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Dossier - Les données en éducation

Élaborer et diffuser des données fiables à tous les acteurs éducatifs et décisionnels en Afrique subsaharienne. Un entretien avec Abdel Rahamane Baba-Moussa

Propos recueillis par Jean-Pierre Véran et Sylvain Wagnon
Developing and disseminating reliable data to all those involved in education and decision-making in sub-Saharan Africa. An interview with Abdel Rahamane Baba-Moussa
Elaborar y difundir unos datos fiables para todos los actores educativos y decisorios en África subsahariana. Una entrevista con Abdel Rahamane Baba-Moussa
Abdel Rahamane Baba-Moussa, Jean-Pierre Véran et Sylvain Wagnon
p. 71-81

Résumés

Affirmer l’importance de la langue d’enseignement, de la préscolarisation, de la qualité de la formation initiale et continue des enseignants pour la réussite des élèves sont en Afrique des priorités qui se fondent sur les résultats du Programme d’analyse des systèmes éducatifs (Pasec), une enquête internationale produite par la Conférence des ministres de l’éducation des États et gouvernements de la francophonie (Confemen), ainsi que sur les actions pilotes conduites ensuite pour concrétiser les leviers de progrès repérés. Cela requiert rigueur méthodologique, éthique et déontologique pour associer tous les acteurs concernés, du national au local dans un nombre grandissant de pays, et partager ainsi une culture commune de l’évaluation et de la conduite du changement, conduisant à une amélioration continue de la qualité de l’enseignement et des apprentissages.

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Notes de la rédaction

L’entretien a été enregistré le 5 avril 2024, transcrit par Sylvaine Herold et révisé par Marie-José Sanselme.

Texte intégral

Abdel Rahamane Baba-Moussa est depuis 2019 secrétaire général de la Conférence des ministres de l’éducation des États et gouvernements de la francophonie (Confemen). Également professeur titulaire des universités du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames) en sciences de l’éducation, c’est un spécialiste de l’évaluation et de l’accompagnement des politiques éducatives dans les pays en développement, notamment en Afrique subsaharienne.

C’est à ce double titre de chercheur et d’acteur clé d’une organisation qui recueille et exploite, à l’échelle internationale, des données pour améliorer les conditions d’éducation qu’il a accordé un entretien à la Revue internationale d’éducation de Sèvres, dans le cadre de son 96e dossier consacré aux données en éducation. Il livre ici une analyse à la fois historique et prospective du Programme d’analyse des systèmes éducatifs (Pasec) de la Confemen, en évoquant les défis soulevés par le recueil, le traitement et la communication de données en éducation afin de renforcer les politiques éducatives conduites dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne.

Objectiver les acquis des apprentissages : une nécessité pour les politiques publiques d’éducation

En votre qualité de chercheur comparatiste, d’expert international en éducation et de secrétaire général de la Confemen, quels sont les aspects essentiels, à vos yeux, dans la production et l’élaboration d’un recueil de données en éducation, afin qu’elles puissent être valides et pertinentes pour accompagner les politiques éducatives ?

  • 1  En septembre 2015, les 193 États membres de l’ONU ont adopté le programme de développement durable (...)

Abdel Rahamane Baba-Moussa – Je voudrais d’abord saluer l’idée de produire ce numéro sur le thème des données en éducation, à un moment où la plupart des pays cherchent à lutter contre la pauvreté des apprentissages et à renseigner d’ici 2030 les indicateurs de l’ODD 41. L’importance accordée aux données par la Confemen, depuis toujours, a conduit à mettre en place le Programme d’analyse des systèmes éducatifs, le Pasec, dont le rôle est de fournir aux acteurs des données probantes pour aider au pilotage des systèmes éducatifs. Ce qui est fondamental pour la Confemen, c’est de donner une représentation réelle, objective et fiable de la réalité éducative des pays, en particulier en ce qui concerne la qualité des acquis d’apprentissage, pour soutenir la prise de décision. Nous constations, dans de nombreux pays, une logique d’utilisation des données pour légitimer l’action publique – c’était le cas en général à travers les examens nationaux, dont les résultats étaient parfois réajustés. Il était essentiel de substituer à cette logique de légitimation de l’action publique une logique d’utilisation pour la prise de décision. C’est ce qui a d’abord conduit le Pasec à faire des évaluations nationales, afin de fournir à chaque pays des données réelles sur son système éducatif. Très vite, nous nous sommes rendu compte que, pour aller plus loin, il était indispensable que les pays, au-delà de leurs propres données, puissent partager expériences et bonnes pratiques, échanger entre États. Nous en sommes donc arrivés à des évaluations internationales, standardisées, qui favorisent le dialogue politique entre les pays. Cette réforme a été opérée en 2012, alors que le Pasec existait depuis 1991. Cette nouvelle approche comparative permet aux pays d’enrichir leurs propres actions, leurs propres recommandations et de les accompagner vers la réalisation de l’ODD 4, qui est l’enjeu à venir.

