Navigation – Plan du site

AccueilNuméros92Actualité internationaleNotes de lectureJean-François Dupeyron, Michel Fa...

Actualité internationale
Notes de lecture

Jean-François Dupeyron, Michel Fabre, Céline Chauvigné (coord.), dossier « Éduquer pour un avenir incertain : la fin de l’école prométhéenne ? »

Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation (Arphé), no 2, 2021 [en ligne] https://bit.ly/3WBwVfQ
Roger-François Gauthier
p. 38-40
Référence(s) :

Jean-François Dupeyron, Michel Fabre, Céline Chauvigné (coord.), dossier « Éduquer pour un avenir incertain : la fin de l’école prométhéenne ? », Annuel de la recherche en philosophie de l’éducation (Arphé), no 2, 2021 [en ligne] https://bit.ly/3WBwVfQ

Entrées d’index

Palabras claves:

filosofía de la educación
Haut de page

Texte intégral

  • 1 Tous les articles cités en notes de bas de page sont issus de ce dossier.

1La société francophone de philosophie de l’éducation (SOFPHIED) a consacré sa livraison 2021 à un ensemble de questions émergeant autour du thème de l’incertitude, avec vingt et un articles1 coordonnés par Jean-François Dupeyron, Michel Fabre et Céline Chauvigné. Alain Kerlan, directeur de la publication, s’interroge dans l’éditorial :

Que signifie, pour l’éducation, l’entrée de notre civilisation dans un monde qu’il est désormais impossible de considérer comme une ressource inépuisable ? Quelles questions l’« avenir incertain » pose-t-il à l’éducation ? Sont-elles nouvelles ? Comment sommes-nous ou non équipés pour y répondre ?

  • 2  Voir l’article de J.-S. Fonseca de Carvalho, « L’école prométhéenne : un héritage que les lumières (...)

2C’est autour de la question du rapport entre l’éducation et le temps que les choses se nouent : l’incertain, d’une part, risque de nous éloigner de l’héritage (héritage qui constituait l’essentiel de l’éducation et prétendait nous libérer du seul présent !) mais d’autre part, l’idée de préparer à un futur justement si incertain ne signifie peut-être pas grand-chose… Toute la relation à l’ensemble passé/présent/avenir fait difficulté parce que celle qui existait s’est écroulée sans remplacement. L’école dite prométhéenne2, c’est-à-dire celle qui, après les Lumières, s’est construite autour de la sacralisation du progrès technique (qui permit l’industrialisation, puis exigea les nationalismes, comme les conquêtes coloniales), n’étant plus acceptable (encore que n’ayant pas été dénoncée), il n’y a plus de discours sur le futur disponible. On se retrouve replié sur un présent furtif qui ne s’intéresse qu’à lui-même et aux compétences immédiatement nécessaires, que l’éducation n’a qu’à « manager » au mieux. Le passé, de son côté, n’a pas été reconsidéré : le grand récit fait aux enfants n’a pas été remis en cause comme il l’aurait dû après que le xxe siècle nous a montré que la raison totalitaire comme la science sans conscience pouvaient déboucher sur Auschwitz et sur Hiroshima.

  • 3  Voir Christophe Point, « Prendre soin du monde et de l’adolescent : un nouveau défi pour l’univers (...)

3Le personnage de Greta Thunberg est évoqué dans plusieurs articles3. Les interventions vibrantes de la jeune militante suédoise représentent sur cette question des temps une curieuse inversion : c’est la jeune génération qui fait la leçon à celle qui est aux affaires. Et de façon injonctive, qui ne se limite pas à souhaiter une école qui enseignerait d’autres choses en rapport avec l’exigence écologique, mais qui énonce qu’il s’agit bien de politique à faire (« Nous ferons nos devoirs quand vous ferez les vôtres ») ! C’est une question délicate : l’école doit-elle ou non s’aventurer là ? Et si oui, comment ? Car l’ancien discours voulant, avec Condorcet, séparer instruction et éducation, et ne confiant à l’école que la première, discours qui rejoint les thèmes chers à Hannah Arendt insistant sur l’école comme lieu de protection du monde, est présent dans plusieurs articles. Alors que, précisément, l’urgence des temps conduit à chercher une autre solution à la question de l’apprentissage, par les élèves, d’un monde dont il ne convient plus désormais de les protéger, parce qu’ils exigent eux-mêmes de le comprendre et de faire ce qui pourrait le rendre durablement vivable. Il s’agit bien d’une politique à inventer, au sein de l’École, comme science des relations entre l’homme et les vivants, comme entre les vivants entre eux et avec le milieu.

  • 4  Voir Stéphanie Péraud-Puigségur, « La grenouille, la vache et le koala. Que faire de la question a (...)
  • 5  Voir Jean-Marc Lamarre, « L’éco-émancipation : penser l’émancipation en lien avec la responsabilit (...)
  • 6  Michel Fabre, « Éduquer dans l’horizon de la catastrophe. Hans Jonas et la problématicité radicale (...)
  • 7  Voir Renaud Hétier, « Pour une éducation profonde en anthropocène ».

