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Dossier - La santé à l’école

La santé à l’école en Rhénanie-Palatinat

Retour d’expérience d’un chef d’établissement allemand
Health in German Schools. A headteacher shares his experience
La salud en la escuela alemana. Retroalimentación por un director de establecimiento escolar
Michael Forster
Traduction de Werner Zettelmeier
p. 59-68

Résumés

L’article présente les expériences personnelles d’un ancien proviseur de lycée allemand relatives à la problématique de la santé à l’école. L’auteur explore les possibilités de l’action pédagogique dans ce domaine dans le cadre institutionnel du système éducatif allemand, et en montre également les limites. Il plaide pour une réflexion plus globale sur la problématique de la santé à l’école qui impliquerait tous les acteurs de la communauté scolaire, afin de pouvoir relever les défis auxquels sont confrontés nombre d’établissements scolaires, en ce qui concerne les problèmes de santé des élèves et des enseignants.

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Notes de la rédaction

Article traduit de l’allemand par Werner Zettelmeier.

Texte intégral

  • 1  Le remplacement d’un collègue absent jusqu’à trois heures de cours hebdomadaires fait partie des m (...)

1La santé à l’école – cette association de termes n’est sans doute pas celle qui vient spontanément à l’esprit d’un chef d’établissement allemand lorsqu’il est interrogé sur les principaux problèmes et domaines de son action à la tête de son établissement. La santé des enseignants et celle des élèves se reflètent d’abord – c’est du moins l’impression – dans les statistiques sur les absences. Des absences fréquentes sont désagréables, car cela signifie qu’il faudra rattraper les devoirs sur table et c’est donc du travail supplémentaire pour l’enseignant. Les enseignants absents doivent être remplacés par des collègues de l’établissement en cas d’absence de courte durée1. Ce n’est qu’en cas d’absence de longue durée que le chef d’établissement peut demander un remplaçant auprès de l’autorité de tutelle – encore faut-il trouver un enseignant disponible dans la ville ou la région. Les absences fréquentes d’enseignants pour raisons de santé et non remplacés affectent le climat social de l’établissement. En cas d’absence d’un élève pour raison de santé, le rattrapage des cours est de la responsabilité de l’élève et de ses parents.

2Il n’y a pas non plus de personnels spécialisés ayant reçu une formation médicale au sens strict, comme l’infirmier/l’infirmière scolaire en France. Les secrétaires de l’administration scolaire peuvent donner un pansement à poser sur une blessure, ou des compresses glacées en cas de choc. La délivrance régulière (à des horaires précis) de médicaments à des élèves a été, dans mon établissement, une pratique courante et ce à la demande des parents. Mais avec ces pratiques, l’établissement évolue déjà dans une zone grise juridique. À l’école, la bonne santé est un présupposé ; ce n’est qu’en cas de maladie que le système scolaire réagit. Le thème de la santé à l’école est considéré comme un terrain d’action de moindre importance, y compris par les personnels de direction. Il y a des choses plus importantes à faire.

  • 2  Avec un peu plus de 4 millions d’habitants pour 20 000 km2, la Rhénanie-Palatinat est un Land de t (...)

3Une mise en perspective de cette vision quelque peu réductrice suppose d’avoir un aperçu du paysage scolaire allemand et de son fonctionnement. Il doit permettre une meilleure compréhension de ce que je vais dire sur le thème de « la santé à l’école allemande » en tant qu’ancien proviseur d’un lycée en Rhénanie-Palatinat2.

  • 3  Une Kita (privée ou publique) est placée sous la responsabilité du ministère des affaires sociales (...)

4Dans le système fédéral allemand, chaque Land dispose d’un ministère en charge de son système éducatif, ce qui engendre d’importantes divergences entre les Länder, y compris dans le traitement de la question de la santé à l’école. Le système scolaire de Rhénanie-Palatinat est complexe, en raison de la variété des passerelles possibles entre ses différentes composantes. Après une période préscolaire non obligatoire et à durée variable dans une Kindertagesstätte/Kita3, la scolarité obligatoire commence – en règle générale à l’âge de 6 ans – pour une durée de quatre ans. S’ensuit une étape cruciale dans le parcours scolaire : le passage dans l’enseignement secondaire. L’élève – ou plutôt ses parents – peut alors choisir entre plusieurs types d’établissement avec des profils de formation et des débouchés très différents : la Realschule plus, d’une part, le Gymnasium (lycée) ou la Integrierte Gesamtschule/IGS (établissement secondaire intégré), d’autre part. Le lycée se distingue de la Realschule plus par un niveau d’exigence plus élevé, l’IGS réunit en quelque sorte les deux parcours sous un même toit.

