1Évoquer la question des politiques sociales comme celles réservées à la santé ou à l’éducation en contexte colonial, c’est faire référence à l’œuvre des missions chrétiennes dans les territoires conquis. L’importance de ces politiques, mais aussi celle des travaux qui leur ont été consacrés, exige de ne considérer ici que l’ensemble des actions menées par les administrations coloniales en faveur de l’enseignement de l’hygiène dans les établissements scolaires qu’ils avaient créés. Le choix des missions de se focaliser sur des activités d’une telle envergure se justifie, en grande partie au moins, par la centralité de l’institution scolaire. Ce positionnement de l’école en fait, du coup, l’instrument essentiel du changement social, mais aussi de l’éclosion des hommes « modernes » (Bierschenk, 2007). Cette œuvre sociale des missionnaires ne tarde cependant pas à rencontrer les aspirations d’une administration coloniale soucieuse d’assurer un essor rapide de l’éducation sanitaire, outil essentiel du développement économique, politique et socioculturel des métropoles d’abord, puis des colonies. Dans ces territoires en effet, l’enseignement de l’hygiène dans les écoles rime avec les débuts de la scolarisation, mais aussi de l’intérêt accordé aux conséquences des maladies sur l’exploitation économique des espaces conquis.
- 1 « De l’enseignement et de l’éducation des noirs », Congrès colonial belge, février 1920, Congo 192 (...)
2L’éducation à la santé et à l’hygiène dans les écoles coloniales s’inscrit dès lors dans le sillage de l’« idéologie coloniale » qui sous-tend l’enseignement en Afrique noire pendant cette période. Appréhendée à plusieurs égards comme raciste et ségrégationniste, cette idéologie devient pourtant le pilier de la « mission civilisatrice » et le « facteur essentiel du relèvement de la race noire » (cité par Marchand, 19711). Le but d’une éducation sanitaire imposée aux colonies – comme ce fut d’ailleurs le cas en France dès 1867 à la suite de la législation scolaire introduite par Victor Duruy – était en effet de maintenir l’équilibre démographique de la population dominée, en rendant disponible une main-d’œuvre forte et saine, et donc utile à la réalisation des travaux d’intérêt général (Le Cour Grandmaison, 2014). L’accélération du processus de scolarisation observée avec l’arrivée des Européens dans les colonies vers la seconde moitié du xixe siècle est aussi marquée par sa nationalisation et, à travers elle, celle de l’enseignement de l’hygiène. L’avènement des premières organisations internationales dédiées à la santé – notamment l’Office international d’hygiène publique (OIHP) en 1907, l’Organisation d’hygiène de la Société des Nations (OHSDN), en 1923, et en 1948 l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – met un terme à ce processus de nationalisation des enseignements de l’hygiène et de la santé à l’école. Avec l’apparition de ces organisations, en effet, la santé des populations, tant en métropole que dans l’Empire français, devient progressivement un bien (Ayangma, 2020). C’est donc de manière concertée entre les autorités coloniales et les responsables de ces organisations que se conçoit désormais l’ensemble des politiques éducatives en matière d’hygiène individuelle et collective. Ces collaborations à l’allure particulière, à l’époque coloniale, semblent avoir gardé la même structure, au-delà de quelques évolutions relativement notables.
3La présente réflexion, au croisement de trois historiographies (éducation, santé et développement), s’appuie sur les outils méthodologiques et théoriques de l’histoire sociale transnationale. Elle s’adosse à une analyse des sources primaires et secondaires (archives de l’OMS à Genève et Brazzaville, Archives nationales du Cameroun, du Congo et du Gabon, publications de l’OMS, presse, brochures et manuels scolaires, littérature scientifique, etc.). À partir de cet usage croisé de méthodes, l’article ambitionne de mettre en lumière les ruptures comme les survivances des programmes d’enseignement de l’hygiène et de la santé dans les écoles coloniales et postcoloniales. Il entend du même coup saisir les mutations qui vont des grandes campagnes vaccinales du début des années 1970 aux programmes plus actuels d’éducation à la santé pour et par les écoles d’Afrique, à partir du Cameroun comme terrain d’observation. L’article met en perspective ce qui fit la spécificité de l’éducation à la santé dans les écoles en contexte colonial et ce qu’elle devint après les indépendances de 1960, puis au début des années 2000.
