le manque de respect, les exercices non faits (insuffisance de travail), les perturbations du cours, l’indiscipline, les tenues débraillées, les absences non justifiées, le refus de donner son identité, l’escalade des murs, etc.

26S’agissant de fautes graves commises par les élèves, sont évoquées l’insulte et la gifle à un professeur, les coups et blessures, les bagarres entre élèves. Ce genre d’actes mérite des sanctions. L’enquête ne fournit pas de données détaillées mais un exemple peut être cité.

27En 2015, au collège d’enseignement général de Bohicon, des journées culturelles ont été organisées. L’établissement ayant déjà enregistré quarante cas de grossesse, il a été convenu d’arrêter les manifestations à 18 heures. Quelques élèves ont molesté le surveillant général en guise de désapprobation. La sanction retenue a été l’exclusion définitive. Il se trouve que certains parents n’ont pas accepté cette mesure. L’enquête ne renseigne pas le nombre d’élèves impliqués, le nombre de parents en désaccord avec la mesure, le sentiment de ceux qui l’ont approuvée.

28Il est difficile dans un cas pareil de dire si un cheminement éducatif se cache derrière la sanction. Certaines décisions de punir se prennent dans l’urgence, sans recul nécessaire (sauf pour le conseil de discipline, qui nécessite du temps pour rassembler ses membres). Le traitement des manquements pose quelques problèmes. D’un côté l’automatisme, les incohérences, les dérives dans les établissements. De l’autre, le refus ou le silence des parents, une absence de réactions ou alors de vives protestations.

29Des exemples comme ceux que nous venons de citer, où c’est la personne qui est en cause et non son acte, il en existe une multitude. Or c’est bien sur l’acte qu’il faut se focaliser pour faire place à un travail d’éducation. Nous pensons que les uns et les autres n’en ont pas conscience.

Perceptions des élèves

30Il existe plusieurs catégories d’élèves : ceux qui respectent le règlement intérieur pour éviter les punitions, ceux qui ont peur, ceux qui peuvent défier l’autorité et ceux qui vont passer à l’acte. Parmi ceux qui sont qui ont été enquêtés, 75 % (soit 158 personnes) trouvent normal et évident de se conformer au règlement. Ils n’ont pas dit si cela leur permettait de bien vivre avec les autres. Ils n’y ont sans doute pas réfléchi.

  • 1 Il s’agit d’une punition consistant à obliger l’élève à adopter une posture qui implique un effort (...)

31À l’école primaire, parmi les punitions mémorables, on note le châtiment corporel sous plusieurs formes : la chicote, la chauve-souris1, la privation de récréation, les copies à cause de leçons non sues, des bavardages, des exercices non faits, des retards. Les élèves approuvent les punitions appropriées. Et certains auraient souhaité contribuer à l’élaboration des règlements car le ministère serait en déphasage avec les réalités.

32Au secondaire, les punitions qui ont marqué sont : le châtiment corporel sous des formes variées, au motif de méconnaissance des règles d’orthographe ou de conjugaison, d’injures à camarades, d’exercices non faits, de leçons non sues, de bavardages.

33Les élèves (primaire et secondaire, 100 % soit 210 personnes) ne parlent que de punitions, et non de sanctions. Dans le cadre de cette enquête, les notes (dans les disciplines, la conduite) sont apparues plutôt comme éléments de régulation scolaire (distinction des bons élèves, disciplinés, des autres qui ne le sont pas). La situation serait différente s’il y avait une réelle continuité entre la famille, l’école et la société, donc une organisation des établissements incluant le suivi des élèves, mais aussi le fait que les parents comprennent les véritables enjeux de la scolarisation.

Perceptions des parents

34Les pratiques punitives sont jugées positives car elles permettent de redresser les enfants et représentent les bases de l’éducation, ont énoncé 90 % des parents (soit 270 personnes). Le principe des punitions, des sanctions semble acquis mais les attitudes divergent face aux réalités.

