1Le système éducatif belge francophone présente une grande diversité de programmes d’enseignement. Cette diversité permet une approche comparée, telle que pratiquée entre systèmes éducatifs différents, et mobilise donc des méthodes similaires.
2Au travers du cas particulier qui est présenté ici, l’objectif principal des auteurs est d’attirer l’attention sur l’approche utilisée, afin de mettre en évidence comment, de façon pragmatique, l’analyse comparée permet d’identifier certains problèmes curriculaires. Afin d’en montrer l’intérêt, quelques résultats de recherche seront présentés pour illustrer la manière dont les problèmes soulevés par l’analyse comparée pourraient avoir un impact sur l’efficacité du curriculum et amener d’une part à mieux comprendre la production d’échecs par le système et d’autre part à envisager d’éventuels échecs du système.
3Le système éducatif étudié sera présenté brièvement en privilégiant deux aspects, son organisation compliquée et ses choix politiques, le but étant de faire émerger la question de la cohérence du curriculum. Le travail d’analyse qui a été mené pour répondre à cette question sera situé dans son cadre théorique, mais également méthodologique, de façon à mettre en évidence ce qui est évalué. Les résultats présentés ensuite serviront à illustrer le potentiel de la méthode d’analyse comparée au sein d’un même curriculum d’enseignement.
- 1 Nous utilisons ce terme plutôt que celui de « complexe » qui est, dans le domaine scientifique, ass (...)
- 2 La constitution belge, texte coordonné du 17 février 1994, dans son article 24 prévoit que « l’ense (...)
4L’enseignement en Communauté française, et en particulier dans l’enseignement secondaire aux second et troisième degrés (grades 9 à 12) est organisé dans un cadre compliqué1. En effet, ce système éducatif présente une structure matricielle au sein de laquelle l’élève ou le chef de famille est (quasi) libre2 de choisir son orientation (Demeuse & Lafontaine, 2005). Cette organisation, présentée dans la figure 1, est structurée à la fois selon les réseaux d’enseignement et selon les filières, formes et options.
5Il existe, en Communauté française, différents réseaux d’enseignement. On peut tout d’abord scinder les réseaux d’enseignement en réseaux publics et en réseaux privés subventionnés, baptisés « libres » dans la terminologie belge. Au sein du réseau public, un premier réseau est organisé par la Communauté française elle-même et un second réseau est organisé par d’autres autorités publiques. Au sein des réseaux libres, on retrouve le réseau libre confessionnel (catholique essentiellement) et différents réseaux libres non-confessionnels. Tout élève est libre de choisir et de changer de réseau, en principe chaque année.
- 3 Nous prenons ici en compte uniquement l’enseignement ordinaire.
- 4 Le terme « technique » regroupe ici, pour faciliter la lecture, à la fois les formes technique et a (...)
- 5 « Le conseil de classe est présidé par le chef d’établissement ou son délégué et comprend tous les (...)
6Au sein de ces réseaux, deux filières d’enseignement sont organisées3 : la filière de transition et la filière de qualification. La filière de transition se présente sous deux formes : la forme générale de transition et la forme technique4 de transition. La filière de qualification organise la forme technique de qualification et la forme professionnelle de qualification. Tout élève est libre de choisir et de changer de forme et filière, dans les limites fixées par les conseils de classe5 (Demeuse & Lafontaine).
7Il n’existe pas, comme en France par exemple, d’examen externe sanctionnant la fin des études secondaires (baccalauréat). La certification permettant l’entrée dans l’enseignement supérieur est donc de la responsabilité de chacun des établissements, publics ou non.
- 6 Le terme heure (h) désigne le nombre de périodes de cours de cinquante minutes par semaine.
- 7 Le second degré regroupe les années 3 et 4 de l’enseignement secondaire, le troisième degré les ann (...)