Pour résumer, je dirais que ce qui est essentiel pour la production de données valides, c’est d’abord d’instaurer dans les pays une culture d’évaluation des apprentissages et une culture de prise en compte des résultats d’évaluation dans l’amélioration des politiques publiques. Nous en sommes désormais à la troisième édition des évaluations internationales comparatives, ayant successivement évalué dix pays d’Afrique subsaharienne, puis quatorze et bientôt vingt-quatre. La Confemen s’achemine vers l’utilisation de la comparaison en éducation comme ferment de son accompagnement des États et gouvernements membres.

Développer une rigueur méthodologique, éthique et déontologique pour une culture commune de l’évaluation

Quels sont les attendus et les modalités méthodologiques de cette production de données ?

Un aspect crucial pour la validité des données est la question de la méthodologie. La rigueur et la qualité de la méthodologie du Pasec, ainsi que la qualité des organes qui concourent à produire ces résultats, à les valider, sont essentielles, car c’est d’elles que dépendent la robustesse des données et leur pertinence pour la prise de décisions.

La méthodologie initiale du Pasec consistait à faire des enquêtes dans chaque pays auprès d’un échantillon représentatif d’écoles, de classes et d’élèves. Les élèves passent des tests standardisés en début de scolarité et de façon individuelle dans deux disciplines importantes, les langues et les sciences à travers les mathématiques. Ces tests sont passés par les élèves à l’entrée du primaire et en fin de primaire. Dans un premier temps, ce sont des tests individuels qui sont adressés aux élèves et, en fin de primaire, ce sont plutôt des tests collectifs, sous forme de questions à choix multiples. L’enquête, pour permettre une bonne prise de décision, s’intéresse à l’environnement : l’environnement familial, les ressources éducatives, la question du bien-être à l’école…

Cette méthodologie initiale s’est améliorée au fur et à mesure. En 2019, constatant le poids des enseignants sur la qualité des acquis, a été introduite une enquête sur la compréhension de l’écrit et de la didactique de l’écrit par les enseignants. Cette enquête porte sur l’expérience professionnelle de l’enseignant, son parcours ainsi que sur la didactique des mathématiques et la compréhension des mathématiques. L’étude de 2019 a montré que, en général, les élèves rencontrent des difficultés sur certaines thématiques lorsque leurs enseignants eux-mêmes sont en difficulté sur ces sujets. Il était donc important de mieux comprendre la situation des enseignants pour formuler des recommandations permettant aussi d’améliorer leur qualité. Un comité d’éthique et de déontologie a été mis en place pour garantir non seulement des résultats objectifs, mais aussi un dialogue avec les enseignants sur l’utilisation qui serait faite des résultats de l’enquête, certains craignant les conséquences que cela pourrait avoir sur leur carrière.

Un autre aspect fondamental est la qualité de l’équipe technique du Pasec, qui est recrutée sur la base de profils de compétences précis et qui est accompagnée par un comité scientifique de haut niveau, qui valide tous les travaux, afin de garantir l’objectivité et la qualité des résultats pour permettre une meilleure utilisation.

Il reste cependant un travail à faire pour une véritable appropriation et une adhésion des acteurs à cette culture de l’évaluation, pour une meilleure utilisation des résultats et des données sur l’éducation.

Faire connaître les données à tous les acteurs éducatifs

L’enjeu de la communication sur les données, c’est de mieux faire connaître à chaque pays la réalité des performances de son système éducatif, de créer un effet de transparence dans le débat public, et donc d’avoir des données présentées de façon utilisable. C’est pour cela qu’au-delà des données du Pasec elles-mêmes, nous avons également un processus de recueil et de communication sur des données plus qualitatives, avec des études complémentaires menées dans le cadre d’un deuxième programme, le Pacte ou Programme d’appui aux changements et à la transformation de l’éducation. Le Pacte vise à traduire l’ensemble des données dans un langage accessible aux acteurs et à fournir des pistes de recommandations, voire d’accompagnement des États en vue du changement.

