- 1 Connu par son œuvre linguistique, en particulier la fixation de l’orthographe malgache, et pour la (...)
1Au xixe siècle, sous le règne du roi Radama Ier (1810-1828), les missionnaires de la London Missionary Society fondent des écoles à Madagascar1. À cette époque, l’enseignement est divisé en cinq catégories : les écoles de la capitale, les écoles des stations, sous l’étroite surveillance d’un missionnaire résident, les écoles de district, les écoles suburbaines et les écoles villageoises (Koerner, 1999).
2En 1896, Madagascar devient une colonie française. La France s’engage alors dans l’enseignement et l’instruction du peuple autochtone, comme en atteste une circulaire de Gallieni datée du 19 avril 1899 : « L’école doit être obligatoire pour tous les enfants, garçons et filles ; c’est un devoir auquel nul n’a le droit de se soustraire » (Chapus et Dandouau, 1961). Les grands principes de l’enseignement reposent à l’époque sur l’enseignement en français, la liberté de choix de l’école, la neutralité religieuse et le droit d’inspection des écoles privées (1896). Parallèlement, Gallieni développe les grandes écoles supérieures : l’École de médecine, l’École professionnelle et l’École des géomètres. L’objectif poursuivi est de faire des Malgaches, obéissants et fidèles sujets de la France, des ouvriers et des cultivateurs éclairés, aptes à procurer aux colons et aux divers services publics des collaborateurs et des agents instruits (Koerner, 1999).
3Sous la Ire République, les séquelles de la colonisation perdurent de 1960 à 1970, car les coopérants français continuent à dispenser leurs enseignements. Le programme reste français et la langue française est la langue officielle de l’enseignement. Le système éducatif est organisé en trois niveaux, notamment l’enseignement primaire (six années d’études), l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur fréquenté par les étudiants ayant obtenu le baccalauréat. Ce système garantissait une réelle qualité d’enseignement, mais on a pu lui reprocher aussi son caractère trop sélectif, élitiste et inadapté. Tous les acteurs de l’éducation l’ont rejeté en bloc.
- 2 1975 : la Charte de la révolution socialiste malgache prône la malgachisation de l’enseignement. E (...)
4Avec la IIe République (1975) et le rejet du système néocolonial, le régime en place opte pour un système éducatif révolutionnaire dont la finalité est d’éradiquer le passé colonial. Le fondement de la doctrine politique malgache est alors la décentralisation, la démocratisation et la malgachisation2 selon la loi 78-040 du 17 juillet 1978. Ce système très ambitieux se heurte à un certain nombre de difficultés, notamment l’insuffisance des moyens, l’inadaptation de la formation des enseignants et la dégradation tangible du niveau de l’enseignement en général.
- 3 Crise sociopolitique de 1991. Des manifestations populaires qui attirent des centaines de milliers (...)
5La IIIe République suit le mouvement populaire de 19913. Plus libérale, la loi d’orientation 94-033 vise à libérer les contenus de toute orientation politique et à restaurer la qualité de l’éducation.
6Depuis, et jusqu’à nos jours (IVe République), les Objectifs du millénaire pour le développement (2000) et le Plan de l’éducation pour tous (Dakar 2000) ont ouvert une nouvelle ère. Les gouvernements malgaches successifs sont parvenus à mettre en place un système scolaire axé sur la scolarisation en masse et sur une éducation inclusive.
Tableau 1. Quelques réformes entreprises depuis 1975
* L’Initiative Fast Track de l’Éducation pour tous (FTI-EPT) est née en 2002 sous la forme d’un partenariat destiné à stimuler l’appui international à l’éducation. L’Initiative réunit des donateurs et des pays en développement, des institutions multilatérales, des entreprises privées et des organisations de la société civile. Actuellement, l’Initiative apporte un soutien à l’éducation dans 44 nations en voie de développement, dont 25 pays d’Afrique subsaharienne. Voir : https://bit.ly/3NcaqcN
Sources : Adaptation du Pasec 2008 ; Plan EPT (2008) dans Coury D. et Rakoto-Tiana N. (2010).
7Conformément aux droits et devoirs économiques, sociaux et culturels énoncés dans la Constitution et fidèles aux engagements internationaux du peuple malgache, la République de Madagascar reconnaît à toute personne – adolescents et adultes – le droit à l’éducation, à l’enseignement et à la formation (article 2).
- 4 Plan d’action de Madagascar (2007-2012). Document de stratégie de réduction de la pauvreté (2007) (...)
8En 2006, Madagascar lance sa nouvelle feuille de route pour la réduction de la pauvreté, le MAP, qui s’inscrit dans la lignée des objectifs internationaux intégrant de manière explicite les Objectifs du millénaire pour le développement. Parmi les huit piliers du MAP figure l’éducation. L’objectif est de transformer l’éducation en vue de :
créer un système éducatif avec des standards de classe mondiale en quantité et en efficacité, qui stimule la créativité et aide [les] étudiants à transformer leurs rêves en réalité, et qui donne à Madagascar les ressources humaines nécessaires pour devenir une nation compétitive et un acteur ayant du succès dans l’économie mondiale (MAP 2006, cité par Coury et Rakoto-Tiana, 2010).