8Une fois inscrits dans un réseau, au sein d’une filière et d’une forme d’enseignement, les élèves ont alors à choisir entre plusieurs options. Si nous prenons le cas des sciences, les élèves de la forme générale de transition ont le choix entre le cours de sciences générales (cinq heures6 au second degré puis six heures au troisième7) et le cours de sciences de base (trois heures dans les deux degrés). Dans l’enseignement technique de transition un troisième choix est possible : le cours d’éducation scientifique (deux heures). Dans les deux formes de l’enseignement de qualification, il n’y a pas de choix possible, et les cours dispensés sont différents dans chaque forme.
Figure 1. Schéma de l’organisation matricielle de l’enseignement en Communauté française de Belgique
9Pour les seules sciences, chaque élève est donc censé avoir sept possibilités différentes au sein de chaque réseau. En cours de scolarité, l’élève a la possibilité de modifier son choix premier à l’issue des grades 9 et 10.
10Un second élément vient compliquer davantage la situation : la liberté d’enseignement laissée à chaque réseau par la Constitution belge. Pour l’enseignement subventionné, le législateur a prévu un ensemble de référentiels communs à tous les réseaux sous la forme, pour les grades concernés ici, de savoirs et compétences terminaux à faire acquérir. Chaque réseau a la liberté de développer des programmes de cours pour atteindre ces exigences. Ainsi, dans une année d’étude donnée (dans une même filière, une même forme et une même option), le contenu du cours est fixé par des programmes différents, car rédigés de façon autonome par chaque réseau. Bien qu’il existe un objectif final de formation à tous les réseaux, le contenu des cours pour un grade donné peut varier considérablement.
- 8 D’un seul réseau pour l’étude présentée ici.
11C’est dans cette structure que nous présentons le rôle essentiel que peut jouer l’analyse comparée à l’intérieur même d’un curriculum. La comparaison interne permet de mettre en évidence l’éventuelle présence d’incohérences : les programmes de cours8, dans ce système particulièrement compliqué, sont-ils compatibles entre eux ?
- 9 Voir le décret « Missions », article 6.
12L’organisation de ce système d’enseignement est chapeautée par un cadre prescriptif commun à tous, défini par les missions assignées à l’enseignement9, elles-mêmes traduites en une série de référentiels terminaux communs qui déterminent les objectifs de formation. Dans ce cadre obligatoire, deux choix politiques, particulièrement importants en termes de compatibilité, ont été posés.
13Le premier consiste à « proscrire toute mesure susceptible d’instaurer une hiérarchie entre établissements ou entre sections et formes d’enseignement organisées dans l’enseignement secondaire » comme précisé dans le décret « Missions » (article 10). En d’autres termes, rien ne doit structurellement empêcher un élève de passer d’une forme d’enseignement à une autre.
- 10 Décret « Missions », article 5.
14Le second choix est posé dans chaque « référentiel présentant de manière structurée les compétences dont la maîtrise à un niveau déterminé est attendue à la fin de l’enseignement secondaire »10 rédigé pour chaque filière. Ces référentiels terminaux fixent, avec une orientation différente, les compétences terminales et savoirs à maîtriser par les élèves à l’issue d’une filière (et option). Les extraits suivants issus des référentiels terminaux (encadré 1), dans le contexte de l’enseignement des sciences, montrent bien cette différenciation qui va d’une orientation scientifiquement très pointue pour le cours de sciences générales à une orientation très évasive pour les cours de la filière de qualification.
Encadré 1. Orientations des référentiels terminaux selon les filières considérées et extraits des apprentissages requis
15Dans un cadre organisationnel déjà compliqué, on peut se poser la question de la concordance de ces deux volontés. Est-il possible d’aménager un curriculum qui permette une non hiérarchisation des filières et formes en leur donnant des objectifs qui soient aussi hiérarchisés en termes de savoirs et de compétences ?