De façon générale, deux cibles prioritaires sont prises en compte en matière de communication. La première cible est celle des acteurs nationaux dans chaque pays. Les données sont produites sous forme de rapports nationaux, qui sont présentés aux acteurs de façon claire, précise, avec des recommandations pertinentes. Il ne s’agit pas de leur donner les données brutes, mais d’extraire les informations les plus pertinentes afin qu’ils puissent utiliser ces informations à travers des pistes de recommandations pour agir. Il y a également le besoin, au niveau national, d’informer plus largement le public des enseignants, afin qu’ils puissent opérer les réajustements nécessaires pour améliorer leur enseignement. Il y a enfin besoin de communiquer en direction des familles, pour qu’elles puissent s’appuyer sur les résultats des évaluations pour mieux accompagner leurs enfants, mieux comprendre les effets du système éducatif.

La seconde cible est la communauté internationale puisque l’un des objectifs de la production de données, dans ces quelques années qui précèdent le bilan de l’ODD 4 en 2030, est de communiquer au niveau international. Ce sont les États et gouvernements qui doivent fournir ces données. L’Institut de statistique de l’Unesco (ISU) joue un rôle déterminant à cet égard. Au-delà des rapports nationaux, le rapport international met ainsi en avant la dimension comparative des données.

Ce qui nous importe, en matière de communication, c’est que chaque acteur puisse tirer l’essentiel des informations qui lui sont utiles pour l’aider à la prise de décision. Cette évaluation ne vise pas à classer les pays, mais à engager une démarche de production de données pour aider à la prise de décision.

Au-delà des rapports, il y a peut-être une démarche plus active à avoir en direction de certaines catégories spécifiques d’acteurs. C’est ainsi que nous avons organisé l’année dernière – c’était la première fois – une conférence des décideurs. Nous avons réuni des ministres, des députés et des partenaires financiers, pour leur présenter les résultats du Pasec et les liens qu’on peut faire entre ces résultats et l’amélioration des systèmes éducatifs. Nous souhaitions que les ministres puissent s’approprier l’évaluation, la production de données et garantir des financements importants pour que, de façon régulière, on puisse recueillir les données sur les apprentissages et les mettre au service de la décision. Il était question également de sensibiliser les députés non seulement à l’importance du financement de l’éducation, lorsque les budgets sont votés au Parlement, mais aussi à la nécessité d’intégrer dans les budgets des ministères des fonds alloués directement à la production de données sur les apprentissages. Nous avons encore innové, en décembre 2023, en organisant à Dakar, au Sénégal, une conférence de consensus. Il s’est agi d’une communication croisée entre les acteurs de l’éducation, au sens le plus large possible, y compris dans les collectivités locales, pour qu’ils s’approprient les thématiques et les résultats des évaluations et puissent, à partir de cela, formuler une ou deux recommandations fortes qui seront mises en œuvre par l’État. Nous espérons que cette initiative se poursuivra dans les années à venir.

Accompagner les changements et les transformations éducatives à différentes échelles

Pour aider à la prise de décision et mobiliser la diversité des acteurs, de quelle manière peut-il être tenu compte, puisque vous avez parlé de rapports internationaux et de rapports nationaux, des caractéristiques et des contextes qui peuvent être très différents dans un même pays ?

C’est en effet l’une des dimensions importantes de la communication des données en éducation. Nous nous sommes rendu compte que les rapports nationaux permettent de sortir d’un schéma de classement entre pays. Ils visent à aller au-delà, à favoriser la réflexion au sein des pays sur les observations qui ont été faites au niveau national. Pour le Pasec 2019, nous avons ainsi, grâce au financement spécifique d’un partenaire, pu organiser des restitutions au niveau local. Nous sommes partis du rapport national pour cibler les spécificités de chaque région et nous avons communiqué avec les acteurs locaux, les maires, les enseignants, les communautés, les directions régionales, pour leur permettre justement de ne pas se référer seulement aux recommandations globales, au niveau national, mais de traiter de questions plus spécifiques. Pour la conférence de consensus à Dakar, nous avons demandé à tous les acteurs locaux dans les académies de participer à distance. Ainsi, la conférence s’est tenue à Dakar, mais avec la participation d’acteurs dans chaque région. Nous avons même organisé des conférences jumelles, qui permettaient de reproduire le même dispositif et d’organiser des conférences de consensus dans les pays qui ne participaient pas à cette phase pilote.

