- 2 « State Council », dans le texte original en anglais (NdlR).
1En 2016, le Conseil d’État2 chinois a présenté la Stratégie 2030 pour une Chine saine, qui appelle à « intégrer le concept de santé dans toutes les politiques », planifie le travail de la Chine en matière de santé du point de vue des objectifs, des actions et de l’évaluation, et fait de la santé une question centrale dans le système politique. Dans le champ de la santé physique, les inégalités en matière de santé sont devenues le centre d’intérêt des chercheurs ces dernières années, et notamment « l’obésité, la myopie et d’autres problèmes de santé des élèves du primaire et du secondaire qui sont prédominants ».
- 3 NdlR : Dan Zhang rappelle le système du hukou (permis de résidence) et ses effets sur les parcours (...)
2En principe, la zone de résidence de chaque citoyen chinois est définie par le hukou, le permis de résidence, un document équivalent à un passeport qui est délivré par la province d’origine de la famille et qui comporte deux statuts de résident : agricole et non agricole3. En raison de leur attachement territorial et de leur hukou, les migrants rencontrent différentes difficultés pour s’intégrer dans les villes, notamment une inégalité des chances pour l’éducation de leurs enfants. Ils peuvent les inscrire dans une école privée réservée aux enfants de migrants mais dont la qualité d’enseignement dispensé est souvent moindre. Cependant, avec la réforme en cours, la politique nationale tend à promouvoir l’égalité d’accès, de processus éducatif et de résultats pour les enfants locaux comme pour les enfants de migrants.
3À la suite de la réforme de la politique d’admission dans les écoles publiques et privées, avec l’inscription dans les écoles par tirage au sort, nous avons étudié les élèves issus de familles ouvrières et rurales, en particulier dans les écoles publiques de Shanghai où sont scolarisés les enfants de familles qui présentent un écart de statut social relativement faible entre familles locales et familles migrantes (Zhang, 2016). Ce contexte nous aide à avoir une compréhension plus complète et plus représentative des problèmes de santé, en particulier des conflits de normes à l’école en Chine.
4Dans cet article, nous avons choisi d’examiner la mise en œuvre de la politique de santé en nous concentrant d’une part sur l’analyse des documents de la politique de santé chinoise et des écoles publiques rurales de Shanghai, et d’autre part sur dix entretiens avec des enseignants et cinq entretiens avec des parents. Les familles de la classe ouvrière (y compris les familles rurales locales et les familles de travailleurs migrants) rencontrent des difficultés à l’école, et lorsque les enseignants parlent des parents, ils le font le plus souvent en évoquant les « problèmes familiaux », le divorce et autres problèmes à la maison.
5Selon le cadre de recherche de Wang et al. (2021), nous analysons la famille des écoles rurales en utilisant quatre critères : la supervision parentale, les attentes familiales, le contrôle psychologique et comportemental. Les deux premiers critères permettent de définir quatre styles parentaux, à savoir :
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le style autoritaire normatif (exigences et réactivité élevées), caractéristique des familles de fonctionnaires « sur-normatives » ;
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le style autoritaire souple (exigences élevées, mais faible réactivité), ici présent dans les familles de petits travailleurs indépendants ;
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le style permissif (faibles exigences, mais réactivité modérée à élevée), les ménages ruraux pauvres et stabilisés « conformistes », étant les plus concernés par ce style ;
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- 4 « Neglectful » dans le texte original en anglais.
- 5 En sociologie, un comportement est qualifié de « déviant » lorsque la collectivité lui applique un (...)
et le style « négligent »4 (faible dans les deux dimensions), ici présent chez les ménages ruraux migrants « transgressifs » (ou « déviants »5) et les familles prolétaires monoparentales.
