1Même dans un pays comme la France, où les programmes d’enseignement sont nationaux, il n’est pas facile de décrire en quelques pages la réalité de l’enseignement d’une discipline, à un moment donné. Et il est impossible de rendre cette réalité intelligible sans l’inscrire dans un panorama plus large et dans l’histoire qui l’a façonnée. Pour répondre à ce défi, nous avons choisi de commencer par une description très synthétique du système éducatif français, en mettant l’accent sur des caractéristiques qui peuvent le différencier d’autres systèmes. Ensuite, nous organisons l’analyse autour des trois axes privilégiés pour ce dossier de la Revue internationale d’éducation de Sèvres : la représentation sociétale des mathématiques ; les objectifs, contenus et méthodes de l’enseignement des mathématiques ; les résultats de cet enseignement et leur prise en compte. Nous nous appuyons notamment dans ce texte sur le travail réalisé au sein de la Commission française pour l’enseignement des mathématiques (CFEM) pour préparer la présentation nationale française au congrès ICME-14 (CFEM, 2021) et nous y renvoyons le lecteur pour des informations plus détaillées et des liens vers les programmes de mathématiques actuels.
2En France, la scolarité obligatoire commence à 3 ans depuis 2019 et va jusqu’à 16 ans. L’enseignement primaire comporte trois années d’école maternelle et cinq années d’école élémentaire. L’enseignement secondaire comporte quatre années de collège et trois années de lycée (classes de seconde, première et terminale). L’enseignement est actuellement organisé en cycles de trois ans, le cycle 3 étant à cheval sur l’école élémentaire et le collège. Depuis 1975, l’enseignement est unifié jusqu’à la fin du collège. Il se diversifie ensuite avec une séparation, en seconde, entre lycée général et technologique, et lycée professionnel, puis une autre séparation, en première, entre lycée général et lycée technologique. Jusqu’en 2019, le lycée général offrait, à partir de la première, trois orientations (séries) : littéraire ; économique et sociale ; et scientifique. Des choix d’options et de spécialités s’ajoutaient à cette différenciation. Le lycée technologique offrait huit filières et le lycée professionnel une plus grande diversité encore. La réforme des lycées, entrée en vigueur en septembre 2019, a modifié profondément la structure du lycée général. Les séries ont disparu. En première, les élèves suivent un enseignement de tronc commun, très déséquilibré au profit des humanités (un seul enseignement scientifique de deux heures, auquel doivent contribuer mathématiques, sciences physiques et chimiques, sciences de la vie et de la terre, et informatique), et ils choisissent trois spécialités parmi douze, mais ils doivent en abandonner une en terminale. Ceux qui abandonnent la spécialité mathématique peuvent choisir l’enseignement optionnel « Mathématiques complémentaires » et ceux qui la conservent y ajouter l’option « Mathématiques expertes », si ces options sont offertes dans leur établissement. Même si la spécialité mathématique est la plus choisie en première (65 % des élèves en 2022)1, la mise en place de cette réforme a conduit à une diminution forte des horaires de mathématiques de nombreux lycéens, particulièrement les filles et les élèves des classes sociales défavorisées. Il s’est ensuivi une réaction forte de la communauté scientifique2, qui a conduit à ajouter en catastrophe une option de mathématiques d’une heure et demie en première dans le tronc commun pour les élèves ne choisissant pas la spécialité, en 2022-2023. Elle concernera tous les élèves à partir de 2023-2024, mais cela est loin de résoudre tous les problèmes posés par cette réforme. Une restructuration importante du lycée professionnel, en préparation, devrait modifier les équilibres entre enseignements en lycée et stages en entreprise, en renforçant la place de ces derniers et en réduisant les enseignements fondamentaux.
3En France, les mathématiques sont enseignées dans l’enseignement primaire par des enseignants polyvalents, au lycée professionnel par des enseignants bivalents (mathématiques et physique-chimie), au collège et au lycée général et technologique par des enseignants monovalents. Les enseignants sont recrutés par voie de concours et ont le statut de fonctionnaires. Depuis une quinzaine d’années, au fil des alternances politiques, les réformes de la formation initiale se sont succédé. La place des concours et celle des stages dans les établissements scolaires ont varié. Depuis 2010, les futurs enseignants doivent aussi, pour être titularisés, obtenir un master, mais pas nécessairement un master spécifique aux métiers de l’enseignement et de la formation. La structure qui en résulte est particulièrement complexe (voir CFEM, 2021). Cela étant, contrairement à ce qui se passe dans de nombreux pays, la formation reste essentiellement de type consécutif pour tous les enseignants, malgré l’existence d’enseignements de préprofessionnalisation en licence. De plus, elle n’est pas différenciée entre enseignants de collège et de lycée. Par ailleurs, le manque d’attractivité croissant du métier d’enseignant a conduit ces dernières années à une augmentation du nombre d’enseignants recrutés temporairement avec le statut de vacataires, sans formation spécifique, notamment dans les zones socialement défavorisées.