La plupart du temps, les données sont produites et communiquées autour du système scolaire et il existe en quelque sorte des données « prisonnières de la forme scolaire », pour reprendre l’expression de Guy Vincent et de ses collaborateurs. Or dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, une bonne partie des enfants n’est pas dans le système scolaire et d’autres dispositifs alternatifs sont souvent mis en place pour leur permettre d’acquérir les apprentissages. Donc si l’on veut vraiment ne laisser personne de côté à l’horizon 2030, comme y invite l’ODD 4, il importe que les évaluations des apprentissages puissent être menées aussi en direction de ces populations-là. Dans ce cadre, le Pasec met à disposition des États qui le souhaitent la possibilité de faire des évaluations des apprentissages dans les « alternatives éducatives » par exemple, ces écoles bilingues qui permettent de rattraper la scolarisation des enfants qui n’ont pas été scolarisés avant l’âge de 10 ans. Il y a aussi tout le volet enseignement technique et formation professionnelle, qui n’est pas encore pris en compte. Si l’on veut avoir une vision globale du système éducatif, il faut communiquer sur les résultats des apprentissages dans ces différents sous-secteurs.

Identifier les leviers de transformation éducative pour engager de nouvelles actions pilotes

D’après votre expérience et les résultats des évaluations de 2014 et 2019, les données recueillies, traitées et communiquées sont-elles de possibles leviers de transformation éducative ? Voyez-vous une évolution des différents acteurs en ce qui concerne leur possible appropriation de ces données ?

De façon globale, les évaluations de 2014 et de 2019 montrent que, dans la plupart des pays, les résultats en langues, en compréhension de texte et en mathématiques se sont améliorés, même s’ils restent faibles. Il reste une préoccupation constante partout, c’est la question des sciences. En général, on constate des résultats un peu plus acceptables en langues et en compréhension de l’écrit, et ce même lorsque la langue d’enseignement est le français, qui n’est pas la langue maternelle des élèves. L’enquête sur les enseignants a montré justement que c’est parce que les enseignants eux-mêmes ont généralement des difficultés dans certaines dimensions des mathématiques – les calculs complexes par exemple, qu’ils n’arrivent pas à faire eux-mêmes –, qu’ils ont tendance à ne pas enseigner ces aspects aux élèves. Nous avons donc fait des recommandations pour que les pays puissent améliorer cela. Comme je le disais, le Pasec produit en général des informations très larges. Il n’est pas possible de faire un traitement exhaustif.

Au-delà des tests des élèves, il y a aussi tout ce qui est fait comme information sur l’environnement. Le Pacte, le Programme d’appui au changement et à la transformation de l’éducation, essaie justement d’améliorer ces aspects. J’ai évoqué les mathématiques mais je pourrais aussi parler des langues. Dans certains pays africains, nous avons fait des évaluations non seulement en français, qui est généralement la langue de travail, mais également dans les langues maternelles. Je prends le cas du Niger par exemple, où il existe trois langues nationales en plus du français. Les élèves ont dans l’ensemble, en mathématiques comme en français, de meilleurs résultats lorsqu’ils sont évalués dans leur langue maternelle que lorsqu’ils sont évalués en français. Et ceux qui ont de bons résultats dans les évaluations en français sont en général ceux qui utilisent la langue française dans leur environnement familial. Donc nous considérons que la question de la langue d’enseignement est essentielle. Et le Programme d’appui au changement et à la transformation de l’éducation prend en charge ces deux dimensions – la question de la formation des enseignants et la question des langues d’enseignement –, pour mettre en place des dispositifs visant à accompagner les États pour l’élaboration de meilleures politiques linguistiques au sein de l’école, avec des curriculums qui intègrent la question des langues, ainsi que pour la mise en place d’une assurance qualité en formation initiale et continue des enseignants.

Une troisième dimension importante est le niveau de préscolarisation, qui reste très faible, dans de nombreux pays. C’est le parent pauvre de la plupart des systèmes éducatifs subsahariens. Or les évaluations Pasec montrent que les enfants qui attestent d’un enseignement préscolaire d’un ou deux ans ont tendance à aller plus loin dans leur scolarisation. Le Pacte vise à accompagner les pays dans la mise en place de politiques adaptées en matière d’éducation préscolaire.

