Le Sénégal vers un pilotage de l’éducation plus performant et plus lisible
Texte intégral
1La plupart des États du continent africain sont dotés de plans pluriannuels pour l’éducation assortis d’objectifs et d’indicateurs de suivi. Au Sénégal, ce plan sectoriel porte le nom de Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence – Éducation/Formation (Paquet-EF). Sous l’impulsion du Partenariat mondial pour l’éducation s’est imposé depuis les années 2000 un processus de mise au point de ces plans désormais bien rodé en trois phases : une analyse sectorielle de l’éducation selon une méthodologie internationale reconnue1, dont les conclusions alimentent un plan sectoriel, et dont les principaux paramètres et le chiffrage sont réalisés sur la base d’un modèle de simulation technique et financière. Le Paquet-EF est décliné selon trois grands objectifs : i) amélioration de la qualité des enseignements-apprentissages, ii) résorption des disparités par un accès plus équitable à l’éducation et iii) promotion d’une gouvernance inclusive et transparente. Il fait l’objet, toujours conformément aux préconisations internationales, d’un suivi sous forme de revues périodiques réalisées conjointement par les représentants des ministères en charge de l’éducation devant leurs partenaires nationaux et internationaux.
2La logique de transparence et la culture de l’analyse partagée qui sous-tendent ce processus sont à maints égards positives, et pourraient même inspirer certains États du Nord, qui ne disposent pas tous de cadres de politique éducative clairs et partagés. Pour autant, le processus de formulation et de suivi des politiques sectorielles s’appuie généralement sur les contributions de consultants et/ou d’institutions internationales, et ces contributions externes ne s’accompagnent pas toujours d’une bonne appropriation de ces dynamiques par les acteurs et les institutions. Le suivi en est parfois complexe. Le « cadre de mesure des résultats » (CMR) du Paquet-EF se compose de plus de 1 400 indicateurs de suivi. En outre, il se cantonne trop souvent à une vérification des valeurs nationales qui implique peu les échelons déconcentrés, et peine à rendre compte des disparités entre les territoires.
- 2 Plus d’information à ce sujet sur le site de l’Initiative africaine concertée sur la réforme budgé (...)
3L’implantation progressive des budgets par objectif, ou Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui impacte progressivement les systèmes éducatifs du continent depuis quinze ans2, se nourrit de la même logique de transparence et de redevabilité. Il s’agit d’établir un lien entre des objectifs assignés à l’action publique, circonscrits à des périmètres précis sous forme de « programmes », et les moyens alloués pour les atteindre. Chaque programme fait l’objet d’une programmation pluriannuelle des dépenses et d’un suivi de la performance indexé sur une sélection nécessairement restreinte d’indicateurs fixés sous l’impulsion des ministères des finances. Des revues périodiques sont prévues, et effectuées annuellement par le ministre devant la représentation nationale. Là encore, l’implication des échelons déconcentrés dans l’effort national d’analyse et de transparence n’est pas toujours garantie.
4Ces deux systèmes de suivi répondent, le plus souvent, à des dynamiques distinctes et les cadres qui les régissent ne sont pas toujours alignés.
5En France, la LOLF a été mise en place de manière progressive à partir de 2002. Trois changements essentiels sont mis à son crédit : le renforcement du rôle du Parlement, un enrichissement de la transparence budgétaire et comptable et la meilleure « performance » de la gestion de l’État. Sur ce dernier sujet, le bilan a pu être questionné dans l’éducation. Certains ont constaté un manque de lisibilité du cadre de suivi pour les agents (faible articulation entre les contrats de performance et les projets académiques). Le côté « vertical » des procédures de reddition de comptes, par ailleurs, a parfois accrédité l’idée selon laquelle le « budgétaire » l’emporte sur le « stratégique ».
6Au Sénégal, un effort particulier de coconstruction, accompagné par une équipe technique nationale et ses partenaires internationaux, a permis d’anticiper cette double problématique de la mise en cohérence des cadres de suivi et de l’implication de ceux qui pilotent l’éducation au quotidien. La responsabilisation des acteurs locaux était une préoccupation majeure dans la stratégie de conduite du changement adoptée. Ce choix s’est appuyé sur un mode de reddition de comptes déconcentré, permettant d’apprécier les subtilités du pilotage de proximité. Enfin, les autorités sénégalaises et leurs partenaires ont formulé le souhait que les objectifs de politique éducative nationaux transcrits dans la LOLF et les projets académiques arrêtés et réalisés dans les territoires soient articulés, en privilégiant la notion de chaînage entre les indicateurs de performance utilisés aux différents échelons du pilotage.