4La formation continue des enseignants est sous la responsabilité des rectorats des trente académies qui sont les structures régionales pour l’éducation. S’agissant des mathématiques, le réseau des Instituts de recherche sur l’enseignement des mathématiques (IREM)3, créé dans le sillage de la réforme des mathématiques modernes, et qui a été le berceau de la recherche française en didactique des mathématiques (Artigue et al., 2019) est, depuis sa création, un acteur important de cette formation continue. Il propose de nombreuses formations, basées sur les recherches-actions des groupes IREM, et produit de multiples ressources.
5Même si plus personne ne se réfère à la classification d’Auguste Comte qui faisait, au xixe siècle, des mathématiques la reine des sciences, elles gardent un statut élevé en France. La qualité de l’école mathématique française, internationalement reconnue, y contribue certainement. Dans l’enseignement, cependant, les humanités classiques ont longtemps dominé, façonnant la culture des élites, même si la réforme de 1902 avait essayé de donner aux humanités scientifiques un statut équivalent. Certes, depuis que l’école primaire est devenue obligatoire en 1881, des mathématiques y sont enseignées et donc considérées comme des éléments de la culture commune, mais ce fut surtout pendant presque un siècle une arithmétique pratique autour des nombres, des grandeurs usuelles et de leur mesure. Le mot « mathématiques » n’apparaît au primaire qu’en 1970, avec la réforme dite des mathématiques modernes. Cette réforme est particulièrement radicale en France, où est né le groupe Bourbaki, et des mathématiciens éminents la soutiennent, pensant que la vision des mathématiques comme science des structures qu’ils proposent est plus apte à rendre l’enseignement des mathématiques à la fois intellectuellement formateur et socialement utile. Ses aspects les plus extrêmes seront assez rapidement corrigés et les réformes des années 1980 mettront en avant une autre vision des mathématiques comme activité humaine, dont la finalité est la résolution de problèmes. Mais la perception de l’enseignement des mathématiques qui va s’imposer socialement est celle d’un enseignement formel et désincarné. Parallèlement, les mathématiques deviennent une discipline scolaire de sélection. Les filières les plus mathématiques du lycée deviennent les filières d’excellence ouvrant la porte aux études supérieures les plus prestigieuses, au-delà des seules carrières scientifiques. Cela va façonner durablement l’image sociétale des mathématiques, à travers celle des élèves, des parents et des enseignants, eux-mêmes anciens élèves et parents.
- 4 Voir par exemple les travaux cités page 73 du document issu des travaux préparatoires aux Assises (...)
6Ceci nourrit des discours manquant de cohérence, en décalage avec la réalité des programmes et des ambitions curriculaires affichées, et avec la réalité de l’échec scolaire dans lequel la non-maîtrise de la langue française joue, au primaire et au collège au moins, un rôle plus déterminant. Les élites politiques et médiatiques n’hésitent pas à afficher une incompréhension des mathématiques qui n’a pas entravé leur carrière ; des professionnels, ingénieurs et autres, affirment n’utiliser de leur formation mathématique que les éléments les plus basiques. On se glorifie de l’excellence de l’école mathématique française à chaque récompense prestigieuse obtenue mais avec des discours qui renforcent une vision des mathématiques comme discipline réservée à une élite, masculine de plus. On parle de désamour des élèves pour les mathématiques alors que diverses enquêtes montrent que c’est une discipline appréciée des élèves, notamment au primaire4. On confond ce supposé désamour avec l’anxiété, très réelle, résultant de leur rôle sélectif et de la pression de la réussite scolaire, ou avec le fait que l’intérêt pour une discipline n’est pas forcément le critère principal de choix professionnel. Cela se produit dans un contexte de méfiance croissante vis-à-vis de la science et de ses usages, qui n’épargne pas la France.