6Après avoir décrit la politique de santé scolaire en Chine aux différents niveaux d’intervention, nous aborderons les difficultés de sa mise en œuvre en fonction des différents publics scolaires présents dans les écoles rurales publiques des zones suburbaine et rurale de Shanghai. Les enseignants et les parents partagent-ils les mêmes conceptions de la santé ? Comment analyser les tensions et les contradictions à l’œuvre ?
7Comme le montrent les documents de la politique de santé nationale et de Shanghai, la recherche sur le concept de santé en Chine se fonde sur la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en se concentrant sur le « cadre de vie », l’« exercice physique » et l’« esprit sportif ». La définition de la « santé » varie de l’absence de maladie et d’infirmité (Larson, 1999) à l’état de bien-être « physique, mental et social » de l’OMS, qui est devenu une référence. Cependant, Leonardi (2018) estime que ces concepts ne sont pas adaptés à la situation complexe d’aujourd’hui et que des définitions diversifiées et relativement larges devraient être proposées. Selon lui, la santé est « la capacité à faire face et à gérer ses propres conditions de mal-être et de bien-être ».
Tableau 1. Contenus de la politique de santé et thématiques mises en œuvre
8Nous avons dans un premier temps tenté de trier les textes de stratégie et de politique de santé nationaux et locaux en Chine (Shanghai) de 2008 à 2021, et nous avons constaté que la Commission nationale de la santé et la Commission municipale de la santé de Shanghai, le ministère de l’éducation et divers ministères et commissions ont publié conjointement plus de soixante textes de politique qui portent principalement sur la myopie, l’obésité, la psychologie, la nutrition et d’autres questions de santé.
9En classant et en analysant ces politiques, nous avons constaté que l’éducation à la santé des jeunes Chinois dans les écoles primaires et secondaires est principalement fondée sur le Schéma d’orientation national de l’éducation à la santé dans les écoles primaires et secondaires promulgué par le ministère de l’éducation en 2008, qui porte sur :
le contenu de l’éducation sanitaire à l’école, notamment les comportements et le mode de vie sains, la prévention des maladies, la santé mentale, la croissance et le développement, ainsi que la santé, la sûreté, l’urgence et la sécurité des adolescents.
10Selon la norme 2017 du programme d’éducation physique et de santé pour les écoles secondaires supérieures ordinaires (révisée en 2020),
le comportement sain est la performance globale de l’amélioration de la santé physique et mentale et de l’adaptation active à l’environnement extérieur. C’est également la clé pour améliorer la sensibilisation à la santé, l’état de santé et former progressivement un mode de vie sain et civilisé. Le comportement sain comprend le développement de bonnes habitudes en matière d’exercice, d’alimentation, de travail, de repos et d’hygiène, le contrôle du poids, l’élimination des mauvaises habitudes, la prévention des blessures et des maladies sportives, l’élimination de la fatigue sportive, le maintien d’un bon état d’esprit et l’adaptation à l’environnement naturel et social. Les formes spécifiques de comportement sain comprennent la sensibilisation et l’habitude de l’exercice physique, la maîtrise et l’application des connaissances en matière de santé, la régulation émotionnelle et l’adaptation à l’environnement.
11En 2021, le plan de travail de la Commission municipale de la santé de Shanghai dédié aux élèves a dégagé les facteurs favorables à la santé, actualisé les questions sanitaires dans les programmes scolaires, etc. La promotion d’une alimentation saine, l’éducation à la santé et la prévention des épidémies sont des thèmes clés du document d’orientation publié conjointement par plusieurs départements, au même titre que la lutte contre l’obésité, contre le tabagisme, la prévention de la myopie et l’accompagnement de la santé mentale. Les dispositions relatives à la sécurité alimentaire, et plus largement à la santé dans les écoles définissent les règles de gestion (des cantines, des accidents), les responsabilités des personnels, et bien d’autres aspects. Sur la base de ces dispositions, les départements concernés ont formulé le Plan d’action pour la protection de la sécurité alimentaire sur les campus (2020-2022). L’avis de travail sur la sécurité alimentaire publié au cours du semestre de printemps 2021 enjoint de « renforcer l’éducation sanitaire à l’école », de « fournir des conseils nutritionnels ». Dans le même temps, la politique nationale exige que les cours d’idéologie et de politique à l’école prennent en compte le contenu de la santé mentale dans l’enseignement du programme. Les supports éducatifs en ligne mettent par ailleurs l’accent sur « l’éducation à la vie et à la sécurité » et « l’éducation à la santé mentale », apprennent aux élèves à utiliser les appareils électroniques de manière raisonnée pendant l’enseignement et les devoirs afin de prévenir les problèmes de myopie, tandis que la « formation militaire » fournit un « exercice de qualité physique ».
