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Dossier - La santé à l’école

Enquêtes par auto-questionnaire au service de la santé à l’école : EnCLASS, un exemple français

Self-assessment for school health: EnCLASS, a French example
Encuesta por auto-cuestionario al servicio de la salud en la escuela: EnCLASS, un ejemplo francés
Emmanuelle Godeau, Mariane Sentenac, Cynthia Hurel et Virginie Ehlinger
p. 149-158

Résumés

L’enquête française EnCLASS est le rapprochement unique en Europe de deux enquêtes internationales de santé conduites en milieu scolaire (HBSC et ESPAD). L’article nous montre l’intérêt de ces enquêtes pour éclairer les politiques publiques, à partir de l’exemple de l’analyse du harcèlement des collégiens de 3e en situation de handicap. Une articulation entre enquêtes, santé et école est nécessaire, dans une approche par milieu de vie qui doit rassembler toutes les parties prenantes concernées par la promotion de la santé des adolescents (chercheurs, professionnels de l’éducation, de la santé ou du social, parents et adolescents eux-mêmes).

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Texte intégral

1En coopération avec les professionnels de la santé et de l’éducation, les chercheurs ont un rôle important à jouer pour documenter les comportements de santé, du point de vue des adolescents, pour aider l’orientation des politiques publiques liées à leur santé et plus largement éclairer toutes les parties prenantes.

2En intégrant les dimensions multiples de la santé – comprenant le vécu scolaire – et leurs déterminants – comprenant le milieu scolaire –, les enquêtes nationales et internationales conduites directement auprès des élèves permettent de donner à voir des normes médicales et scolaires, mais aussi des normes des adolescents eux-mêmes. Nous montrerons dans cet article la place de l’École dans ces enquêtes de santé et illustrerons, au travers de l’exemple de l’analyse du harcèlement des collégiens en situation de handicap à partir de l’enquête française EnCLASS, l’intérêt de ces enquêtes pour éclairer la pratique des professionnels ainsi que les politiques publiques, qu’elles soient éducatives ou de santé.

L’enquête Health behaviour in school-aged children, une initiative internationale

3L’enquête Health behaviour in school-aged children1 (HBSC) a été initiée en 1982 par des chercheurs de trois pays (Norvège, Finlande et Angleterre), en réponse à un besoin de recherche alors non couvert : décrire de manière fiable, en Europe, les comportements de santé des adolescents et leurs déterminants, dont l’École. La première nouveauté résidait dans la perspective globale et positive adoptée, renvoyant à la définition de la santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1946. La deuxième était la volonté d’interroger directement les élèves de 11, 13 et 15 ans sur leur bien-être et leurs styles de vie, en accordant crédit à leurs réponses, plutôt que de solliciter leurs parents, leurs enseignants ou leurs interlocuteurs de santé. La troisième résidait dans l’organisation de la collecte en classe. Devant l’intérêt de la démarche et son originalité, l’OMS a soutenu l’enquête dès 1983, faisant depuis lors d’HBSC une étude collaborative de l’OMS. Rien d’étonnant à ce qu’en 1985, pour la seconde vague de l’enquête, treize pays ou régions aient participé (Currie et al., 2009).

  • 2  Sociologie, psychologie, santé publique, sciences de l’éducation, épidémiologie, biologie humaine, (...)
  • 3  Albanie, Allemagne, Angleterre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croati (...)

4Depuis bientôt quarante ans, cette enquête permet d’observer finement la dynamique de l’adolescence dans une perspective développementale, rendant compte de toute sa complexité et sa diversité. Désormais plus de quatre cents chercheurs de disciplines variées2, basés dans quarante-neuf nations3 de la région Europe de l’OMS et au Canada, constituent le réseau international HBSC, toujours sous l’égide de l’OMS. Le modèle conceptuel s’est complexifié, mais reste fondé sur les premiers principes, valeurs et méthodes : échantillons nationaux représentatifs, développement international des questions, auto-questionnaires anonymes et confidentiels en classe, respect des réponses des adolescents, approche interdisciplinaire et systémique de leur santé.

