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2009
ATELIER E : L'ÉDUCATION, SEGMENT DU MARCHÉ SCOLAIRE ?

Le partenariat associatif, pierre angulaire des programmes de l’éducation non formelle au Maroc

Hssain Oujour

Texte intégral

Contexte et problématique

1Levier majeur de développement individuel et collectif, l’école marocaine affiche, parallèlement à ses succès, des taux élevés de déperdition, notamment au niveau des deux premières années de l’enseignement primaire, probablement parce que c’est la limite de la vitesse de croisière du système. En effet, en 2005/2006, 8 % des élèves ont abandonné l’école dès la première année du primaire pendant que 6,14 %, soit quelque 200 000 élèves, abandonnent le cycle primaire sans accéder aux compétences programmées pour un cycle éducatif fondamental.

2À ce large public qui abandonne l’école s’en ajoute un autre qui n’en n’a jamais franchi le seuil. Malgré un effort notoire en matière de généralisation de la scolarisation, plus d’un million d’enfants âgés de 8 à 15 ans sont non scolarisés ou ont quitté l’école avant de terminer la scolarité obligatoire. Ces données globales deviennent d’autant plus négatives qu’elles s’accompagnent de disparités selon le genre (deux filles sur cinq ne fréquentent pas l’école), selon les tranches d’âges (les trois quarts des jeunes âgés de 12 à 15 ans sont non scolarisés ou déscolarisés) et selon le milieu géographique (80 % des non scolarisés ou déscolarisés vivent en milieu rural).

3Ainsi, à la périphérie du système scolaire et de son éducation formelle se situe un nombre considérable de personnes dont l’éducation et la formation restent à initier ou à promouvoir. Cette population est composite en termes de démographie, d’appartenance géographique et sociale, de niveau d’instruction, de choix professionnel, de manière d’être, de moyens, d’ambition, etc. Elle manifeste en conséquence des attentes d’une telle diversité que leur satisfaction ne peut être possible qu’au travers d’une perspective plurielle d’offre éducative en termes aussi bien de programmes formatifs, de logistique, de partenariat, de ressources humaines, de structures spatiotemporelles, de stratégies de communication, de motivation, de suivi-évaluation, etc.

4Pour traiter une problématique aussi complexe qu’urgente, le Maroc a mis en œuvre des structures opérationnelles, la première d’entre elles étant la Direction de l’éducation non formelle (DENF), créée au sein du ministère de l’Éducation nationale en 1998, pour ouvrir ces nouveaux horizons, optimiser l’apport partenarial, se doter d’une stratégie d’action, de programmes adaptés, identifier et canaliser les ressources dédiées aux chantiers ciblés, renforcer la mise à niveau initiale et évolutive de ses cadres ainsi que les mécanismes de suivi et de gestion des programmes.

Au démarrage, une enquête pilote

5Je rappellerai d’abord très brièvement les recommandations et incidences pratiques en matière d’éducation non formelle (ENF) formulées lors du lancement du programme, à l’issue d’une étude menée pour s’approprier la problématique de la non scolarisation, les spécificités, les contraintes et les besoins du public cible. Cette étude était intitulée « D’une catégorisation à une typologie des enfants en situation de non scolarisation et de déscolarisation ». Ses recommandations demeurent terriblement d’actualité.

6L’éducation non formelle, qui se propose comme un système alternatif de formation-éducation pour une seconde chance aux enfants non scolarisés, est fondée sur quatre principes de base :

7Principe 1 : de l’obligation scolaire à l’obligation éducative. Devant l’impuissance constatée des familles quant à leurs responsabilités face à leurs enfants, devant l’inadaptation des fonctions de l’école et face à l’exigence accrue des besoins d’éducation des enfants, futurs citoyens, il s’agit de suggérer en conséquence un système d’éducation alternatif.

