1L’histoire complexe et troublée de l’éducation des peuples des Premières Nations est marquée par des décennies de politiques et de pratiques coloniales visant à l’assimilation et à l’éradication culturelle. Historiquement, le gouvernement canadien, souvent en partenariat avec des organisations religieuses, avait établi des pensionnats et des écoles de jour comme outil d’assimilation, enlevant de force les enfants indigènes à leur famille et communauté pour leur inculquer des valeurs et croyances eurocanadiennes, tout en sapant systématiquement les cultures et langues indigènes. L’héritage de ces pensionnats a eu un impact durable et profond sur les communautés des Premières Nations, incluant un traumatisme intergénérationnel, la perte des langues et des cultures, ainsi que des disparités socio-économiques significatives. La Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR), établie pour documenter l’histoire et les impacts du système des pensionnats, a souligné l’éducation comme étant à la fois l’outil principal de l’oppression des peuples indigènes et un véhicule pour la guérison et la réconciliation (2015).
2De nos jours, l’importance de l’éducation dans les communautés des Premières Nations transcende les objectifs conventionnels de littératie et d’emploi. Elle représente un chemin holistique vers la récupération des langues et traditions perdues, la guérison des communautés et la reconstruction des identités indigènes au cours de la vie des personnes. L’éducation est de plus en plus perçue comme un moyen d’autodétermination, les Premières Nations cherchant à contrôler les systèmes éducatifs pour qu’ils soient culturellement pertinents, linguistiquement appropriés et soutiennent les façons de savoir et d’être indigènes.
3Des tentatives législatives récentes, telles que le projet de loi C-33 (2014) et les lois C-61 (2017) et C-15 (2021) font partie du processus continu pour redresser les injustices historiques et aligner les politiques éducatives du Canada sur les aspirations et droits des Premières Nations. Ces efforts sont soulignés par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), qui plaide pour des droits humains à l’éducation culturellement et linguistiquement adaptés et contrôlés par les peuples autochtones eux-mêmes.
4La première sœur1 est le projet de loi C-33 (2014), qui a résulté des initiatives du député conservateur des Premières Nations, Rob Clarke. La grand-mère du C-33 est un projet de loi d’initiative parlementaire de ce même député (C-428, 2012) qui proposait la création d’un rapport annuel visant à remplacer la Loi sur les Indiens2. Ce projet, qui a jeté les bases du projet de loi C-33, faisait partie d’une initiative plus large du gouvernement conservateur visant à aborder les problèmes de longue date dans l’éducation et la gouvernance des Premières Nations. Le projet de loi C-33 était ainsi une tentative pancanadienne pour réformer la Loi sur les Indiens et l’éducation des Premières Nations au Canada. Son objectif était d’établir un cadre pour que les Premières Nations aient un contrôle plus large de leurs systèmes d’éducation élémentaire et secondaire. Les principales caractéristiques du projet de loi comprenaient la création de mécanismes pour que les Premières Nations administrent leurs propres écoles dans les réserves, la mise en place d’un Conseil conjoint de professionnels de l’éducation sur les questions d’éducation, et des dispositions financières afin de soutenir le développement et la gestion de systèmes éducatifs contrôlés par les Premières Nations. Bien que ce projet ait visé à permettre aux Premières Nations de mettre en place une éducation culturellement pertinente, la consultation menée avec elles a été jugée insuffisante, de même que les dispositions prévues pour garantir une autonomie par rapport à la surveillance fédérale. Ce projet de loi C-33, présenté par le Premier ministre Stephen Harper, avec un budget prévu de 1,9 milliard de dollars de fonds fédéraux, a rencontré des défis significatifs dès son origine. Le consensus sur le projet de législation, résultat de négociations laborieuses et longues entre le gouvernement conservateur, les chefs régionaux et le chef national de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Shawn Atleo, s’est rapidement désintégré.
- 3 CBC News (2014, 12 mai). How the First Nations education act fell apart in a matter of months. htt (...)
5En février 2014, un bref moment de triomphe a eu lieu à l’école secondaire Kainai (Blackfoot) en Alberta, lors de l’annonce du financement et du projet de loi devant un grand nombre de chefs dont l’accord avait en principe été acté. Cependant, en mai 2014, la démission du chef national a entraîné le désarroi et la suspension sine die du projet de loi sur l’éducation3.