  • 4  OEDT : Observatoire européen des drogues et des toxicomanies.

5Les résultats de l’enquête HBSC permettent aux pays membres et aux parties prenantes, aux niveaux national et international, de surveiller les évolutions de la santé des adolescents, d’en comprendre les déterminants sociaux et de mieux cibler les interventions efficaces pour améliorer leur santé et leur bien-être. HBSC apparaît comme une vaste banque de données internationale et une immense ressource d’expertise multidisciplinaire, en termes de recherche, de plaidoyer, d’analyse des politiques publiques et des pratiques. Au-delà de l’OMS, qui mobilise régulièrement les constats d’HBSC pour ses activités dans la région Europe (conférences ministérielles, rapports généraux ou thématiques…), de nombreux organismes internationaux y recourent pour répondre à leurs priorités (Unicef, OCDE, OEDT4…).

L’enquête EnCLASS, une construction française

6La France participe à l’enquête HBSC depuis 1994, dans un échantillon national représentatif depuis 2002. Initialement pilotée par le Comité français d’éducation pour la santé, l’enquête française a rapidement été conduite depuis l’éducation nationale, plus précisément depuis le service médical du rectorat de Toulouse, en lien avec une unité Inserm toulousaine. Cette organisation, spécifique à la France, témoigne des liens privilégiés entre cette recherche et l’École. C’est désormais depuis l’École des hautes études en santé publique (EHESP) que HBSC France est conduite, en partenariat avec l’équipe SPHERE du CERPOP (UMR Inserm 1295), le lien avec le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports (MENJS) étant toujours central.

7Mais c’est le rapprochement unique en Europe des enquêtes HBSC et European School Survey Project on Alcohol and other Drugs (ESPAD) en France que nous voudrions maintenant présenter. Depuis 1999, la France, sous la coordination de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) en partenariat avec une unité de recherche (CESP, UMR Inserm 1178), participe à cette enquête. Réalisée avec l’appui de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), ESPAD se déroule également en milieu scolaire tous les quatre ans, auprès d’adolescents de 16 ans, dans une quarantaine de pays européens, selon un protocole commun. Le questionnaire anonyme et confidentiel porte sur la santé et surtout les comportements à risques comme les consommations de substances psychoactives (tabac, alcool, cannabis, etc.).

8En France, après une période de relative concurrence (pour l’accès aux établissements scolaires et aux financements), les enquêtes HBSC et ESPAD se sont progressivement rapprochées, à partir de 2006. Dès 2010, la sélection des échantillons a été harmonisée et élargie à l’ensemble des adolescents scolarisés au collège (HBSC) et au lycée (ESPAD). L’objectif partagé et consolidé était de mieux observer l’évolution des comportements de santé et notamment la diffusion de l’usage des produits psychoactifs chez les adolescents au fil de leur parcours scolaire. C’est finalement en 2018, avec l’Enquête nationale en collège et en lycée chez les adolescents sur la santé et les substances (EnCLASS) que le rapprochement des deux enquêtes s’est matérialisé pleinement par la réalisation simultanée d’EnCLASS de la 6e à la terminale, suivant une méthodologie partagée (échantillonnage et principaux indicateurs). Désormais EnCLASS fournit tous les deux ans des données sur les comportements de santé (dont les usages de substances psychoactives), la santé perçue, le bien-être des élèves du secondaire et leurs principaux déterminants dans une perspective de santé publique et de suivi des politiques publiques au niveau national, tout en fournissant des données pour alimenter les deux bases de données internationales.