16La question de la cohérence d’un curriculum est universelle. Toutefois, les caractéristiques du système étudié sont telles qu’elle ressort de façon encore plus prégnante. La brève présentation faite ci-dessus rend évidente la pertinence des deux questions suivantes :
17les programmes de cours, dans un système compliqué, sont-ils compatibles entre eux et avec les exigences des référentiels terminaux ?
18les programmes permettent-ils d’assurer à la fois les exigences terminales et la liberté de choix des élèves entre des filières réputées non hiérarchisées ?
19Les développements précédents amènent à interroger la possibilité de concilier effectivement les intentions au sein du système éducatif. Pour apporter des éléments de réponses il est nécessaire, d’une part, de déterminer le cadre et les limites dans lesquels nous abordons le sujet et, d’autre part, d’expliciter les principes méthodologiques qui sous-tendent les analyses.
20Lorsqu’il s’agit d’analyser la qualité d’un curriculum au travers de l’adéquation (ou l’écart) entre les intentions qu’il poursuit et la réalité de ce qu’il produit, il est essentiel, vu l’ampleur de la tâche, de situer le niveau d’analyse : fixer un cadre théorique permet de mieux définir les enjeux et les limites de la réflexion.
21Les deux questions soulevées précédemment mettent en jeu à la fois la compatibilité des programmes et la congruence des choix politiques. Différents modèles de l’évaluation peuvent servir à identifier les limites et enjeux à l’intérieur des quelles se situe le questionnement, chacun apportant une nuance supplémentaire.
22En se référant à Roegiers (2003), nous pouvons situer la réflexion à l’intersection entre ce qu’il appelle « le cadre normatif », c’est-à-dire l’ensemble des normes auxquelles est soumise l’institution éducative, et « le fonctionnement de l’institution ». Cela revient à centrer l’analyse de la manière suivante : à l’échelle des choix politiques, transcrits dans les textes, et du fonctionnement interne du système, quelle évaluation peut-on faire ?
23Par ailleurs, la volonté de comparer pour à la fois évaluer et remédier permet de se positionner dans une approche client ou « consumer-oriented » (Stufflebeam, 2000a) qui a pour objectif l’amélioration de la qualité du système au service des acteurs de l’éducation.
24Pour percevoir les enjeux du questionnement qui a été soulevé, d’autres modèles permettent de circonscrire les limites tout en mettant en évidence l’impact potentiel sur la qualité de l’ensemble du système.
25Nous abordons ici spécifiquement ce que Demeuse & Strauven (2006) nomment la cohérence du curriculum en termes d’objectifs et de moyens.
26Sous un autre angle, il est possible de classer le questionnement dans « l’évaluation des intrants » que sont le projet éducatif et les programmes (Stufflebeam, 2000b). Ce modèle permet de situer le propos en dehors du contexte et en amont du processus d’enseignement et des résultats. Comme le mentionnent les auteurs, cette évaluation des intrants doit être considérée comme un précurseur du succès ou de l’échec du projet (d’éducation) mis en œuvre. En d’autres termes, si la qualité des intrants n’est pas assurée, le succès du processus est compromis et les résultats attendus risquent d’être altérés.
27Ce cadre théorique met en évidence le caractère essentiel d’une analyse de la cohérence entre les objectifs fixés par les choix politiques, les programmes de cours et la diversité possible des parcours des élèves : cette cohérence est un prérequis à une mise en œuvre efficace et efficiente (Demeuse & Strauven, 2006) et, de ce fait, à un système de qualité. C’est dans cette évaluation de la cohérence qu’intervient l’analyse comparée.
28La méthodologie du travail de recherche consiste à vérifier, par comparaison, si ce qui est prescrit dans les programmes permet effectivement de répondre aux exigences qui ont été posées par le législateur dans les référentiels terminaux, ces derniers définissant les compétences terminales et savoirs à maîtriser par les élèves à l’issue d’une filière (et option).