7C’est dans le sillage d’une directive de l’Union économique et monétaire ouest Africaine de 2009 et à l’issue d’un long processus de préparation que la LOLF est entrée en vigueur au Sénégal en 2020 pour le secteur de l’éducation. Le pilotage budgétaire du secteur de l’éducation a été réparti en six programmes : préscolaire, élémentaire, moyen général, secondaire général, éducation de base des jeunes et adultes, gestion et coordination.
8Comme dans de nombreux pays, l’entrée en vigueur de la LOLF a entraîné la coexistence de deux cadres de suivi ayant chacun leur « légitimité » : politique pour le CMR national du Paquet-EF, suivi au niveau du ministère de l’éducation, opérationnel et technique pour le « document de programmation pluriannuelle des dépenses » (DPDD), suivi au niveau du ministère des finances. Les trois grands objectifs de la politique sectorielle restent communs aux deux documents. Cependant, les 37 indicateurs du DPDD ne sont pas tous formulés de manière strictement similaire à ceux du CMR, qui sont par ailleurs plus de trente fois plus nombreux. En outre, les différences de présentation (l’un par programme, l’autre par objectif) nuisent à la lecture cohérente de ces deux cadres. Si elle a pu créer de la confusion au début du processus, cette coexistence s’est avérée fructueuse pour les acteurs, car elle a fait naître une réflexion profonde sur la participation des échelons déconcentrés (les académies) aux résultats mesurés au niveau national. Ainsi, le besoin de mettre en cohérence les projets territoriaux avec les objectifs fixés au niveau national s’est imposé, avec l’impératif de ne jamais négliger la prise en compte des spécificités locales dans une logique ascendante, dite bottom-up.
9Dans les territoires, le choix, par le Sénégal, de promouvoir la responsabilisation et la transparence au niveau académique a reposé sur une double dynamique : la mise en projet et la contractualisation basée sur la performance. Ce mouvement s’appuie sur un diagnostic partagé et un pilotage concerté avec tous les partenaires du territoire, devant conduire à des projets d’actions de l’académie mis en œuvre au niveau du centre régional de formation du personnel de l’éducation, des inspections de l’éducation et de la formation, des écoles et établissements. La culture de la redevabilité doit s’opérer ainsi au plus près des acteurs territoriaux.
10Afin de créer un processus apprenant, les équipes académiques ont été réparties en trois cohortes : une première cohorte de cinq académies pilotes entrées en projet dès 2021, suivie en 2022 d’une deuxième cohorte de six académies puis d’une troisième de cinq académies en 2023. Les inspecteurs d’académie et leurs inspecteurs de l’enseignement fondamental ont été formés aux principes et enjeux du pilotage de l’éducation par la performance et outillés pour conduire leur analyse diagnostique, dont devaient découler les axes du projet.
11La première cohorte a logiquement rencontré deux difficultés. Les diagnostics, qui ne manquaient pourtant pas de pertinence, étaient trop exhaustifs, se manifestant par une pléthore d’indicateurs répartis entre les six programmes, pour qu’en ressortent les axes d’un projet. Le principe de responsabilisation des acteurs au plus près du terrain conduisait à faire du projet académique le fruit d’une dynamique ascendante allant des écoles vers les inspections puis les académies. Si les académies pilotes ont trop souvent peu impliqué les entités infra-académiques, les suivantes ont créé des dynamiques davantage participatives, y compris avec les partenaires extérieurs à l’école.
12La première génération de contrats de performance académiques sénégalais a été signée en novembre 2022 par les académies pilotes, alors même que les projets académiques n’étaient pas totalement finalisés. De ce fait, le processus de signature du contrat de performance académique avec l’échelon central est demeuré déconnecté du contenu du projet académique et n’a pas suivi de logique d’ensemble. Les indicateurs et objectifs définis par les différentes académies n’ayant pas pris pour référence ceux privilégiés dans le DPPD, le processus n’a pas permis de documenter la progression par académie.
13Les responsables ministériels de l’éducation au Sénégal ont pris conscience, à cette occasion, que le ministre des finances devant rendre compte du suivi de ces indicateurs nationaux devant la représentation nationale n’aurait pas d’autre choix que de s’appuyer sur d’autres sources d’information, en marge de cette dynamique pourtant féconde de mise en projet des territoires, comme l’ont fait nombre de pays ayant adopté la LOLF.