8Principe 2 : de l’école unique à un espace pluriel d’éducation et de formation. Il s’agit d’assurer la médiation entre les enfants, sujets apprenants et l’environnement scolaire, social et professionnel. L’ENF en tant qu’espace pluriel impose une rupture et une spécificité : d’une approche plus systémique, tenant compte de l’interaction de plusieurs facteurs, davantage centrée sur l’apprenant par le recours à l’approche curriculaire et aux démarches d’apprentissage de la pédagogie différenciée.

9Principe 3 : de la carte scolaire à la gestion locale de l’éducation. La contingence de la demande de l’éducation non formelle, son ancrage dans le milieu local font qu’elle ne peut recourir qu’à une gestion locale voire une planification micro. En termes de recensement, il est nécessaire de privilégier les enquêtes de milieu (quartier, douar). Pour qu’elle réponde de manière prompte et soit un allié du développement régional et local, l’éducation non formelle doit mettre à contribution les institutions et les potentialités locales.

10Principe 4 : de l’exclusivité de l’intervention éducative à un réseau partenarial local. Il s’agit d’opérer une transition de l’exclusivité de l’intervention éducative auprès des enfants, limitée à l’école, à une gestion de proximité basée sur un réseau partenarial permettant une synergie et une mise à profit des potentialités locales.

Le partenariat comme choix stratégique

11Convaincu de la pertinence de ce quatrième principe, le programme d’éducation non formelle s’est fixé comme objectif majeur, dès son enclenchement, de participer à l’offre d’une éducation de base pour tous, à l’éradication de l’analphabétisme à la source et à concourir à l’objectif de généralisation de l’enseignement, en offrant aux bénéficiaires la possibilité d’intégrer l’école formelle, la formation professionnelle ou la vie active et ce à travers des programmes mis en œuvre dans le cadre de partenariats avec les ONG de la société civile.

12Le choix du partenariat associatif comme mode presque exclusif d’intervention s’explique par : la complexité du phénomène de non scolarisation, d’où la nécessité d’une approche de proximité ; la souplesse d’intervention et la nécessité de s’adapter aux spécificités des publics cibles ; la montée en puissance du rôle du tissu associatif.

Une circulaire pour réglementer le partenariat

13La circulaire du Premier ministre 07/03 réglementant le partenariat entre l’État et les associations vient à point nommé pour donner une définition claire et globale du partenariat entre l’État et les associations « entendu comme l’ensemble des relations d’association, de participation et de mise en commun de ressources humaines, matérielles ou financières, en vue de l’exécution de prestations sociales, de la réalisation de projets de développement ou de la prise en charge de services d’intérêt collectif », qui encourage la contractualisation autour de projets à objectifs déterminés et sur la base de la logique de résultats, et incite à l’adoption de critères claires et objectives.

14La décentralisation de la gestion des programmes ENF aux délégations du ministère de l’Éducation nationale conformément à cette circulaire, décidée en 2005 ainsi que la mise en place, cette même année, du programme de lutte contre la déscolarisation, ont permis un nouvel élan en matière de diversification des partenariats, lorsque le nombre des ONG partenaires actives dans le cadre du programme est passé de 43 à 262 associations sur l’ensemble du territoire.

Déroulement du programme

Engagements mutuels

15Aux termes de ce partenariat contractuel, l’administration, dans son rôle et dans ses missions, s’engage à élaborer des curricula spécifiques ; former des éducateurs ; dispenser les manuels aux bénéficiaires et les guides aux éducateurs ; apporter une subvention par le budget du Département pour couvrir essentiellement les indemnités des éducateurs ; assurer l’encadrement pédagogique.

16Fortes de leur ancrage de proximité, les associations partenaires participent au programme de l’ENF par la sensibilisation et l’intermédiation avec les familles ; l’ouverture et la gestion de classes d’ENF ; l’apport de solutions d’insertion socio-éducatives aux divers bénéficiaires.