6Le chemin vers l’annonce du projet de loi avait été marqué par des négociations complexes et une opposition considérable. De nombreux leaders des Premières Nations se disaient sceptiques, craignant que le projet n’aborde pas adéquatement les besoins en autonomie et considérant qu’il manquait d’une consultation appropriée. Il était reproché au projet, bien qu’ayant pour but d’améliorer les normes éducatives et la responsabilité, de perpétuer le contrôle gouvernemental et de ne pas refléter pleinement les contributions des Premières Nations.
7La démission d’Atleo en mai 2014 fut la conséquence de profondes divisions au sein de l’APN et de la nature conflictuelle de la loi sur l’éducation. Cette rapide désintégration du consensus souligne les complexités des négociations avec les communautés autochtones au Canada. Elle mit en évidence non seulement le besoin critique d’une consultation authentique et d’un alignement des efforts législatifs sur les aspirations et les droits des communautés des Premières Nations, mais aussi la nécessité de gérer les rivalités internes au sein des Premières Nations. Les répercussions de l’échec du projet de loi continuent de façonner le discours sur l’éducation des Premières Nations et plus largement le parcours vers la réconciliation et l’autodétermination au Canada.
8Le rêve échoué de Harper s’est ajouté aux rêves échoués de politiciens tels que Jean Chrétien, Pierre Elliott Trudeau (Livre blanc, 1969), Brian Mulroney (Accord du lac Meech, 1988) et Paul Martin (Accord autochtone de Kelowna, 2005) pour de grandes réformes des relations autochtones.
9Après l’échec du projet de loi C-33, le gouvernement a décidé de viser plus petit et a rouvert les négociations avec les Premières Nations Anishinabek de l’Ontario, qui avaient débuté en 1995 sur le sujet de l’autonomie dans l’éducation. Le gouvernement fédéral y voyait une opportunité de montrer des modèles fonctionnels d’éducation dirigée par les Autochtones à grande échelle. Les conservateurs, bien que souvent perçus avec hostilité par de nombreux peuples autochtones, voulaient afficher un succès. Les deux partenaires ont conclu un accord à la fin de l’été 2015, avant les élections fédérales.
10La deuxième sœur était donc destinée à montrer à toutes les Premières Nations ainsi qu’aux Canadiens qu’il était possible de changer la Loi sur les Indiens. Après l’élection de 2015, la loi C-61 (2017) a promulgué l’Accord en matière d’éducation de la Nation Anishinabek, qui concernait vingt-trois Premières Nations Anishinabek en Ontario. L’objectif principal de cette législation était de reconnaître et d’opérationnaliser l’autonomie des Premières Nations Anishinabek sur l’éducation dans leurs réserves. Il a fourni un cadre juridique pour que ces Premières Nations puissent établir et contrôler leurs propres systèmes d’éducation, y compris le développement de programmes d’études reflétant leur patrimoine culturel et leurs langues. Un élément significatif de la loi C-61 était la création du Corps éducatif Kinoomaadziwin pour superviser la mise en œuvre de l’accord d’éducation, et assurer l’adéquation des services éducatifs avec les priorités et les besoins des communautés. Ce pas vers l’autogouvernance dans l’éducation pour les Premières Nations Anishinabek reflétait une tendance plus large vers la reconnaissance des droits autochtones et l’autodétermination dans l’éducation. Lors des débats à la Chambre des communes, la ministre des affaires autochtones, Carolyn Bennett, a déclaré :
Pour ces jeunes, être fier d’être Anishinabek est l’antidote le plus puissant que nous ayons contre le racisme et l’ignorance dans ce pays. Tout ce dont nous parlons aujourd’hui concerne finalement les jeunes, leur éducation, leurs opportunités, leur avenir, mais aussi notre avenir. Il s’agit de corriger les torts du passé, de garantir que les enfants peuvent à nouveau apprendre de manière culturellement sécurisée, avec des éducateurs dirigés par les Premières Nations dans des écoles et des systèmes éducatifs dirigés par les Premières Nations (Bennett, 2017).
11La troisième sœur est pleine d’espoir pour un avenir meilleur. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) est un instrument international complet adopté par l’Assemblée générale des Nations unies en 2007. Elle représente un consensus mondial sur les droits des peuples autochtones, établissant un cadre universel de normes minimales pour leur survie, dignité, bien-être et droits, y compris ceux liés à l’éducation. Le gouvernement conservateur du Canada a d’abord voté contre la DNUDPA, avant de publier son interprétation de la DNUDPA. En 2016, le nouveau gouvernement libéral a accepté la DNUDPA.