- 11 Ces deux dernières années doivent être effectuées dans les mêmes filières, formes et options et son (...)
29Concrètement, ce travail a consisté à extraire tous les savoirs et toutes les compétences mentionnés dans chaque programme, à associer les contenus des programmes correspondant à un parcours d’élève (programmes de 3e, 4e, 5e et 6e années11) et à les comparer aux savoirs et compétences correspondants définis dans les référentiels terminaux, pour estimer le degré d’atteinte des exigences. Ce travail implique la mise en œuvre d’une base de données relationnelle décrivant l’ensemble des contenus des programmes et des compétences et savoirs requis à l’issue de l’enseignement secondaire supérieur en sciences.
30À titre d’exemple, nous avons comparé (encadré 2) l’exigence finale dans l’option sciences générales « Évolution du modèle atomique jusqu’au modèle de Bohr » (savoir) avec les contenus des programmes de 3e (grade 9), de 4e (grade 10) et de 5e et 6e (grade 11/12).
Encadré 2. Relevé des savoirs contenus dans les programmes de 3e, 4e, 5e et 6e années permettant d’atteindre l’exigence terminale. « Évolution du modèle atomique jusqu’au modèle de Bohr »
31Dans le cas présent, les programmes prescrivent explicitement aux enseignants d’aborder les savoirs nécessaires pour atteindre l’exigence terminale. Ainsi, en s’appuyant tout d’abord sur le modèle simple de l’atome développé par Dalton, puis en proposant la vision plus complexe décrite par Bohr et en envisageant ses limites, le but est de faire comprendre aux élèves l’évolution du modèle atomique.
32L’analyse comparée permet de déterminer si les finalités fixées au niveau politique ont réellement la possibilité d’être atteintes au travers du curriculum prescrit, et ce avant même d’aborder le curriculum implanté, c’est-à-dire la façon dont les acteurs de l’enseignement mettent effectivement en œuvre le curriculum prescrit dans son contexte réel (Demeuse & Strauven, 2006 ; voir aussi Audigier, Crahay et Dolz, 2006).
33Le premier constat posé par l’analyse comparée est le suivant : au sein du seul réseau étudié, un élève qui effectue les quatre dernières années du secondaire dans la même filière, forme et option n’atteint pas les exigences terminales qui ont été fixées pour lui. Certaines notions ou compétences ne sont pas « prévues au programme ». Ainsi, les savoirs et compétences liés à la reproduction humaine sont totalement absents dans les programmes de l’une des formes d’enseignement, qu’une part importante d’élèves suit pour les quatre années. Le degré d’atteinte des exigences terminales est présenté, pour chaque cas, sous forme de pourcentage dans le tableau 1.
Tableau 1. Estimation du degré d’atteinte des exigences des référentiels terminaux par les programmes d’une option couvrant les grades 9 à 12
Degré d’atteinte des exigences à l’issue de la scolarité
|
Savoirs
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Compétences
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Sciences générales
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93 %
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74 %
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Sciences de base
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71 %
|
74 %
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Éducation scientifique
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69 %
|
89 %
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Sciences en technique de qualification
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36 %
|
71 %
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Sciences en professionnel de qualification
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43 %
|
71 %
|
34Les élèves ayant la possibilité de changer d’option, forme ou filière en cours de scolarité, nombreux sont ceux qui effectuent au moins un changement durant les quatre dernières années de l’enseignement secondaire supérieur. Pour eux, les exigences ne sont pas pleinement atteintes au travers des programmes ; les changements effectués ont même tendance à diminuer encore le degré d’atteinte.
35Le constat ainsi dressé au sein du réseau étudié montre des défauts dans la cohérence du curriculum prescrit. Il existe, avant même la mise en œuvre dans les classes, un écart important entre les intentions fixées dans les référentiels et les moyens mis en œuvre au travers des programmes de cours. En référence aux distinctions entre curriculum prescrit, implanté, réel et caché (Demeuse et Strauven, 2006), il semble qu’il y ait, ici, un curriculum « oublié ». Ce curriculum « oublié » correspondrait à la partie du curriculum qui, tout en étant prévue par les finalités, est absente des contenus curriculaires.