14C’est pourquoi, au moment d’engager les académies des deuxième et troisième cohortes dans le projet, la méthodologie et les outils de travail ont été reprécisés entre l’administration centrale et celles-ci, afin que le processus retrouve de la cohérence. Ainsi, les académies ont davantage élaboré leurs projets dans le cadre des objectifs nationaux transcrits dans le cadre de mesure des résultats du Paquet-EF et plus spécifiquement du DPPD, qui engagent le ministre vis-à-vis du Parlement, contribuant ainsi directement à la réalisation des objectifs nationaux. Les documents de diagnostic sont désormais plus courts et mieux partagés, avec des synthèses permettant de documenter des axes d’actions pour les projets. La revue annuelle des programmes est désormais axée sur les objectifs et les indicateurs du DPPD. C’est donc progressivement une recherche de cohérence et de lisibilité qui s’est imposée et, avec elle, le besoin impérieux de créer entre les différents documents une dynamique de « chaînage » qui conduirait, par exemple, à ce que l’objectif national d’amélioration de la préscolarisation, inscrit dans le DPPD, trouve une traduction chiffrée pour l’académie, déclinée dans ses différentes écoles. Très vite s’est posée la question du choix des indicateurs de suivi et de performance, de nombreuses études ayant montré que l’inflation d’indicateurs peut induire un surcroît de technocratie et une focalisation sur le calcul de leur valeur au détriment de l’analyse d’ensemble des stratégies mises en œuvre.
15La deuxième génération de projets d’académie et de contrats de performance, en cours de finalisation, tire les leçons de ce constat, et va plus loin dans la dynamique d’alignement. Progrès majeur dans des systèmes éducatifs où les « pédagogues » ne collaborent pas toujours efficacement avec les « administratifs », des planificateurs et statisticiens ont été systématiquement associés aux détenteurs de l’autorité académique (inspections académiques et inspections de l’éducation et de la formation) pour travailler sur les cadres de redevabilité dans un effort conjoint d’analyse et de planification technique et politique.
16Des progrès majeurs ont été enregistrés à la faveur d’un double processus. D’une part, tend à se constituer une véritable chaîne de redevabilité de l’école jusqu’au ministère par une sélection rigoureuse de quelques indicateurs par programme. D’autre part, les indicateurs ont été choisis en fonction des objectifs et finalités des actions conduites : pour les grandes mesures des projets (projet académique, plan académique de formation, projet de circonscription éducative…) et les contrats de performance associés sont privilégiés les indicateurs de performance (qualité des acquis scolaires, taux de scolarisation, d’achèvement, etc.) ; pour les plans d’actions opérationnels, qui déclinent la mise en œuvre des mesures, sont mobilisés des indicateurs d’activités (nombre de personnes formées par exemple…) ou de processus (acte administratif par exemple…).
17Une telle mise en cohérence est-elle à même de donner de la substance au processus de gestion des budgets par objectifs, trop souvent taxé de technocratique ? C’est là un exercice subtil que l’équipe technique nationale, mise en place par la direction de la planification du ministère de l’éducation pour conduire cette réforme de fond, s’est attachée à conduire de manière évolutive, en restant attentive aux leçons apprises dans d’autres pays. Alignement ne doit pas signifier uniformité, car c’est du niveau académique et de celui qui le suit, le niveau des inspections de l’éducation et de la formation, que doit venir la mobilisation des acteurs du territoire autour d’un projet commun, nécessairement ascendant. C’est encore à ce jour un axe de progrès pour le Sénégal.
Notes
2 Plus d’information à ce sujet sur le site de l’Initiative africaine concertée sur la réforme budgétaire (CABRI) : https://www.cabri-sbo.org/fr/
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Pierre-Yves Duwoye, Lorène Prigent et Cheikh Dione, « Le Sénégal vers un pilotage de l’éducation plus performant et plus lisible », Revue internationale d’éducation de Sèvres, 96 | 2024, 15-19.
Référence électronique
Pierre-Yves Duwoye, Lorène Prigent et Cheikh Dione, « Le Sénégal vers un pilotage de l’éducation plus performant et plus lisible », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 96 | septembre 2024, mis en ligne le 01 septembre 2024, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/15468 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12fsk
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