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Dossier - La santé à l’école

Enjeux de santé dans l’école tunisienne

Health stakes in Tunisian schools
Retos de salud en la escuela tunecina
Imen Miri, Hichem Chebbi, Fatma Zohra Ben Salah et Catherine Dziri
p. 139-148

Résumés

En Tunisie, des avancées significatives ont permis un meilleur accès à l’éducation, aux soins et de meilleures conditions de vie en général. Toutefois, de nombreux problèmes restent à surmonter, qu’ils soient socioculturels, économiques, voire identitaires. Les troubles d’apprentissage, les problématiques liées à l’intégration des enfants à besoins spécifiques à l’école mais aussi l’émergence de situations de vulnérabilité touchant l’enfant et l’adolescent constituent de véritables défis aussi bien pour le système éducatif que pour le système sanitaire de la Tunisie. L’article retrace l’évolution des pratiques à travers l’exemple de l’enfant à besoins spécifiques.

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Texte intégral

1L’école, en Tunisie a été, depuis l’indépendance, considérée comme un levier majeur de la croissance économique et sociale. Dès son origine, elle s’est intéressée à la question de la santé et s’est située comme un acteur principal de sa promotion. L’éducation à la santé s’inscrit dans une politique tunisienne résultant d’une action collective où interviennent la famille, l’école et les personnels de santé. Les missions assignées au système scolaire pour promouvoir la santé des élèves à l’école se situent à plusieurs niveaux. Des textes de lois régissent ses missions : le Code de la protection de l’enfant, 1995 (article 2) et la loi d’orientation relative à l’éducation et l’enseignement scolaire, 2002 (article 8). Des programmes d’enseignement avec une articulation des apprentissages sur l’éveil scientifique et l’enseignement des sciences de la vie pour le collège et le lycée ainsi que des activités extra-curriculaires sont mis en place. La question de la santé à l’école relève également des experts issus du secteur de la santé. De nombreux programmes nationaux et des interventions et campagnes d’information ont été engagés par le ministère de la santé (programme de lutte contre le tabac, obésité, dépression, santé buccale, promotion de l’activité physique, etc.).

2La direction de la médecine scolaire et universitaire, garante de la santé des élèves et étudiants, veille à ce qu’un problème de santé n’entrave pas les études. Elle veille aussi à ce que les études n’influent pas négativement sur la santé des apprenants et promeut un mode de vie sain. Toutefois, malgré les mesures mises en place en Tunisie pour augmenter l’efficacité du système éducatif et l’accès aux soins, la plupart des indicateurs de comportements peu favorables à la santé ou autres indicateurs de morbidité spécifiques aux enfants et aux adolescents montrent une tendance à la hausse. Par ailleurs, la prise en compte des élèves les plus vulnérables, dont les enfants à besoins spécifiques, reste problématique. Il s’agit de véritables défis pour l’école tunisienne, mais aussi pour le système sanitaire et la société civile. Dans cet article, nous rapportons notre expérience dans la promotion de la santé à l’école à travers notre participation à deux programmes nationaux, le « sport pour tous » et le programme de lutte contre le décrochage scolaire et en particulier la question du repérage des troubles spécifiques de l’apprentissage (TSA). Comment ces projets pourraient-ils s’inscrire dans une approche globale de la « santé et bien-être à l’école » et contribuer à la promotion de la relation parents/école/professionnels de la santé, notamment pour les enfants à besoins spécifiques ?

La santé à l’école, histoire d’une politique et de pratiques

3Après l’indépendance, la population souffrait d’un manque flagrant de structures appropriées de prise en charge de soins de santé de base. La Tunisie s’est engagée avec succès dans la lutte contre certains fléaux, ainsi que dans le développement de ces services. Le système sanitaire s’est alors construit sur la création des circonscriptions sanitaires, des centres de protection maternelle et infantile (PMI) et sur la mise en place du programme national de vaccination. Les services de santé scolaire, l’une des plus anciennes composantes de la santé publique, ont rapidement été mis en place. Créés en 1941, il s’agissait d’inspections médicales qui se sont développées après l’indépendance afin de s’adapter aux besoins de la population. La santé scolaire est devenue l’un des principaux piliers de la promotion de la santé et de la prévention. La médecine scolaire et universitaire, dispensée gratuitement dans tous les établissements publics et privés du préscolaire à l’universitaire, concerne également les autres établissements éducatifs spécialisés ou de formation professionnelle. Elle est surtout préventive. Les constantes de la santé scolaire sont :