4Avec les débuts de l’extension de la scolarisation dans les colonies, on assiste à une sorte de nationalisation de l’éducation, et à travers elle, de l’enseignement de l’hygiène. L’œuvre coloniale qui intervient à la suite de celle commencée par les missions chrétiennes au xviiie siècle connaît un début d’internationalisation avec la création, dès 1907, des premières organisations internationales intéressées aux questions de santé. Cette internationalisation des politiques d’éducation à la santé dans et par les écoles vise avant tout – du moins officiellement – l’amélioration des conditions sanitaires de l’ensemble des populations du monde. Acteurs internationaux et impériaux mettent dès lors en place deux approches afin d’atteindre leurs objectifs : l’une législative et l’autre éducative.
5Avec la signature d’un arrêté, au début des années 1920, le gouverneur général de l’Afrique équatoriale française (AEF), Victor Augagneur, fixe « le tarif des soins médicaux donnés aux indigènes ». L’administrateur élargit en fait aux élèves des écoles publiques et privées la gratuité des soins à la consultation journalière. Ce texte est suivi le 2 janvier 1937 par celui du gouverneur Joseph-François Reste, portant organisation générale de l’enseignement en AEF. L’article 18 de cet arrêté institue une inspection médicale scolaire, dont le siège est à Brazzaville, où les médecins de l’assistance médicale peuvent, au moins deux fois par an, procéder à l’examen médical des élèves de leur ressort.
6La nouvelle institution est placée sous l’autorité du médecin inspecteur général des services de santé (IGSS). Elle pratique, entre autres, des visites médicales journalières systématiques et biométriques des élèves au sein des écoles par une équipe de santé comprenant, outre le médecin chef de chaque département, des infirmiers évoluant uniquement dans les collèges. Ce médecin, en comptant sur la collaboration des « maîtres blancs », est alors chargé de dépister et traiter des maladies épidémiques, endémiques ou chroniques, de surveiller l’hygiène des bâtiments scolaires et de donner aux « moniteurs indigènes » et aux élèves un enseignement pratique de l’hygiène individuelle et collective. L’incidence plus ou moins positive de telles actions sur la démographie de l’empire de l’AEF débouche sur une systématisation des visites médicales et biométriques et sur leur élargissement vers 1958, aux écoles primaires. Cette extension est matérialisée à Brazzaville, capitale de l’AEF, par l’ouverture, à la fin des années 1950, de deux dispensaires scolaires à Poto-Poto et à Bacongo. Un tel engagement de l’administration coloniale dans l’enseignement de l’hygiène et de la santé dans les écoles vise à former aux règles d’hygiène la communauté tout entière. Les colons partent en effet du principe qu’un enfant « civilisé » est un agent civilisateur dans sa famille, où il apporte les idées de civilisation, de progrès de bien-être, supposées transformer les « primitifs d’hier ». C’est cette dynamique que Reste souligne dans sa circulaire de 1937 :
C’est à la diffusion des notions de propreté et d’hygiène qui, de l’École (sic), passeront au village par l’intermédiaire de l’écolier, que doit répondre cet enseignement (ANC, 1937).
7La seconde approche, dite éducative, est davantage pratique et vise à faire assimiler aux apprenants les savoirs et savoir-faire, afin de promouvoir la santé et la prévention des maladies à potentiel endémique (trypanosomiase humaine africaine et paludisme), à travers le changement des habitudes de vie. Cette approche fait appel à un personnel médico-sanitaire, aux instituteurs européens, aux « moniteurs indigènes » et aux élèves.
8Personnels médico-sanitaires et instituteurs apparaissaient à plusieurs égards comme les promoteurs de la santé dans les écoles coloniales d’Afrique. Ils exécutent du coup les exigences d’une administration impériale en rapport avec l’hygiène et la santé des élèves et des locaux scolaires. À travers leurs enseignements, les enseignants participent de la transformation culturelle des populations. Ils font ainsi appel à deux méthodes pédagogiques : un enseignement direct, avec un accent particulier porté sur les aspects pratiques et sur le visuel. Cet enseignement est aussi expérimental car, estiment-ils, un enseignement théorique et sous forme de leçons didactiques est par définition, « inapproprié dans un contexte où les individus sont sans formation préalable et sans préparation scientifique ». Il est question, par le biais de cet enseignement, de remplacer les habitudes et pratiques habituelles et considérées comme nuisibles par d’autres jugées scientifiques. C’est ainsi que l’enseignant doit susciter l’intérêt de l’apprenant, en mettant l’accent sur l’éducation de la jeune fille. Celle-ci, estime-t-on, exercera l’influence nécessaire sur les jeunes générations.
