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Dossier - L'enseignement des mathématiques

Vers un apprentissage des mathématiques plus autonome et flexible au Portugal

Towards more autonomous and flexible mathematics learning in Portugal
¿Hacia un aprendizaje más autónomo y flexible de las matemáticas en Portugal?
Ana Barbosa et Isabel Vale
Traduction de Sylvaine Herold
p. 133-142

Résumés

Cet article aborde différents aspects de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques au Portugal, en se concentrant sur les vingt dernières années de réformes éducatives. Afin d’éclairer la nature et le fondement des réformes curriculaires survenues dans le pays, notamment celles qui ont concerné l’enseignement des mathématiques, ainsi que leurs effets sur les résultats des élèves, il montre comment les changements survenus aux niveaux politique et social ont eu un impact non seulement sur le curriculum, sur la dynamique au sein des établissements, mais également sur les pratiques des enseignants. Une réforme curriculaire est actuellement en cours dans l’enseignement de base et l’enseignement secondaire, dans l’objectif d’améliorer l’enseignement des mathématiques dans le pays.

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Notes de la rédaction

Article traduit de l’anglais par Sylvaine Herold.

Texte intégral

1Dans cet article, nous nous proposons de revenir sur l’enseignement des mathématiques au Portugal au cours des vingt dernières années, en analysant les principales représentations sociales associées à cet enseignement, les orientations et les réformes curriculaires dont il a fait l’objet, ainsi que leurs effets sur les résultats des élèves.

2Au préalable, nous aimerions souligner un changement décisif pour l’enseignement des mathématiques dans notre pays, impulsé par le projet « Flexibilité du curriculum et compétences essentielles de l’éducation de base », développé par le ministère portugais de l’éducation, en 2001. Ce projet a conduit à la publication d’un document de référence, Curriculum national de l’éducation de base : les compétences essentielles, devenu un outil fondamental dans le processus d’innovation curriculaire. Il définissait en effet une évolution progressive permettant de mettre en place un nouveau curriculum et une nouvelle culture dans la classe, ainsi que des concepts clés pour un enseignement et un apprentissage plus autonomes et plus flexibles, défendant le principe selon lequel les mathématiques devraient s’adresser à tous les élèves. Il a défini un ensemble de compétences fondamentales que les élèves devraient acquérir en mathématiques tout au long de l’éducation de base, intégrées dans les sujets mathématiques traditionnels via des types d’expériences d’apprentissage riches et variés (par exemple, résolution de problèmes, enquêtes, projets, jeux). Bien qu’il ait été publié il y a plus de vingt ans, ce document a inspiré les évolutions curriculaires ultérieures reposant sur des idées similaires, visant le développement de capacités d’ordre supérieur parallèlement aux contenus mathématiques, dans le sens d’une mathématique pour tous, encourageant l’éducation en mathématiques, sur les mathématiques et par les mathématiques, et contribuant ainsi à la formation générale des élèves.

Représentations sociales associées à l’enseignement des mathématiques

3Les mathématiques sont généralement reconnues comme une matière importante dans le système éducatif portugais. Cette importance se traduit par leur inclusion dans les programmes d’études de la scolarité obligatoire (niveaux 1 à 12), mais également par le fait qu’elles constituent un domaine important des orientations curriculaires de l’enseignement préprimaire (3-6 ans). On peut identifier quatre rôles sociaux associés à l’enseignement des mathématiques qui, bien qu’ils soient différents et renvoient à des objectifs variés, coexistent et sont liés les uns aux autres (Ponte, 2003).