  • la surveillance épidémiologique notamment des élèves nécessitant une surveillance spécifique (maladie chronique, besoins spécifiques…) ;

  • la visite médicale systématique à des âges ou classes clés : avant l’entrée de l’enfant à l’école, en première année de chaque cycle d’étude et plus récemment en 3e année du primaire ; cette dernière vise essentiellement le dépistage des difficultés d’apprentissage ;

  • la vaccination avec un rappel de la majorité des vaccins de l’enfance.

4L’éducation à la santé constitue la pierre angulaire de la médecine scolaire. En 1996, une circulaire ministérielle (no 112/96) redéfinit les principaux services de santé scolaire en insistant sur la promotion de la santé mentale et l’éducation pour la santé. Elle s’appuie sur divers programmes nationaux de santé (santé bucco-dentaire, santé des adolescents, santé mentale, santé de la reproduction, etc.).

5La médecine scolaire et universitaire en Tunisie étant intégrée aux soins de santé de base, ce sont donc les mêmes équipes qui réalisent les activités curatives et préventives au niveau des centres de santé de base, tout en réservant une à deux journées par semaine à la santé scolaire et universitaire. Selon la carte sanitaire scolaire de première ligne, 1 539 médecins généralistes et 2 146 infirmiers de la santé publique assurent la couverture de 10 498 établissements éducatifs (tous niveaux confondus) auprès de 2 789 871 enfants, élèves et étudiants. En moyenne, chaque médecin couvre 6,4 établissements et 1 812 élèves/étudiants. Chaque infirmier couvre 4,6 établissements et 1 322 élèves/étudiants. Cette gestion en services partagés ainsi que le changement des politiques de santé ont impacté négativement la médecine scolaire et ont soulevé des défis majeurs. Les services de santé scolaire ont de plus en plus de mal à jouer leur rôle et à répondre de façon adéquate aux besoins de santé réels. On a su certes passer d’une régulation « verticale », essentiellement sous forme de campagnes où les élèves sont peu actifs, à des programmes intégrés aux activités scolaires et extrascolaires, avec adaptation des contenus et dynamique participative. L’implication des élèves comme acteurs et partenaires n’est cependant pas largement partagée. Inversement, la perception et les attentes des élèves à l’égard de ces services sont loin d’être satisfaisantes. Dans l’étude publiée en 2004 (Frikha Jarraya et al., 2004), le constat est préoccupant. Menée sur un échantillon de 625 lycéens âgés de 15 ans et plus, fréquentant les établissements secondaires de la région de Sfax, 54 % des interrogés s’estimaient insatisfaits des services de santé scolaire offerts. Leurs jugements étaient critiques sur presque tous les aspects des services offerts. La plupart disposait de peu d’informations sur les différentes prestations et les services de santé scolaire. Pour 69 % des adolescents interrogés, l’écoute, l’aide des élèves en difficulté et l’éducation pour la santé venaient en tête du rôle que devrait assurer la santé scolaire. Dans plus de 40 % des cas, ils préféraient les rencontres individuelles et les discussions en petits groupes à la visite médicale traditionnelle.

6Le médecin scolaire doit également pouvoir faire face aux problèmes émergents, de plus en plus difficiles à gérer par les structures sanitaires traditionnelles de santé scolaire, notamment ceux soulevés par l’intégration des enfants en situation de handicap et les élèves présentant des difficultés scolaires. Des programmes de formation médicale continue pour les médecins scolaires sur le handicap de l’enfant ont été mis en place, auxquels nous avons participé en tant que médecins spécialisés en handicap. Cette formation a intéressé également le personnel des unités régionales de réhabilitation, structures appuyant la médecine scolaire pour l’intégration des enfants à besoins spécifiques.

7Nous avons également élaboré, avec un groupe d’experts, des guides pour les médecins scolaires portant sur l’intégration des enfants en situation de handicap. En 2020, a été conçu un guide sur le rôle de l’équipe médico-scolaire dans le parcours de santé d’un enfant avec TSA. Le dossier médical scolaire a été mis à jour en 2019, et notre travail a consisté à valider les mesures de dépistage et de suivi des élèves en situation de handicap.