4Et c’est donc bien sur un ensemble mi-cognitif mi-éthique que les auteurs ont avancé diverses propositions. Le rapport homme/animal, et même homme/nature, est décrit à la fois dans ses insuffisances curriculaires contemporaines (l’animal, dans certains programmes, reste proche de celui défini par Descartes de la façon dualiste que seule lui permettait le contexte religieux4) et dans son empreinte culturelle profonde, l’émancipation cartésienne par la raison ayant aussi servi à ceux qui étaient « comme maîtres et possesseurs de la nature » à définir divers couples dominants/dominés5. L’hégémonie de la raison et le régime de technoscience qu’elle a induit ont conduit aussi bien à des solutions politiques totalitaires, à la répression des différences, qu’à la catastrophe environnementale présente6. À la place, des propositions sont faites en direction d’une éducation profonde des enfants à la sensibilité, à la vie, à l’altérité, les conduisant à un « émerveillement » qui, fondamentalement, s’oppose à bien des enseignements actuels tournés trop exclusivement vers l’obtention de résultats et la quantification des phénomènes7.

  • 8  Voir Jean-François Dupeyron, « Éducation, voyage et Éthique anthropocénique ».
  • 9  Voir Patricia Verdeau, « Curriculum, continuités, discontinuités, ou la prise en compte d’une ince (...)

5Une autre question posée aux enfants est celle de savoir quelle doit être la part du comportement personnel, moral, dans tout cela. De toute évidence, les « tomates sur le balcon » ne suffisent pas. Pour Dupeyron, il s’agit de quelque « grande éthique, cette approche inscrivant la tension éthique dans le cadre général d’une forme collective de vie, par opposition à la ˝petite éthique˝ centrée sur les individus8 ». L’irruption de la responsabilité et de son enseignement est sans doute parmi les novations centrales auxquelles on arrivera certainement. Ce qui peut conduire à se demander si, dans un curriculum comme celui de la France, les « éducations à » aujourd’hui ancillaires9 et traitées quand on trouve le temps et les compétences ne sont pas promises à devenir le cœur même du curriculum ?

6Ne va-t-on pas par ailleurs aussi vers une éducation qui ne serait plus sûre d’elle comme elle l’a été quand elle était religieuse ou quand elle fut « prométhéenne » ? Ne faut-il pas donner tout son poids à la réflexion de Martine Meskel-Cresta, écrivant que « l’idéal de l’éducation ne peut faire sens qu’en étant lieu de mise en question des savoirs qu’elle dispense » ?

Haut de page

Notes

1 Tous les articles cités en notes de bas de page sont issus de ce dossier.

2  Voir l’article de J.-S. Fonseca de Carvalho, « L’école prométhéenne : un héritage que les lumières nous ont légué sans testament ».

3  Voir Christophe Point, « Prendre soin du monde et de l’adolescent : un nouveau défi pour l’université », et Céline Chauvigné, « Comment les jeunes générations pensent et refont le monde ? Le cas de Greta Thunberg ».

4  Voir Stéphanie Péraud-Puigségur, « La grenouille, la vache et le koala. Que faire de la question animale à l’école à l’anthropocène ? ».

5  Voir Jean-Marc Lamarre, « L’éco-émancipation : penser l’émancipation en lien avec la responsabilité envers la nature ».

6  Michel Fabre, « Éduquer dans l’horizon de la catastrophe. Hans Jonas et la problématicité radicale du monde ».

7  Voir Renaud Hétier, « Pour une éducation profonde en anthropocène ».

8  Voir Jean-François Dupeyron, « Éducation, voyage et Éthique anthropocénique ».

9  Voir Patricia Verdeau, « Curriculum, continuités, discontinuités, ou la prise en compte d’une incertitude problématique de l’anthropocène ».

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Roger-François Gauthier, « Jean-François Dupeyron, Michel Fabre, Céline Chauvigné (coord.), dossier « Éduquer pour un avenir incertain : la fin de l’école prométhéenne ? » »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 92 | 2023, 38-40.

Référence électronique

Roger-François Gauthier, « Jean-François Dupeyron, Michel Fabre, Céline Chauvigné (coord.), dossier « Éduquer pour un avenir incertain : la fin de l’école prométhéenne ? » »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 92 | avril 2023, mis en ligne le 01 avril 2023, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/13635 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.13635

Haut de page

Auteur

Roger-François Gauthier

Roger-François Gauthier, agrégé de lettres classiques et ancien élève de l’École nationale d’administration, est inspecteur général honoraire. Docteur en sciences de l’éducation, il est membre du comité de rédaction de la Revue internationale d’éducation de Sèvres. Délégué général du Comité universitaire d’information pédagogique (CUIP), il anime un collectif de recherche sur la question du curriculum. Courriel : erefgauthier[at]gmail.com

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search