12Dans les écoles rurales de Shanghai, les enseignants ont en pratique une conception individuelle peu claire de ce qu’est la santé. Ils essaient de suivre les règles de l’école ou les règlements des autorités locales pour mettre en œuvre la politique de santé dans leurs pratiques quotidiennes personnelles ainsi qu’à l’école. Mais il n’y a pas d’action concrète préconisée ni de règles pour accompagner le transfert direct par les enseignants de ces recommandations au quotidien dans leur enseignement et dans l’éducation, et la pratique de la santé dépend de la compréhension individuelle qu’en a chaque enseignant. Notamment, l’obésité n’est pas perçue comme une maladie ou un mal-être ; enseignants et parents pensent qu’il s’agit seulement d’une phase de la croissance des élèves. Ils considèrent même qu’il est « mignon » d’être un gros garçon. Les réponses des enseignants et des parents des écoles rurales publiques de Shanghai interrogés n’indiquent pas de différence significative entre eux sur ce point, il semble même qu’ils partagent la même vision. La myopie vient en premier dans les préoccupations de santé, tant pour les éducateurs que pour les familles. Selon les statistiques nationales, plus de la moitié des adolescents ont des problèmes de myopie à l’école, qui s’aggravent en raison de la lourdeur des devoirs et des tâches d’apprentissage, et de la dépendance aux équipements électroniques. C’est pourquoi le gouvernement chinois a lancé en 2021 une nouvelle politique intitulée « ShuangJian » (réduction de la charge des élèves en matière de devoirs et de formation après l’école pendant leur scolarité obligatoire).
13D’après leurs réponses, la plupart des enseignants des banlieues et des écoles rurales de Shanghai considèrent qu’il est évident et simple de définir les critères de la santé des élèves : « pouvoir manger et dormir facilement, pouvoir aller à l’école normalement, être ouvert et épanoui ». Au cours de la phase de mise en œuvre de la politique de santé, les écoles de notre échantillon ont adopté une série de mesures, telles qu’un déjeuner équilibré sur le plan nutritionnel à la cantine scolaire, la mise en place d’une salle de soins à l’école pour traiter rapidement les problèmes de grippe et de toux des élèves, pour des maladies telles que la Covid-19. En même temps, avec la pression croissante sur les familles et les études des élèves causée par les phénomènes de « JiWa » (pousser les enfants à faire partie des premiers) et de « NeiJuan » (sentiment général d’échec) qui se développent dans la société chinoise et vont de pair avec de plus nombreux cas de dépression chez les jeunes, les enseignants doivent prêter attention aux problèmes de santé mentale des élèves, en particulier les manifestations d’anxiété et de dépression dans les études au quotidien, ainsi que l’impact négatif sur les élèves des informations données par les médias sur les cas de crimes et de suicides. L’école est équipée d’enseignants professionnels en psychologie pour effectuer un suivi et une prévention de l’état émotionnel quotidien des élèves. En outre, l’école établit le « dossier médical personnel de l’élève » avec un examen physique une ou deux fois par an. Les problèmes dentaires et de vue sont détectés à temps et inscrits dans le dossier de santé afin de contrôler les indicateurs (y compris le tableau de la condition physique et le tableau de la santé mentale). Les infirmières de l’hôpital font régulièrement une tournée de conseil et d’inspection à l’école. Les professeurs de psychologie de l’école communiquent également avec les parents en temps voulu et adhèrent au principe selon lequel la prévention vient avant le contrôle. Afin d’établir un contact avec les parents, l’école met en place un « système de tuteurs pour tous les élèves », où « chaque enseignant est un éducateur moral », et où chaque élève a un « tuteur » correspondant. Les tuteurs et les professeurs principaux travaillent ensemble pour prévenir les problèmes psychologiques soudains et la myopie, mais négligent ce qui a trait à l’entretien et au contrôle du corps. En particulier, les familles de travailleurs migrants sont trop occupées pour s’occuper de l’éducation et de la santé de leurs enfants. De nombreux enfants de ces familles ont des comportements d’addiction aux jeux en ligne. La mise en place de cours en ligne pendant le Covid-19 a également entraîné de graves problèmes de vue.