35Certains parents, dès la rentrée, indiquent s’ils acceptent le châtiment corporel ou le refusent. Ils n’hésitent pas à intervenir, agressent les enseignants ou changent leurs enfants d’établissement. D’autres apprécient les punitions quand elles sont modérées (sans blessures). Le châtiment corporel autrefois accepté, interdit désormais, suscite une réelle appréhension.

36D’autres parents (40 %, soit 120 personnes) ont une vision différente et déclarent :

« La chicote n’éduque pas les enfants. Il faut le dialogue et la compréhension. Les enseignants devraient discuter beaucoup avec les enfants et faire le suivi.
Il faut chercher à connaître les raisons motivant les actes des enfants. Discuter avec lui pour l’amener à en comprendre la portée. Le punir s’il récidive. Sensibiliser les enseignants pour chercher à comprendre le fonds des problèmes avant de punir ».

37Le fait de changer d’école un enfant (en réaction à une punition jugée inappropriée) apparaît comme une solution parce que le Bénin ne dispose pas de carte scolaire. Les parents sont libres d’inscrire leurs enfants dans les établissements de leur choix, privés surtout. Ils évitent la confrontation avec la réalité. Les refus des punitions ne sont pas toujours construits, selon nous. Il n’est pas très clair que les parents ont compris que le but fondamental des punitions et des sanctions est une contribution à l’éducation (avec des visées et des caractéristiques). Il en est de même pour les enseignants, les surveillants généraux, voire les élèves.

La fonction de la sanction en milieu éducatif béninois

38À l’issue de cette réflexion, on constate que les punitions sont plus courantes que les sanctions. Si elles existent, elles ne sont pas perçues comme ayant un rôle éducatif, car elles demeurent sans accompagnement ni suivi. Il est difficile de déterminer leur place. Les actes semblent assimilés aux personnes, d’où la difficulté pour certains parents de prendre le recul nécessaire et de se placer dans une dynamique éducative. En réalité, l’éducation devrait se baser sur le bon sens, la confiance et le respect des limites.

39La punition a pour but d’aider l’enfant à se développer sainement, à lui faire comprendre et retenir les règles qui, s’il les applique, lui faciliteront la conquête de sa propre maîtrise, en préservant le sens de sa liberté intérieure, dans un cadre où chacun de ceux qui l’entourent a droit aussi à son sentiment de liberté (Dolto, 1994).

Cela implique un véritable travail d’accompagnement de la part des éducateurs (parents, enseignants, autres), à condition qu’ils soient conscients de leurs devoirs respectifs. Or les enseignants ont des profils diversifiés et variés, ce qui entraîne différentes manières de punir. De plus, « l’administration des établissements ne fonctionne pas toujours bien, en raison d’une syndicalisation à outrance et d’une politisation » (Napporn, 2016).

40Il n’existe pas de dispositif adéquat pour un bon fonctionnement des établissements. Les infrastructures, les équipements, le personnel d’encadrement et de soutien, l’aménagement des espaces, l’espace d’implantation des établissements (proximité de place publique, de marché), pas toujours aux normes, posent bien des problèmes à l’administration et à la vie des acteurs.

41Au secondaire par exemple, « les surveillants sont en nombre très insuffisant. Le lycée Béhanzin de Porto Novo accueille environ deux mille élèves, s’étend sur plusieurs hectares et dispose de trois surveillants » (Napporn, 2016). S’ajoute la question des attributions des surveillants (qui devraient être des assistants d’éducation) et des surveillants généraux. Ces derniers, cooptés parmi les enseignants, sont chargés de faire respecter la discipline. Ils n’ont pas mandat de faire le suivi des élèves, encore moins les ressources.

42En prenant pour base le châtiment corporel, Danhoegbe (2018) écrit :

La relation d’interdépendance entre les pratiques sociales et les pratiques scolaires est évidente et le système social influence beaucoup l’environnement scolaire et ses acteurs (enseignants, élèves et parents). Les châtiments corporels qui sont utilisés dans les établissements émanent de la société (…). Si les mentalités dans la société n’évoluent pas par rapport à la pertinence du châtiment corporel, il perdurera.

43Ces propos pourraient très bien s’appliquer aux sanctions et aux punitions en général. Les perceptions doivent être modifiées. On déduit de l’enquête qu’il y a un véritable travail de sensibilisation à faire au niveau des établissements et au niveau des communautés.