Enfin, une quatrième dimension concerne les alternatives éducatives, qui devraient être considérées comme des composantes essentielles des systèmes éducatifs si l’on veut vraiment, à partir des données que nous avons, améliorer les apprentissages du plus grand nombre d’enfants et ne laisser personne sur le côté.

Évaluer l’éducation d’un nombre toujours croissant de pays

Comment abordez-vous le passage d’évaluations nationales d’une dizaine à plus d’une vingtaine de pays ?

Nous allons avoir une expérience singulière lors du Pasec 2024, auquel des pays non-membres de la Confemen ont souhaité participer. C’est le cas par exemple du Nigeria, ce grand pays d’Afrique subsaharienne, mais aussi du Mozambique et nous espérons que d’autres pays comme l’Angola, le Ghana, la Zambie et d’autres puissent nous rejoindre. Désormais, à la Confemen, en plus de la langue française, langue de prédilection dans l’espace francophone, nous avons aussi des évaluations en anglais et en portugais ainsi qu’en langues nationales africaines. Ce sera certainement l’occasion de faire une grande réforme, après le Pasec 2024, et j’espère que nous aurons la possibilité d’avoir quelques actions pilotes d’évaluation des centres d’éducation alternative en plus du primaire et du premier cycle du secondaire que nous couvrons déjà. Une fois que des évaluations auront été réalisées avec ces différentes catégories et différentes cibles – en phase avec les indicateurs de l’ODD 4 qui seront pris en compte en 2030 –, nous pourrons tirer des leçons de l’évaluation 2024 pour mettre en place un nouveau dispositif pour l’évaluation Pasec en 2028 ou 2029 selon les décisions des instances de la Confemen, qui sera la dernière évaluation avant l’échéance 2030 pour l’ODD 4. Cela nous permettra d’avoir une analyse plus affinée, tenant compte des différents contextes des pays, anglophones, lusophones ou bilingues comme au Cameroun… Pour l’évaluation en 2024, nous travaillons ainsi de façon concomitante avec le Pasec et avec le Pacte afin que, lorsque nous présenterons les résultats du Pasec en 2026, nous puissions, avec les études réalisées par le Pacte, en savoir plus sur les déterminants de la qualité des apprentissages, en disposant d’informations sur l’environnement familial, les contextes, les carrières et conditions de travail des enseignants, ainsi que sur la diversité linguistique dans les différents pays. Le Vietnam et le Cambodge pourraient être candidats à la prochaine évaluation, de même que les pays d’Afrique du Nord. En tout cas, le Pasec est en passe de s’étendre en Afrique au-delà de l’espace francophone, dans la perspective de 2030.

Évaluer l’éducation à différentes échelles

Les données collectées en 2024 vont-elles donner lieu à des recommandations nationales ? Qu’en est-il de l’appropriation et de l’accompagnement de ces recommandations par les enseignants et les décideurs éducatifs et politiques ?

Les recommandations seront classées par catégories d’acteurs. Lorsqu’on prend par exemple la question des différences observées entre garçons et filles, certaines décisions doivent être prises au niveau du système, y compris par voie législative, pour susciter la participation des filles. D’autres décisions sont à prendre au niveau de l’école, puisque l’on constate parfois une pratique différenciée selon le genre et une tendance à pousser plus souvent les garçons vers les sciences et les filles vers les lettres. Aujourd’hui, il y a tout un mouvement pour susciter, même au niveau universitaire, l’accès des filles aux sciences. Donc ces recommandations sont toujours formulées par catégories et déclinées ensuite de façon plus concrète, dans chaque pays, au niveau des localités. Cette démarche ne changera pas lorsque nous aurons élargi le champ. Nous avons d’ailleurs l’intention de produire le rapport international francophone habituel, mais aussi un rapport plus ouvert qui permettra, au-delà des comparaisons entre pays francophones membres de la Confemen, de faire des comparaisons avec d’autres aires linguistiques et même d’autres contextes politiques, comme au Nigeria qui est un État fédéral. L’un des grands défis de cette ouverture et de cette diversification géographique sera celui de la comparabilité des données ; on ne peut comparer que ce qui est comparable et cela sera l’objet d’une veille spécifique au plan méthodologique. Ces questions ne sont pas seulement l’affaire d’une équipe technique d’évaluateurs Pasec. C’est pourquoi, au niveau du Pacte, nous renforçons actuellement l’effectif et la diversité des profils, et faisons, en outre, appel à des experts hors Confemen. Nous avons formalisé des partenariats avec des universités pour associer des équipes de recherche sur des thématiques spécifiques, dans le cadre de la conférence de consensus de Dakar. Ce sera, à l’avenir, notre modèle de diffusion de nos résultats : des conférences de consensus qui réunissent les chercheurs, les acteurs de terrain, les politiques et les collectivités familiales pour penser ensemble les réformes de l’éducation.