Mesurer les comportements de santé et le bien-être des adolescents par auto-questionnaires

9L’adolescence est la période de la vie pendant laquelle la santé est la meilleure lorsqu’elle est objectivée à travers les indicateurs traditionnels de mortalité et de morbidité (Godeau et al., 2019). Il est donc important de prendre en considération des indicateurs plus subjectifs ou mesurant des comportements dont on sait qu’ils impactent la santé des adolescents à court, moyen et long termes. Le recours aux auto-questionnaires prend ici tout son sens : qui mieux que les élèves eux-mêmes pour nous dire comment ils se sentent, les comportements de santé qu’ils adoptent ou leur perception de l’École ? Par ailleurs, l’École est un milieu de vie primordial pour les enfants et les adolescents, ne serait-ce qu’en termes de durée de présence (rapportée à leur journée mais aussi à leur vie) et également d’interactions sociales. C’est bien en quoi l’École, dans une perspective promotrice de santé, est désormais résolument considérée comme un environnement devant avoir un impact favorable sur la santé au sens large, pour tous ses usagers, tout particulièrement dans sa dimension climat scolaire. C’est là le principal objectif de la démarche de labellisation « École promotrice de santé ». Avoir des données documentant les grands domaines qui sont constitutifs de la promotion de la santé à l’École et les axes d’action et de prévention qui y sont privilégiés (conduites addictives, activité physique et alimentation, santé sexuelle, bien-être…) permet indiscutablement d’éclairer les politiques publiques en prenant directement le pouls des bénéficiaires.

10En outre, collecter des données en milieu scolaire présente plusieurs avantages : solliciter des enfants ou adolescents de la tranche d’âge considérée (du moins jusqu’à la fin de l’obligation scolaire) quelles que soient leurs origines sociales ou culturelles ; respecter l’anonymat et la confidentialité nécessaires grâce à des garanties éthiques plus faciles à appliquer en classe que par exemple au domicile ; enfin, mobiliser les établissements et les personnels pour des passations dans un cadre relativement univoque et sécurisé. Finalement, dimension rarement prise en considération, et pourtant importante, le pouvoir de réflexivité des auto-questionnaires dans des domaines peu considérés par les adolescents : leur santé et leurs relations à la famille, comme en attestent les échanges lors des tests des questionnaires en amont de leur déploiement ou les verbatims en fin de questionnaire.

L’inclusion scolaire à l’aune du harcèlement

11Nous illustrerons l’intérêt de la collecte de données par auto-questionnaires auprès des élèves pour analyser les politiques publiques par une réflexion sur l’inclusion scolaire telle que promue par la loi dite handicap du 11 février 2005, réaffirmée par la loi du 8 juillet 2013 dite de la refondation de l’école, qui modifie notamment l’article L. 111-1 du Code de l’éducation. C’est par une perspective croisée entre le climat scolaire (documenté par le harcèlement, ainsi que les exigences et le stress liés au travail scolaire) et la santé (appréhendée par deux indicateurs subjectifs), que nous questionnerons la qualité de l’inclusion scolaire, à hauteur de collégien. Plus précisément, nous analyserons les évolutions de ces indicateurs selon le handicap ou la maladie chronique déclarés par les collégiens de 3e, en tant que les élèves relevant de cette situation ont des besoins particuliers et sont susceptibles de présenter certaines vulnérabilités s’exprimant à l’école. Seuls les élèves de 3e sont sollicités tous les deux ans et ont bénéficié d’une enquête en 2021.

12Les élèves avec un handicap sont confrontés à des risques majorés de difficultés psychosociales pendant l’enfance et l’adolescence (Yeo et Sawyer, 2005). Comparés à leurs pairs sans handicap, ils rencontrent dans leur scolarité plus de difficultés, d’échecs, de stress, de mauvais résultats et leur perception de soi est altérée, avec une capacité réduite à faire face aux exigences d’une salle de classe. S’y ajoutent une moindre fréquentation scolaire, des lacunes dans le développement cognitif, une diminution de la volonté d’apprendre, et enfin un isolement social vis-à-vis des pairs. De plus, et pour partie en lien avec ce qui précède, ces élèves sont plus susceptibles d’être victimes de harcèlement scolaire comparativement à leurs pairs sans handicap. Ces constats, qui se retrouvent dans bon nombre de pays, légitiment notre intérêt (Sentenac et al., 2012).