Vers une approche psychosociale et intégrative de la santé à l’école

8Les questions émergentes autour de la situation de l’enfance, qu’elles soient socioculturelles, économiques, voire identitaires, imposent de plus en plus une approche « centrée sur le patient ». Familiarisé à cette approche psychosociale qui permet d’accorder plus d’intérêt aux besoins du jeune scolarisé, à ses perceptions et à sa participation, le personnel de santé tend désormais à s’inscrire dans une démarche intégrative et non uniquement normative des dimensions de la santé. Des circulaires ministérielles sont venues, dès 1990, compléter les services de santé classiques par de nouvelles composantes, tenant mieux compte de ces aspects : création de clubs de santé, de cellules d’action, de cellules d’action sociale, de cellules d’écoute et de conseils et, en 1999-2000, de bureaux d’écoute. Ces structures ont permis d’apporter, du moins au début, des éléments de réponses. En parallèle, l’école a multiplié les techniques et méthodes d’enseignement en classe pour asseoir de bonnes pratiques sanitaires chez les élèves. Mais les pratiques pédagogiques et les représentations des enseignants de l’école quant à leur rôle dans le champ de l’éducation à la santé constituent de véritables obstacles à la promotion de la santé à l’école. Plusieurs auteurs (Berger et al., 2012 ; Hrairi et Berger, 2016) s’accordent sur le fait que les mesures et textes de loi ne garantissent pas à eux seuls l’implication réelle de l’ensemble des acteurs de l’école, et particulièrement des enseignants, si des actions visant à développer les pratiques collaboratives ne sont pas mises en place. Dans une étude tunisienne de 2013 (Hrairi, 2013) faite auprès de 274 instituteurs tunisiens de l’école primaire, la majorité des enseignants (163 sur 274) déclaraient pratiquer l’éducation à la santé avec une approche principalement notionnelle, essentiellement limitée à des séquences pédagogiques. Très peu d’enseignants (3 sur 274) avaient fait appel à des partenaires relevant de la santé scolaire, les parents n’étant pas associés. Outre les besoins de formation des enseignants, cette étude met l’accent sur l’importance de soutenir les partenariats à l’école. L’éducation non formelle, à travers des dispositifs médiatiques variés, participe plus efficacement au développement des compétences de vie chez les apprenants, notamment l’apprentissage des modes de vie sains et la maîtrise des moyens de prévention face aux différents fléaux. Les clubs de santé dans les établissements scolaires, arrêtés par circulaire ministérielle conjointe (éducation nationale et santé) du 19 novembre 2015, sont animés par des enseignants de sciences de la vie et de la Terre et font partie intégrante du dispositif d’éducation non formelle institutionnalisé. L’apprentissage fait appel à différentes techniques d’animation et aux nouvelles technologies en vue de la diffusion d’une culture sanitaire appropriée et de mode de vie sains à l’intérieur/l’extérieur de l’école.

9Toutefois, les clubs de santé présentent dans de nombreuses régions de multiples manquements, quand ils ne sont pas restés inactifs. Ils ont tout de même connu un regain d’intérêt lors de la pandémie Covid.

10Dans ce cadre, un effort de sensibilisation est nécessaire afin de promouvoir ces clubs de santé. Nous avons mené, en tant que laboratoire de recherche handicap et inadaptation sociale et en tant qu’association tunisienne des difficultés d’apprentissage, des journées portes ouvertes avec l’appui des clubs de santé en présence d’enseignants, de parents et de professionnels de santé. Les thématiques abordées étaient les troubles d’apprentissage et la promotion de l’activité physique. Ces journées visaient, outre l’information et la sensibilisation sur ces thématiques, à développer et à consolider des relations beaucoup plus étroites avec les acteurs de la santé scolaire et ceux de la société civile. Un partenariat école-parents peut apporter l’appui nécessaire.

Promotion de l’activité physique (AP) pour la santé à l’école

11Les effets bénéfiques de l’AP sur le développement de l’enfant et son bien-être ne sont plus à démontrer, avec une influence positive sur la planification, le jugement, le contrôle, l’attention, la mémoire et la réussite scolaire, en développant dès le plus jeune âge de saines habitudes de vie. Or la plupart des indicateurs de comportements peu favorables à la santé et indicateurs de morbidité spécifiques aux enfants et aux adolescents tunisiens sont en hausse (sédentarité, tabagisme, consommation de drogues, diabète, dyslipidémie, obésité, surpoids, hypertension, dépression, etc.) selon deux enquêtes nationales : Tunisian Health Examination Survey (2016) et la deuxième Enquête nationale sur les pratiques physiques et sportives (2020).

