1Depuis les années 1990, le système éducatif bulgare a connu de grands changements et un développement dynamique. La nécessité de relever des défis variés a engendré une sensibilité à la différence individuelle. Elle a permis de définir des stratégies de développement et d’auto-amélioration, dans le cadre de politiques inclusives. Ces dernières connaissent une métamorphose opérée à un rythme accéléré ; elles ont aussi créé les conditions d’une participation active au processus éducatif. Cependant, la mobilisation des professionnels et enseignants autour de principes d’action reste un défi quotidien.
2Cet article s’appuie sur des expériences de terrain menées en Bulgarie, en partant de nos rapports de recherche (l’évaluation de deux projets de recherche axés sur l’éducation inclusive [2007-2014] et le soutien à l’apprentissage [2017-2021]) et de nos rapports de supervision de stages sur le terrain. Trois axes de changement se dégagent : 1) la transformation des environnements et des pratiques éducatives ; 2) l’engagement de l’enseignant ressource et l’actualisation de la formation des enseignants (et des autres professionnels) ; et 3) les moyens pour accroître la capacité des écoles à fournir le soutien éducatif nécessaire à chaque élève.
3Aucun système éducatif n’a la capacité ni la souplesse nécessaire pour répondre adéquatement aux besoins changeants de tous ses élèves. Depuis la fin du xxe siècle, le système éducatif bulgare a été confronté à de multiples défis liés à l’implantation en parallèle de mesures de désinstitutionalisation et d’inclusion. La fermeture accélérée des institutions et des écoles spéciales « clôturées » s’est produite au moment même où l’école était appelée à garantir le « libre accès » à l’enseignement ordinaire pour tous les élèves, y compris ceux présentant une déficience intellectuelle, un polyhandicap et/ou des troubles du spectre autistique.
4Cette phase de transition a engendré des tensions diverses ; tous les responsables devaient s’atteler à créer des conditions favorables, afin qu’aucun enfant ou élève ne soit laissé en dehors de l’école. De nombreuses écoles spéciales ont dû fermer leurs portes ; d’autres se sont transformées en centres de soutien à l’éducation spéciale. Des centres régionaux de soutien à l’éducation inclusive ont été ouverts, pour offrir des services spécialisés en matière de processus de développement personnel, d’hébergement familial, de soutien aux enseignants-ressources, etc. Compte tenu de la rapidité de ces changements, il s’est avéré nécessaire d’actualiser les connaissances non seulement pour les directeurs d’école, mais aussi pour les enseignants, les élèves et les membres de leurs familles.
5Ce processus de transformation est parti d’un projet pilote d’admission de 95 élèves présentant une déficience intellectuelle. Il s’agit d’un projet mené par le ministère du travail et des politiques sociales en 2005. Les élèves admis à bénéficier de l’enseignement individuel dans des écoles ordinaires ont été placés dans deux districts du pays. Près de deux ans plus tard, tous les élèves présentant le même diagnostic ont été admis dans des classes ordinaires, sur décision du ministère de l’éducation et de la science.
6La démarche privilégiée, en accord avec les perspectives théoriques de l’écologie humaine, en particulier le modèle écosystémique de Bronfenbrenner et Morris (2006), était de comprendre la variabilité des relations, pour mieux tenir compte de l’évolution des interactions entre les enseignants et les élèves dans divers milieux éducatifs (Houssaye, 2014). Les directives du ministère montrent l’importance de mieux connaître les caractéristiques et les capacités individuelles de chaque élève, de façon à mettre en œuvre les changements requis dans l’environnement éducatif. La bataille pour sélectionner les facteurs scolaires propices à la compréhension du développement intégral de chaque enfant ne faisait que commencer.
- 1 Voir : Déclaration de Salamanque et cadre d’action pour les besoins éducatifs spéciaux, https://bi (...)
7Parallèlement aux bouleversements de la pratique, la compréhension du fonctionnement individuel a été ciblée comme priorité pour mieux connaître le champ de savoirs en rapport avec le handicap, la santé humaine, le développement humain. Grâce aux formations offertes, plusieurs enseignants ont progressivement banni de leur langage des clichés stigmatisants dans la description du handicap. Certains professionnels ont commencé à formuler aisément des arguments valables abondant dans le sens de l’acceptation et de la reconnaissance des différences. Dans la continuité des recommandations issues de la Déclaration de Salamanque de l’Unesco (1994)1, l’étude des besoins éducatifs spéciaux des élèves vivant avec une déficience intellectuelle est devenue un domaine d’expertise et de spécialisation prisé en sciences de l’éducation et en psychologie.