12La DNUDPA reconnaît l’importance de l’éducation pour la préservation et la revitalisation des langues et cultures autochtones. Elle soutient le développement de systèmes éducatifs qui reflètent la diversité culturelle des peuples autochtones et promeuvent leur histoire, leur savoir et leurs traditions. L’article 14 affirme le droit des peuples autochtones à décider de la structure et de la mise en œuvre de leurs systèmes éducatifs. Cela est conforme à l’objectif plus large d’autonomisation des communautés autochtones pour gouverner leurs affaires, selon leurs valeurs et priorités. La DNUDPA affirme que les individus autochtones ont le droit à tous les niveaux d’éducation d’État sans discrimination, et que les opportunités éducatives disponibles dans la société plus large doivent également être accessibles aux peuples autochtones. Le Forum des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a appelé à améliorer la réussite éducative des populations autochtones, et à combler l’écart entre les étudiants autochtones et non autochtones. La déclaration encourage la collaboration entre les peuples autochtones et les États pour développer des initiatives éducatives répondant aux besoins et aspirations autochtones. Elle souligne l’importance des approches participatives dans la conception et la fourniture des programmes éducatifs, afin de garantir l’implication active des peuples autochtones dans les processus décisionnels qui les concernent.
13Après de multiples tentatives de députés pour inscrire les principes de la DNUDPA dans le droit canadien, le projet de loi gouvernemental C-15 a été adopté en 2021. Par cette loi historique, intitulée « Loi concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones », le Canada s’engage désormais à protéger et promouvoir les droits des peuples autochtones, y compris l’autodétermination, la culture, l’éducation et la santé. La loi définit le développement d’un plan d’action, en coopération avec les communautés autochtones, pour garantir le respect intégral des droits autochtones dans les cadres juridiques et politiques canadiens. De plus, elle exige des rapports réguliers au Parlement sur les progrès accomplis, soulignant ainsi l’engagement du pays à la transparence et à la responsabilité dans le processus continu de réconciliation et de reconnaissance des droits autochtones au Canada.
14Depuis 2015, l’éducation des Premières Nations au Canada a connu une augmentation significative du financement et des réformes législatives visant à améliorer les résultats. Cependant, les défis persistent, y compris en ce qui concerne les écarts de réussite entre les élèves des Premières Nations et les élèves non autochtones, dus à des facteurs socio-économiques et à des inégalités de financement. Les écoles des Premières Nations sont souvent confrontées à des pénuries de ressources, d’enseignants qualifiés et de soutien pour les besoins spéciaux, ainsi qu’à un programme d’études qui ne reflète pas pleinement les cultures et langues autochtones.
15Or la recherche a montré qu’une éducation culturellement pertinente et une autonomie accrue dans la gouvernance scolaire peuvent améliorer la performance académique et l’engagement des élèves des Premières Nations. Le besoin d’une approche plus inclusive dans la politique et la pratique éducatives reste crucial pour corriger les disparités et garantir une étroite adéquation entre l’éducation des Premières Nations et les besoins et aspirations communautaires.
16La recherche appelle à des changements systémiques pour remédier aux causes profondes des disparités éducatives rencontrées par les élèves des Premières Nations, et plaide pour des réformes éducatives holistiques qui englobent le bien-être complet des élèves. Le contexte législatif de l’éducation autochtone, en particulier à travers le projet de loi C-33, la loi C-61 et l’adoption des principes de la DNUDPA, représente une interaction complexe entre politique, droits autochtones et réforme éducative, et nécessite une littérature académique évaluant l’efficacité, les défis et les implications plus larges de telles mesures législatives.
17Les critiques du projet de loi C-33 avaient porté sur une consultation insuffisante avec les Premières Nations et remis en question sa capacité à fournir un contrôle adéquat des systèmes éducatifs par les communautés elles-mêmes. Cependant, ses défenseurs y voyaient un pas progressif vers l’amélioration de la qualité de l’éducation et le renforcement de l’autonomie des Premières Nations en matière de gestion scolaire. Des recherches seraient nécessaires en ce qui concerne la structure financière et la gouvernance prévues dans le projet de loi : le financement proposé répondait-il aux besoins réels des écoles des Premières Nations ? Il en va de même en ce qui concerne la capacité du Conseil conjoint de professionnels de l’éducation à harmoniser la souveraineté des Premières Nations avec les normes et la responsabilité éducatives nécessaires.