4Premièrement, conformément aux principes de l’OCDE (2018) pour l’enseignement des mathématiques, le curriculum portugais entend doter les élèves d’une base solide de concepts, de compétences et d’aptitudes mathématiques, tels que le raisonnement et la résolution de problèmes, en promouvant le développement de la culture mathématique. Les mathématiques participent ainsi au développement des enfants et des jeunes, en stimulant un mode de pensée essentiel pour la vie en société et l’exercice de la citoyenneté (Ponte, 2003). Les connaissances et compétences mathématiques fondamentales sont considérées comme étant essentielles pour se comporter efficacement dans la société, contribuant à une résolution plus efficace des problèmes en contextes réels (OCDE, 2018). Ainsi, les mathématiques sont considérées comme une composante importante de la culture commune pour l’ensemble des citoyens, mais également comme un champ d’étude spécialisé pour ceux qui poursuivent des carrières requérant un savoir mathématique plus poussé.

5Deuxièmement, les mathématiques sont en effet également reconnues comme une discipline fondamentale permettant d’acquérir des compétences et des connaissances utiles dans plusieurs domaines, notamment la science, l’ingénierie et la technologie. Elles servent de socle pour le développement d’une culture scientifique et technologique, et sont de ce fait utilisées de façon intensive par les scientifiques, les ingénieurs et les techniciens dans leurs activités professionnelles.

6Troisièmement, il existe donc une certaine conscience de l’importance des mathématiques pour accéder à l’enseignement supérieur, mais également à des opportunités d’études et à des opportunités professionnelles futures. Les mathématiques sont l’une des matières obligatoires des examens nationaux d’admission à l’enseignement supérieur dans certains domaines d’études, tels que l’ingénierie, les mathématiques, l’informatique ou les sciences naturelles, ce qui souligne l’importance de cette matière tout au long de la scolarité. Cette perception des mathématiques comme savoir objectif, jouant un rôle crucial en tant qu’outil de sélection, peut, dans une certaine mesure, expliquer les attitudes négatives à leur égard de certains élèves qui les considèrent comme un obstacle (Ponte, 2003).

7Enfin, les statistiques sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques ont régulièrement été utilisées comme symbole de développement, mais également comme arme politique par diverses forces sociales (Ponte, 2003). Cela s’est notamment traduit par la publication de rapports sur les résultats des élèves portugais aux tests internationaux de performance en mathématiques, présentés comme décisifs pour justifier les réformes éducatives ou la mise en œuvre de programmes de promotion de la réussite, au niveau de l’enseignement comme de l’apprentissage.

8Cependant, les mathématiques sont souvent considérées comme une matière difficile par de nombreux élèves. La nature abstraite des concepts mathématiques et la rigueur exigée pour résoudre les problèmes mathématiques peuvent parfois conduire à des difficultés et à des attitudes négatives, telles que la frustration ou le manque d’engagement. Mais la perception que les élèves ont des mathématiques et la façon dont elles sont enseignées varient fortement. Ainsi, certains trouvent l’enseignement des mathématiques utile, agréable et stimulant intellectuellement, et considèrent qu’il s’agit d’un outil précieux pour comprendre le monde.

Orientations curriculaires pour l’enseignement des mathématiques depuis vingt ans

  • 1  Programme international pour le suivi des acquis des élèves.
  • 2Trends in International Mathematics and Science Study.

9Au cours des vingt dernières années, le Portugal a connu quatre réformes curriculaires dans l’enseignement de base (niveaux 1 à 9) et l’enseignement secondaire (niveaux 10 à 12), résultant des politiques éducatives alors préconisées, sur la base des évolutions politiques et sociales, des tendances dans l’enseignement des mathématiques et/ou de l’évaluation des résultats d’apprentissage (par exemple, les évaluations nationales Pisa1 et Timss2). Ces réformes n’ont pas toujours été consensuelles, notamment du point de vue des principales associations nationales de professionnels, qui exercent une influence sur les changements mis en œuvre à travers la présence de certains de leurs membres dans les équipes chargées de définir le curriculum de mathématiques.