Mobiliser les différents acteurs de l’éducation à partir des données collectées

En tant que secrétaire général de la Confemen, diriez-vous que pour mobiliser les acteurs – décideurs ou acteurs de terrain –, il est préférable de s’appuyer sur des données encourageantes, positives, ou bien des données montrant la difficulté à atteindre certains objectifs sont-elles plus mobilisatrices ?

Je dirais sans hésiter que c’est lorsque les données étaient les plus mauvaises, les plus alarmantes qu’on a vu s’opérer une vraie révolution. Je prends le cas de deux pays qui, lors de l’évaluation 2014, étaient en dernière position sur les dix pays évalués. Lorsque la restitution a eu lieu, c’est au sommet de l’État, au niveau de la présidence de la République, que nous avons pu interpeller les équipes ministérielles pour leur demander de mettre en place les dispositifs nécessaires pour le changement. Dans ces deux pays, les chefs d’État, dans leurs discours politiques, ont utilisé les résultats du Pasec pour stimuler le changement dans leur pays. Cela a donné lieu, entre autres, à l’évaluation des enseignants et à des réformes de la formation initiale et continue, par exemple. Ces deux pays sont aujourd’hui en meilleure position dans l’évaluation 2019. Lorsqu’un pays est classé premier ou deuxième, même si les taux ne sont pas excellents, il peut s’enorgueillir. Mais lorsque vous êtes premier avec encore près de 50 % des élèves qui n’ont pas les acquis attendus en CM2, il n’y a aucune raison de se réjouir. Notre expérience montre que ce sont souvent les résultats les plus mauvais qui ont entraîné de vraies transformations. Nous verrons si l’évaluation 2024 confirme ce constat.

Dans les échanges que nous avons eus, notamment lors de la conférence des décideurs, nous nous sommes rendu compte que la plupart des ministres des pays qui ont participé à l’évaluation 2019 étaient soucieux de savoir ce qu’il convenait de faire dans leur propre système éducatif. Même un pays comme le Sénégal, qui a souvent été bien classé, s’est interrogé sur la qualité des enseignants. Des réformes sont mises en place, des évaluations sont faites ; la question de la langue est de plus en plus prise en compte, des expériences bilingues sont développées dans plusieurs pays… Je crois que tout cela nous permettra un deuxième niveau d’analyse et de mieux identifier les facteurs déterminant du changement. En 2019, nous avons fait une étude sur la manière dont les pays utilisaient les résultats du Pasec après l’évaluation 2014. L’étude a montré clairement qu’il y avait une utilisation très simple des résultats : « nous sommes premiers » ou « nous avons 10 %, 20 % de réussite à tel niveau », etc. Sur cette base, nous avons mené des actions dans les pays pour une meilleure appropriation des résultats, nous avons réalisé la conférence de consensus, les réunions des décideurs et nous pensons que tout cela fera école. En 2025, lorsque les résultats du Pasec 2024 sortiront, nous aurons sans doute une analyse plus fine à faire, de ce point de vue.

Les recherches actuelles montrent que les changements de pratiques sont en grande partie, presque en majeure partie, dus aux enseignants et que les enseignants qui changent leurs pratiques sont, dans la plupart des cas, des enseignants qui ont été accompagnés. Ce n’est que lorsqu’il y a un accompagnement de ces enseignants qu’il y a une évolution des pratiques. Comment envisagez-vous cette question de l’accompagnement du changement ?