9L’enseignement pratique ainsi inculqué aux élèves devait se fondre dans les habitudes de la vie et les autres enseignements dispensés aux élèves, comme c’était déjà le cas en France au début du xixe siècle. Ce type d’enseignement entendait ériger les enseignants en modèles et vecteurs de comportement hygiénique, en en faisant des auxiliaires du médecin. Cela explique le nombre assez important de conflits entre médecins et enseignants et permet aussi de comprendre les résistances de certains apprenants auxquels ont dû faire face enseignants et médecins. Le tableau suivant donne un aperçu rapide et général du canevas des enseignements d’hygiène scolaire à prodiguer dès 1937, dans les écoles coloniales de l’AEF.
10L’accent particulier mis, dans cet enseignement, sur l’hygiène corporelle des apprenants visait tant l’inspection de la propreté corporelle et vestimentaire que la mise à disposition des conseils d’hygiène utiles (Archives nationales du Gabon, s.d.). L’enseignant devait dès lors inculquer à l’élève les règles à observer dans la vie courante et allant dans le sens du respect des lois de l’hygiène. Il fallait pour cela imposer aux apprenants des pratiques régulières comme les ablutions quotidiennes, le lavage des dents après chaque repas, le lavage des habits au moins une fois par semaine, la coupe régulière des ongles et des cheveux, etc. L’hygiène alimentaire n’était pas en reste. Elle entendait s’attaquer à la question de la sous-alimentation, appréhendée par l’autorité coloniale comme un état de fait en milieu indigène. Les colons avaient en effet mis en place des cantines scolaires où l’élève devait prendre part à la préparation des repas, aux soins de la table et à l’entretien du réfectoire. Ils entendaient ainsi transmettre à l’élève l’ordre et la propreté de la table et de la cuisine, en le sensibilisant aux dangers de l’alcoolisme.
11À ces différents types d’enseignements vient se greffer un enseignement de l’éducation physique et sportive rendu opératoire à la suite de l’adoption de l’arrêté nº 1589\IGE.5 du 12 mai 1953. Cet arrêté établit le statut des sports en AEF, en assignant à une telle éducation la tâche de réduire les affections par la pratique régulière du sport et par son enseignement dans les établissements scolaires coloniaux. Les articles 7 et 8 de l’arrêté disposent en effet « l’obligation du contrôle sportif ». Participant de la diffusion des modèles médico-sanitaires impériaux et internationaux, l’enseignement de l’hygiène et de la santé à l’école et par les écoles d’Afrique coloniale est désormais considéré comme indispensable pour l’élève et pour l’ensemble de la communauté et de l’État dont il est issu.
Tableau 1. Enseignement de l’hygiène dans les écoles de l’AEF
Source : Archives nationales du Congo (ANC) (1937). « Circulaire au sujet de l’inspection médicale scolaire », IGSS, 21 octobre.
12La technicisation du discours de l’assistance amorcée vers la fin des années 1940 annonçait déjà le maintien des colons sur leurs possessions et ce, via la modernisation de l’image des fonctionnaires coloniaux devenus « assistants techniques et administratifs ». Un tel maintien par d’autres moyens des colons dans ces espaces, mais aussi et surtout leur intervention dans le champ de l’enseignement de l’hygiène à l’école, permit de garantir des « transactions hégémoniques » (Bayard et Romain, 2006) entre autorités des États nouvellement indépendants et celles des anciennes puissances coloniales. La permanence d’une telle expertise dans la majorité des États postcoloniaux d’Afrique assure le maintien d’une continuité relative. Celle-ci, en entretenant les structures d’une éducation à la santé dans et par les écoles précédemment mises en place, tend du même coup à les pérenniser.
13Nos travaux précédents sur l’éducation à la santé dans les écoles d’Afrique après les indépendances ont permis de mettre en valeur le fait qu’une telle activité a consisté, entre autres, en une offre de conseil aux élèves et aux parents, parfois dans une absence totale de collaboration avec les enseignants. Au Congo par exemple, le travail mené aux archives a permis d’observer que les enseignants donnaient, au début des années 1970, des conseils d’hygiène corporelle aux élèves et que certains directeurs et maîtres, pour leur part, mettaient plutôt l’accent sur la propreté des locaux scolaires. Quelques enseignements étaient ainsi dispensés en classe de troisième, dans le cadre du cours de sciences naturelles. La recrudescence des cas de grossesse précoce et l’accroissement du nombre de cas de maladies vénériennes obligèrent les autorités à introduire dans les classes de seconde, première et terminale des cours d’éducation sexuelle (Archives de l’OMS à Genève, 1973).