  • 3  FCT POCI/CED/59680/2004 et FCT PTDC/CED/69287/2006

10Nous donnerons tout d’abord un bref aperçu des réformes intervenues dans l’enseignement de base. Auparavant, le premier cycle de l’enseignement de base (niveaux 1 à 4) et les deuxième et troisième cycles (niveaux 5 à 9) disposaient de curriculums distincts, élaborés au début des années 1990. Cette situation a changé en 2007, avec la publication d’un nouveau document, le Curriculum de mathématiques pour l’enseignement de base, couvrant tous les niveaux de l’enseignement de base et cherchant à améliorer l’articulation des orientations curriculaires entre les trois cycles. Ce document était structuré autour de grands thèmes mathématiques (nombres et opérations ; géométrie et mesure ; algèbre et analyse de données) et de capacités transversales (résolution de problèmes ; communication et raisonnement), défendant l’idée d’une science mathématique s’adressant à tous les élèves et contribuant à la reconnaissance de l’utilité de cette matière dans la vie de tous les jours, dans la société et dans de nombreux métiers. Outre l’acquisition d’informations, de connaissances et d’expériences en mathématiques et le développement de la capacité à les appliquer dans divers contextes, la promotion d’attitudes positives à l’égard des mathématiques et la capacité à apprécier cette science étaient également des objectifs importants. Avant la mise en œuvre de ce nouveau curriculum, le ministère de l’éducation a développé un programme de formation pour les enseignants en exercice dans les premier et deuxième cycles de l’enseignement de base (respectivement, niveaux 1-4 et 5-6), qui a débuté en 2005 et s’est poursuivi jusqu’en 2011. Ce programme avait été décidé sur la base des résultats Pisa de 2003, qui soulignaient la nécessité, d’une part, d’améliorer l’enseignement des mathématiques dès les premières années d’enseignement et, d’autre part, de reconnaître l’importance des enseignants du primaire et de leur formation en mathématiques dans ce processus. L’objectif était de développer les savoirs mathématiques et didactiques des enseignants afin de les rendre plus confiants et plus compétents pour enseigner les mathématiques à leurs élèves, sur la base des documents curriculaires existants. Plusieurs études menées dans le cadre de ce programme de formation ont fait état de changements positifs dans les pratiques des enseignants, constatant notamment des progrès en matière de dynamique de classe, une collaboration entre enseignants plus productive et une nette tendance à diversifier la nature des tâches, en privilégiant la résolution de problèmes (Serrazina et al., 2011). Ce curriculum a également fait l’objet d’une évaluation par une équipe d’experts, qui a conclu à un impact positif à plusieurs niveaux dans son rapport Enseignement, évaluation et participation des élèves en contextes d’expérimentation et généralisation du nouveau curriculum de mathématiques de l’enseignement de base (Fernandes et al., 2011). Le succès de cette réforme curriculaire tient donc à un programme d’études bien compris des enseignants – qui avaient une conscience aiguë de leur rôle –, visant à favoriser le bon encadrement des élèves et leur participation. Globalement, la participation des élèves aux activités développées semblait dépendre des stratégies utilisées par les enseignants pour les inciter à s’engager dans le travail en classe. Ces stratégies reposaient sur des éléments tels que l’organisation de l’enseignement, la nature des tâches, la promotion d’une configuration de classe favorisant les interactions entre toutes les parties prenantes et la dynamique de travail établie au sein des salles de classe. S’agissant de l’expérimentation et de la généralisation de ce curriculum, deux projets ont eu un impact sur la mise en œuvre du programme de formation et la production de ressources, c’est-à-dire de tâches en lien avec le sens des nombres et la pensée algébrique : « Développer le sens des nombres : exigences et perspectives curriculaires » et « Mathématiques et tendances dans l’enseignement de base : perspectives curriculaires et expériences des élèves et des enseignants »3.