- 4 Le sénateur Sinclair avait ainsi plaidé pour une stratégie plus cohérente qui affirmerait et étend (...)
- 5 La législation fédérale antérieure dans le domaine de l’éducation comprend la Loi sur l’éducation (...)
18À l’opposé, la loi C-61, ou loi sur l’Accord en matière d’éducation de la Nation Anishinabek, a été généralement perçue plus favorablement comme un paradigme d’autogouvernance. Cette législation, résultant de négociations directes avec les Premières Nations Anishinabek, prévoyait le contrôle sur des aspects éducatifs vitaux tels que la conception des programmes, l’enseignement des langues et l’incorporation culturelle. Cependant, les critiques ont porté notamment sur le risque de créer un cadre juridique disjoint et un système fragmenté, où l’autorité et l’autonomie éducatives des Premières Nations pourraient varier considérablement à travers le Canada, menant à une qualité et un contrôle de l’éducation incohérents4. C-61 ne concernait que vingt-trois Premières Nations au Canada5, alors qu’il en existe plus de 634 dans le pays. À ce rythme, il faudrait 282 ans pour retirer l’éducation de la Loi sur les Indiens coloniale et respecter pleinement les principes de la DNUDPA !
19Enfin, la discussion sur l’intégration de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le droit canadien a suscité un débat considérable concernant son potentiel de redéfinition de la politique autochtone au Canada. La DNUDPA introduit une approche fondée sur les droits pour l’éducation autochtone, soulignant l’importance de l’autodétermination, de la préservation culturelle et des droits éducatifs. L’alignement de la législation canadienne, y compris le projet de loi C-33 et la loi C-61, avec les principes de la DNUDPA et les adaptations nécessaires pour pleinement respecter ces normes sont des thèmes centraux dans cette réflexion.
20La comparaison entre le projet de loi C-33 et la loi C-61 souligne les différences d’approche dans le paysage législatif de l’éducation autochtone au Canada, accentuées par les principes de la DNUDPA. Le projet de loi C-33 était caractérisé par un cadre généralisé de haut en bas visant une qualité et un financement éducatifs standardisés à travers les Premières Nations, mais il a été critiqué en raison d’une consultation jugée inadéquate et d’un empowerment discutable des Premières Nations en matière de gouvernance de l’éducation. La loi C-61, issue de négociations directes et anciennes avec les Premières Nations Anishinabek, incarne une approche ascendante qui privilégie l’autodétermination et la pertinence culturelle dans l’éducation. Cependant, sa portée limitée à un petit nombre de Premières Nations gêne sa diffusion à travers le Canada, qui nécessiterait de nombreuses années.
21Ces initiatives législatives soulignent la nécessité de prendre en compte les principes de la DNUDPA, en mettant l’accent sur les droits autochtones à l’autodétermination, la préservation culturelle et un accès éducatif équitable. Les leçons tirées de ces textes ou projets législatifs révèlent la nécessité d’une consultation approfondie avec les communautés autochtones, d’une flexibilité permettant la prise en compte des besoins diversifiés des Premières Nations, et de modèles de financement robustes qui soutiennent une éducation de haute qualité et culturellement pertinente.
22La confiance est un facteur important. Les futures politiques devraient s’orienter vers la création d’un véritable partenariat avec les Premières Nations, l’intégration des cultures et langues autochtones dans les programmes d’études, et l’adoption de mesures législatives spécifiques à la communauté. L’inscription dans le cadre de la DNUDPA permettra non seulement de respecter les droits éducatifs autochtones, mais favorisera également une approche holistique et inclusive de la réforme de l’éducation des Premières Nations au Canada.
23Le parcours à travers le projet de loi C-33 et les lois C-61 puis C-15 dévoile les complexités de la réforme de l’éducation des Premières Nations. Les recherches futures devraient explorer l’efficacité des systèmes éducatifs autogérés, le rôle de programmes d’études culturellement pertinents et la dynamique de modèles de gouvernance visant la réalisation des aspirations et droits éducatifs des communautés autochtones dans le cadre de la DNUDPA.