7Les recherches, les actions menées par la communauté mathématique au sens large, sociétés savantes et associations, réseau des IREM, peinent à influer sur ces perceptions et les stéréotypes associés, solidement ancrés. Elles sont pourtant très nombreuses, comme le montre le document (CFEM, 2021) dans sa section dédiée à la popularisation des mathématiques et aux activités extra-scolaires. Et certaines ont déjà une longue histoire ; par exemple, depuis plus de trente ans déjà, l’association Femmes et mathématiques5 lutte très activement contre les stéréotypes de genre et l’association MATh.en.JEANS6 organise chaque année l’accompagnement par des chercheurs d’activités de recherche de milliers d’élèves de tous niveaux scolaires.
8Une certaine ambiguïté existe aussi s’agissant du rôle donné à l’enseignement des mathématiques dans le développement de l’esprit critique. La perception sociale met en avant la contribution de cet enseignement à la formation de la pensée rationnelle et du raisonnement. Certains y voient même son intérêt essentiel, comme on a pu l’observer encore lors de la préparation des Assises des mathématiques. Mais il nous semble important de souligner que la rationalité mathématique est généralement associée à l’idée de vérité apodictique, irréfutable une fois démontrée, une vérité qui concerne des objets idéaux. Le développement de l’esprit critique, au-delà du seul périmètre des mathématiques, nécessite bien plus. L’enseignement des mathématiques ne peut y contribuer que partiellement. Dans les programmes actuels, cette ambition de développement de l’esprit critique est clairement affichée, par exemple, dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture que les élèves doivent valider à la fin de la scolarité obligatoire, et à la maîtrise duquel les différentes disciplines doivent contribuer7. Mais la réalité est plus complexe que ces ambitions affichées.
9Les objectifs de l’enseignement des mathématiques en France s’expriment à la fois en termes de connaissances et de compétences. Si l’on compare avec certaines évolutions curriculaires internationales récentes (Shimizu et Vithal, 2023), on n’observe cependant pas un basculement radical vers les compétences. Les apprentissages de contenus continuent à structurer les programmes, même s’ils sont articulés avec les domaines du socle jusqu’au collège, et avec les compétences, qui sont, en mathématiques, au nombre de six : chercher, modéliser, représenter, raisonner, calculer, communiquer. Ce sont les mêmes du cycle 2 à la fin du lycée. La structuration des contenus varie, elle, au fil de la scolarité. Actuellement, aux cycles 2 et 3, trois domaines sont distingués : nombres et calculs, grandeurs et mesures, espace et géométrie. Au cycle 4, s’y ajoutent : organisation et gestion de données, fonctions ; algorithmique et programmation. En seconde, ils sont au nombre de six : Nombres et calculs, géométrie, fonctions, statistiques et probabilités, algorithmique et programmation, vocabulaire ensembliste et logique ; et, en première (enseignement de spécialité), algèbre et analyse se substituent à nombres et calculs et fonctions.
10Les programmes de mathématiques des cycles 2, 3 et 4 présentent une structure commune. Après un préambule, ils précisent les compétences travaillées en les mettant en relation avec les domaines du socle, puis, pour chaque domaine, les axes de son enseignement et les attendus de fin de cycle, les connaissances et compétences associées, des exemples de situations, d’activités et de ressources pour l’élève, et des repères de progressivité sur les trois années du cycle. Ils se terminent par des croisements possibles avec d’autres disciplines. Au lycée, pour chaque domaine, le programme précise les contenus et les capacités attendues. Il faut aussi noter l’ajout en seconde et dans les enseignements de spécialité, en 2018, pour chaque domaine, de rubriques respectivement associées à des éclairages d’ordre historique, à des démonstrations exemplaires à faire découvrir aux élèves, à des exemples d’algorithmes et à des approfondissements possibles.
11Les programmes sont détaillés mais n’imposent pas aux enseignants de méthode didactique ou pédagogique. Néanmoins, à tous les niveaux, ils insistent sur l’importance de la résolution de problèmes, qui doit être au centre de l’activité mathématique des élèves. Cela étant, les programmes insistent aussi sur la nécessité pour l’élève de disposer d’automatismes pour s’engager productivement dans la résolution de problèmes. De nombreuses ressources curriculaires d’accompagnement sont accessibles en ligne sur le site national Éduscol8 ou ceux des différentes académies, sans compter les très nombreuses ressources produites par le réseau des IREM, par l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP), par l’Institut français de l’éducation (IFé), et nombre d’associations. Dans les limites imposées à ce texte, il est impossible de détailler les contenus d’enseignement. Nous souhaitons cependant mentionner quelques évolutions importantes observées au cours de ce siècle, qui concernent le domaine « Statistiques et probabilités », l’interdisciplinarité et le numérique.
