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Actualité internationale
Notes de lecture

Laurent Muller et Jean-Michel Perez, Comprendre les micro-violences en éducation. Un impensé en éducation

Champ social éditions, 2024, 125 p.
Jean-Marie De Ketele
p. 44-46
Référence(s) :

Laurent Muller et Jean-Michel Perez, Comprendre les micro-violences en éducation. Un impensé en éducation, Champ social éditions, 2024, 125 p.

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Mots-clés :

violence

Keywords:

violence

Palabras claves:

violencia
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Texte intégral

1Comme le titre le laisse à penser, cet ouvrage est subversif. Il s’inscrit dans la pensée de Nietzsche, de Foucault et de Bourdieu pour dénoncer les mécanismes institutionnels d’assujettissement. Sur cette base, et en s’appuyant sur des études empiriques, les auteurs analysent l’institution scolaire et relèvent une tension profonde entre ce qui se dit (prescrit), ce qui se fait (les pratiques), ce qui se vit (l’ordinaire quotidien). De cette analyse émerge le besoin de faire davantage appel au concept de micro-violence, forme de violence subtile, implicite, peu visible, si aisée à minimiser et à banaliser, du fonctionnement de l’institution scolaire.

2Dans la préface, Loïc Chalmel constate que nous sommes dans un monde où l’accent est mis sur les macro-violences, particulièrement visibles et médiatisées, à tel point que les micro-violences sont masquées. Établissant une analogie avec les Ehpad, il estime qu’il est temps de débusquer aussi dans les écoles la « maltraitance ordinaire ». D’où le triple but de l’ouvrage : identifier les micro-violences dans l’environnement scolaire ; en expliquer les mécanismes (et en quelque sorte le curriculum caché) ; identifier les stratégies pédagogiques alternatives.

3Intitulée « Les grands effets des petites causes, paradoxes et dynamiques », la première partie de l’ouvrage rend hommage à Éric Debarbieux et à son concept de « violence ordinaire », qui nous invite à porter notre attention sur ces choses subtiles qui échappent à l’attention usuelle, mais font mal, un peu, ou du moins d’une manière acceptable, non problématique pour l’institution. Les quatre chapitres développent successivement les idées suivantes : 1) les micro-violences heurtent les besoins fondamentaux de la personne ; 2) elles relèvent d’un mécanisme de reproduction de la domination (référence à Pierre Bourdieu) ; 3) c’est un moyen d’établir un rapport entre obéissance et utilité pour fabriquer des « corps dociles » (référence à Michel Foucault) ; 4) « l’image de l’iceberg » est utilisée pour montrer que la partie émergée visible correspond aux macro-violences et la partie immergée, importante et invisible, cache les micro-violences, dont il importe de débusquer les indicateurs (le lecteur pourra en découvrir toute une liste).

4La deuxième partie de l’ouvrage porte sur la banalisation, le déni et l’assujettissement qui font partie du langage des micro-violences. D’emblée, les auteurs précisent que leur intention n’est pas d’instiller un sentiment de culpabilité ou de faute, mais de responsabilité morale à lutter contre « l’importance quasiment hypnotique du langage dans ce déni de responsabilité » (chapitre v) alors que les stratégies de banalisation des micro-violences se perpétuent de génération en génération (chapitre vi). Positivement, il s’agit d’utiliser « le langage de la bienveillance », d’« une invitation à se concentrer sur l’autre » et à mettre en œuvre « une hygiène du lien » (chapitre vii). Les deux chapitres suivants énoncent, d’une part quatre types de confusion à éviter (par exemple, « c’est pour son bien »), d’autre part sept facteurs de micro-violences (par exemple, l’ironie).

5La troisième partie de l’ouvrage se centre sur les micro-violences dans les institutions (le « pour leur bien »). Au cœur du chapitre x, la distinction faite par Richard Thaler (Prix Nobel d’économie) entre le nudge (« petit coup de pouce ») et le sludge (« boue épaisse ») éclaire la façon dont de petits détails, apparemment insignifiants, peuvent débloquer des situations quand l’intention est positive ou au contraire constituer un art de créer des obstacles artificiels pour décourager. C’est ce qu’approfondit le chapitre xi, à partir de l’analyse d’une lettre d’une directrice d’école épuisée, en montrant que de petits détails (douze indicateurs sont cités) peuvent être source de « harcèlement sans harcèlement ». Le chapitre xii montre que la racine de toute micro-violence commencerait par la négation de la durée propre à chacun. À travers une analyse subtile des systèmes éducatifs allemand et français, et surtout de leur arrière-plan, le chapitre xiii montre comment l’organisation est source de micro-violences institutionnelles potentielles. Cette analyse est prolongée, dans le chapitre xiv, par une analyse des politiques et pratiques d’éducation inclusive en France.

6Le chapitre xv peut être considéré comme une première forme de conclusion. Pour amorcer un renversement des micro-violences, il s’agirait de promouvoir des postures de reconnaissance (l’auteur en distingue trois formes aux effets différents). En s’inspirant des travaux du Groupe de Palo-Alto, la conclusion générale de l’ouvrage prolonge ces aspects, en insistant sur la nécessité d’un « changement pour subvertir les dispositifs micro-violents en des organisations micro-capacitantes ».

7Cet ouvrage nous semble d’autant plus intéressant que le cinquième colloque international de notre revue, en 2025, posera la question de l’éducation face aux incertitudes du monde contemporain. Comme le soulignent les auteurs, un profond renouvellement de l’institution est nécessaire. Sans attendre, les acteurs de l’éducation verront dans les nombreux exemples d’indicateurs de micro-violences, dont fourmille cet ouvrage, des supports pour penser la formation initiale et leur propre développement professionnel. Nous espérons que le prochain ouvrage des auteurs se centrera sur le versant annoncé en conclusion, celui des micro-attentions.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Marie De Ketele, « Laurent Muller et Jean-Michel Perez, Comprendre les micro-violences en éducation. Un impensé en éducation »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 96 | 2024, 44-46.

Référence électronique

Jean-Marie De Ketele, « Laurent Muller et Jean-Michel Perez, Comprendre les micro-violences en éducation. Un impensé en éducation »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 96 | septembre 2024, mis en ligne le 01 septembre 2024, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/15602 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ft1

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Auteur

Jean-Marie De Ketele

Jean-Marie De Ketele est professeur émérite de l’Université catholique de Louvain (Belgique) et de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, où il a créé la chaire Unesco en sciences de l’éducation (1994). Docteur honoris causa de plusieurs universités, il a présidé l’Association internationale de pédagogie universitaire ainsi que l’Association pour le développement des méthodologies de l’évaluation en éducation (ADMEE-Europe). Ses travaux portent principalement sur la pédagogie universitaire, sur l’évaluation des apprentissages et des systèmes éducatifs ainsi que sur l’engagement professionnel des acteurs de l’éducation et de la formation. Courriel : jean-marie.deketele[at]uclouvain.be

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