J’ai constaté en arrivant à la Confemen, en 2019, qu’on produisait beaucoup d’informations, de données mais que ces données n’étaient parfois pas visibles dans les pays. Avant d’arriver à la Confemen, j’ai moi-même été secrétaire permanent du plan sectoriel de l’éducation et j’ai conduit l’élaboration du plan sectoriel 2018-2030 du Bénin. Or j’ai découvert des documents très intéressants et importants sur le financement, les alternatives éducatives, la gestion de l’école, etc., produits par la Confemen, que je n’avais pas pu voir, bien qu’étant un acteur central au niveau national. La création du deuxième programme, le Pacte, vise justement à accompagner le changement. Dans la révision de nos statuts et de nos textes, nous avons mis l’accent sur cette dimension. On ne peut opérer de changement si l’on se contente d’évaluer et de restituer des résultats d’évaluation. Il faut partir de ces résultats pour monter des actions pilotes. La Confemen a adopté une démarche qui part des résultats des évaluations du Pasec, puis, en étudiant les plans sectoriels des États qui ont participé à l’évaluation, de voir, sur la base des recommandations formulées par le Pasec, si la mise en œuvre des plans sectoriels permet d’atteindre les cibles de l’ODD 4 en 2030. L’étude montre que sur les dix-sept pays concernés, aucun d’entre eux, bien qu’ils se soient focalisés sur les cibles de l’ODD 4, ne pourra atteindre une seule de ces cibles en 2030 si des actions fortes ne sont pas mises en œuvre.

Parmi les actions que nous avons retenues avec ces pays, il y a la question des enseignants. Nous avons fait une petite étude pilote avec quatre pays, pour observer la qualité de la formation initiale et continue des enseignants. Nous conduisons maintenant le même type d’exercice avec un échantillon plus large de pays. Notre objectif est de mettre en évidence les déterminants de la formation initiale et continue des enseignants sur lesquels il faut agir pour qu’ils soient en mesure d’améliorer de façon substantielle les acquis de leurs élèves. Cela va de la question de la langue à celle de l’innovation pédagogique et de l’utilisation du numérique, en passant par une interrogation sur les différences entre les pays qui font de la pédagogie par objectifs ou qui utilisent d’autres types de méthodes innovantes – pédagogie Freinet, etc. Pour nous, cette étude est un préalable pour aller vers la mise en place d’un dispositif de transformation. Nous avons pour projet de mettre en place dans un des pays un centre de formation, j’allais dire pilote ou d’excellence, qui travaillerait sur la prise en compte des déterminants que l’étude aura fait ressortir. Ce centre, qui pourrait être situé dans un pays d’Afrique centrale, pourrait recevoir des formateurs d’autres pays qui iraient ensuite dupliquer les résultats de cette formation dans leurs pays respectifs.

  • 2  L’IFEF dépend de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

Dans le cadre de la mise en synergie des différentes institutions de la francophonie, nous travaillons à côté de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) et de l’Institut de la francophonie pour l’éducation et la formation (IFEF)2, et nous faisons en sorte de ne pas marcher sur les platebandes des uns et des autres. Nous voulons que ces institutions puissent s’approprier les résultats de nos études, car elles engagent parfois des actions de transformation sur le terrain, du type formation des enseignants et révision des manuels, alors que la Confemen s’attache plutôt à l’accompagnement des politiques avec les ministres de l’éducation. Lorsque nous mettons en place des actions pilotes à l’échelle de quelques pays, c’est à l’échelle macro. Par exemple, nous voulons travailler sur la question des écoles de formation des enseignants, qui ne sont pas actuellement prises en compte par les autres institutions, qui s’intéressent davantage aux enseignants de façon individuelle. Pour nous, il faut d’abord agir sur la conception même de la formation initiale et continue des enseignants pour mieux impacter ensuite les enseignants de façon individuelle. Nous envisageons la même chose sur la question des langues, sur la petite enfance et sur la prise en compte des alternatives éducatives dans les systèmes éducatifs.

  • 3  Voir De Ketele, J.-M. (2020). Réformer l’éducation : travailler ensemble au bien commun en dévelop (...)

En vous écoutant, nous pensions à un propos qui a été tenu par Jean-Marie De Ketele en 2019 lorsqu’il a conclu les travaux d’un colloque organisé par la Revue internationale d’éducation de Sèvres sur les conditions de réussite des réformes en éducation. Il avait eu cette formule : « Pour qu’une réforme éducative réussisse, il ne faut pas qu’elle se fasse contre les enseignants ni sans les enseignants, ni même pour les enseignants, mais avec les enseignants3. » Cette question de la participation active des enseignants vous paraît-elle également primordiale ?