12À l’école, il reste encore beaucoup à faire. Pour garantir une bonne santé, l’Organisation mondiale de la santé recommande en 2021 aux enfants et aux adolescents âgés de 5 à 17 ans de :

pratiquer au moins 60 minutes par jour d’AP essentiellement aérobique d’intensité modérée à soutenue, tout au long de la semaine. L’AP quotidienne devrait être essentiellement une activité d’endurance. Les activités d’intensité soutenue, notamment celles qui renforcent le système musculaire et osseux, devraient être incorporées, au moins trois fois par semaine (OMS, 2021).

13Or, en 2020, 98 % des enfants et 82 % des adolescents tunisiens n’appliquent ces recommandations.

14En Tunisie, la loi no 94-104 du 3 août 1994, portant organisation et développement de l’éducation physique et des activités sportives, a confié à l’État l’organisation et l’enseignement de l’éducation physique, en collaboration avec les collectivités locales. Selon les dispositions de la loi no 2002-80 du 23 juillet 2002 relative à l’éducation et à l’enseignement scolaire, l’éducation physique et le sport (EPS) sont considérés comme parties intégrantes de l’action éducative. Il n’en demeure pas moins que de multiples obstacles subsistent, à plusieurs niveaux, pour l’application de ces recommandations, surtout auprès des enfants à besoins spécifiques. Cette situation se présente tout d’abord au niveau du cadre pédagogique et surtout à l’école primaire, puisque le taux de couverture des établissements éducatifs par les cadres spécialisés dans l’enseignement de l’EPS atteint environ 99 % dans les établissements de l’enseignement secondaire, 94 % dans les collèges et 21 % dans les établissements universitaires, alors qu’en primaire il est de 62 % et ne dépasse pas 43 % dans les zones rurales (sachant que l’EPS est enseignée par des instituteurs d’enseignement général dans environ 72 % des écoles primaires (Ben Mustapha et Chakroun, 2021)). Il n’existe par ailleurs pas de données sur le taux de couverture des établissements d’enseignement privé ni dans les centres médico-éducatifs. Le temps dédié à l’enseignement de l’EPS se fait à raison d’une à deux heures par semaine pour environ 72 % des classes du secondaire au lieu des trois heures réglementaires. Le manque de salles de gymnastique, de terrains de sport et de façon générale d’espaces sportifs constitue un frein au développement de l’AP à l’école. De nombreux programmes nationaux pour le développement du sport scolaire restent au stade de projet et la plupart des établissements scolaires ne disposent pas de projet à caractère sportif. Toutefois, l’un des obstacles majeurs demeure le manque de sensibilisation et d’information concernant les bienfaits de l’AP sur la santé des enfants et des adolescents, leur bien-être et leur équilibre.

15Cette situation est encore plus alarmante s’agissant des élèves à besoins spécifiques. Ces enfants et adolescents sont souvent exclus des séances d’EPS et dispensés à tort par les médecins. Ces élèves, pourtant intégrés, ont malheureusement une scolarité particulière qui est encore plus accentuée lors des séances d’EPS. Pourtant, l’inclusion suppose de la part des acteurs l’adhésion aux trois grands principes que sont : la réceptivité du milieu d’accueil, devant pouvoir se modifier matériellement et pédagogiquement ; la participation de la famille au projet d’intégration de l’enfant ; et la communication entre tous les acteurs. En EPS, des facteurs plus spécifiques entrent en jeu tels que l’accessibilité des pratiques sportives à tous les élèves, le choix des objets manipulés, le choix de l’environnement et l’adaptation des contraintes et des règles aux capacités physiques de l’élève. Pour cela est bien connu l’intérêt de l’activité physique adaptée APA (Ben Mustapha, 2021), un concept apparu dans les années 1970, que les médecins de famille comme les médecins scolaires devraient être incités à prescrire au lieu de dispenser l’élève.