12Pour « Statistiques et probabilités », un changement crucial est intervenu avec la réforme du lycée général de 2000, marquée par la volonté de donner une réelle place au domaine statistique, au-delà des seules statistiques descriptives alors enseignées, et ce dès la classe de seconde, avant tout enseignement formel de probabilités. Cela s’est effectué avec une approche expérimentale, en s’appuyant sur des outils numériques, notamment les tableurs, pour initier les élèves aux questions de fluctuation d’échantillonnage, d’incertitude et d’estimation de probabilités à partir de fréquences observées sur des échantillons. Même si elle a suscité de très vives réactions, les enseignants n’y étant absolument pas préparés, cette réforme a marqué un tournant s’agissant de la place accordée à ce domaine et, plus généralement, de la prise de conscience de la nécessité d’initier plus précocement les élèves à la pensée probabiliste et statistique. Ainsi, l’initiation aux probabilités qui, au siècle dernier, débutait en première, commence aujourd’hui dès le cycle 4, rapprochant l’enseignement français de celui de nombreux pays. Mais cette évolution s’est aussi traduite par la diminution de la place et du rôle traditionnellement donné à d’autres domaines, notamment la géométrie.
13Nous avons signalé la mention, dans les programmes de mathématiques du collège, de liens possibles avec les autres disciplines. Au-delà de ces mentions, différents dispositifs ont été mis en place successivement pour soutenir des projets interdisciplinaires, avec des horaires dédiés et un enseignement sur la base de projets. Il y a eu ainsi, au collège, les Itinéraires de découverte (IDD) introduits en 2002, remplacés en 2017 par les Enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), et au lycée professionnel, dès 2000, les Projets pluridisciplinaires à caractère professionnel (PPCP). Au lycée général, la réforme de 2000 a introduit en première les Travaux personnels encadrés (TPE) pluridisciplinaires, réalisés en petits groupes sur des problématiques choisies par les élèves, et pris en compte pour l’évaluation du baccalauréat. La réforme du lycée de 2019 a supprimé les TPE. L’enseignement scientifique du tronc commun, organisé autour de thèmes transversaux est, certes, pluridisciplinaire, mais les données disponibles montrent que les enseignants de mathématiques y participent très peu, contrairement aux enseignants de sciences, alors qu’ils avaient trouvé leur place dans les TPE.
14La dernière évolution que nous mentionnerons concerne le numérique. En France, des outils numériques, calculatrices et logiciels, ont été introduits tôt dans l’enseignement (Baron et Bruillard, 1996) et, dès 1980, l’usage des calculatrices était autorisé au baccalauréat. Les activités de programmation sont très présentes dans une première période, mais la progression technologique avec le développement des interfaces graphiques, de la géométrie dynamique dans laquelle, grâce au logiciel Cabri-géomètre, les chercheurs français ont joué un rôle pionnier, les potentialités offertes par les tableurs et les systèmes de calcul symbolique vont favoriser d’autres usages. Aujourd’hui, de nouveaux équilibres se dessinent pourtant, mettant en jeu, au-delà de tout ce qui concerne l’usage croissant de l’Internet, les rapports entre mathématiques et informatique. Le rapport « Informatique et enseignement des mathématiques » de la Commission de réflexion sur l’enseignement des mathématiques (CREM) exprimait déjà, au tournant de ce siècle, l’évolution désirée, en recommandant l’introduction d’une part d’informatique dans l’enseignement des mathématiques (Kahane, 2002). Cette évolution s’est concrétisée depuis, d’abord au lycée, avec l’introduction en 2010 d’une perspective algorithmique dans les différents domaines mathématiques, dès la classe de seconde. Puis, avec la réforme de l’école primaire et du collège de 2015, un domaine spécifique « Algorithmique et programmation » est apparu dans les programmes du cycle 4. C’est aussi le cas dans ceux du lycée, depuis 2019. Au collège, l’initiation à l’algorithmique combine activités « branchées » et « débranchées » et la programmation privilégie le langage de programmation par blocs Scratch, tandis qu’au lycée, c’est le langage Python qui est utilisé. Parallèlement, depuis les années 2000, l’enseignement de l’informatique s’est développé.