Jean-Marie De Ketele avait raison, et pas seulement sur ce point car je me souviens de sa conclusion qui montrait la nécessité de faire parler ensemble tous les étages du système éducatif. Un schéma très holistique avait été présenté. Je crois que c’est dans ce sens qu’il faut effectivement aller si l’on veut réussir la transformation. En ce qui concerne les enseignants, nous avons rencontré des contraintes liées au fait qu’une enquête sur les enseignants dans le cadre d’une évaluation pouvait leur apparaître problématique. Il y a eu d’abord des résistances. Nous avons dû engager un dialogue avec eux et mettre en place un comité d’éthique et de déontologie, où les différents syndicats et mouvements d’enseignants étaient représentés, pour leur faire comprendre qu’il ne s’agissait pas de donner aux politiques des raisons de licencier ou de remplacer les enseignants, mais de leur apporter une lecture des besoins de renforcement pour que les enseignants puissent mieux faire leur travail. Ainsi, l’enquête est allée au-delà de leur connaissance des disciplines, de leur maîtrise didactique, et s’est intéressée aussi à leurs conditions de travail. Plusieurs syndicats, d’ailleurs, ont pu trouver, dans les résultats du Pasec, des éléments de plaidoyer pour améliorer leurs conditions de travail. Pour nous, c’est essentiel. La démarche que je propose, avec le projet de centre d’excellence en matière de formation initiale et continue, doit se faire justement avec les centres de formation des enseignants et donc avec les enseignants et leurs formateurs.

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Notes

1  En septembre 2015, les 193 États membres de l’ONU ont adopté le programme de développement durable à l’horizon 2030, intitulé Agenda 2030. Sur les 17 objectifs de développement durable (ODD) définis, le quatrième vise à assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et à promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie (NdlR).

2  L’IFEF dépend de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).

3  Voir De Ketele, J.-M. (2020). Réformer l’éducation : travailler ensemble au bien commun en développant une intelligence collective. Revue internationale d’éducation de Sèvres, 83, 205-233. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.9463 (NdlR).

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Pour citer cet article

Référence papier

Abdel Rahamane Baba-Moussa, Jean-Pierre Véran et Sylvain Wagnon, « Élaborer et diffuser des données fiables à tous les acteurs éducatifs et décisionnels en Afrique subsaharienne. Un entretien avec Abdel Rahamane Baba-Moussa »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 96 | 2024, 71-81.

Référence électronique

Abdel Rahamane Baba-Moussa, Jean-Pierre Véran et Sylvain Wagnon, « Élaborer et diffuser des données fiables à tous les acteurs éducatifs et décisionnels en Afrique subsaharienne. Un entretien avec Abdel Rahamane Baba-Moussa »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 96 | septembre 2024, mis en ligne le 01 septembre 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/15648 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12fsr

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Auteurs

Abdel Rahamane Baba-Moussa

Abdel Rahamane Baba-Moussa est secrétaire général de la Conférence des ministres de l’éducation des États et gouvernements de la francophonie (Confemen). Professeur titulaire des universités en sciences de l’éducation du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES), il a été maître de conférences à l’université de Caen (France) et à l’université d’Abomey-Calavi (Bénin) ainsi que consultant pour l’Unesco et pour l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Il préside le Réseau africain francophone d’éducation comparée (RAFEC). Courriel : arbaba-moussa[at]confemen.org

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Jean-Pierre Véran

Jean-Pierre Véran est membre professionnel du laboratoire Bonheurs, CY Cergy Paris Université. Inspecteur d’académie honoraire, membre du comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres et expert auprès de France Éducation International en coopération éducative, il intervient sur des questions de gouvernance des organisations éducatives, de politiques éducatives et d’éducation aux médias et à l’information. Auteur de plusieurs ouvrages, il tient également un blog consacré à l’éducation sur Mediapart : (http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/) Courriel : jeanpierreveran2[at]gmail.com

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Sylvain Wagnon

Sylvain Wagnon est professeur des universités (université de Montpellier) et directeur du Centre d’histoire de l’éducation de la faculté d’éducation, directeur de la revue Tréma. Membre du Laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique, éducation et formation (LIRDEF), il s’intéresse en particulier à la sociohistoire de l’éducation (xixe et xxe siècles), à l’histoire des sociabilités, à l’histoire matérielle de l’éducation (pratiques et outils pédagogiques), à l’histoire des pédagogies d’éducation nouvelle, de l’éducation libertaire, des pédagogies alternatives en France, et enfin à l’histoire et à l’actualité de l’école dehors et de la ville à hauteur d’enfant. Courriel : sylvain.wagnon[at]umontpellier.fr

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