5La Realschule plus se termine avec un diplôme et les élèves peuvent commencer une formation professionnelle ou intégrer le second degré de l’enseignement secondaire (Sekundarstufe II/Sek. II), à savoir dans un lycée, une IGS ou un établissement d’enseignement professionnel (berufsbildende Schule/BBS). Le système d’enseignement professionnel propose, outre différentes formations professionnelles spécifiques dans le domaine de la santé, un lycée professionnel, dans lequel une matière « santé » peut être choisie par les élèves comme enseignement renforcé.

6Les conséquences systémiques de ce paysage scolaire différencié sont multiples. Les divergences entre les types d’établissement sont dues avant tout aux niveaux différents en termes d’exigences et de résultats attendus des élèves. Il y a d’autres conséquences relatives à la répartition des élèves issus de l’immigration, des élèves nécessitant un soutien pédagogique ou psychologique ou encore du contexte familial des élèves. L’engagement des parents est important dans un lycée. Les familles s’investissent dans la formation et la réussite scolaire des enfants, et elles sont plus exigeantes quant à la mise en place des conditions permettant cette réussite que dans les établissements d’enseignement professionnel, où des indices observables en rapport avec la santé, comme le fait de fumer ou de mal se nourrir, semblent moins marqués.

7Si l’on cherche à savoir où la santé est abordée dans les établissements, on constate que le sujet est peu présent dans la législation scolaire et dans le règlement des établissements. Dans les programmes d’enseignement du lycée, on peut trouver en sciences naturelles pour les classes 5 et 6 (appelées cycle d’orientation) le champ thématique « le corps et la santé ».

8L’enseignement de biologie du premier degré du secondaire comporte trois champs thématiques en rapport avec la santé, mais qui sont facultatifs : organisme, organes, cellules ; devenir adulte ; identifier les causes de maladie et les façons de se prémunir.

9Au second degré du secondaire, il n’y a pas non plus de module obligatoire traitant de la santé, le sujet pouvant cependant être abordé en option.

10Tous les acteurs du système scolaire ont à leur disposition une vaste panoplie d’informations et d’offres de conseil. La principale ressource est la plateforme Bildungsserver Rheinland-Pfalz4, accessible à tous. Dans les rubriques « promotion de la santé » et « inclusion scolaire », figurent des champs thématiques tels que « maladies chroniques, formation à une alimentation saine, hygiène et protection contre les infections, alimentation à l’école et prévention des addictions ». On trouve également des thématiques comme « la santé des enseignants » et « une école en bonne santé ». Quelle réalité recouvrent ces mots-clés ?

11Parmi les maladies chroniques, on peut distinguer deux groupes : les maladies somatiques (allergies, asthme, diabète, etc.) et les maladies psychiques (hyperactivité, dépression, troubles de la personnalité borderline, etc.). Les maladies chroniques constituent un défi, non seulement pour les élèves concernés et leurs parents, mais également pour les enseignants. Ils sont appelés à s’informer sur ces maladies et à réagir de façon appropriée en classe face aux situations de vie difficiles des élèves souffrant de ces pathologies, peut-on lire sur la plateforme.

12Les « conseils pour l’organisation de l’établissement » évoquent un dilemme auquel sont confrontés les enseignants : d’une part ces élèves ne souhaitent pas susciter une attention particulière et veulent être traités « normalement », d’autre part, des conséquences possibles de la maladie chronique (baisse de la capacité à se concentrer, absences) peuvent avoir une incidence négative sur les résultats scolaires. Pour ces situations, le législateur donne à l’enseignant et plus généralement à l’établissement la possibilité d’avoir recours à des mesures compensatoires permettant de réagir de façon appropriée en classe, dans les évaluations ou dans la notation. Dans mon expérience d’enseignant et de chef d’établissement, ces mesures compensatoires faisaient partie des pratiques pédagogiques de tous les jours. Ces mesures doivent être discutées, approuvées et documentées en conseil de classe. Leur motif est communiqué aux enseignants des différentes disciplines et elles sont toujours limitées dans le temps.