13En France, la prise de conscience concernant le harcèlement date de 2010 (Bellon et Gardette, 2010). Depuis, le repérage et la lutte contre le harcèlement sont affichés comme des priorités par l’éducation nationale : plans, campagnes et dispositifs se succèdent, dans l’objectif de réduire le phénomène5. En effet, les conséquences délétères du harcèlement sont largement établies, à court, moyen et long termes (Godeau et al., 2016) : perte d’estime de soi, dépression, tentatives de suicide et suicides, conduites à risque, comportements violents, absentéisme chronique, phobie, décrochage scolaire… Depuis 2013, le harcèlement et sa prévention sont inscrits dans le Code de l’éducation, et le harcèlement constitue un délit, quel que soit le cadre dans lequel il s’exerce (article 222-33-2-2 du Code pénal), réaffirmé dans la nouvelle Loi de mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire (loi 20022-299). Enfin la loi pour l’école de la confiance a rajouté un article (art. L. 511-3-1) dans le Code de l’éducation, ouvrant droit à une scolarisation sans harcèlement. Pour autant, si le handicap est identifié comme un facteur de vulnérabilité, il n’est pas, à notre connaissance, pris en considération en tant que tel dans les programmes de prévention.

14Les analyses présentées ici concernent des échantillons représentatifs des collégiens de 3e (générale et Segpa) scolarisés dans un établissement sous tutelle du MENJS, public et privé, en France métropolitaine, en 2012 (n = 4 887 élèves), 2014 (n = 4 694), 2016 (n = 3 313), 2018 (n = 2 832) et 2021 (n = 1 960). Nous analysons donc ici les réponses des 17 686 collégiens de 3e qui ont été interrogés par auto-questionnaire anonyme et confidentiel depuis 2012.

Les collégiens de 3e en situation de handicap dans EnCLASS

15Les informations concernant le handicap sont recueillies à l’aide de questions simples, s’appuyant sur une approche sans référence à une condition spécifique. On considère qu’un élève est en situation de handicap s’il répond positivement à la question : « Es-tu porteur d’une maladie chronique ou d’un handicap (comme diabète, allergie ou paralysie cérébrale) ayant été diagnostiqué(s) par un médecin ? » On notera que d’autres indicateurs complémentaires utilisés dans l’enquête ne seront pas mobilisés ici (Bouniols et al., 2020). La proportion d’élèves de 3e en situation de handicap participant à notre enquête a légèrement augmenté entre 2012 (17,5 %) et 2014 (20,4 %), pour atteindre son taux le plus bas en 2021 (15,5 %). Chez les deux sexes, cette diminution est particulièrement marquée entre 2018 et 2021. L’approche générique et le caractère déclaratif de la question comme l’évolution des profils des élèves relevant du handicap sont autant de paramètres à considérer dans l’interprétation de cette diminution contre-intuitive.

16Comparons maintenant l’évolution d’indicateurs de la santé perçue et du climat scolaire entre les collégiens de 3e en situation de handicap et les autres, au regard de l’évolution des politiques publiques concernant d’une part le handicap, d’autre part le harcèlement.

Comparaison des indicateurs subjectifs de santé

17Deux questions sont retenues ici pour évaluer la santé perçue des élèves. L’échelle de Cantril (Cantril, 1965) permet de mesurer la satisfaction par rapport à sa vie : « Voici le dessin d’une échelle. Au sommet de l’échelle, “10” est la meilleure vie possible pour toi, tout en bas, “0” est la pire vie possible pour toi. En général, où penses-tu être sur l’échelle en ce moment ? ». Dans nos analyses, un score entre 6 et 10 est considéré comme un niveau de satisfaction élevé. Les garçons déclarant une situation de handicap ont systématiquement une satisfaction globale concernant leur vie altérée par rapport à leurs pairs (2012, 79,4 % avec un niveau élevé de satisfaction vs 83,5 % chez les autres ; 77,0 % vs 84,9 % en 2021). En revanche chez les filles, la différence était moins prononcée en 2012 (78,7 % vs 79,7 %) ou en 2014 (73,0 % vs 75,9 %), mais indiscutable en 2021 (62,2 % vs 72,7 %).