36Comme le montre le modèle de la qualité proposé par Bouchard et Plante (2002), la cohérence du curriculum aura un impact sur son efficacité et son efficience. Améliorer la qualité du curriculum passe donc par une amélioration de sa cohérence. Pour ce faire, la méthodologie développée pour l’analyse comparée offre un outil de travail efficace, permettant, par exemple, d’identifier et de distribuer, sur les années de cours, les lacunes à combler.
37L’analyse comparée permet, comme cela vient d’être montré, d’identifier les écarts par rapport aux finalités assignées à l’enseignement. Elle permet également, dans une analyse plus fine, la mise en évidence d’effets négatifs difficiles à identifier autrement : l’existence de doublons, d’absence de pré-requis ou d’écarts importants de complexité entre les modèles scientifiques abordés. La comparaison des savoirs et des compétences prescrits dans les différents programmes, mis en parallèle avec les parcours réels d’élèves, permet donc de vérifier la continuité des apprentissages prévus.
38Dans l’étude réalisée, on constate que lorsqu’un élève passe de la 3e année (forme générale) en option sciences générales à la 4e année en technique de qualification, il répète les apprentissages fait l’année précédente quasiment toute l’année. S’il poursuit dans cette forme d’enseignement, il répètera en 5e et 6e d’autres apprentissages faits en 3e année.
39À l’opposé, certains changements vont confronter les élèves à des écarts de complexité qui rendent difficiles, voire impossibles, les apprentissages. On constate par exemple qu’un élève ayant réalisé les 3e et 4e années en option éducation scientifique, et qui change d’option pour choisir les sciences générales, aura développé une représentation simplifiée de l’atome (modèle sphérique avec électrons répartis en couches). Ceci le prépare mal à s’approprier les notions complexes prévues aux programmes de 5e et 6e années que sont les états quantiques, le modèle probabiliste...
40On découvre également, en comparant les contenus des programmes de cours, que des apprentissages prérequis ne sont pas forcément prévus dans les programmes. Ainsi, en changeant d’option, certains élèves vont découvrir la notion de dilution sans avoir abordé, au préalable, la notion de concentration, pourtant indispensable. D’autres vont découvrir le fonctionnement du système immunitaire et les caractéristiques des cellules reproductrices humaines sans avoir auparavant découvert ce qu’est une cellule... Ces constatations mettent à nouveau en évidence la présence d’un curriculum « oublié » qui pourrait avoir, dans ces cas-ci, un impact sur la réussite scolaire des élèves concernés.
41La plupart de ces effets pervers (dans le sens où ils sont à la fois négatifs et difficiles à détecter) apparaissent lors de changements d’option, de forme ou de filière. Ils sont essentiellement présents lorsque les changements se font dans le sens du professionnel vers le technique de qualification, puis vers le technique de transition, puis vers le général.
42L’existence de ce curriculum « oublié », qui rend difficile voire impossible (dans le cadre de l’enseignement des sciences en tout cas) le passage d’une forme à une autre dans un seul sens, constitue bien un obstacle structurel, une « mesure susceptible d’instaurer une hiérarchie […] entre sections et formes d’enseignement organisées dans l’enseignement secondaire ». Il semble bien y avoir, là, un « effet toboggan », toboggan qu’il est possible de descendre et bien difficile de remonter. Le choix politique de proscrire une hiérarchie, couplé aux choix politiques, fixés par les référentiels terminaux, d’offrir des formations avec une orientation différente, amène des élèves à effectuer des parcours où des apprentissages importants vont être omis, répétés ou tout simplement impossibles à réaliser.