13Parmi ces mesures, on peut citer l’octroi d’un temps supplémentaire pour des épreuves écrites, par exemple pour des élèves qui, à la suite d’une blessure contractée dans une activité sportive, ne peuvent écrire que très lentement. Nous avons fait aussi de bonnes expériences avec la mise à disposition d’un ordinateur aux élèves autistes, dont l’écriture est souvent difficilement lisible. Il est également possible de remplacer une épreuve écrite par une épreuve orale ou de ne pas évaluer un élève pendant un temps limité dans certaines, voire dans toutes les matières.

14Mais ne serait-ce que la question de savoir s’il faut aborder la maladie ou le handicap d’un élève ouvertement en classe devant ses camarades montre le dilemme auquel sont confrontées les équipes éducatives. Il peut être pertinent, d’un point de vue pédagogique, d’en parler – les camarades savent ou pressentent qu’il y a un problème, par exemple en EPS – mais l’enseignant est tenu de garder le silence. Seuls les parents peuvent l’autoriser à en parler. La confiance qui règne entre l’enseignant, la direction de l’établissement et les parents détermine largement la propension des parents à dispenser l’enseignant de son obligation de garder le silence et cette relation de confiance doit être construite sur le long terme et de façon continue.

La santé à l’école, un champ d’action peu codifié et peu formalisé

15Un cas d’école tiré de mon expérience peut illustrer ce qui vient d’être dit. Un élève gravement malentendant nous avait adressé, par l’intermédiaire de la direction de son établissement, une demande de poursuite de son parcours scolaire au sein de notre lycée pour y passer éventuellement le baccalauréat. Cette demande était tout à fait inhabituelle : nous n’avions, à l’époque, aucune expérience en la matière. À l’occasion d’une première rencontre avec l’élève, ses parents et son enseignant référent (lui-même formé spécifiquement à l’accompagnement de ce type de pathologie), il s’agissait de voir dans quelle mesure nous pouvions rendre possible, avec un équipement technique spécifique, la poursuite de la scolarité de cet élève dans notre établissement. L’enseignant référent nous avait proposé d’équiper l’élève et tous les enseignants de casques permettant la communication en classe avec l’élève. Nous avions donné notre accord. Dans ce genre de cas, un accompagnement de l’élève par l’enseignant référent, spécifiquement formé, de son établissement d’origine est également prévu, ce qui signifiait qu’une coopération étroite entre notre établissement et l’enseignant référent était à prévoir sous forme de visites en classe et de concertations.

16Cette proposition se heurtait cependant à une opposition déterminée de l’élève qui refusait cet équipement technique spécifique. Il ne voulait pas être différent, mais effectuer enfin une scolarité normale dans un établissement qu’il considérait comme normal. Il était sûr de réussir. Nous étions impressionnés par son attitude, mais conscients également de notre responsabilité et nous lui avons proposé, en accord avec ses parents, une période d’essai, une sorte de projet pilote. Pendant deux mois, il devait suivre les enseignements et passer les évaluations avec ses camarades, ensuite une décision sur la nécessité éventuelle d’un équipement technique pour la suite serait prise et surtout sur la question de savoir si la poursuite de ses études au lycée serait pertinente. Nous avons pris quelques dispositions qui étaient à notre portée pour adapter le cadre institutionnel aux besoins spécifiques de l’élève. Ainsi, nous avons informé et sensibilisé tous les enseignants en leur demandant de bien articuler et structurer leurs interventions en classe, de prévoir de brèves phases de révision. De même, on lui a réservé une place en classe à proximité de l’enseignant et nous avons convenu d’une concertation hebdomadaire avec le professeur principal.