16Plusieurs projets ont été mis en place pour une meilleure sensibilisation quant à l’intérêt de l’APA, tels que le manuel de l’intervenant en activité physique adaptée en 2010. La commission Promotion de la santé à travers le sport a mis l’accent, lors du rendu de ses travaux en février 2020, sur l’intérêt du certificat de non-contre-indication à l’activité physique et sur la promotion de la prescription médicale d’activité physique adaptée selon les pathologies, notamment pour l’enfant en situation de handicap. La stratégie nationale multisectorielle de prévention et de contrôle des maladies non transmissibles (MNT) 2018-2025, avec l’OMS, vient appuyer cette démarche et met l’accent sur la nécessité de promouvoir l’activité physique pour tous les élèves.

Les troubles d’apprentissage au carrefour entre santé et éducation

17Les connaissances actuelles en constante évolution autour des fondements de l’apprentissage et des facteurs qui l’influencent devraient permettre à l’enseignant d’améliorer sa performance pédagogique et d’identifier les difficultés. Cependant, le poids du discours médico-scientifique autour de la définition des troubles spécifiques de l’apprentissage et la conception du déficit intrinsèque qui lui est liée viennent amoindrir l’approche sociale et pédagogique des difficultés scolaires (Savournin, 2016). Ce discours ne permet pas, par ailleurs, d’aborder les problématiques complexes du quotidien des élèves avec troubles d’apprentissage, comme les retards diagnostiques, les prises en charge inadaptées, les mesures pédagogiques inefficaces contribuant à des situations d’échec scolaire (Miri, 2020). Le contexte tunisien n’est pas à l’abri de toutes ces problématiques. Malgré les lois et réformes éducatives instaurées pour contribuer à l’amélioration du système éducatif et les efforts conséquents investis dans l’éducation, le décrochage scolaire est une réalité inquiétante en Tunisie. Bien que l’abandon scolaire soit multifactoriel, les troubles d’apprentissage sont de plus en plus souvent mis en avant. L’école est d’ailleurs aujourd’hui demandeuse de signes, de critères qui aideraient les enseignants à les repérer. Sur le terrain, il existe des disparités, avec un accès plus ou moins facile aux structures de diagnostic et de prise en charge. S’y ajoute un manque de coordination entre les secteurs pédagogique et de la santé. Les enseignants, souvent surchargés de travail, n’ont pas forcément une formation leur permettant de faire face aux problèmes que leur posent ces troubles ; lorsqu’elle existe, ils la considèrent généralement comme très scientifique et théorique, n’apportant pas d’éléments concrets ni pratiques, ni de véritables solutions applicables en classe. Les parents disposent de peu d’informations quant aux démarches à entreprendre, au parcours à suivre, aux aménagements auxquels leurs enfants ont droit. Plusieurs textes de loi, depuis 2002, ont mis en place certaines mesures au profit des élèves à besoins spécifiques, dont les élèves avec TSA. De 2005 à 2009, le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la technologie a promu un projet national de recherche fédéré intitulé « Prise en charge des troubles spécifiques des apprentissages et diagnostic différentiel avec le handicap mental ». Il n’en demeure pas moins que les mesures sur le terrain et l’impact sur le quotidien de l’élève en difficulté sont loin d’être efficaces.

  • 1  Conçu par France Éducation International.

18Le projet M4D1 « Modèle intrascolaire de lutte contre le décrochage, l’abandon et l’échec scolaires », mandaté par le ministère tunisien de l’éducation nationale et appuyé, entre autres, par l’Unicef a démarré en 2018 pour répondre de manière innovante à la problématique de l’abandon et de l’échec scolaires. Il a pour ambition de produire un effet levier en transformant les pratiques pédagogiques, avec une approche à la fois systémique et ciblée, à travers quatre dispositifs en interaction : repérage, soutien scolaire, enseignement compensatoire et bureau d’écoute et d’accompagnement des élèves (BEAE). Ce projet tient par ailleurs compte des dimensions extra-curriculaires (sport et culture) et promeut le travail en partenariat avec différents acteurs de la santé, du social, les parents, les élus et les acteurs de la société civile. Le BEAE constitue une structure pivot du processus de prise en charge et d’accompagnement des jeunes. Il a pour rôle d’assurer l’accompagnement, dans chaque établissement, d’élèves présentant des difficultés persistantes et/ou cumulatives et/ou concomitantes, notamment les troubles spécifiques de l’apprentissage entraînant des problèmes d’adaptation qui pourraient constituer un risque d’échec scolaire ou ayant conduit à un abandon scolaire.