11Du côté de l’enseignement secondaire, un processus de révision curriculaire a été mis en œuvre à la fin des années 1990, sous le terme de « réajustement », qui visait principalement à répondre aux problèmes identifiés par les établissements et par les enseignants en lien avec l’accroissement du programme, incompatible avec le nombre d’heures d’enseignement disponibles. Le programme qui en a résulté, publié en 1997, maintenait la tradition consistant à privilégier l’initiation à l’analyse infinitésimale, aux côtés du calcul algébrique et de la trigonométrie, et attribuait une place importante à la géométrie, aux statistiques et aux probabilités, l’aspect le plus novateur étant l’accent mis sur l’utilisation des calculatrices graphiques. Si ce programme a été critiqué par certains mathématiciens, aucune critique sérieuse n’a émergé et, dans les faits, il a eu le mérite de stabiliser la situation dans l’enseignement secondaire au Portugal à cette époque (Ponte, 2003). En 2001, une nouvelle réforme a eu lieu dans l’enseignement secondaire, actant la diversification des programmes de mathématiques via la création de trois programmes distincts : les mathématiques A (pour les parcours de formation en sciences naturelles, sciences et technologies, et sciences socio-économiques), les mathématiques B (pour la plupart des parcours technologiques et le parcours scientifique et humaniste d’arts visuels) et les mathématiques appliquées aux sciences sociales (MACS) (pour le parcours général de sciences sociales et humaines). Les contenus des mathématiques A étaient organisés autour de quatre grands thèmes : calcul différentiel ; géométrie ; fonctions et suites ; probabilités et statistiques. Les thèmes principaux des mathématiques B étaient : fonctions et calcul différentiel ; géométrie et probabilités ; statistiques et mathématiques discrètes, en travaillant sur la base de problèmes réels et de modèles concrets. Les MACS se concentraient quant à elles sur les méthodes d’aide à la décision, la modélisation mathématique, ainsi que les statistiques et les probabilités. Suite à la réorganisation des enseignements généraux et technologiques, les élèves avaient la possibilité de choisir des parcours d’enseignement et de formation différenciés. Les mathématiques B et les MACS visaient l’acquisition de compétences fondamentales pour l’exercice d’activités professionnelles, tout en offrant la possibilité de suivre le programme de l’enseignement général afin de permettre à tous les élèves de changer leur parcours d’enseignement et de formation, sans préjudice de la date escomptée d’achèvement du cours. Ces nouveaux programmes cherchaient ainsi à proposer aux élèves des expériences mathématiques pertinentes qui leur permettent d’apprécier pleinement l’importance des approches mathématiques dans leurs futurs métiers, plutôt que de maîtriser des aspects techniques précis.

12D’autres réformes se sont appliquées simultanément à l’enseignement de base et à l’enseignement secondaire. Le ministère de l’éducation du XIXe gouvernement constitutionnel du Portugal (2011-2015) a fixé comme priorité la révision du curriculum national de mathématiques, afin d’élever le niveau de performance des élèves portugais. Cette révision a abouti à l’adoption d’un nouveau curriculum de mathématiques pour l’enseignement de base en 2013 et pour l’enseignement secondaire en 2015 : Programme et objectifs curriculaires pour les mathématiques. Mais cette réforme a fait l’objet de polémiques, notamment parce que l’impact du précédent programme pour l’enseignement de base n’avait pas été formellement évalué ; la décision de réforme semblait dès lors reposer principalement sur les croyances et points de vue en matière d’enseignement des mathématiques du ministre de l’éducation en exercice, qui plaidait pour un programme plus rigoureux et plus exigeant, fondé sur des objectifs plus clairs. La conception du curriculum pour l’enseignement secondaire s’est inscrite dans le prolongement du changement de programme intervenu dans l’enseignement de base, dans une optique de continuité, et a suivi les orientations des évaluations internationales auxquelles le Portugal participe, à savoir Pisa et Timss, valorisant ainsi l’algèbre, le calcul et la géométrie dans le domaine des contenus, et les capacités cognitives « connaître », « appliquer » et « raisonner ». L’adoption de ce nouveau curriculum de mathématiques dans l’enseignement de base et l’enseignement secondaire a soulevé un certain nombre de questions, et des problèmes ont été identifiés par les établissements et les enseignants, remettant en cause la faisabilité de sa mise en œuvre. Les principaux problèmes signalés concernaient l’alourdissement des programmes (qui ne favorise pas la consolidation des apprentissages des élèves), l’anticipation de certains contenus et leur inadéquation pour certaines classes d’âge. Par conséquent, le ministère de l’éducation du XXIe gouvernement constitutionnel portugais (2015-2019) a désigné, en 2016, deux groupes de travail, l’un pour l’enseignement de base et l’autre pour l’enseignement secondaire, afin de formuler des orientations pour la gestion des documents curriculaires alors en vigueur, en y associant des membres de la Société portugaise de mathématiques (SPM), de l’Association des professeurs de mathématiques (APM) et des enseignants de mathématiques en exercice dans l’enseignement de base et l’enseignement secondaire.