17Le résultat fut étonnant. La motivation et la volonté de cet élève, son désir de normalité dans les cours et pendant les récréations étaient extraordinaires. L’intégration aux enseignements et au groupe d’apprenants se déroulait sans problème, ses camarades de classe s’impliquaient progressivement dans le travail de révision des cours pour l’élève, tout comme ils répondaient à ses questions de compréhension, sans que ce soutien ait fait l’objet d’une formalisation de la part des enseignants. L’élève gagnait en confiance puisqu’il avait l’impression que son nouvel établissement souhaitait la réussite de ce projet pilote. Après une année scolaire, l’élève n’était pas seulement arrivé dans notre établissement, il y était heureux.

18Toutes les parties prenantes y ont gagné en expérience. Dans le cadre des mesures compensatoires, de nombreuses concertations ont été menées, des ajustements ont été nécessaires, notamment pour ce qui était des épreuves orales du baccalauréat. À l’occasion de la cérémonie de remise du diplôme, l’élève a reçu une ovation de toute sa promotion, qui rendait ainsi hommage à sa performance d’avoir obtenu un résultat tout à fait convenable dans un établissement « normal » en dépit de son handicap physique. D’un point de vue social, ces applaudissements exprimaient sans doute également la joie de ses camarades d’avoir rendu possible cette réussite.

19Cet exemple montre que dans la problématique de la santé à l’école, le doigté pédagogique et l’empathie peuvent être des facteurs essentiels de l’action pédagogique et de la réussite scolaire visée. Il n’y a cependant pas de garantie de succès, comme le montre un second exemple.

20Une élève d’un lycée voisin avait fait une chute lors d’un événement organisé à l’extérieur du bâtiment scolaire et souffrait d’une blessure grave à la colonne vertébrale. Elle risquait la chaise roulante à vie. Après un long séjour à l’hôpital, l’élève pouvait de nouveau marcher, mais son état restait fragile et un traitement de longue durée contre les douleurs était prescrit. Elle ne voulait pas retourner dans son ancien établissement, et demandait à poursuivre sa scolarité dans le second cycle du secondaire au sein de notre établissement. Dans ce genre de cas, la décision d’admission revient au chef d’établissement.

21Pour moi se posait la question de savoir si mon établissement était en mesure de garantir un parcours scolaire réussi à cette jeune fille. Les résultats scolaires étaient certes bons – un critère habituel pour l’admission dans un lycée. Mais beaucoup d’aspects n’étaient pas clairs. Elle avait besoin de phases de repos, d’avoir la possibilité de s’allonger dans un environnement calme. Les douleurs pouvaient l’obliger à sortir subitement d’un cours, les modalités d’évaluation devaient être adaptées. Nous n’avions pas de modèle à suivre et les textes réglementaires ne proposaient pas d’aide précise pour ce cas inhabituel d’une élève revenant d’un centre de rééducation. Avec nos compétences, nous ne pouvions apprécier que très vaguement l’évolution de son état de santé à l’avenir et donc sa capacité à poursuivre sa scolarité.

22Après concertation au sein de la direction élargie de l’établissement et avec les autorités de tutelle, j’ai pris la décision d’admettre l’élève en dépit de ces incertitudes. En Allemagne, il existe très peu d’établissements scolaires spécialisés, capables d’accueillir des élèves souffrant d’une maladie chronique, en tout cas pas dans notre région, et s’ils existent, l’élève aurait dû être en internat, ce que les parents refusaient.

23Les premières semaines se sont déroulées de façon positive jusqu’à ce que les premiers problèmes surviennent lors d’évaluations. L’élève était ambitieuse, mais en raison de son état de santé, elle ne pouvait plus renouer avec son niveau de résultats antérieur. L’image qu’elle avait d’elle-même était ébranlée, la joie de retrouver une scolarité normale s’estompait. L’établissement n’avait aucun contact avec les médecins traitants, les parents n’avaient pas dispensé les médecins de leur obligation de garder le silence sur la maladie. L’intégration sociale au sein du groupe des apprenants devenait plus difficile, car l’élève se repliait sur elle-même, au lieu de parler ouvertement de ses difficultés. Elle utilisait les libertés qui lui avaient été accordées dans le cadre des mesures compensatoires pour esquiver les problèmes. Ainsi, elle quittait les cours, comme elle en avait le droit en cas de douleurs, mais de plus en plus souvent. Sa sincérité était mise en question. Ses camarades commençaient à critiquer ses droits spécifiques, la solidarité s’estompait, ce qui renforçait l’isolement de la jeune fille.