14Si l’enseignement physique et sportif à des fins d’éducation à la santé était généralisé à tous les niveaux du cursus scolaire, certains enseignants touchaient spécifiquement aux questions relatives à l’alimentation, à l’hygiène du milieu et aux maladies transmissibles les plus courantes, dont les flambées de variole de la période 1960-1970. Celles-ci coïncident toutefois avec les grandes campagnes vaccinales engagées par l’OMS et ses partenaires pour l’éradication de cette maladie. Elles ne furent possibles en Afrique – comme d’ailleurs dans le reste du monde – que grâce à des campagnes massives de sensibilisation visant à contraindre les jeunes scolarisés à la vaccination. Face surtout aux résistances observées çà et là, l’école allait jouer un rôle cardinal dans ce processus. Elle servit aussi dans la diffusion à large spectre des missions assignées au Programme élargi de vaccination (PEV) mis en place par l’OMS en 1974, qui prenait en compte les maladies infantiles (poliomyélite, rougeole, tétanos, coqueluche, etc.), et surtout des programmes de planification familiale particulièrement prégnants à cette période, compte tenu de l’importance des débats relatifs à cette question au sein des agences des Nations unies. Comment ne pas voir dans cet ensemble d’actions en faveur de l’éducation pour la santé dans les écoles un emprunt aux pratiques qui avaient déjà cours dans la période d’avant les indépendances ? De telles pratiques se sont d’ailleurs perpétuées jusqu’à ce jour, comme en atteste l’analyse des récents programmes d’enseignement de l’hygiène et de la santé dans les écoles du Cameroun.
15Rappelons que le rôle joué par l’inspection médicale scolaire dans la diffusion à l’école des savoirs et des savoir-faire en santé était fondamental. La disparition de cette institution au lendemain des indépendances a laissé place à quelques dispensaires scolaires le plus souvent peu, voire pas équipés, offrant des services minimaux comme il a pu être observé dans quelques établissements scolaires de la ville de Yaoundé. C’est désormais essentiellement à l’enseignant qu’est confiée la tâche de transmettre ce type de savoir.
16Le passé « colonial » du Cameroun en fait aujourd’hui un pays bilingue. Il comporte pour cette raison deux sous-systèmes d’enseignements : l’un francophone et l’autre anglophone. Ces deux sous-systèmes sont gérés par deux ministères différents, l’un pour l’éducation de base (maternelle et primaire), et l’autre pour l’éducation secondaire générale et technique. Faute de place dans le cadre de cet article pour nous engager dans l’analyse de chacun de ces découpages, nous étudions ici essentiellement les niveaux primaire et secondaire du sous-système francophone. Le texte étudiant les continuités historiques, ce choix de la partie francophone du pays se justifie par le fait que nos travaux antérieurs sur l’éducation à la santé dans les écoles traitaient essentiellement de territoires de l’ex-AEF. Le programme d’enseignement primaire en vigueur au Cameroun a été adopté en 2018. Il est donc le produit des réformes issues des programmes de l’an 2000, et tient compte des standards de la « nouvelle approche pédagogique » (NAP) dite « approche par les compétences » (APC).
17Ce nouveau programme vise ainsi, dès les classes de niveau 1 (section d’initiation au langage et cours préparatoire), à doter les apprenants des outils essentiels à la compréhension des enjeux de la santé. C’est ainsi qu’avant même d’apprendre à parler, à lire et à écrire, les jeunes Camerounais sont familiarisés dès la section d’initiation au langage (SIL), par exemple, à la protection de la santé. Les enseignants sont ainsi supposés leur dire déjà les précautions à prendre pour prévenir les maladies courantes. Ils leur expliquent au passage l’importance du repos et du sommeil, leur apprennent à identifier les maladies infantiles et la conduite à tenir face aux médicaments. Le jeune apprenant est par ailleurs initié à l’application des règles élémentaires d’hygiène des mains, des cheveux et du cuir chevelu, à l’hygiène bucco-dentaire, à celle des pieds et de la peau. Au cours préparatoire, les causes des maladies et les soins de santé sont au cœur des activités d’apprentissage. L’élève est ainsi initié à l’utilisation du vocabulaire approprié pour décrire les soins à administrer pour traiter les maladies courantes (paludisme, blessures, diarrhée, gales, rhume, toux…). Il est aussi amené à nommer ces maladies et à en expliquer les causes. En plus des notions de repos du corps introduites à la SIL, l’élève du cours préparatoire doit connaître les conséquences de l’absence de repos et d’un sommeil insuffisant. Il est par ailleurs formé à la meilleure manière d’éviter les principales maladies. Des développements sont aussi faits sur l’hygiène des mains, des cheveux, des dents, des pieds et de la peau.