13Poursuivant l’objectif de promouvoir une éducation de qualité pour tous, au sein d’un système mettant en avant l’égalité des chances et l’amélioration de l’efficacité et de la qualité des établissements, ce gouvernement a mis en place le Programme national de promotion de la réussite scolaire (PNPSE), en vigueur de 2016 à 2018. Ce programme a placé les établissements et les communautés éducatives au centre de la prise de décision et les a incités à définir des plans d’action stratégiques, fondés sur des engagements et des partenariats de « convergence scolaire », afin de bâtir à l’échelle locale des solutions et des réponses pour résoudre les problèmes liés à l’apprentissage et à l’intégration socio-éducative diagnostiqués au niveau de chaque territoire éducatif. L’un des piliers de ce programme était la promotion de la formation continue des enseignants, en mathématiques et dans d’autres domaines, en apportant un soutien aux établissements pour qu’ils réfléchissent à des pratiques locales et développent des stratégies innovantes à même de produire des changements (Verdasca et al., 2019). Le PNPSE a suivi une approche préventive, encourageant la réussite scolaire dans le premier cycle de l’enseignement primaire (niveaux 1 à 4) par le biais d’interactions de classe améliorées, d’interventions précoces, de collaborations entre enseignants et de l’évaluation globale des compétences des élèves. L’OCDE a salué la portée et l’approche conceptuelle du PNPSE.

14Reconnaissant que les taux d’échec importants en mathématiques à tous les niveaux de la scolarité obligatoire étaient préoccupants, en dépit des nombreuses initiatives et mesures développées et mises en œuvre, le gouvernement a entrepris, en 2018, un processus d’analyse approfondi centré sur cette discipline, en mettant sur pied un groupe de travail sur les mathématiques, qui avait pour mission d’analyser les mauvais résultats en mathématiques d’un grand nombre d’élèves portugais, dans l’objectif de formuler un ensemble de recommandations en se concentrant sur l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation. Ce groupe a publié un rapport, Recommandations pour améliorer l’apprentissage des élèves en mathématiques (Canavarro et al., 2020), qui a été débattu publiquement et a conduit à une nouvelle réforme curriculaire.

15Le Portugal met actuellement en œuvre une réforme curriculaire transversale en mathématiques, avec des implications à tous les niveaux de la scolarité obligatoire (niveaux 1 à 12). La mise en œuvre du nouveau curriculum pour les niveaux 1 à 9 (enseignement de base) a démarré en septembre 2022 et, pour les niveaux 10 à 12 (enseignement secondaire), elle est prévue en septembre 2024. Ces nouveaux documents, qui tiennent compte des recommandations du groupe de travail sur les mathématiques (Canavarro et al., 2020), sont également conformes aux documents élaborés par le Conseil national des enseignants de mathématiques. Le premier document, Profil des élèves à la fin de la scolarité obligatoire, est un document de référence, structuré de façon à inclure et à respecter la diversité des établissements portugais, fournissant des lignes directrices pour l’organisation du système éducatif et pour l’élaboration des programmes scolaires, qui définit explicitement les principes fondamentaux, valeurs, visions et compétences à développer avec la contribution de tous les domaines curriculaires. Le second document, Principes d’action : garantir la réussite de tous les élèves en mathématiques, consacré spécifiquement à l’enseignement des mathématiques à l’école, met en relation la recherche et la pratique et plaide en faveur de la formulation d’un principe fort et inclusif stipulant expressément que l’apprentissage des mathématiques s’adresse à tous les élèves, au niveau individuel et au niveau social. En outre, prenant acte du fait que nous vivons dans une société toujours plus technologique, qui exige l’acquisition de compétences multiples, mathématiques et numériques notamment, le nouveau curriculum suggère systématiquement le recours à des ressources technologiques. La pensée informatique émerge en tant que compétence transversale à intégrer dans l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques (enseignement de base) mais également comme une approche conceptuelle de la résolution de problèmes (enseignement secondaire).