8C’est ainsi que depuis 1996, la recherche sur les « pédagogies spéciales » a hérité d’une tâche colossale pour définir des principes appropriés, proposer une méthodologie adaptée et promouvoir une terminologie spécifique, afin d’attirer l’attention sur les « capacités préservées », les « capacités individuelles », les « besoins individuels » et le « soutien à l’apprentissage ». À un stade avancé de notre recherche, ces efforts se sont concrétisés et ont facilité le renouvellement des activités, des moyens et des ressources, ainsi que la réalisation de nombreuses pratiques éducatives inclusives. Ces changements vont au-delà de l’évolution théorique et pratique telle que définie par la loi. Ils se vérifient sur le terrain en tenant compte des aptitudes des personnes concernées. Ils ouvrent ainsi la voie à l’acceptation, à la compréhension et au soutien des différences individuelles. Ils aident aussi à accélérer la création d’environnements accessibles et adaptés, au profit des personnes vivant avec un handicap, grâce à leur participation active et leurs initiatives au sein de la communauté…
Les caractéristiques ci-après semblent privilégiées dans les environnements d’apprentissage : la flexibilité et l’adaptabilité, l’attrait et l’attractivité, la disposition à l’acceptation et à l’inclusion, l’accessibilité à tout moment et en tout lieu. Comme le rappelle Paour (1991), l’environnement joue un très grand rôle. Il peut être modifié par n’importe quel acteur, y compris l’enseignant, afin de limiter les obstacles à l’apprentissage des élèves. La réussite des élèves dépend également de la disponibilité et de l’accessibilité des ressources, pour que les conditions d’apprentissage soient réunies – selon le type d’activité et les capacités individuelles identifiables (Rocque et Langevin, 1995).
L’interaction des élèves déficients intellectuels avec leur environnement éducatif crée un continuum de relations et processus naturels ; elle oriente le sens de la cohérence, de l’harmonie et de la réciprocité. L’acceptation mutuelle finit par s’imposer comme une conséquence logique. L’élève va forcément apprendre à se connaître, même si ces processus ne sont pas automatiques. La responsabilité de guider ce processus éducatif, par rapport à l’organisation et à la régulation des relations sociales, incombe aux enseignants et aux professionnels de l’éducation.
Il s’est avéré utile de faire appel au concept de développement humain de Bronfenbrenner, en l’appliquant au contexte de la situation pédagogique inclusive. Le résultat fonctionnel de l’interaction active avec l’élève présentant une déficience intellectuelle et/ou un trouble du développement, dans tout environnement éducatif et dans toute participation à l’apprentissage, se transforme progressivement en un facteur indépendant. L’interaction éducative est un puissant facteur de progrès, de développement.
Par ailleurs, la gestion du temps s’impose aussi comme un facteur significatif. Il s’agit du temps au cours duquel les résultats du développement se produisent, tel qu’observé dans les épisodes d’interaction entre l’élève et son environnement. Les changements produits entraînent des résultats spécifiques, observés à un moment déterminé (Härkönen, 2007 ; Bronfenbrenner, 2002).
La prise en compte de tels modèles permet d’observer les capacités, les routines, les connaissances formulées et les compétences individuelles tout au long du processus d’apprentissage.
C’est l’enseignant, grâce au choix des contenus éducatifs et outils didactiques sélectionnés, qui introduit dans le processus d’enseignement des valeurs de reconnaissance, de respect et de confiance. L’enseignant rend visible le soutien au climat d’apprentissage dans sa classe et aux actions menées. Il renforce son soutien et ses relations avec l’élève déficient intellectuel. Enfin, il facilite l’acquisition de connaissances, d’aptitudes et de compétences, tout en stimulant régulièrement la participation active, partielle ou totale, de son élève. Par ailleurs, il est nécessaire de proposer un plan stratégique dans lequel les différents rôles sont joués. Les stimuli de soutien devraient conduire à un résultat spécifique bien identifié (Fidosieva, 2019).
En définitive, les approches accompagnant les transformations de pratiques éducatives auprès des élèves déficients intellectuels mettent l’accent sur la modification de l’environnement et le soutien à l’apprentissage. Elles permettent de visualiser les relations observées et de constater les changements qui s’y produisent. Elles aident aussi à voir comment améliorer les processus d’apprentissage, pour mieux comprendre le fonctionnement adapté aux capacités et identifier les compétences individuelles des élèves. La priorité est donnée aux déterminants externes, ainsi qu’aux relations systémiques entre l’école, les enseignants, les élèves et leurs partenaires.