18La perception globale qu’ont les élèves de leur santé est mesurée par la question : « Dirais-tu que ta santé est : excellente / bonne / assez bonne / mauvaise. » Comme dans les comparaisons internationales, nous utilisons l’indicateur « santé perçue excellente » (vs le reste). Cette question unique oblige le répondant à prendre en compte l’ensemble des domaines de son état de santé, en mettant l’accent sur des aspects qu’il estime particulièrement pertinents. Des altérations dans la perception de sa santé sont attendues notamment chez les élèves atteints d’une maladie chronique associée à certains symptômes impactant leur santé, par exemple le diabète ou l’asthme. Nous le constatons depuis que nous mesurons ces indicateurs. Ainsi, en 2012, 30,6 % des garçons et 16,7 % des filles en situation de handicap déclaraient une santé excellente vs respectivement 50,5 % et 31,4 % chez leurs pairs. En 2021, les différences observées sont du même ordre de grandeur (respectivement 32,0 % et 14,6 % vs 45,8 % et 27,2 %).

Comparaison des indicateurs du climat scolaire

19Depuis 1998 dans l’enquête HBSC, des questions relatives au harcèlement à l’école sont posées à tous les élèves, précédées d’une définition du terme. En 2018, les pays francophones se sont accordés sur la terminologie de « harcèlement » pour traduire bullying dans la question princeps développée en anglais, abandonnant le terme de « brimades » utilisé auparavant. La question permettant d’identifier les élèves victimes de harcèlement est désormais ainsi formulée : « Tous les combien as-tu été harcelé(e) par un(e) ou des élèves à l’école ces 2 derniers mois ? » Les cinq modalités de réponse vont de : « Je n’ai pas été harcelé(e) au collège ces deux derniers mois » à « Plusieurs fois par semaine ». Par ailleurs, afin de standardiser au mieux les réponses des élèves, dans tous les pays un texte introductif précède ces questions :

On dit qu’une personne est harcelée lorsqu’une autre personne, ou un groupe de personnes, lui dit ou fait de façon répétée des choses méchantes et désagréables. C’est aussi du harcèlement quand, de façon répétée, on embête une personne ou on l’exclut exprès. La personne qui harcèle a plus de pouvoir que celle qui est harcelée et lui veut du mal. Ce n’est pas du harcèlement quand deux personnes d’à peu près la même force ou de même pouvoir se disputent ou se battent.

20Des travaux conduits précédemment dans notre équipe ont montré que les élèves porteurs de handicap étaient plus souvent victimes de harcèlement scolaire, dans tous les pays étudiés, avec des écarts attribuables au contenu et à l’ancienneté des politiques inclusives et de lutte contre le harcèlement à l’École (Sentenac et al., 2012). On sait que certaines différences dans l’apparence physique ou les comportements de l’élève, des difficultés de socialisation liées à des absences fréquentes peuvent déclencher des comportements violents ou moqueurs, répétés, de certains élèves à l’encontre de leurs pairs en situation de handicap, visible ou invisible.

21Depuis le début des campagnes nationales de lutte contre le harcèlement entre élèves en 2013, nous constatons une diminution du harcèlement dans la population générale des collégiens (Godeau et al., 2020), ici considéré à travers la victimation. Entre 2012 et 2018, cette diminution s’observe dans les deux groupes d’élèves, quel que soit leur statut vis-à-vis du handicap (20,2 % de victimes chez les élèves avec handicap vs 13,5 % chez les autres, en 2018). Entre 2018 et 2021, les taux de victimation ont continué à chuter chez les élèves de 3e, mais de manière plus prononcée chez ceux en situation de handicap, entraînant de facto une diminution de la différence des taux entre élèves selon leur situation au regard du handicap.