15Le panorama que nous venons de dresser, non exhaustif, concerne le curriculum prescrit. Le curriculum enseigné et, plus encore, le curriculum appris ne s’y superposent pas. La section suivante, où nous abordons les résultats de cet enseignement, apporte donc un éclairage complémentaire essentiel. Elle nous conduira à questionner la façon dont la formation des enseignants répond aux défis auxquels fait face l’enseignement des mathématiques, défis récurrents ou engendrés par les évolutions curriculaires mentionnées ci-dessus, mais aussi par la volonté de rendre l’école plus inclusive9 ou de faire évoluer l’évaluation, lui donnant pour objectif « d’améliorer l’efficacité de l’apprentissage des élèves » tout en se montrant « positive, simple et lisible »10.
16Durant leur scolarité au secondaire, les élèves passent deux examens : en fin de collège, le diplôme national du brevet (DNB) et en fin de terminale, le baccalauréat. Le DNB, non exigé pour la suite des études au lycée, prend en compte le niveau de maîtrise du socle commun et les notes obtenues dans cinq épreuves terminales, dont les mathématiques. Si le DNB s’appuie sur le contrôle continu et sur des épreuves terminales depuis 1986, le baccalauréat a connu une évolution de ses modalités lors de la réforme de 2018 : dans les voies générales et technologiques, une part plus importante est donnée au contrôle continu (40 % de la note finale en 2023) et une épreuve orale sur les enseignements de spécialité, « le grand oral », est apparue en 2021. Les taux de réussite à ces deux examens sont élevés. Au baccalauréat, la réussite avoisine les 90 % tous baccalauréats confondus en 2022 (général : 96 %, technologique : 90 %, professionnel : 82 %). Au DNB, elle était de 88,7 %11 en 2022.
- 12 La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éduc (...)
17D’autres indicateurs, produits par un service statistique ministériel spécifique (la DEPP12), permettent d’apprécier l’état des connaissances des élèves en mathématiques et de l’étudier comparativement dans le temps et/ou entre pays. Des rapports menés par l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, la Cour des comptes ou encore par le Centre national d’étude des systèmes scolaires (CNESCO) mettent ensuite en perspective ces indicateurs avec les décisions politiques.
18Concernant les connaissances des élèves, des évaluations standardisées sont proposées à différents niveaux de la scolarité, à différentes échelles (évaluations exhaustives ou sur échantillons) et avec des finalités différentes (évaluations diagnostiques, bilans par exemple), toutes contribuant à fournir des indicateurs de suivi pour le pilotage (Rocher, 2022). Si le contenu des évaluations internationales Pisa et Timss peut être interrogé au regard de celui des programmes français (Bodin et Grapin, 2018), la baisse des performances des élèves français à ces deux évaluations est confirmée par les résultats à d’autres évaluations, notamment des études comparatives menées à trente ans d’intervalle13 en fin d’école primaire et les bilans CEDRE14 en fin d’école primaire et de collège, conçus à partir des programmes scolaires français et proposés tous les six ans. Ainsi, aux dernières évaluations Timss, la France se classe respectivement dernière et avant-dernière des pays européens. Les élèves français sont sur-représentés dans le quartile le moins performant et sous-représentés dans le plus performant. De plus, la confiance en soi et la motivation à l’égard des mathématiques faiblissent entre les grades 4 et 8. Ces résultats sont renforcés par ceux obtenus à Pisa, qui révèlent également un petit écart de performance à l’avantage des garçons. Les évaluations exhaustives menées au début du primaire et à l’entrée au collège montrent que des différences de performance en mathématiques selon le sexe commencent à apparaître dès la première année du primaire et s’accentuent ensuite, en deuxième année, les garçons réussissant globalement mieux que les filles, à l’exception de quelques domaines (calcul mental et géométrie)15. Ces différences se maintiennent à l’entrée au collège16. De multiples raisons peuvent être avancées pour expliquer ces constats17.