44L’école devra situer chacun à sa place, laisser la place aux expériences, accompagner, fixer des limites, afin d’aider les jeunes à se structurer. Plusieurs possibilités peuvent être envisagées en fonction des caractéristiques des structures et des marges de manœuvre dont disposent les chefs d’établissements. Carré (2012) affirme qu’il est possible d’obtenir sans punir en utilisant les secrets de la manipulation positive. C’est un programme à expérimenter dans les établissements.

45Au Bénin, selon les instructions officielles, les élèves (écoliers, collégiens, lycéens) sont dans un établissement scolaire pour s’instruire et se préparer à devenir des citoyens conscients et responsables. Ces objectifs seront atteints s’ils ont appris auparavant à respecter les règles de l’assiduité, de la discipline, de la vie collective, s’ils ont appris à se construire des principes leur permettant de vivre avec les autres.

46Notre enquête a révélé que les sanctions, au Bénin, ne sont pas pensées dans une perspective éducative. Or la sanction éducative apprend à se soumettre à des lois objectives pour ensuite apprendre à obéir à ses propres résolutions. Seule cette sanction devrait prévaloir dans les établissements. Cela implique de revoir les règlements intérieurs en conséquence. L’enquête exploratoire n’a pas permis de tout dire, mais offre comme perspective de poursuivre la réflexion à travers des entretiens, des études de cas pour une analyse plus fine des situations, afin de mettre en évidence le rôle des paramètres sociologiques, culturels, environnementaux, linguistiques.

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Bibliographie

CARRE C. (2012). Obtenir sans punir. Les secrets de la manipulation positive avec les enfants. Paris : Eyrolles.

DANHOEGBE J.-C. (2018). L’usage du châtiment corporel dans les écoles primaires publiques de l’arrondissement d’Angaradébou au Bénin. Mémoire soutenu en vue de l’obtention de la maîtrise en sciences de l’éducation. Université d’Abomey-Calavi, janvier.

DOLTO F. (1994). Les chemins de l’éducation. Paris, Gallimard.

Ministère de l’enseignement secondaire, de la formation technique et professionnelle, de la reconversion et de l’insertion des jeunes (2016). Règlement intérieur des établissements des enseignements secondaire général, technique et professionnel. Cotonou, mars.

Ministère des enseignements maternel et primaire (2018). Règlement intérieur des écoles primaires révisé. Porto Novo, mars.

NAPPORN C. (2016). « La relation maître-élève et la question de l’autorité. Une étude sur le Bénin ». Revue internationale d’éducation Sèvres, n° 72, septembre, p. 66-57. [En ligne] DOI : 10.4000/ries.5508

PRAIRAT E. (1999). « Penser la sanction ». Revue française de pédagogie, vol. 127, Approches cliniques d’inspiration psychanalytique, p. 107-117. [En ligne] DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/rfp.1999.1089

PRAIRAT E. (2004). « Réflexions sur la sanction dans le champ de l’éducation ». Revue la lettre de l’enfance et de l’adolescence. 2004/3, n° 57, p 31-44. [En ligne] [https://bit.ly/2q1a8PP]

PRAIRAT E. (2011). La sanction en éducation. Paris : PUF (Que sais-je ?).

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Notes

1 Il s’agit d’une punition consistant à obliger l’élève à adopter une posture qui implique un effort physique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Clarisse Napporn, « La sanction dans les établissements scolaires béninois »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 81 | 2019, 45-54.

Référence électronique

Clarisse Napporn, « La sanction dans les établissements scolaires béninois »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 81 | septembre 2019, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/8700 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.8700

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Auteur

Clarisse Napporn

Clarisse Napporn est enseignante-chercheure au département des sciences de l’éducation et de la formation de l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin). Depuis 2012, elle est conseillère au Centre de pédagogie universitaire assurance qualité de la même université. Elle a en outre été membre du bureau permanent du Conseil national de l’éducation du Bénin, de juin 2012 à avril 2019. Courriel : clarissenapporn@yahoo.fr

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