22Deux indicateurs complémentaires participent au climat scolaire tout en étant plutôt liés au bien-être des élèves. Les exigences perçues liées au travail scolaire (mesurées à partir des réponses aux affirmations « Je trouve le travail scolaire difficile » et « Je trouve le travail scolaire fatigant », recodées en trois catégories) et le niveau de stress en lien avec le travail scolaire (« Es-tu stressé(e) par le travail scolaire ? » avec quatre options de réponses de « pas du tout » à « beaucoup ») sont autant de situations rencontrées à l’école et auxquelles les élèves en situation de handicap peuvent être particulièrement vulnérables. Nous observons une augmentation de la proportion d’élèves percevant un niveau élevé des exigences scolaires depuis 2012, sans différence notable au regard du handicap. Cette proportion est de 28,9 % en 2021 parmi les élèves en situation de handicap comparativement à 24,4 % chez leurs pairs. Par contre, les élèves en situation de handicap étaient plus nombreux à ressentir un niveau élevé de stress comparés à leurs pairs en 2018 (15,3 % vs 10,4 %). Cette proportion continue d’augmenter en 2021 chez tous les élèves, atteignant 27,5 % chez ceux se déclarant en situation de handicap.

23Enfin, entre 2018 et 2021, nous observons également une indiscutable dégradation de la santé mentale, objectivée à travers nos deux indicateurs de santé, plus particulièrement chez les filles, comme cela a été largement décrit dans tous les travaux montrant des effets délétères de la pandémie. Signalons également la majoration du stress en lien avec le travail scolaire et des exigences perçues comme excessives qui documentaient aussi le climat scolaire. On ne peut écarter l’hypothèse d’un impact inverse de la situation pandémique et surtout des confinements sur le harcèlement scolaire (par une simple diminution de l’exposition aux autres). Pour autant, la diminution observée concernant le harcèlement entre 2018 et 2021 s’inscrit dans un temps plus long qui correspond à la mise en place indiscutable de politiques publiques. Il conviendra de continuer à surveiller les taux de harcèlement d’élèves en situation de handicap, dans leur fonction de marqueur de la qualité de l’École inclusive. Les données de la nouvelle vague de l’enquête EnCLASS 2022 permettront de documenter cette préoccupation, et le cas échéant de donner des pistes d’action aux acteurs de terrain, dont la vigilance doit demeurer entière.

Graphique 1. Proportion d’élèves déclarant avoir été victimes de harcèlement au collège au cours des deux derniers mois selon le statut de handicap/maladies chroniques entre 2012 et 2021

Graphique 1. Proportion d’élèves déclarant avoir été victimes de harcèlement au collège au cours des deux derniers mois selon le statut de handicap/maladies chroniques entre 2012 et 2021

NB : les pourcentages présentés correspondent aux pourcentages pondérés, pour les enquêtes 2014, 2018 et 2021.

Que nous apprennent ces données ?

24Les analyses réalisées pour cet article documentent des liens encore trop peu explorés entre handicap/santé et harcèlement/climat scolaire reposant sur les propres déclarations des élèves.

25Elles permettent, pour commencer, de mettre en évidence un impact positif de la lutte contre le harcèlement au collège, puisque, globalement, nous constatons une diminution des déclarations de victimation chez les élèves de 3e depuis la prise en compte volontariste du harcèlement par les politiques publiques dans notre pays, alors qu’auparavant ces taux stagnaient. Des constats similaires s’opèrent dans des enquêtes comparables.