16Au fil des ans, le Portugal a ainsi mis en œuvre plusieurs réformes curriculaires dans l’enseignement des mathématiques, principalement afin de se conformer aux normes et aux bonnes pratiques internationales, mais également sous l’influence des décisions politiques prises par les différents gouvernements. Progressivement, ces réformes ont cherché à promouvoir une approche plus inclusive et holistique de l’enseignement des mathématiques, en mettant l’accent sur la résolution de problèmes, la pensée critique et le développement des capacités de raisonnement, dans le but de mettre en œuvre une approche de l’enseignement des mathématiques plus attrayante et davantage centrée sur l’élève.

Bref aperçu des performances internationales des élèves portugais

17Les évaluations internationales, telles que Pisa et Timss, tendent à exercer une influence sur le secteur éducatif, notamment sur les décisions de politiques publiques en matière de réformes éducatives. Malgré les limites reconnues de ces évaluations internationales, leurs résultats sont rarement ignorés, et leur influence sur la formulation et l’évaluation des politiques éducatives dans les pays qui y prennent part, comme le Portugal, et sur la mise en œuvre des réformes éducatives est avérée (voir par exemple Fernandes et Gonçalves, 2018 ; Marôco, 2021).

18En 2000, année de la première édition de l’enquête Pisa, les élèves portugais se sont classés au bas du tableau des participants de l’OCDE, en mathématiques mais également en sciences et en lecture. Pour Fernandes et Gonçalves (2018), ces résultats ont eu une influence sur les réformes curriculaires ultérieures. Par la suite, les résultats des élèves portugais ont connu une évolution positive, soulignée dans les rapports Pisa de l’OCDE, comme la hausse du nombre d’élèves portugais ayant des résultats élevés et, simultanément, la diminution du nombre de ceux ayant de faibles niveaux de performance. Dans l’édition 2015, les résultats des élèves portugais se situaient légèrement au-dessus de la moyenne de l’OCDE en sciences et en lecture, et au niveau de la moyenne en mathématiques. Ces résultats ont néanmoins provoqué une certaine euphorie dans le pays, en particulier dans les cercles politiques et universitaires (Fernandes et Gonçalves, 2018). Dans l’enquête Pisa menée en 2018, le Portugal a obtenu 492 points en compétences mathématiques, soit trois points de plus que la moyenne de l’OCDE (489 points), se classant à la 28e place sur 78 pays. Si l’on compare ces résultats avec ceux des précédents cycles d’évaluation, on observe une hausse significative, de 26 points par rapport à 2003 et de 5 points par rapport à 2012. Entre 2015 et 2018, en revanche, le score moyen en mathématiques n’a pas évolué. D’après le rapport national (Lourenço et al., 2019), 77 % des élèves portugais ont atteint au moins le niveau 2 de compétences en mathématiques, un pourcentage similaire à la moyenne de l’OCDE (76 %). À ce niveau de compétence, les élèves peuvent, par exemple, interpréter et déterminer, sans instruction directe, comment une situation simple peut être représentée mathématiquement (par exemple, comparer la distance totale sur deux itinéraires alternatifs, ou convertir des prix dans une devise différente). Si l’on compare les pourcentages d’élèves les plus performants et peu performants entre 2012 et 2018, on ne constate pas d’évolutions significatives, bien que le pourcentage d’élèves les plus performants ait légèrement augmenté et que celui d’élèves peu performants ait diminué.