14Bien que les écoles prennent des mesures spécifiques pour améliorer la santé physique et mentale des élèves, en raison de faibles connaissances nutritionnelles et du manque de relations entre familles de migrants et familles de la classe ouvrière, les normes de santé des enseignants et les actions de santé des parents finissent par entrer en conflit au fil du temps.
15L’éducation parentale influence le développement physique et psychologique des enfants à travers divers processus, notamment en ce qui concerne les valeurs et les croyances ; cette influence est fonction de leur implication, des styles parentaux, des pratiques parentales et de l’atmosphère familiale (Spera, 2005). L’analyse de plusieurs types de familles permet de constater que le mode de vie familial, le statut socio-économique et l’éducation des parents sont souvent les principales raisons des problèmes de santé des adolescents.
- 6 广场舞 (ou danse carrée publique) : en République populaire de Chine, la danse carrée est un exercic (...)
16Dans notre travail de terrain sur les écoles publiques rurales de Shanghai, un petit nombre de familles présente un style parental autoritaire : ce sont des familles de fonctionnaires « sur-normatives », y compris certaines familles d’enseignants. Elles sont relativement exigeantes en ce qui concerne la santé de leurs enfants, avec des détails et des actions concrètes pour l’améliorer, comme l’attention à leur éducation idéologique et morale, en particulier aux lectures des enfants, et la vigilance sur leur dépendance aux téléphones portables et autres produits électroniques à l’ère de l’intelligence artificielle. Par exemple, en tant qu’éducatrice, Mme Wang possède non seulement des connaissances professionnelles en matière d’éducation à la santé, mais elle mène aussi des actions de santé spécifiques visant à améliorer la condition physique. Ainsi, elle emmène ses enfants participer à l’activité « danse carrée6 » dans la communauté, et les encourage à intégrer le concept d’éducation à la santé de l’école en mettant en place des jeux à la maison.
17Ces familles tendent à atteindre un consensus avec les enseignants sur les concepts, les attentes, les valeurs et les actions en matière de santé, et les conflits entre l’éducation à la maison et à l’école se sont révélés moins nombreux. Certains parents des années post-80 et post-90 attachent même une grande importance à la gestion du corps et au concept de fitness. Ils ne tolèrent pas l’obésité, au motif que « la personne qui ne peut pas contrôler son poids n’est capable de rien contrôler ; même un kilo de trop ne peut être toléré ». Par conséquent, les critères de santé de ces familles sont conformes aux exigences des écoles, et il est facile de parvenir à un consensus dans les actions de santé, y compris en allant au-delà des normes de santé de l’école.