24Cette stratégie était soutenue par l’attitude des parents. Dans les entretiens préliminaires que j’avais eus avec eux, il s’avérait que le traitement juridique de l’accident représentait pour eux une charge psychique très lourde. La procédure judiciaire entamée à cet effet s’étalait dans le temps, et les résultats intermédiaires n’étaient pas encourageants pour la famille. Il s’agissait surtout de dommages et intérêts importants si la responsabilité d’autrui était engagée et finalement d’une indemnité versée à vie, car l’évolution de l’état de santé n’était pas prévisible. La mère en souffrait beaucoup et avait développé un syndrome post-traumatique. Elle réagissait de façon de plus en plus exagérée et agressive à chaque fois qu’elle estimait que sa fille était désavantagée.

25Le problème familial devenait ainsi un problème majeur de mon établissement. Les propos des enseignants et leur comportement étaient contrôlés en permanence, critiqués et déformés jusqu’à un recours intenté auprès des autorités de tutelle contre le comportement d’un enseignant dont l’action avait été faussement présentée par l’élève. Les enseignants étaient sur leurs gardes, une action pédagogique spontanée telle qu’un entretien individuel avec l’élève n’était plus imaginable, des conséquences juridiques étaient possibles pour chaque instant de présence de l’élève en classe. La confiance entre les parents, les enseignants, les camarades de classe et moi-même en tant que chef d’établissement était rompue. Les faits médicaux et la souffrance de la jeune fille passaient à l’arrière-plan. Je cherchais régulièrement à lui parler, mais au sein de la direction élargie de l’établissement, la préoccupation majeure était de savoir comment arriver à la période des épreuves du baccalauréat sans trop de tracasseries juridiques.

26L’élève a pu passer finalement son baccalauréat avec les mesures compensatoires fixées par les autorités de tutelle et a été admise de justesse. Ni elle ni ses parents n’ont assisté à la cérémonie de remise du diplôme, et ce dernier lui a été expédié par la poste.

27Ce second exemple relativise le premier. Ils montrent l’un et l’autre qu’un établissement a la capacité de faire face aux problèmes de santé d’un élève, même s’il faut innover selon les cas, mais aussi que le succès dépend de plusieurs facteurs. En Rhénanie-Palatinat, les choses sont peu institutionnalisées ou encadrées d’un point de vue juridique, ce qui crée des marges de manœuvre. Mais pour sonder l’étendue de ces espaces, le chef d’établissement doit parfois prendre des décisions courageuses. Le succès n’est pas garanti.

La santé comme critère de qualité de l’école

28Sur la plateforme déjà citée figure, entre autres, l’entrée « une bonne école en bonne santé ». Le terme « bonne école » est devenu au fil du temps, dans le paysage scolaire allemand, synonyme d’une évolution réussie du système scolaire dans son ensemble. Par conséquent, tous les établissements sont censés être concernés. Il s’agit donc d’une construction dynamique avec beaucoup de connotations et d’implications.

  • 5  Le management par la qualité ou total quality management (TQM), en anglais, est une démarche de ge (...)

29Le concept de « bonne école » a été associé ces dernières années de façon récurrente et parfois exagérée au concept de qualité. Le management de la qualité de l’école a été et reste le mot-clé, en tout cas avant la crise sanitaire actuelle. C’est la raison pour laquelle on trouve dorénavant sur la plateforme, à côté des entrées attendues et habituelles tels que « développement de la qualité de l’école et en classe », des aspects déjà bien ancrés dans le management de la qualité en dehors du système scolaire, par exemple dans les grandes entreprises. Ainsi, l’entrée « satisfaction et bien-être » rappelle l’orientation vers les collaborateurs et la satisfaction de ces derniers. Dans les deux cas il s’agit de concepts clés du total quality management5. Outre « satisfaction et bien-être », on trouve les champs thématiques suivants :

  • formation et éducation à la santé ;

  • modules et programmes de prévention pédagogique et de promotion de la santé ;

  • principes pédagogiques susceptibles de promouvoir la santé en classe.