9Les orientations et décisions concernant l’enseignement sont prises en vue de préparer au mieux les élèves à affronter la vie active.
10À partir de 2008, l’allongement du primaire de cinq à sept ans est progressivement mis en place avec une expérimentation des nouveaux curriculums et des manuels avant leur généralisation. Mais sa réalisation est stoppée à la suite de la chute du régime en 2009.
11Les réformes entreprises aux niveaux du primaire et du collège sont conçues pour répondre aux nouveaux enjeux économiques et sociaux du pays :
[Le nouveau système d’éducation primaire] doit permettre aux enfants d’avoir les habilités pour lire et calculer mais aussi les connaissances et les compétences qui leur seront nécessaires pour poursuivre leurs études, devenir des élèves proactifs qui aiment apprendre avec un esprit critique, et des citoyens ouverts et équilibrés pour leur société (Coury et Rakoto-Tiana, 2010).
12La question de la qualité est toujours au cœur des enjeux éducatifs visés par les réformes (Unesco, 2006). La qualité est mesurée par les résultats. Les résultats se concrétisent dans le développement d’une main-d’œuvre mieux éduquée au terme de sa scolarité, quel que soit le niveau atteint. L’objectif du ministère de l’éducation malgache est donc d’assurer que tous les enfants quittant le système primaire avec un minimum de bagage scolaire puissent devenir des acteurs productifs dans leur communauté.
13Cet aperçu des grandes lignes de la politique éducative et des différentes réformes entreprises montre que le système éducatif malgache nous semble fragilisé par les changements fréquents de régime. En effet, le résultat espéré (qualité et non pas quantité, lutte contre le décrochage, formation des enseignants, etc.) est encore loin d’être acquis, comme le montre le tableau 2.
Tableau 2. Quelques données statistiques sur l’état des lieux du secteur de l’éducation primaire
* Il existe aussi des disparités en termes d’accès entre les ruraux et urbains. Si les enfants issus des milieux urbains ont quasiment l’accès universel en première année du primaire, environ un enfant sur dix n’accède pas à l’école primaire en milieu rural. Ces écarts s’accentuent de l’achèvement du primaire jusqu’à l’accès au collège : ainsi, l’Objectif du millénaire qui voudrait que 100 % de la classe d’âge officiel de cette année d’études (CM2) achèvent le cycle primaire serait loin d’être atteint (PSE, 2017).
Source : PSE, 2017.
- 5 Sensibilisation de tous les acteurs de l’éducation, notamment les parents, les enseignants, les ap (...)
14Il faut une analyse globale du mécanisme de la scolarisation et du fonctionnement du système éducatif à Madagascar et une évaluation minutieuse des résultats obtenus pour apprécier la performance du système. La question de la sensibilisation5 et de la mise en pratique laisse encore à désirer. C’est notamment le cas du manque de formation pédagogique des enseignants. La question de l’orientation est également un problème, car Madagascar, pays à vocation agricole, ne fait pas porter ses efforts sur l’amélioration du secteur de la formation technique et professionnelle… qui n’est toujours pas incluse dans le plan de l’Éducation pour tous (2000).
- 6 Plan sectoriel de l’éducation (2018-2022), pour une éducation de qualité pour tous, garantie du dé (...)
15Consciente de la nécessité d’une nouvelle trajectoire de développement, à caractère inclusif et durable à la sortie d’une longue crise politique (cinq années de transition de 2009 à 2014), la IVe République de Madagascar, dans l’axe 4 « Capital humain » de son Plan national de développement (PND), entend faire jouer au système éducatif un rôle clé. C’est dans cette optique que le Plan sectoriel de l’éducation pour la période 2018-2022 (PSE 2018-2022)6 a été élaboré.
16Ce nouveau système développé par l’ensemble du secteur éducatif, est composé de trois ministères : l’éducation nationale (MEN) ; l’emploi, l’enseignement technique et la formation professionnelle (MEETFP) ; l’enseignement supérieur et la recherche scientifique (MESupReS). Ces ministères ont entrepris la formulation du PSE, dont la mesure phare est la création d’une éducation fondamentale de neuf ans.
17Le PSE se focalise sur la contribution des parents au suivi des études de leurs enfants, sur l’optimisation de l’éducation civique dans le programme d’enseignement, sur l’identité culturelle malgache, sur le renforcement de la formation des enseignants, sur les infrastructures (11 500 salles de classe en trois années avec l’appui de partenaires) et sur la langue à enseigner.
L’éducation fondamentale est délimitée en neuf années qui se divisent en trois sous-cycles de trois années chacun. À chaque fin de sous-cycle, les élèves passent des évaluations sommatives et formatives. La langue d’apprentissage durant les trois premières années dans le premier sous-cycle est le malgache. Le français est introduit lors de la dernière année du deuxième sous-cycle. L’élève doit avoir un profil de sortie à chaque sous-cycle franchi. Le mode d’apprentissage est modifié, d’où des cours de pratiques hors salle organisés en dehors des leçons théoriques. La rentrée scolaire commencera au mois de mars en 2020 pour éviter la période de soudure, les impacts néfastes de la période cyclonique de janvier à mars. Une phase de transition pour y parvenir peu à peu est prévue lors de l’année scolaire 2017 (PSE, 2018-2022)7.