Quelques résultats tangibles

17Depuis le lancement de l’ENF en mai 1997 jusqu’en 2007-2008, plus de 330 000 jeunes dont 58,8 % de filles ont pu bénéficier des classes d’ENF. L’insertion socio-éducative des bénéficiaires de l’éducation non formelle nécessite l’adoption de programmes éducatifs diversifiés qui tiennent compte des besoins spécifiques de chacune des catégories ciblées, (enfants ruraux, en situation de travail, en situation de précarité), des conditions de vie et des causes directes susceptibles de mener à la non scolarisation.

En termes qualitatifs

18Une série de mesures de remédiation ont été prises :

  • élaboration d’une pédagogie adaptée à la population ciblée, compte tenu de la diversité des profils d’entrée au cycle de l’éducation non formelle. Quinze types de manuels pour bénéficiaires et six « guides pour éducateurs » ont ainsi été produits ;

  • augmentation des budgets qui ont connu une évolution de 65 % durant les trois dernières années ;

  • renforcement de la formation des intervenants dans une approche d’alternance et en s’appuyant sur les nouveautés pédagogiques et didactiques ;

  • diversification des partenariats la promotion du parrainage.

En termes quantitatifs

Évolution de l’approche ENF

19Sur le terrain, cette approche est concrétisée à travers deux programmes :

  • le programme de l’école de la deuxième chance, à caractère curatif, destiné à l’insertion des bénéficiaires dans l’enseignement formel ou dans les filières d’initiation à la formation professionnelle, et où le monde rural et le périurbain constituent une cible prioritaire ;

  • le programme de la lutte contre l’abandon scolaire, qui porte sur une approche préventive consistant à mettre en place des cellules de veille au sein des établissements primaires et un programme de soutien pédagogique et psychosociologique, afin de remédier aux causes de l’abandon et du décrochage scolaires qui doivent être menée essentiellement par les ONG dans un cadre partenarial avec l’école.

20L’approche préconisée repose dans son exécution sur une intervention articulée autour de trois espaces :

De nouvelles pistes porteuses

21À partir de l’expérience de partenariat ENF, on peut lister des créneaux porteurs de bonnes pratiques développées par des associations :

  • projets menés dans une approche intégrée ancrée dans son environnement, surtout en milieu rural, où l’école non formelle peut être attractive car motivée par la force de la contractualisation et la proximité des acteurs éducatifs répondant par la même aux besoins de la chaîne d’éducation ; du préscolaire « communautaire » aux classes de la deuxième chance en passant par le soutien éducatif et l’alphabétisation des femmes (mères) ;

  • projets d’ONG spécialisées dans la lutte contre la précarité offrant une alternative éducative aux enfants en situation de travail (petites filles domestiques, apprentis-artisans) et socio-éducative aux enfants vivant dans la rue ;

  • projets d’ONG structurés autour de l’insertion professionnelle, offrant des activités pré- professionnelles en parallèle aux activités d’ENF, en s’arrimant au tissu productif local, aidant ainsi leurs « lauréats » à élaborer et à conduire des projets d’insertion socioprofessionnelle ;

  • ONG qui offrent une formule de formation par alternance en milieu rural arrimées à des coopératives ou des exploitations agricoles, offrant ainsi des services allant de la mise à niveau éducative, à la formation par apprentissage et à l’accompagnement de projets personnels liés au rural ;

  • un autre créneau à promouvoir, le partenariat en faveur de l’école de l’excellence : il s’agit d’encourager le travail associatif d’accompagnement de l’école, dans le soutien de la veille socio-éducative, la médiation avec les familles, dans l’esprit de partage des responsabilités, et l’obligation d’apporter des solutions de créativité.

Entraves et défis

22D’une étude/enquête menée par le Département en 2006/2007 sur un échantillon d’associations partenaires en éducation non formelle, on peut tirer les conclusions suivantes :

Typologie des ONG

Publics ciblés par les associations

36 % sont des associations de développement ;
43 % travaillent dans le domaine de l’éducation et la formation ;
14 % sont des associations s’occupant des enfants des rues ;
7 % sont des associations de protection de l’enfance.