9Centrée sur la transition vers l’éducation inclusive en Bulgarie, la méthodologie adoptée exigeait de prêter attention aux tendances particulières du développement global des élèves déficients intellectuels. Ce projet passait par une étude exploratoire. Il s’agissait d’observer les pratiques et d’analyser les situations de trente écoles (dans la première phase), puis de cinquante écoles (dans la deuxième phase). Chaque école a organisé ses propres activités en vue de soutenir le développement intégral de ses élèves. C’est grâce à ces activités qu’il a été possible d’illustrer différents cas d’avancement et d’inclusion scolaire. À partir de ces expériences en milieu scolaire, plusieurs questions ont été soulevées, dont deux méritent d’être mises en évidence :
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Comment le soutien pédagogique inclusif apporté par les enseignants aux enfants s’est-il concrétisé ?
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Comment l’enseignant-chercheur applique-t-il les méthodes, les moyens choisis de manière différenciée en fonction des besoins individuels et des capacités individuelles des enfants, pour favoriser leur réussite ?
10Les hypothèses générales formulées ont tourné autour des conditions d’adaptation, de fonctionnement et d’interactivité à créer dans l’environnement éducatif, ainsi que dans le soutien à l’apprentissage. Des tendances significatives devraient apparaître pour mieux expliquer le développement global des élèves. Par ailleurs, un programme d’activités visant à évaluer les transformations des environnements et des pratiques d’éducation a été mis en œuvre. Toute recherche de solutions à des problèmes spécifiques passait ainsi par la formation des enseignants, la sensibilisation professionnelle, l’évaluation fonctionnelle des capacités des individus, le suivi des besoins d’apprentissage, l’élaboration d’un plan de soutien individualisé…
11L’échelle d’évaluation du processus d’intégration scolaire (PIS), l’échelle Autism Treatment Evaluation Checklist (ATEC), ainsi que le programme d’évaluation intitulé Autism Quality Indicator constituent des outils exploités pour mieux nommer les stratégies pédagogiques et les objectifs éducatifs pour les élèves présentant une déficience intellectuelle et/ou un trouble du spectre autistique. Cette approche a permis de montrer les liens entre les composantes de nature organisationnelle, méthodologique, éducative et sociale, ainsi que le degré présumé de leur interaction. Enfin, l’échelle PIS a permis d’améliorer la planification thématique des situations d’interaction pédagogique. Elle a aussi facilité l’implication de différents partenaires et l’observation des modalités d’accompagnement.
12Ces expériences ont permis d’identifier des solutions possibles aux problèmes organisationnels, pédagogiques et sociaux. Elles ont aidé à confirmer l’influence mutuelle entre l’école, les enseignants et les élèves. Les connaissances acquises par la pratique ont aussi permis d’élargir une vision particulière concernant la complexité des phénomènes étudiés. Des informations d’ordre empirique ont été obtenues sur le processus de transition pour passer des pratiques ordinaires à des pratiques inclusives. Elles offrent une occasion intéressante de montrer comment un environnement éducatif inclusif est, à tout point de vue, un écosystème en constante amélioration (Garbacheva, 2014). Pour que l’environnement éducatif soit fonctionnellement adapté et interactif, un certain nombre de transformations internes sont nécessaires. L’observation des écoles a surtout permis de dresser un état des lieux de la préparation des écoles bulgares à la transition vers l’inclusion. Les critères et indicateurs définis pour les catégories « adaptation » et « collaboration » (échelle PIS), en rapport avec la disponibilité et le fonctionnement d’un ensemble de ressources (matérielles, didactiques, sociales et psychologiques), indiquent le besoin de ressources supplémentaires.
13Les résultats montrent de manière convaincante des exemples appropriés d’organisation du processus d’inclusion des élèves présentant une déficience intellectuelle. Les caractéristiques de l’école en transformation sont présentées en fonction des facteurs « adaptation » et « collaboration ». Le changement le plus significatif concerne l’importance accordée à la collaboration entre enseignants, enseignants-ressources, spécialistes pédagogiques, parents et autres non-spécialistes, mais aussi à la collaboration avec des partenaires externes et des non-spécialistes (parents, amis, bénévoles). Un phénomène qui mérite d’être davantage étudié est le rôle capital de l’action des « amis » des élèves handicapés dans la classe. Ce rôle dépasse en importance celui de l’enseignant-ressource.
14Par ailleurs, le facteur « adaptation » comprend trois composantes : l’adaptation de l’environnement éducatif (cadre, ressources, matériel et didactique), l’adaptation de l’enseignement (organisation du temps et de l’espace, planification, méthodes pédagogiques) et l’évaluation. Le changement le plus significatif est observé dans l’adaptation de l’apprentissage, montrant même sa pertinence en dehors de la classe et de l’école (Garbacheva, 2014 et 2015).
15Dans ce sens, l’importance de l’adaptation de l’environnement éducatif se confirme. Elle porte sur les aspects suivants : planification de la structure et de l’organisation de l’environnement, préparation du cadre et choix de l’équipement, programme d’enseignement individuel, égalité des chances, participation, consultation des spécialistes, matériel visuel, matériel pour le jeu, méthodes d’évaluation, horaires visuels dans la classe, environnement physique, activités d’enseignement par les pairs, etc.