19Le BEAE se compose d’un psychologue scolaire, d’un médecin scolaire, d’un infirmier, d’un travailleur social, d’un conseiller en information et en orientation scolaire, d’un référent pour les troubles spécifiques de l’apprentissage, d’un surveillant général, d’un représentant au moins de l’équipe pédagogique en charge du soutien scolaire, enfin du personnel en charge de l’outil de repérage. Un représentant des parents a été inclus dans certains BEAE lors de la phase d’implémentation de ce projet. Cette représentativité garantit l’interdisciplinarité et la coordination des interventions. La question des troubles d’apprentissage est abordée dans ce modèle sous forme transversale, en partant du repérage des difficultés d’apprentissage rencontrées par les élèves sur la base de grilles qui ne sont pas conçues pour diagnostiquer des troubles d’apprentissage, mais pour servir d’outil réflexif d’aide à la différenciation pédagogique. L’originalité de cette approche permet d’éviter la médicalisation de l’échec scolaire. L’implémentation du modèle a été conduite pendant deux ans sur neuf sites pilotes primaires, collèges et lycées répartis sur le territoire tunisien, avec une large autonomie laissée aux établissements pour choisir sous quelle forme ils mettraient en place le dispositif, en adéquation avec leur organisation habituelle. In fine, on constate une mobilisation des acteurs plus ou moins aisée en fonction des régions.

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20La santé à l’école en Tunisie reste orientée vers une logique de santé publique sous la gouvernance de la médecine scolaire, appuyée par des programmes nationaux. L’école, quant à elle, est axée sur les préoccupations pédagogiques. La relation triptyque élève/parents/école demeure fragile et la place faite aux parents et aux familles connaît une grande disparité selon les régions. Même si les associations de parents d’élèves se positionnent de plus en plus sur ces questions, leurs propositions restent consultatives pour les écoles. Les actions menées par les établissements scolaires et destinées aux parents sont souvent interprétées non comme un désir de partenariat, mais comme une volonté de tutelle infantilisante. L’école, quant à elle, pointe la faible mobilisation et implication des parents dans les réunions et dans la vie scolaire, de façon générale.

21Il faut espérer que la proposition de réforme du système de santé scolaire et universitaire en Tunisie, démarrée en 2018 et basée sur l’individualisation de la santé scolaire et universitaire, permettra une meilleure couverture sanitaire, une meilleure disponibilité des professionnels de santé et une formation médicale en adéquation avec des exigences sanitaires évolutives. Cette politique devra s’articuler avec la mise en place d’un réel partenariat école/famille/santé et avec les collectivités locales, afin d’assurer une continuité éducative et d’enraciner davantage la promotion de la santé. Un véritable changement de paradigme est nécessaire pour créer une dynamique partenariale et coordonnée impliquant tous les acteurs.

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Bibliographie

BEN MUSTAPHA N. (2021). « L’activité physique adaptée dans les établissements scolaires à Sfax : entre théorie et difficultés pratiques ». Magasine de santé scolaire et universitaire, no 1, p. 49-51.

BEN MUSTAPHA N. et CHAKROUN A. (2021). « Le centre de médecine scolaire et universitaire. Le nouveau bâti de la santé scolaire à Sfax ». Magasine de santé scolaire et universitaire, no 1, p. 30-48.

BERGER D., FLENGHI D., MARCHAND-MALLET S., ROCHIGNEUX J. K. et MOUGNIOTTE A. (2012). « Démarche participative de santé globale en collège et lycée : le « diagnosanté » en Rhône-Alpes ». Santé publique, no 24, p. 387-401.

FRIKHA JARRAYA M., BEN ABDELAZIZ A., GHEDIRA A. et GHANNEM H. (2004). « Attentes des adolescents scolarisés à l’égard des services de santé scolaire (Sfax, Tunisie) ». Santé publique, no 16, p. 447-458.

HRAIRI S. (2013). « Éducation à la santé : pratiques et représentations des enseignants tunisiens ». Mondi educativi. Temi indagini suggestioni, no 2.