30Afin de mettre en œuvre ces contenus, l’institution chargée de la formation continue des enseignants forme des « conseillers pour la promotion de la santé et de la prévention à l’école ». Ces formations de deux ans à temps partiel s’adressent à tous les enseignants, tous types d’établissement confondus. Les candidats doivent être motivés pour cette formation et la mener à son terme, puis être disposés à se rendre dans les établissements pour conseiller les enseignants sur place. Ils peuvent être sollicités par les établissements afin de travailler sous différentes formes avec les enseignants sur des thèmes en relation avec la santé.

31Depuis 2011, la Rhénanie-Palatinat dispose d’un institut spécialisé dans la santé des enseignants, qui est rattaché à la faculté de médecine de l’université de Mayence. Il a été créé à l’initiative du ministère régional en charge des affaires scolaires, « afin de satisfaire aux missions légales dans le domaine de la médecine du travail et de l’environnement ainsi qu’à l’encadrement relatif à la sécurité sur le lieu de travail de tous les personnels des établissements scolaires publics de Rhénanie-Palatinat ». Il ne s’agit donc pas, comme on pourrait le penser, d’un institut censé accompagner les enseignants dans leurs missions quotidiennes sur le terrain ou dans les situations individuelles d’urgence médicale, mais d’une mission administrative (fournir les données nécessaires à l’élaboration du rapport annuel sur la santé dans les établissements ou l’appréciation des risques pour la santé, par exemple pour les congés maternité). Il est cependant possible de solliciter auprès de cette institution l’envoi d’experts afin qu’ils interviennent au sein des établissements pour former les enseignants à la gestion du stress.

32Mes expériences personnelles avec cet institut sont plutôt rudimentaires, une journée d’études organisée avec lui au sein de mon établissement ne m’ayant pas convaincu. Il n’y a pas d’institut spécialisé dans la santé des élèves !

L’importance croissante des psychologues scolaires et des travailleurs sociaux

33Plus intéressant et plus efficace pour le travail quotidien au sein d’un établissement est le rôle des psychologues scolaires. Ces derniers soutiennent les établissements scolaires dans leur mission « de promouvoir et de solliciter de façon optimale les capacités cognitives, sociales et émotionnelles des élèves ».

Le conseil doit permettre à celui qui le reçoit de trouver des solutions sous sa propre responsabilité et de façon autonome. Les objectifs sont fixés d’un commun accord et le psychologue scolaire soutient et accompagne celui qui sollicite son conseil dans la recherche d’une solution6.

  • 7  Depuis la fin des années 1990, plusieurs incidents très graves de ce type ont eu lieu dans des éta (...)

34La psychologie scolaire a gagné en importance ces dernières années grâce au travail et à la compétence de certains psychologues dans le contexte de la gestion de crise et de prévention de tueries de masse au sein d’un établissement7.

35Les travailleurs sociaux constituent une autre aide dans le contexte des problématiques psychosociales qui peuvent survenir dans un établissement scolaire. C’est un dispositif d’aide professionnalisé et institutionnalisé dans les établissements d’enseignement professionnel et dans la plupart des Realschulen plus. Cette mission est à la charge de la collectivité locale dont relève l’établissement pour toutes les questions non pédagogiques (entretien, réparations, etc.). Les travailleurs sociaux scolaires s’occupent des problèmes pour lesquels les enseignants ne sont pas compétents. Dans les établissements d’enseignement professionnel, il s’agit la plupart du temps de l’orientation professionnelle ; dans les Realschulen plus, il s’agit souvent de problèmes d’intégration sociale et de coopération avec les parents, surtout pour les familles issues de l’immigration.

36L’expérience montre que le travail social est une charge financière importante pour la collectivité locale. On essaie donc, si c’est possible, de relier le financement de ces postes à des programmes pilotes financés par le gouvernement régional ou fédéral. Mais la pérennité de ces projets et donc des postes n’est souvent pas garantie. Mes efforts en vue d’obtenir pour mon établissement un soutien professionnel dans ce contexte, notamment pour des troubles du comportement social générés par des conceptions différentes des rôles et des valeurs au sein des familles (dans mon établissement, surtout pour des familles issues de l’immigration turque et russe), ont été vains. Ma demande d’obtenir au moins un demi-poste pour un travailleur social en coopération avec le lycée voisin a été refusée par la responsable au sein de la collectivité locale qui m’a dit : « Vous n’avez pas de problèmes dans un lycée. »

37La thématique de l’inclusion a une importance toute particulière dans le contexte de handicaps mentaux ou physiques dans tous les établissements scolaires en Europe. Même intégrée depuis longtemps à la législation scolaire en Rhénanie-Palatinat, l’inclusion n’est cependant pas encore un sujet pour tous les établissements. Ce sont les parents de l’enfant handicapé nécessitant un soutien qui décident de le scolariser dans un établissement spécialisé ou dans un établissement « normal ». Les établissements « normaux » qui scolarisent de tels enfants bénéficient du soutien d’enseignants formés à l’accompagnement de ces enfants.