16L’adaptation de l’apprentissage-enseignement repose sur les méthodes et outils pédagogiques, sur les moyens de collaborer avec l’élève tout au long de la leçon, la collaboration entre les élèves, le maintien des relations professionnelles avec les enseignants-ressources.
17La réussite des élèves handicapés passe par la mise en œuvre de plusieurs composantes qui ont le plus de poids, d’après les résultats : soutien de systèmes de communication fonctionnels, encouragement des interactions sociales, développement des compétences scolaires, professionnelles et autodétermination, possibilités de communication et de participation active, activités appropriées… L’attention porte sur l’atteinte des résultats aux différents niveaux d’apprentissage des élèves. La communication est importante pour atteindre la réussite. Dans ce sens, le rôle de la communication et de l’échange d’informations est prédominant dans le processus d’apprentissage, dans les relations sociales et dans l’interaction globale.
18Le rôle de l’environnement ainsi que celui des professionnels sont déterminants pour le développement du potentiel individuel et la satisfaction des besoins.
19Au cours de cette étude, les ressources bioécologiques ont été opérationnalisées en termes de : 1) capacités ; 2) expérience ; 3) connaissances et compétences ; 4) besoin de soutien. Il est nécessaire d’avoir une interaction pédagogique basée sur l’esprit d’innovation, ainsi que sur l’expérimentation et l’apprentissage coopératif. L’enseignant est mis au défi de faire preuve de souplesse et de créativité dans l’organisation, la structuration du temps et celle de l’espace pédagogique.
20Il est également nécessaire de prévoir des activités d’apprentissage coopératif, des pratiques à caractère social, des activités d’influence mutuelle, de soutien, de conseils pour effectuer des tâches… des activités centrées sur l’acceptation en classe des enfants déficients intellectuels.
21Malgré les efforts constatés dans toutes les écoles ciblées, il est courant d’entendre des critiques et déclarations selon lesquelles les enfants sont abandonnés à eux-mêmes ou « jetés au fond de la classe ». Les observations directes n’ont pas permis de relever de tels constats.
22L’adaptation de l’apprentissage demande aussi des innovations en matière de méthodes d’enseignement. Il faut trouver de nouvelles solutions pour la participation des élèves déficients intellectuels à toutes les activités scolaires (Garbacheva, 2014 et 2015).
23Enfin, l’influence d’un environnement éducatif adapté se confirme. Elle dépend du type d’apprentissage, de l’accompagnement fourni, du niveau de développement individuel et de l’autonomie atteinte.
24La transformation des pratiques scolaires et la transformation de l’institution éducative en une école inclusive sont un processus qui nécessite une compréhension approfondie des facteurs pouvant influencer le développement de la personnalité et la réussite des élèves déficients intellectuels. Des études tendent à se multiplier aujourd’hui, notamment en sciences de l’éducation et en psychologie, dans le but de favoriser une compréhension approfondie de facteurs spécifiques. Cet article ne donne qu’un aperçu de ces facteurs ; il en présente des aspects positifs, en particulier ceux qui ont une influence bénéfique sur l’école en tant que lieu où chacun peut réussir, ainsi que sur la réussite des élèves eux-mêmes.
25Chaque école est vue comme un organisme vivant qui fonctionne de manière unique et singulière. Toutefois, certains principes universels facilitent sa transformation inclusive.
26Le rôle des enseignants est une composante essentielle du développement de l’autonomie sociale des élèves déficients intellectuels. Il aide entre autres à souligner l’importance de préparer un matériel didactique diversifié et adapté. Il aide aussi à comprendre la nature spécifique de chaque tâche d’enseignement-apprentissage. Au-delà des données accumulées dans ce projet, l’ensemble des expériences d’inclusion apporte surtout du soutien aux élèves. Ces expériences s’accompagnent d’émotions positives et appellent des signes de reconnaissance au sein de la communauté. Plusieurs enseignants, parents et élèves ont par exemple parlé de l’ambiance générale en tant que source de bonheur ; certains ont parlé en effet du bonheur d’être accepté et compris. D’autres parlent aussi d’une expérience marquante dans leur propre reconstruction en tant que personne.
27En définitive, comme le confirme la présente étude, les conditions à réunir sur le chemin de l’école inclusive comprennent des facteurs incontournables tels que : le respect, l’acceptation des différences, l’individualisation de l’enseignement, la différenciation des contenus et des tâches éducatives, la diversification des approches pédagogiques, le suivi des principes d’égalité et d’équité, etc. C’est sur ces bases que repose l’essor de différentes interactions pédagogiques.