18Mais on reste encore en phase de transition jusqu’à présent.
19Pour répondre au défi de la qualité des apprentissages, les stratégies à mettre en œuvre sont l’élaboration du Cadre d’orientation et d’organisation du curriculum malgache (COOCM), la capitalisation des documents d’accompagnement pour la révision progressive des curriculums, l’amélioration de la qualification des enseignants, de l’encadrement et du temps d’apprentissage/d’enseignement ainsi que la mise en place d’un système de suivi des acquis des élèves.
- 8 Nouveau programme scolaire (PSE).
20Le nouveau curriculum vise à instaurer des programmes scolaires permettant aux jeunes sortants de l’éducation fondamentale de neuf ans de s’insérer facilement dans la vie courante ou de poursuivre avec succès l’enseignement secondaire (général ou technique). Ainsi, conjointement aux objectifs de réduction des redoublements et des abandons, la restructuration des programmes scolaires vise à assurer une meilleure acquisition des apprentissages, en considérant les spécificités locales/régionales et nationales et en intégrant les réalités culturelles, économiques, sociales et environnementales8. En bref, il a l’ambition de redresser de façon significative le système éducatif, considéré comme catalyseur des objectifs de développement durable, et de revoir la définition de la structure de scolarisation aux différents niveaux et selon les différents types d’études et de formation afin qu’elle corresponde aux besoins du développement socio-économique et culturel du pays.
21En ce qui concerne les programmes, de nouvelles matières font leur apparition à tous les niveaux. Au primaire, éducation et développement durable, éducation financière, éducation à la vie en harmonie ou encore éducation artistique, entre autres, intègrent le nouveau programme scolaire. Pour la classe de seconde, un nouveau programme a déjà été établi et est appliqué au niveau national, selon nos informations. Mais tout cela demande différentes procédures complexes, puisqu’il faut ajuster la mise en place, effectuer différents tests, former les enseignants, etc. Enseignants et élèves bénéficieront en outre de nouveaux manuels.
- 9 Série A : série littéraire ; séries C et D : séries scientifiques.
- 10 À compter de l’année scolaire 2021-2022.
22Le nombre des matières enseignées, désormais appelées « disciplines », augmente10. De nouvelles matières comme les sciences économiques et sociales, les technologies de l’information et de la communication en éducation et l’éducation à la citoyenneté sont incluses dans les programmes des lycéens à compter de l’année scolaire 2021-2022. Le MEN cherche des enseignants dans ces disciplines.
23Si, auparavant, les élèves étudiaient neuf matières, ils en ont désormais douze à partir de cette année scolaire. Avec ce changement, les séries pour le diplôme du baccalauréat connaissent également une vraie réforme. Les séries A (littéraire), C et D (scientifiques) sont remplacées par les séries littéraires (L), scientifique (S), organisation, société et économie (OSE).
24Ces changements de dénomination sans effet notable concernent également le lycée devenant « enseignement secondaire général » (ESG), les élèves, appelés « apprenants », les matières, « disciplines », et enfin les enseignants, « éducateurs ».
25Ces réformes, avancées dans le but de mener à bien la réalisation du PSE, posent encore des problèmes, notamment à l’enseignement privé, dont les responsables émettent des doutes sur l’application du PSE. On se demande si tous les enseignants des écoles publiques ou privées sont vraiment préparés à l’entrée en vigueur des nouveaux programmes scolaires prévue au départ pour 2020. De même, on se demande si tous les enseignants ou « éducateurs » du public et du privé seront bien dotés des supports didactiques nécessaires : le fascicule d’explicitation des objectifs des programmes ainsi que les fiches de répartition mensuelle et annuelle pour toutes les disciplines et tous les niveaux. Ces outils doivent leur permettre de traiter les objectifs et contenus des programmes scolaires.
26Alors que l’allongement de la durée du cycle primaire était pensé initialement pour réduire l’abandon scolaire, il l’a au contraire favorisé. En effet, la cause de l’abandon n’est pas la durée du cycle, mais la pauvreté et l’insécurité, comme chacun le sait.
27Ce système de neuf ans n’est pas profitable à l’enseignement privé car la majorité des écoles rurales ne disposent d’infrastructures que pour les cinq années du primaire (ainsi que l’enseignement public rural). Les écoles n’offrant pas un cycle complet sont menacées de fermeture.
28Tous les acteurs œuvrant dans le domaine de l’éducation à Madagascar sont unanimes à reconnaître que le système éducatif malgache a grand besoin de renouveau et de refonte pour offrir une éducation de qualité à tous les enfants malgaches. Cette éducation devra élever le niveau des apprenants et réduire leur crainte de se mesurer à d’autres enfants, sur le plan national comme international.