1Les organisations internationales et les enquêtes qu’elles organisent régulièrement, tout comme les recherches en éducation, ont progressivement fait apparaître le bien-être comme une condition nécessaire au succès des apprentissages. L’essai de Christophe Marsollier s’appuie sur une lecture fine de textes de chercheurs de différents pays, d’enquêtes et de recommandations internationales pour appeler à développer l’attention aux vulnérabilités des élèves. Si les lecteurs sont familiers des rapports de l’Unicef ou de l’OCDE, des enquêtes Pisa ou Talis, l’auteur met en lumière quelques constats confirmés au fil des années par ces diverses sources.

2Le premier constat est de montrer que les vulnérabilités des élèves ne concernent pas les seuls élèves en situation de handicap, mais des élèves en bien plus grand nombre. Parmi les vulnérabilités auxquelles il faut prêter attention, la pauvreté est l’une des plus répandues, puisque, dans un pays comme la France, elle touche un élève sur cinq. L’expérience multidimensionnelle du manque, de la privation, marque l’enfant et l’adolescent de manière durable : privation matérielle et alimentaire, privation de droits, stigmatisation sociale, maltraitance institutionnelle, expérience répétée de l’humiliation, dégradation de la santé physique et psychologique ruinent toute possibilité d’égalité des chances et altèrent formidablement la possibilité de réussir à l’école.

3Le deuxième constat, c’est que cette vulnérabilité d’origine sociale se combine à une vulnérabilité à l’égard de la violence éducative ordinaire, dans le milieu familial comme dans le milieu scolaire. Facteurs externes à l’école – comme les violences et emprises parmi les pairs et/ou au sein de la famille – et facteurs internes à l’école – comme les violences entre élèves, les rejets, les injustices scolaires – se conjuguent pour affaiblir les élèves concernés.

4Le troisième constat mis en lumière par l’auteur mesure « les dégâts de la violence pédagogique ordinaire », qui va de l’obligation de rester assis des heures durant, de devoir écouter sans poser de question, aux humiliations au travers des notes, commentaires et appréciations négatives, en passant par les évaluations surprises, l’interdiction de discuter une note, la compétition permanente où seule la réussite est admise, et les comparaisons désavantageuses entre élèves.

5L’auteur plaide donc pour une école qui s’attache à accroître le bien-être de tous ses élèves et des enseignants attentifs à la qualité de la relation éducative. Il signale les leviers sur lesquels s’appuyer pour progresser dans cette voie : disponibilité pour l’écoute des élèves, marques de confiance, signes de considération, aide à la connaissance de soi, activités éducatives sont autant d’attitudes utiles pour respecter les besoins fondamentaux des enfants et adolescents. Plus généralement, il s’agit pour tous les éducateurs d’acquérir et de pratiquer une éthique relationnelle qui conduit l’éducateur à « se placer du côté de l’autre », comme le proposent Philippe Meirieu et Paul Ricœur. Exigence bienveillante et patience se traduisent par la suspension du jugement pour faire aux élèves des retours constructifs sur leurs difficultés, en considérant chacun comme une personne, au-delà de ses résultats. Pour aller plus loin encore, il est possible de transformer en force les vulnérabilités, en introduisant avec les élèves cinq réciprocités : confiance, respect, écoute, engagement, droit à l’erreur. Cela nécessite de donner consistance à des espaces de paroles et d’échanges réels. Au travers de cette démarche se dessinent les connaissances, capacités et attitudes professionnelles contribuant à l’accompagnement bienveillant des vulnérabilités et au renforcement des compétences psycho-sociales des enseignants et des élèves. Les compétences de vie jouent dès lors un rôle central dans la formation des enseignants comme dans celle des élèves, et non les seules compétences académiques.

6Christophe Marsollier se livre à un examen critique d’une sorte de déni collectif, l’ordre scolaire symboliquement et culturellement installé rejetant hors de la conscience des acteurs l’univers émotionnellement violent constitué par l’école : sentiments destructeurs, empêchements provoqués par la peur, injustices scolaires sont apparus dans de multiples enquêtes internationales et nationales qui soulignent leur prégnance variable selon les pays. L’auteur est ainsi conduit à mettre en lumière l’injustice d’un curriculum caché dont il dresse la liste impressionnante : apprendre à supporter le jugement des autres, à ne pas perdre la face, à construire une façade, à ne pas crier, à dissimuler, à être docile sans en avoir envie, à faire sa place, à bachoter, à ne pas s’émouvoir d’évaluations surprises, à vivre une compétition permanente… À la lecture de cet essai, on est sensible à la dimension systémique de la « violence pédagogique ordinaire », dimension qui dépasse largement le cadre de la responsabilité du professeur ou de l’équipe éducative. Le système de l’évaluation des élèves, de leur orientation dans les diverses voies de formation, les dispositifs de certification, d’accès de l’enseignement scolaire à l’enseignement tertiaire, méritent d’être examinés au crible des vulnérabilités des élèves.

7Considérer l’école et l’expérience scolaire qu’y vivent les élèves sous ce prisme est un exercice salutaire, qui peut, si l’on va au bout de l’examen, donner les clés du changement souhaitable pour que tous les élèves réussissent vraiment et sortent de leur formation scolaire équipés des savoirs indispensables pour affronter la complexité du monde. Cet essai contribue clairement à cette prise de conscience.