HRAIRI S. et BERGER D. (2017). « L’éducation nutritionnelle dans l’école tunisienne : analyse des pratiques déclarées par les enseignants du primaire ». Questions vives, no 27. DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/questionsvives.2126

MIRI I. (2020). Cerveau et apprentissage. Les Ulis : EDP sciences.

ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ (2021). Lignes directives de l’OMS sur l’activité physique et la sédentarité. En ligne : https://bit.ly/3uylrxT

SAVOURNIN F. (2016). « De la difficulté au trouble : vers une médicalisation des difficultés scolaires ? ». Empan, no 101, p. 42-46.

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Notes

1  Conçu par France Éducation International.

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Pour citer cet article

Référence papier

Imen Miri, Hichem Chebbi, Fatma Zohra Ben Salah et Catherine Dziri, « Enjeux de santé dans l’école tunisienne »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 89 | 2022, 139-148.

Référence électronique

Imen Miri, Hichem Chebbi, Fatma Zohra Ben Salah et Catherine Dziri, « Enjeux de santé dans l’école tunisienne »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 89 | avril 2022, mis en ligne le 01 avril 2024, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/12500 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.12500

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Auteurs

Imen Miri

Imen Miri est professeure en médecine physique réadaptation fonctionnelle à la faculté de médecine de Tunis. Spécialisée en neuro-rééducation pédiatrique et neuropsychologie de l’enfant, elle travaille sur la mise en place et le développement du dépistage, du diagnostic et de la prise en charge des enfants en situation de handicap, notamment d’origine neurologique. Elle coordonne l’unité de neuropsychologie de l’enfant et œuvre pour asseoir la prise en charge des enfants présentant des troubles neurodéveloppementaux. Elle est engagée dans une dynamique de sensibilisation et de formation à travers son travail associatif ainsi que le développement de la recherche via le laboratoire de recherche Psychologie clinique et intersubjectivité. Courriel : dr.miri.imen[at]gmail.com

Hichem Chebbi

Hichem Chebbi est inspecteur général émérite de l’éducation en Tunisie. Il assure la formation de base et continue des inspecteurs dans l’intégration des TIC. En tant que président de l’Association tunisienne des difficultés d’apprentissage, il est engagé dans la sensibilisation et la formation des enseignants dans le domaine de la pédagogie, de la didactique et la différenciation pédagogique. Il coordonne un groupe de travail sur les troubles d’apprentissage dans le cadre du projet M4D. Expert auprès de l’Institut arabe des droits de l’homme, il travaille sur le développement des clubs d’éducation aux droits de l’homme et sur les compétences de vie en Tunisie, en Libye et au Maroc dans le cadre du projet Maharaty. Courriel : hicheb2003[at]yahoo.fr

Fatma Zohra Ben Salah

Fatma Zohra Ben Salah est professeure en médecine physique réadaptation fonctionnelle à la faculté de médecine de Tunis, avec un intérêt pour la neuro-réadaptation qui a débuté par un stage de perfectionnement de deux ans au centre de traumatologie réadaptation de l’Université libre de Bruxelles (spécialisée dans la prise en charge des médullaires et traumatismes crâniens). Elle s’est engagée au sein d’associations œuvrant dans le domaine du handicap et dirigé durant six ans l’Institut supérieur de l’éducation spécialisée, mettant en place un laboratoire de recherche sur le handicap avec ses versants évaluatifs, préventifs, d’inclusion scolaire et de réinsertion professionnelle avec de multiples publications et ouvrages. Courriel : fatmazohra.bensalah[at]gmail.com

Catherine Dziri

Catherine Dziri est professeure en médecine physique réadaptation fonctionnelle à la faculté de médecine de Tunis et chef de service, membre du laboratoire de recherche Handicap et inadaptation sociale. Lorsqu’elle était coordinatrice pédagogique du master Handicap et réadaptation des personnes handicapées, elle a participé à la révision de la grille d’évaluation du handicap, ainsi qu’aux mesures accompagnant l’intégration des enfants dans les écoles ordinaires. En tant que présidente de la Société tunisienne de médecine du sport, elle œuvre pour la promotion des activités physiques et sportives. Elle s’efforce de poursuivre le développement de réseaux interdisciplinaires de meilleure prise en charge longitudinale des personnes handicapées, en lien avec les associations, afin d’améliorer leur qualité de vie. Courriel : dziri_kas[at]yahoo.fr

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