18Au niveau 2 (cours élémentaire 1re et 2e années), les enseignements sur la santé à l’école s’appuient sur l’identification des parasites intestinaux et de la peau, leur mode d’infestation, leurs effets sur la vie de l’enfant. Le programme revient par la suite sur les organes des sens et leur hygiène, sur les notions de malnutrition et de sous-alimentation, sur les maladies contagieuses (identification, mesures à prendre pour les éviter, etc.) et sur les vaccins et sérums. Au niveau 3 (cours moyen 1re et 2e années), les activités d’apprentissage en santé s’intéressent aussi bien au système nerveux (rôle et hygiène), aux sens (identification et hygiène), à la respiration (mécanisme et hygiène), aux mouvements (maladies et accidents musculaires), aux maladies sexuellement transmissibles (causes et conséquences) et aux autres maladies courantes : endémiques, épidémiques et pandémiques. L’éducation physique et sportive, enfin, intervient à chacun de ces trois niveaux d’apprentissage (soit 23 heures annuelles au niveau 1, et 46 heures aux niveaux 2 et 3). À presque tous les niveaux, une introduction au moins est faite sur les dangers de l’utilisation abusive des nouvelles technologies et sur les mesures d’hygiène à suivre lors de leur utilisation. L’ensemble de ces enseignements est plus théorique que pratique, et tend à mettre un accent sur la jeune fille et sur l’hygiène reproductive et sexuelle.
19L’examen des projets pédagogiques et des fiches de progression en sciences de la vie et de la Terre (SVT) des lycées et collèges d’enseignement secondaire général du Cameroun pour les années 2020-2021 et 2021-2022 permet d’attester de la prégnance d’une éducation à la santé et à l’hygiène à tous les niveaux d’enseignement, de la sixième à la terminale. C’est ainsi par exemple qu’en sixième, la première séquence d’apprentissage, qui porte sur la santé reproductive, compte cinq leçons : une sur la puberté, une sur les conséquences des grossesses précoces et les moyens de s’en protéger, deux autres sur les pratiques néfastes à la santé de la reproduction et une, enfin, sur les maladies sexuellement transmissibles et le VIH/sida. La seconde séquence a trait à l’hygiène alimentaire, avec deux leçons qui traitent l’une des aliments et de leur origine, et l’autre des maladies nutritionnelles par carence. Les mêmes séquences d’apprentissage sont reprises en classe de cinquième, avec quelques approfondissements.
20En classe de quatrième, les séquences touchent à des questions aussi diverses que l’appareil moteur, l’hygiène préventive, celle de la peau, le système nerveux et l’appareil digestif, les maladies du péril fécal et enfin, les maladies sexuellement transmissibles et le VIH/sida. En classe de troisième, les enseignements reviennent assez largement sur les micro-organismes, les pratiques visant à éviter les contaminations, le système immunitaire et ses perturbations potentielles (VIH/sida), les accidents cardiovasculaires et les maladies comme le paludisme ou Ebola. Le second cycle revient plus en profondeur sur les notions étudiées dans les classes précédentes, avec quelques nouveautés, notamment les insuffisances rénales, les allergies et les maladies tropicales – filariose lymphatique, onchocercose, dracunculose, téniase, schistosomiase, ulcère de Buruli et fièvre jaune – en seconde littéraire et scientifique, le contrôle des naissances et la contraception en première littéraire, etc. Comme on peut le constater, l’éducation à la santé a toujours été au cœur des programmes d’enseignement dans les écoles africaines et au Cameroun spécifiquement, depuis la période coloniale. Celle-ci a cependant connu des pratiques et des dosages différents suivant les époques. Si, contrairement à ce qui se faisait à l’époque coloniale, cet enseignement d’un style relativement nouveau s’est voulu plus théorique, de nos jours au contraire, la Covid-19, qui n’existait pas encore au moment de la conception des programmes camerounais d’enseignement, est venue accélérer le processus d’une éducation à la santé à la fois pratique et théorique, comme en témoignent les différentes visites sur le terrain du ministre camerounais de la santé publique, Manaouda Malachie. Lors de sa récente visite dans neuf établissements d’enseignement secondaire de Yaoundé le 21 septembre 2021, le ministre a essentiellement insisté sur la nécessité du lavage régulier des mains, le port obligatoire du masque dans les établissements scolaires, la distanciation physique dans les classes. Il a souligné la nécessité de se faire vacciner contre cette « terrible maladie » et l’urgence pour les apprenants de sensibiliser leurs parents dans ce sens.