19L’origine sociale est également un déterminant fort de la réussite en mathématiques. Les écarts sont marqués dès le début de l’école primaire, surtout en résolution de problèmes, et se confirment ensuite. À l’entrée en 6e, 63 % des élèves des collèges des réseaux d’éducation prioritaire appartiennent aux groupes « de bas niveaux » alors qu’ils ne sont que 31 % dans les collèges hors éducation prioritaire. Différentes mesures ont été mises en place pour réduire ces écarts : accompagnement des équipes éducatives, dédoublement de classes, accompagnement des élèves dans leur travail personnel à l’entrée au collège, etc. Les écarts de performance perdurent cependant, et ce, pour différentes raisons. Les enseignants nommés dans les établissements de ces zones socialement défavorisées sont souvent débutants ou contractuels peu formés, et un important turn-over des personnels fait obstacle à la continuité des actions éducatives. Par ailleurs, l’affectation d’un élève dans un établissement public est déterminée par son secteur géographique. Les familles des classes les plus aisées cherchent à contourner la carte scolaire, ce qui diminue la mixité sociale, accentuant les inégalités territoriales.
20Face à cette situation, différentes actions politiques ont été menées. En 2014, à la demande de la communauté mathématique, « la stratégie mathématique » a conduit à de nouveaux programmes scolaires (voir ci-dessus) et à des mesures visant à renforcer la formation des enseignants et à promouvoir une image nouvelle des mathématiques. En 2018, le « Plan mathématiques Villani-Torossian18 », décliné en vingt et une mesures, a renforcé la formation des professeurs des écoles en mathématiques, en appui sur des échanges et des visites croisées. Cela répondait à une difficulté reconnue par les enseignants du primaire, puisqu’environ un quart d’entre eux exprimait rencontrer des difficultés à enseigner les mathématiques (DEPP, 2021). Les effets de ce plan ne peuvent pas encore être mesurés, mais l’intérêt du schéma de formation a été reconnu, tout comme la complexité de sa mise en œuvre. De premières évolutions ont été constatées, comme des pratiques plus régulières de la résolution de problèmes et du calcul mental, mais certaines fragilités demeurent, comme la place de la trace écrite (IGESR, 2022). À la rentrée 2023, une nouvelle stratégie19, orientée sur le collège et le lycée, vise à « continuer à promouvoir l’excellence, mais aussi à réconcilier tous les élèves avec les mathématiques et encourager l’égalité filles-garçons ».
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21Comme le montre ce qui précède, l’enseignement des mathématiques en France n’est en rien figé. Les réformes se succèdent, essayant de prendre en compte l’évolution des mathématiques, des demandes sociétales et des moyens de l’enseignement, notamment technologiques, de répondre aux difficultés constatées, tant en matière d’enseignement que de formation des enseignants. Les évolutions décrites rencontrent, pour beaucoup d’entre elles, des tendances plus générales. La communauté mathématique au sens large, telle que reflétée par la CFEM, est particulièrement soudée et active, ce qui est a priori un atout précieux, tout comme l’est l’existence d’une communauté de recherche didactique très active et internationalement reconnue.
22Néanmoins, les résultats sont très insatisfaisants. La détérioration des performances des élèves est attestée par les évaluations nationales et internationales, malgré les pourcentages élevés de réussite aux examens. Les inégalités sont fortes et les mesures prises semblent impuissantes à les réduire. Le système peine à recruter des enseignants, y compris maintenant des professeurs d’école, à les préparer correctement à assurer un métier de plus en plus difficile et à permettre leur développement professionnel, même s’il identifie les compétences nécessaires20.
23Ces faiblesses ont des raisons systémiques. Dans l’espace limité de cet article, nous nous limiterons aux plus flagrantes, en particulier si on les compare à d’autres systèmes : une fréquence trop élevée des réformes qui ne permet pas d’atteindre des états d’équilibre, d’évaluer les effets, de mettre en place les régulations nécessaires ; une insuffisance de l’accompagnement dans la durée des évolutions souhaitées avec des moyens appropriés ; une trop grande dépendance à des politiques à court terme qui empêchent la continuité de l’action nécessaire à des effets durables ; un système au fonctionnement encore trop hiérarchisé et qui ne s’appuie pas assez sur l’expertise existante dans la communauté mathématique ; un système de formation des enseignants qui multiplie les réformes (trois en une décennie) sans parvenir à trouver les moyens de combiner des exigences multiples, et dont le caractère consécutif est inadapté pour former les enseignants polyvalents du primaire.