38L’importance des problèmes psychiques d’élèves dans des établissements scolaires « normaux » semble dorénavant reconnue. Ils sont considérés comme étant préjudiciables à la santé avec, le cas échéant, des conséquences graves tant pour la santé et le bien-être individuels que pour la cohésion sociale au sein de l’établissement. Des troubles relatifs à l’alimentation (anorexie, etc.) ont constitué en quelque sorte la porte d’entrée des maladies psychiques des élèves. Leurs symptômes étaient observables, elles étaient un peu somatiques, mais il ne suffisait pas de prescrire un médicament, et il était nécessaire de faire intervenir un psychologue. Aujourd’hui nous sommes sensibilisés dans la vie d’un établissement aux maladies psychosomatiques, à la dépression et aux phobies des enfants et des jeunes adultes.

39Dans un Gymnasium, l’autisme dans toute la diversité de ses manifestations est aujourd’hui le trouble psychique le plus fréquent. Dans mon lycée, nous avions toujours plusieurs élèves autistes avec des besoins très différents en termes de soutien. Il existe en Rhénanie-Palatinat un réseau très opérationnel d’offres de conseil et d’accompagnement pour les établissements concernés. Des concertations régulières et obligatoires avec la direction de l’établissement, le professeur principal, les parents et les autorités de tutelle garantissent le respect ou la modification éventuellement nécessaire d’un parcours scolaire. Le soutien possible va des mesures compensatoires déjà évoquées jusqu’à l’accompagnement scolaire, c’est-à-dire que, dans l’idéal, un enseignant formé spécifiquement à cet effet accompagne l’élève lors de sa présence dans l’établissement et le soutient dans tous ses besoins. Mais la collectivité locale, qui doit organiser et financer cet accompagnement, trouve rarement le personnel pédagogique adéquat pour la rémunération proposée. C’est pourquoi des personnes sans formation pédagogique assurent cette fonction. L’expérience montre cependant que ces élèves terminent leur scolarité souvent avec succès et sont admis au baccalauréat en dépit de leur handicap.

40Les chiffres d’élèves ayant des problèmes de santé ou des troubles du comportement sont en augmentation. Avant la pandémie liée au coronavirus, un enfant sur cinq avait déjà des troubles psychiques ; d’après les experts, il s’agit aujourd’hui d’un enfant sur trois. Même les élèves en école élémentaire peuvent souffrir de phobies, de troubles alimentaires et de dépressions.

41D’après mon expérience, les établissements scolaires bénéficient d’un dispositif efficace de soutien en coopération avec des associations extrascolaires pour faire face aux maladies somatiques. Il existe une offre diversifiée en termes de conseil et de soutien, surtout numérique. Des projets pilotes tels que « l’école en mouvement » (plus d’EPS à l’école élémentaire) et « l’école en bonne santé » (quelle alimentation dans les établissements fonctionnant tout au long de la journée) sont appréciables. Il faut également évoquer le « service de premier secours », un projet pertinent dans lequel des enseignants qualifiés forment les élèves intéressés aux gestes de premier secours. Ce projet repose cependant de façon exclusive sur l’engagement personnel des enseignants, car la qualification, très chronophage, s’effectue en dehors du temps de travail, le plus souvent en fin de semaine.

42En revanche, dans le domaine psychopédagogique, une vaste zone grise est à constater, de la problématique du diagnostic à celle de l’aide thérapeutique, en passant par la question des responsabilités à définir et du rôle de l’établissement dans ce kaléidoscope. L’engagement personnel et la créativité des parties prenantes peuvent résoudre certains problèmes, mais une implémentation institutionnelle est également indispensable.