73 % inscrivent les enfants déscolarisés ;
40 % des associations ciblent les enfants qui sont en situation de travail ;
20 % ciblent les enfants en situation difficile ;
13 % ont fait le choix de sélectionner leurs bénéficiaires parmi les jeunes adolescents.

Palette des coûts pratiqués

23La subvention classique de la DENF aux associations est de 2 000 dhs par mois/animateur. Mais, partant de plus en plus d’une logique de projet, la contribution de l’administration calculée sur la base du bénéficiaire varie entre 700 et 1 000 dhs par an.

24Cependant, de par le large spectre d’associations en œuvre dans le domaine, l’étude a dégagé une palette de coûts par bénéficiaires varient de 1 000 dhs à 8 000 dhs dont les salaires des chargés de projet allant de 4 000 à 6 500 dhs et de l’animateur des classes ENF qui varient de 1 000 à 3 500 dhs. D’autre part, 60 % des associations gèrent leurs projets au jour le jour sans aucun fonds de roulement spécifiques.

25L’étude a montré que, malgré leur grande capacité de mobilisation, les associations partenaires restent peu compétitives du fait essentiellement de défaillances managériales.

26Fondamentalement, un déficit capital subsiste au niveau de l’appropriation du projet ENF par l’association, dans la mesure où celui-ci est souvent perçu comme un projet de l’État. En outre, alors que paradoxalement de nombreuses ONG engagées dans l’action sociale arrivent à mobiliser des fonds importants pour leurs programmes, elles n’affectent presque jamais de budgets propres à l’ENF.

27D’autres défis restent à relever dans le domaine du partenariat en ENF :

  • la mise en réseau et la fédération des associations partenaires pour la rationalisation et l’optimisation des ressources et la capitalisation des bonnes pratiques ;

  • la qualification des ONG, surtout dans une situation de manque de professionnalisme, et le statut fragile du travailleur associatif ;

  • la lenteur des procédures quant à la libération des subventions ;

  • la faiblesse du suivi et de l’évaluation des projets de partenariat.

*
**

28Au Maroc, la légitimation de départ d’un partenariat dans le domaine de l’ENF fondamentalement tourné vers la société civile, susceptible d’asseoir une école de l’autre chance, n’a cessé d’évoluer en cours de route, passant de l’objectif d’insertion dans le formel à celui d’une recherche ininterrompue pour assurer des voies d’insertion socioprofessionnelle des bénéficiaires. Mais outre ce véritable défi, plusieurs autres niveaux de difficultés entrent en jeu, et principalement la mise à niveau des intervenants autant institutionnels qu’associatifs. Ainsi que l’absence de synergie des interventions des uns et des autres, d’où une certaine impression de travail en vase clos, qui handicape l’atteinte des objectifs attendus.

29Cependant, la prise en considération de ce problème dans le cadre du Plan d’urgence du ministère pour la période 2009-2012, ainsi que la dynamique participative enclenchée récemment par l’Initiative nationale de développement humain, tant en ce qui concerne le rehaussement du local que la prise en compte de l’impératif de convergence des interventions, pourraient bien donner un nouvel élan, à même d’assurer aux programmes de l’ENF une gestion de proximité basée sur un réseau partenarial, permettant une synergie entre les acteurs institutionnels et civils, la mise en commun des bonnes expériences en la matière et une bonne gouvernance des potentialités existantes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Hssain Oujour, « Le partenariat associatif, pierre angulaire des programmes de l’éducation non formelle au Maroc »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], Colloques, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/5698 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.5698

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Auteur

Hssain Oujour

Directeur de l’éducation non formelle, département de l’enseignement scolaire, ministère de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la formation des cadres et de la recherche scientifique. Courriel : oujourhssain@alpha.gov.ma

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