21Notre récent travail de terrain au Cameroun nous a permis de constater qu’un important travail d’information et de formation des parents par leurs enfants scolarisés était en cours. La tendance actuelle porte en effet sur les messages de santé ayant trait à la nouvelle pandémie. Cette observation de terrain a cependant permis de confirmer ce que nous avions déjà observé en 2017 : les populations rurales semblent plus réceptives aux messages portés par les passeurs culturels (les élèves dans ce cas précis). Quant à celles des grandes métropoles, l’absence de confiance dans les messages de santé amène les communautés des parents à afficher une relative réticence car elles sont réceptives aux théories du complot. Le graphique suivant donne une idée de la trajectoire suivie par les savoirs réformateurs diffusés par les élèves auprès de leurs parents. Il propose une synthèse du rôle central joué par l’individu dans la circulation des savoirs réformateurs en santé.
Schéma 1. Trajectoire des savoirs experts dans le cadre d’un échange interpersonnel
22Les savoirs et savoir-faire diffusés par le passeur culturel sont ainsi reçus par le parent (information). Ceux-ci ne sont effectivement intégrés (introjection) que si et seulement si les conditions préalables à leur diffusion permettent au parent de s’y identifier (identification). Dans ce cas, ce nouvel élément, dans la conscience morale du parent, crée une force intérieure à l’origine de l’apparition des nouveaux besoins (la motivation). De tels besoins (besoin en santé) sont confrontés aux obstacles extérieurs comme la coutume, la tradition ou la pression du groupe social auquel il appartient. Si ces obstacles ne sont pas forts, l’individu parvient à adopter un changement progressif de comportement respectueux des normes de santé en circulation qu’il est capable, par la suite, de diffuser lui-même auprès de ses amis, de sa famille, de sa communauté, etc. Mais les difficultés qui peuvent intervenir à chaque étape du mécanisme de circulation des savoirs peuvent tout simplement bloquer le processus. Ce qui permet, en partie au moins, d’expliquer les phénomènes de rejets et de résistances aux modèles réformateurs en circulation.
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23Le but de cet article était de mettre en évidence les ruptures, mais aussi les survivances des programmes d’enseignement de l’hygiène et de la santé dans les écoles coloniales et postcoloniales d’Afrique. Il était aussi question de saisir les mutations qui vont des grandes campagnes vaccinales du début des années 1970 aux programmes plus actuels d’éducation à la santé dans et par les écoles d’Afrique, à partir du cas spécifique du Cameroun. Il en ressort que, qu’il s’agisse de l’hygiène du corps ou de l’environnement, de l’hygiène alimentaire, des maladies courantes ou de la vaccination déjà enseignées dans les écoles coloniales, chacune de ces notions se retrouve presque entièrement reprise dans les programmes de formation en vigueur au Cameroun depuis les indépendances, avec une certaine insistance au début des années 2000, marquée par l’adoption des nouvelles approches pédagogiques (NAP). Et comme pour les périodes précédentes, ce sont surtout les cours de sciences naturelles – aujourd’hui sciences de la vie et de la Terre – qui assurent la diffusion de ces savoirs, savoir-faire et savoir-être en santé. De tels enseignements participent d’un « contrôle des corps » resté prégnant depuis la période coloniale. L’apparition de la Covid-19, en décembre 2019, n’a fait qu’en accélérer davantage la mise en œuvre, avec l’accent porté actuellement sur les mesures barrières en vue de réduire, voire de stopper, la propagation de ce nouveau fléau.