43Les efforts à entreprendre devraient être davantage centrés à l’avenir sur la santé mentale. Les résultats de la recherche récente sur la résilience devraient être davantage pris en considération dans le travail de prévention à l’école, non seulement pour aider les élèves, mais aussi pour prémunir les enseignants contre les risques de burn out dans des situations de crise.

  • 8  Concept développé par le sociologue médical Aaron Antonovsky, qui désigne une approche se concentr (...)

44La salutogenèse8 et la résilience ne doivent pas seulement être considérées comme des contenus à transmettre, mais comme des principes structurants des enseignements et de l’action des personnels de direction. Les enseignants ne peuvent ni ne doivent disposer de compétences approfondies en termes de diagnostic, mais ils ont besoin de ce que j’appelle « le regard pédagogique sensibilisé ». Il s’agit d’identifier le plus tôt possible des indices de troubles mentaux, afin de pouvoir solliciter de l’aide professionnelle. Or c’est un problème, non seulement en Rhénanie-Palatinat, mais dans toute la République fédérale : il y a trop peu de thérapeutes spécialisés dans les problèmes que peuvent rencontrer des enfants et des jeunes, surtout dans l’espace rural ; et le nombre de thérapeutes spécialisés dans le traitement de traumatismes est encore moins élevé.

45Cette situation implique un changement de paradigme y compris et surtout dans un lycée. Le but majeur de l’école ne serait plus seulement la maîtrise grammaticale parfaite des langues étrangères ou de la bonne formule en mathématiques et par conséquent de bons résultats et diplômes, mais tout autant, bien que ce soit encore peu présent dans les consciences, aux plans collectif et individuel, de disposer d’un savoir et d’aptitudes pour aider les élèves et les enseignants à être en bonne santé et à le rester, avec pour objectif général de relever les défis de notre époque.

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Notes

1  Le remplacement d’un collègue absent jusqu’à trois heures de cours hebdomadaires fait partie des missions statutaires de tous les enseignants titulaires dans le Land de Rhénanie-Palatinat (NdT).

2  Avec un peu plus de 4 millions d’habitants pour 20 000 km2, la Rhénanie-Palatinat est un Land de taille moyenne, affichant une densité de population et un PIB/habitant inférieurs à la moyenne nationale (NdT).

3  Une Kita (privée ou publique) est placée sous la responsabilité du ministère des affaires sociales du Land. Ce n’est pas un établissement scolaire (NdT).

4https://bildung-rp.de

5  Le management par la qualité ou total quality management (TQM), en anglais, est une démarche de gestion de la qualité dont l’objectif est l’obtention d’une très large mobilisation et implication de toute l’entreprise pour parvenir à une qualité parfaite, en réduisant au minimum les gaspillages et en améliorant en permanence les éléments de sortie (outputs) (NdlR, d’après Wikipédia).

6https://schulpsychologie.bildung-rp.de/leitgedanken-und-arbeitsweise.html

7  Depuis la fin des années 1990, plusieurs incidents très graves de ce type ont eu lieu dans des établissements scolaires allemands, se soldant par un bilan de plusieurs dizaines d’élèves et d’enseignants tués, le plus souvent par d’anciens élèves de l’établissement concerné (NdT).

8  Concept développé par le sociologue médical Aaron Antonovsky, qui désigne une approche se concentrant sur les facteurs favorisant la santé et le bien-être (physique, mental, social, etc.), plutôt que d’étudier les causes des maladies (pathogenèse) (NdT).

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Pour citer cet article

Référence papier

Michael Forster, « La santé à l’école en Rhénanie-Palatinat »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 89 | 2022, 59-68.

Référence électronique

Michael Forster, « La santé à l’école en Rhénanie-Palatinat »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 89 | avril 2022, mis en ligne le 01 avril 2024, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ries/12208 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ries.12208

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Auteur

Michael Forster

Michael Forster a enseigné le français et l’allemand pendant vingt-trois ans dans l’enseignement secondaire allemand, avant d’assumer durant quatorze années la fonction de proviseur d’un lycée public (75 enseignants, environ 900 élèves âgés de 10 à 19 ans) dans une petite ville de Rhénanie-Palatinat. Courriel : forster.m[at]arcor.de

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