18Une petite proportion de parents deviennent des « nouveaux Shanghaïens » en cumulant des points pour obtenir leur résidence permanente locale. La plupart travaillent dans des entreprises individuelles ou familiales, dans des secteurs tels que l’entretien, la vente au détail ou en gros, l’alimentation, etc. Ils travaillent tous les jours, ne disposent pas de connaissances personnelles en matière de nutrition et de santé mentale, et ignorent ce qu’est la santé. Obéissants, ils suivent à la lettre les suggestions des enseignants. La plupart d’entre eux se contentent de satisfaire les besoins alimentaires ou matériels de leurs enfants, mais négligent la communication émotionnelle et spirituelle ou les soins à leur apporter ; ils n’ont ni le temps ni l’énergie nécessaires pour organiser et contrôler soigneusement le régime nutritionnel de leurs enfants. Il existe également des agriculteurs locaux possédant des biens immobiliers et ayant un faible niveau d’éducation, qui peuvent être classés en deux autres types de style parental : l’un est très exigeant mais peu réactif, ce qui correspond à une famille autoritaire ; l’autre est peu exigeant mais modérément ou fortement réactif, ce qui correspond à une famille permissive. Pour ces parents, la publicité et l’éducation à la santé de l’école ont joué un certain rôle, mais il leur est difficile de creuser davantage et de se tenir au courant des recommandations scientifiques en matière de régime et de nutrition. L’école peine à faire évoluer leurs connaissances traditionnelles en matière de santé, de même que leurs habitudes alimentaires. En outre, notamment dans les zones rurales de Shanghai, le phénomène de proximité sociale permet une culture paysanne commune qui favorise la constitution d’un réseau informel de surveillance de la santé des enfants. En comparaison, les enfants scolarisés dans les écoles publiques du district urbain qui sont issus de familles rurales migrantes « transgressives » (ou « déviantes ») ou encore de familles prolétaires monoparentales vivent pour la plupart dans des zones marginales ou des bâtiments illégaux. Bien qu’il existe des activités dans la communauté, ils y participent rarement en raison de leur sentiment d’aliénation par rapport à l’identification à la culture locale de Shanghai, ou en raison de leur grande mobilité ; ils établissent rarement des relations étroites, stables et amicales à long terme avec leurs voisins. Cependant, l’écart entre les travailleurs migrants des zones rurales de la banlieue lointaine de Shanghai et les classes sociales locales ayant une identité d’agriculteurs est faible. Ils établissent une relation de voisinage étroite, forment un « cercle social de connaissances », et « prennent soin » de la santé physique et de l’état psychologique des enfants de leurs familles et de leurs connaissances. Dans les communautés rurales et les familles de la banlieue de Shanghai, la plupart des ménages locaux relogés sont généralement installés dans la même communauté ou le même bloc. Les grands-parents sont chargés de prendre soin de leurs petits-enfants. Lorsque les familles rurales locales ne prêtent pas suffisamment attention à la nutrition ou à la perte de poids de leurs enfants, par exemple, la forte intervention des grands-parents et la pression publique exercée par les parents et amis devient un instrument de surveillance de la santé et peut constituer un solide réseau de connaissances. En fait, ce réseau de surveillance sociale pourrait évaluer efficacement la santé physique et psychologique des enfants, sans critères de santé scientifiques mais avec la perception traditionnelle de ce qu’est la condition physique d’un individu fort et actif. En termes d’indicateurs de santé et de suivi des normes, les écoles s’appuient sur ce mode de supervision par le « réseau social et relationnel ».
19Par rapport aux familles locales de Shanghai, les familles migrantes ont relativement moins d’accompagnement et moins d’investissement dans les soins matériels, psychologiques et spirituels de leurs enfants. Ces familles migrantes « transgressives » (ou « déviantes ») font preuve d’une faible demande et d’une réactivité modérée à faible, ce qui les classe parmi les familles « négligentes ». L’enquête a permis de constater que, dans la plupart des cas, une grande partie des élèves des écoles publiques rurales sont issus de familles de travailleurs migrants, avec une grande mobilité professionnelle, une vie instable et des problèmes familiaux complexes. Ces familles luttent constamment pour leur survie. Les parents sont dans un état de santé précaire. Ils travaillent entre quatorze et seize heures par jour et n’ont pas le temps de s’occuper de leurs enfants. Ils ne peuvent que demander aux grands-parents ou aux tantes de les aider à répondre à leurs besoins physiologiques de base en matière d’alimentation. La plupart des parents se précipitent pour acheter des raviolis frits aux petits vendeurs près de l’école sans se soucier des conditions sanitaires, ou laissent leurs enfants acheter des en-cas, comme du pain ou des pommes, sans tenir compte des concepts nutritionnels ou des préconisations scientifiques.