19La première participation du Portugal à l’enquête Timss, en 1995, avait révélé des résultats si médiocres que les responsables politiques avaient décidé d’annuler la participation du pays à cette enquête, arguant qu’elle ne permettait pas d’évaluer les connaissances et les compétences des élèves portugais (Marôco, 2021). Cependant, un examen plus attentif de ces résultats a mis en évidence les constats suivants : les enseignants ne disposaient que de peu d’expérience en matière d’enseignement et de peu de préparation pédagogique ; les ordinateurs n’étaient pas utilisés ; le recours au matériel de manipulation était insuffisant ; l’évaluation formative n’était pas la méthode privilégiée ; le manuel était la ressource la plus utilisée ; et aucune activité expérimentale n’était menée (Rosa, 2022). Une interruption de seize ans a fait suite à cette première participation et le Portugal n’a de nouveau participé à cette étude qu’en 2011. Par rapport aux résultats de 1995, on constate alors une nette amélioration des résultats des élèves de 4e année participant à l’étude, qui arrivent à la 15e place ; mais il est difficile de déterminer une raison spécifique expliquant ce résultat. Au cours des seize années de non-participation, le curriculum de mathématiques portugais a subi des changements, en lien avec les politiques éducatives des différents ministres de l’éducation, et d’autres mesures parallèles ont été mises en œuvre qui ont pu contribuer à l’amélioration de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques. Lors du cycle de 2015, le score du Portugal est resté le même. Dans l’enquête Timss la plus récente, réalisée en 2019, les élèves portugais de 4e année sont arrivés en 20e place du classement, avec des résultats qui, bien que supérieurs au point central de l’échelle Timss, étaient inférieurs de 16 points à la dernière participation du pays en 2015. Les trois quarts des élèves se classent au niveau « intermédiaire » : le domaine de contenu ayant obtenu les meilleurs résultats est celui de la représentation des données, tandis que les scores les plus faibles ont été enregistrés en mesure et en géométrie. En ce qui concerne les compétences cognitives, les meilleurs résultats ont été obtenus dans le domaine « appliquer » et les résultats les plus faibles dans les tâches de raisonnement.

20Par ailleurs, les résultats des élèves de 8e année se situent au niveau du point central de l’échelle Timss, à savoir 500 points, un résultat significativement plus élevé que celui obtenu lors de la dernière (et unique) participation des élèves portugais de cette classe d’âge en 1995, ce qui rend l’analyse de tendances difficile pour ce niveau scolaire. Sur les trente-neuf pays ayant participé à cette évaluation, le Portugal s’est classé à la 18e place. Les résultats des élèves portugais sont conformes à la moyenne internationale, avec au moins 63 % des élèves au niveau « intermédiaire ». Le domaine de contenu ayant obtenu les meilleurs résultats est la géométrie, tandis que les scores les plus faibles ont été enregistrés dans le domaine des nombres. Quant aux compétences cognitives, les meilleurs résultats ont été obtenus dans les tâches de raisonnement et les résultats les plus faibles dans le domaine « appliquer ».

21Les résultats obtenus par le Portugal dans l’enquête Timss se sont donc légèrement dégradés entre 2015 et 2019, ce qui a renforcé, aux yeux des décideurs, la nécessité de réformer le curriculum portugais.