43Certains échecs pourraient s’expliquer par les incohérences du curriculum prescrit. À la suite de ces travaux de recherche, deux conclusions semblent s’imposer :
44un ensemble d’incohérences pourrait avoir pour résultat la production d’échec(s) tant au niveau individuel qu’au niveau du système lui-même ;
45l’analyse comparée est un outil important pour évaluer la cohérence d’un curriculum considéré comme l’ensemble des parcours de formation possibles au sein d’un système éducatif et pour l’améliorer le cas échéant.
46Les résultats présentés précédemment amènent à concevoir comment des élèves peuvent être mis en situation d’échec probable, du fait même du manque de cohérence dans le curriculum (en sciences). Ce que le curriculum prescrit annonce comme étant possible (et même impératif), en l’occurrence la non hiérarchie des filières et des formes d’enseignement, le curriculum prescrit lui-même le rend peu réalisable dans un nombre certain de cas, créant ainsi ce que l’on appelle un effet toboggan ou de relégation (Franquet, Friant et Demeuse, 2010 ; Grootaers, 2006 ; Vitiello, 2008).
47L’analyse met également en évidence un autre risque, au niveau du système cette fois. Comment le système peut-il espérer réussir à atteindre ses objectifs si ce qui est prescrit pour y arriver ne peut déjà pas être atteint « sur le papier », avant même la mise en application dans les classes ? Si les programmes de cours – les éléments formels du curriculum censés dicter les étapes permettant aux élèves d’atteindre les exigences de formation – sont en défaut, il est illusoire d’espérer que le processus lui-même, l’enseignement effectivement implanté, produise les résultats escomptés pour le curriculum. Il apparaît dès lors important de s’interroger sur l’étendue du curriculum « oublié » lorsqu’on évalue un curriculum.
48Finalement, il semble important, au niveau méthodologique, d’attirer l’attention sur l’efficacité de l’approche comparative, au sein même d’un curriculum, pour estimer sa cohérence et donc évaluer un élément clé de sa qualité. C’est en effet un outil permettant d’explorer avec minutie le curriculum prescrit dans son ampleur, ce que ne permet ni une vision d’ensemble, ni une focalisation sur certains éléments du curriculum. Il a également l’avantage de mettre à disposition, à la suite de l’évaluation, un support méthodologique pouvant contribuer à améliorer la qualité du système d’éducation. La base de données construite pour l’analyse peut aisément servir à piloter l’amélioration des programmes en les complétant et en les articulant mieux les uns aux autres.
49Les quelques résultats présentés ici sont issus d’un travail de recherche, mené sur la seule thématique des sciences, qui a été commandité par le réseau d’enseignement public organisé par la Communauté française (et a donc concerné ce réseau exclusivement). L’objectif du réseau étant de déterminer des pistes d’amélioration de l’enseignement des sciences placé sous sa responsabilité, la première perspective est d’établir les possibilités de remédiation aux problèmes de cohérence soulevés.
- 12 Source des données : ETNIC, 2009. Les indicateurs de l’enseignement.
50Toutefois, le réseau en question scolarise environ 23 % des élèves concernés (second et troisième degrés de l’enseignement secondaire de plein exercice), l’autre réseau public en scolarise 17 % et le réseau libre confessionnel 60 %12, avec leurs propres programmes. Si la liberté de choix entre les filières, formes et options fait apparaître des incohérences, qu’en serait-il si l’on prenait en compte, également, la liberté de choix du réseau ?
51On le voit, la politique éducative mise en place par le décret « Missions » en 1997 s’est traduite par une définition des contenus curriculaires qui montrent, à l’analyse, de nombreuses incohérences. Celles-ci sont le signe, entre autres, d’un manque de clarté et/ou de précision dans la définition des finalités assignées à l’enseignement et de la nécessité de coordonner de manière effective les référentiels au-delà d’une définition des objectifs à atteindre à l’issue de quatre années de formation.