20La pression qui pèse sur les enseignants en matière de santé vient de l’absence de consensus entre les idées de certains parents et celles de l’école en matière d’éducation sanitaire, qui aboutit parfois à des conflits à propos des actions menées. Les enseignants interrogés insistent généralement sur le fait que la mise en œuvre d’une action de santé nécessite le soutien et la coopération de la famille. L’effet « 5 + 2 = 0 » est courant, c’est-à-dire que l’éducation scolaire dure cinq jours et les parents ne supervisent pas la mise en œuvre le week-end (deux jours), ce qui aboutit à un zéro de l’éducation sanitaire. Les parents vont jusqu’à transgresser les conseils des médecins et des enseignants professionnels et à ignorer le bon sens en matière de santé, ce qui est plus fréquent dans les familles négligentes. Un enseignant va jusqu’à déclarer : « Je pense qu’il est beaucoup plus facile d’éduquer mes élèves que leurs parents. » Dans la vie quotidienne, la classe ouvrière et les parents d’enfants migrants dans les écoles publiques urbaines méconnaissent le concept d’éducation à la santé, ce qui les amène à résoudre les problèmes de manière simpliste, et s’avère incompatible avec la santé scolaire.
21Depuis 2016, la Chine attache une grande importance au concept d’excellente santé, qu’elle a intégré à l’ensemble du système éducatif. Elle a défini une politique et régulièrement introduit des directives pour promouvoir le développement d’écoles saines. Cependant, dans la pratique et en particulier dans les écoles publiques rurales urbaines, en raison de disparités de statut social et d’un faible bagage de connaissances en matière d’éducation et de santé, des tensions et des conflits entre les enseignants et les familles de la classe ouvrière migrante peuvent surgir.
22Notre enquête de terrain a fait émerger quatre styles parentaux en ce qui concerne le rapport aux normes de santé produites par les autorités. De faibles différences existent entre les familles rurales pauvres et stabilisées « conformistes », les familles rurales migrantes « transgressives » (ou « déviantes ») et les familles prolétaires monoparentales. En revanche, les différences sont plus marquées selon la localisation sociale de ces familles, en particulier les familles migrantes qui doivent s’intégrer dans les communautés rurales de Shanghai grâce à un « réseau de connaissances pour la supervision de la santé sociale ». Ces « réseaux sociaux de connaissances » formés dans les quartiers ruraux deviennent des outils de contrôle plus efficaces pour la mise en œuvre des normes de santé. L’introduction de valeurs urbaines affecte différemment les classes ouvrières paysannes et migrantes, selon leur position au sein d’une communauté et d’un foyer ; elles étaient antérieurement soumises à des attentes sociales et structurelles fondées sur des attachements à la famille et à la terre qu’elles ne retrouvent plus dans leur nouvelle situation.
23Notre enquête montre aussi que le style parental autoritaire est en accord avec les principes d’obéissance et de respect de l’autorité présents dans les cultures urbaines et collectives. Cela favorise, même en milieu rural, la construction d’un réseau d’inspection de la santé ; la santé physique des enfants est ainsi mieux prise en considération. Mais alors que les familles permissives et autoritaires permettent aussi d’obtenir facilement une adéquation dans les principes de l’action sanitaire, les familles négligentes apportent des problèmes et des tensions significatifs pour l’enseignant qui doit transformer l’approche de la santé en action sanitaire et sociale dans la vie quotidienne des élèves et des familles.