Considérations finales

22L’école se doit de suivre les évolutions de la société dans tous les domaines et cela passe parfois par des réformes curriculaires, notamment dans l’enseignement des mathématiques. Au Portugal, l’importance des mathématiques en tant que matière scolaire est largement reconnue et se reflète de façon objective dans le poids qui leur est accordé dans la matrice curriculaire de l’enseignement obligatoire, où elles sont considérées comme un domaine essentiel de la formation des élèves. La perception des mathématiques a néanmoins évolué au cours des dernières décennies : d’abord considérées comme une discipline purement instrumentale et utilitaire, elles sont désormais considérées comme essentielles pour la formation de citoyens critiques et actifs, articulant dimensions cognitives et affectives. Si les résultats de la participation des élèves aux évaluations internationales fournissent des indications sur leur niveau de performances, en les comparant aux performances des élèves d’autres pays dans les mêmes domaines, il est indispensable d’adopter une vision analytique et réflexive pour prendre en compte ce qui a été fait au niveau national et a pu contribuer à ces résultats. Les résultats de ces enquêtes ne peuvent être analysés isolément afin de tirer des conclusions en matière de systèmes éducatifs et il est important de les comprendre à la lumière des politiques éducatives adoptées.

23Bien que les résultats obtenus, au niveau national comme international, ne soient pas encore ceux escomptés, on peut néanmoins affirmer que des changements significatifs ont eu lieu ces vingt dernières années, en ce qui concerne notamment la réflexion sur les programmes, les pratiques de classe et la participation des élèves. Le besoin d’ajustements curriculaires se fera toujours sentir, non seulement pour surmonter les problèmes rencontrés dans l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques, mais également pour répondre aux impératifs sociaux qui ne cessent de peser sur l’école. Pour conclure, alors que nous traversons actuellement une période de changement, nous savons que les réformes curriculaires sont toujours complexes à mettre en œuvre et sources de défis pour l’ensemble des parties prenantes. Globalement, les nouveaux programmes proposés cherchent à développer la culture mathématique dès les premières années d’enseignement, en s’efforçant d’inclure l’ensemble des élèves, afin qu’ils apprécient davantage l’enseignement des mathématiques tout au long de la scolarité obligatoire et qu’ils obtiennent de meilleurs résultats, au niveau national mais également international.

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Notes

1  Programme international pour le suivi des acquis des élèves.

2Trends in International Mathematics and Science Study.

3  FCT POCI/CED/59680/2004 et FCT PTDC/CED/69287/2006

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Pour citer cet article

Référence papier

Ana Barbosa et Isabel Vale, « Vers un apprentissage des mathématiques plus autonome et flexible au Portugal »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 93 | 2023, 133-142.

Référence électronique

Ana Barbosa et Isabel Vale, « Vers un apprentissage des mathématiques plus autonome et flexible au Portugal »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 93 | septembre 2023, mis en ligne le 02 janvier 2024, consulté le 04 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/14284 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.14284

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Auteurs

Ana Barbosa

Ana Barbosa, docteure en études de l’enfant – mathématiques élémentaires –, est professeure adjointe à l’école d’éducation de l’institut polytechnique de Viana do Castelo (ESE-IPVC). Elle a participé à des recherches dans le cadre de projets financés aux niveaux national et international. Elle est l’auteure et la co-auteure d’articles, de livres et de chapitres de livres sur divers sujets liés à l’enseignement des mathématiques. Ses recherches portent sur la formation des enseignants, la pensée algébrique, la visualisation, la résolution de problèmes et l’apprentissage actif. Courriel : anabarbosa[at]ese.ipvc.pt

Isabel Vale

Isabel Vale est docteure en didactique des mathématiques et professeure associée à l’école d’éducation de l’institut polytechnique de Viana do Castelo, au Portugal. Elle enseigne à des étudiants de master et de doctorat, en formation initiale et continue. Elle a participé à des projets d’intervention et de recherche en didactique des mathématiques et formation des enseignants, et est (co)auteure de rapports, d’articles et d’ouvrages. Ses principaux intérêts de recherche sont la didactique des mathématiques (résolution de problèmes, pensée algébrique, créativité, visualisation, conception de tâches dans l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques) et la formation des enseignants. Courriel : isabel.vale[at]ese.ipvc.pt

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