26Par ailleurs, l’augmentation affichée du nombre d’élèves relevant du handicap et scolarisés en milieu ordinaire ne permet pas une appréhension fine de leur inclusion dans le système scolaire, ou plus exactement elle ne témoigne pas de la réussite effective du virage inclusif de l’école, à hauteur de collégien. C’est en quoi la mesure de la différence dans les taux de victimation apparaît intéressante. Les taux supérieurs observés chez les élèves déclarant un handicap ou une maladie chronique renvoient à leur différence et à leur vulnérabilité, comme nous l’avons montré par ailleurs (Sentenac et al., 2012). Le constat conjoint d’une diminution globale du harcèlement subi et d’une diminution de la différence entre les deux groupes comparés est plutôt satisfaisant : les élèves en situation de handicap ont bénéficié plus encore que les autres d’une politique de tolérance zéro, sans même qu’il soit besoin de déployer des programmes spécifiques, risquant d’apparaître stigmatisants, ce qui semble témoigner d’une avancée indiscutable en termes d’école inclusive. On peut faire l’hypothèse que la diminution de cette différence est également liée à l’augmentation du nombre d’élèves en situation de handicap scolarisés, en tant qu’elle normalise leur présence à l’école, et les rend de ce fait moins vulnérables au harcèlement. On peut aussi supposer que les associations et structures qui prennent en charge les élèves porteurs de tel ou tel trouble, désormais sensibilisées à la question du harcèlement, aient conduit des actions spécifiques en ce sens (tant pour leurs bénéficiaires que pour leurs pairs).

De l’intérêt des enquêtes sur les comportements de santé en milieu scolaire

27Au-delà de l’exemple que nous avons choisi pour cet article, la valorisation des résultats doit faire partie des missions des promoteurs d’enquêtes, en complément de productions scientifiques parfois trop confidentielles. Ainsi, pour rester sur EnCLASS, les indicateurs sur la perception de l’école, le bien-être et le harcèlement selon le handicap sont mis à disposition du MENJS dans le cadre du suivi périodique des indicateurs du Projet annuel de performance communiqué au Parlement ; les indicateurs concernant les substances psychoactives vont contribuer à l’évaluation du plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 ; et divers indicateurs sont mobilisés par Santé publique France pour évaluer ses programmes. En outre, les données sont promues sur les pages ressources d’eduscol du MENJS dédiées à l’École promotrice de santé, onglet « Je souhaite connaître les statistiques autour de la santé6 ». Des fiches thématiques simples, libres à télécharger par tout acteur de la santé et de l’éducation peuvent être une ressource utile en formation initiale ou continue pour différents publics concernés par les adolescents. Autant de manières d’illustrer la nécessaire articulation entre enquêtes, santé et école, dans une perspective d’approche par milieu de vie qui doit rassembler toutes les parties prenantes concernées par les comportements de santé des adolescents : chercheurs, professionnels de l’éducation, de la santé ou du social, parents et adolescents eux-mêmes.

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Bibliographie

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CANTRIL H (1965). The Pattern of Human Concerns. New Brunswick: Rutgers University Press.

CURRIE C., NIC GABHAINN S. et GODEAU E. (2009). « Introduction to the HBSC Study: Origins, concept, history and development ». International Journal of Public Health, septembre, no 54, suppl. 2, p. 131-139.

GODEAU E., CATHELINE N., GASPAR DE MATOS M. et EHLINGER V. (2016). « Santé mentale et harcèlement au collège ». Agora débats/jeunesses, hors-série, p. 79-94.

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GODEAU E., MONEGAT M., PACORICONA D. (2019). « La santé des jeunes au cœur des enjeux stratégiques de santé publique : quelques grands indicateurs ». Dans B. Boudailliez, P. Duverger et P. Gérardin (sous la dir. de) Médecine et santé de l’adolescent. Paris : Elsevier-Masson, p. 29-34.

SENTENAC M., ARNAUD C., GAVIN A., MOLCHO M., NIC GABHAINN S. et GODEAU E. (2012). « Peer victimization among school-aged children with chronic conditions ». Epidemiologic Reviews, vol. 34, n1, p. 120-128.

YEO M. et SAWYER S. (2005). Chronic Illness and Disability. BMJ, vol. 330, p. 721-723. DOI:10.1136/bmj.330.7493.721

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Notes

1www.hbsc.org

2  Sociologie, psychologie, santé publique, sciences de l’éducation, épidémiologie, biologie humaine, pédiatrie, médecine de l’adolescent.

3  Albanie, Allemagne, Angleterre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Écosse, Espagne, Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Groenland, Hongrie, Irlande, Islande, Israël, Italie, Kazakhstan, Kirghizistan, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Malte, Moldavie, Norvège, Ouzbékistan, Pays-Bas, Pays de Galles, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Tadjikistan, Turquie, Ukraine.

4  OEDT : Observatoire européen des drogues et des toxicomanies.

5  Voir : https://www.nonauharcelement.education.gouv.fr

6https://eduscol.education.fr/2075/je-souhaite-connaitre-les-statistiques-autour-de-la-sante

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Table des illustrations

Titre Graphique 1. Proportion d’élèves déclarant avoir été victimes de harcèlement au collège au cours des deux derniers mois selon le statut de handicap/maladies chroniques entre 2012 et 2021
Légende NB : les pourcentages présentés correspondent aux pourcentages pondérés, pour les enquêtes 2014, 2018 et 2021.
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Pour citer cet article

Référence papier

Emmanuelle Godeau, Mariane Sentenac, Cynthia Hurel et Virginie Ehlinger, « Enquêtes par auto-questionnaire au service de la santé à l’école : EnCLASS, un exemple français »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 89 | 2022, 149-158.

Référence électronique

Emmanuelle Godeau, Mariane Sentenac, Cynthia Hurel et Virginie Ehlinger, « Enquêtes par auto-questionnaire au service de la santé à l’école : EnCLASS, un exemple français »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 89 | avril 2022, mis en ligne le 01 avril 2023, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/12528 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.12528

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Auteurs

Emmanuelle Godeau

Emmanuelle Godeau est médecin de l’éducation nationale, titulaire d’une thèse en anthropologie (EHESS) et d’une HDR en santé publique. Elle est actuellement enseignante-chercheuse à l’École des hautes études en santé publique, où elle coordonne la formation des médecins de l’éducation nationale. Elle est co-principale investigatrice de l’enquête HBSC pour la France et coordonne avec l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) FDT l’enquête EnCLASS depuis 2018. Ses travaux de recherche portent sur les comportements de santé et les prises de risque des adolescents, notamment en situation de handicap. Courriel : emmanuelle.godeau[at]ehesp.fr

Mariane Sentenac

Mariane Sentenac est chercheuse épidémiologiste à l’Inserm, et co-principale investigatrice de l’enquête HBSC pour la France. Ses recherches portent sur l’inclusion scolaire à travers l’étude les déterminants contextuels du handicap dans le champ de la scolarisation, et ses conséquences sur la santé de l’enfant et de l’adolescent. Courriel : mariane.sentenac[at]inserm.fr

Cynthia Hurel

Cynthia Hurel est interne en médecine spécialisée en santé publique à Rennes, où elle travaille sur des thématiques en lien avec la promotion de la santé et la prévention. Ses travaux portent principalement sur la formation et les pratiques des professionnels (santé, éducation) en promotion de la santé ainsi que sur la santé des adolescents au travers de l’enquête EnCLASS. Elle est membre du réseau international HBSC. Courriel : cynthia.hurel[at]chu-rennes.fr

Virginie Ehlinger

Virginie Ehlinger est ingénieure d’études en statistiques appliquées à la santé. Elle travaille dans l’équipe SPHERE (Santé périnatale, pédiatrique et des adolescents : approche épidémiologique et évaluative) du Centre d’épidémiologie et de recherche en santé des populations (CERPOP, UMR Inserm 1295) depuis 2008, et assure la mission de référente statisticienne pour l’enquête HBSC en France. Les études sur lesquelles elle intervient concernent la santé materno-foetale, le développement de l’enfant et la santé des adolescents. Courriel : virginie.ehlinger[at]inserm.fr

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