Des difficultés d’une véritable tragédie de propagande au XVIIIe siècle : le cas de deux tragédies patriotiques et « antiphilosophiques »
Résumés
Très souvent, les tragédies du XVIIIe siècle sont accusées par la critique de n’être que des œuvres de propagande, composées par les philosophes et les antiphilosophes afin de persuader le public de la bonté de leurs positions idéologiques. À travers l’analyse de deux pièces « antiphilosophiques », Le Siège de Calais de De Belloy et Briséis ou La Colère d’Achille de Poinsinet de Sivry, cet article se propose de revoir ce modèle interprétatif. Les deux tragédies se révèlent en effet parcourues par des tensions internes qui en complexifient le message, s’avérant des occasions de repenser et approfondir leur thématique principale, ce patriotisme qui trouve pendant la Guerre de Sept Ans une importance centrale dans la rhétorique monarchique. Le théâtre tragique du XVIIIe siècle se révélerait alors moins une tribune d’où diffuser les idées des deux partis qu’un moyen de problématiser leur validité.
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Poinsinet de Sivry (Louis), Briséis ou La Colère d’Achille, De Belloy (Jean-Baptiste), Siège de Calais (Le), tragédie, XVIIIe siècle, antiphilosophes, propagandeKeywords:
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- 1 Voir par exemple R. Ridgway, La propagande philosophique dans les tragédies de Voltaire, Genève, In (...)
1Lorsqu’il s’agit d’aborder les nombreux débats et querelles qui ont lieu entre « philosophes » et « antiphilosophes » à partir des années 1750-1760, la critique tend souvent à raisonner par oppositions binaires, les deux camps se définissant autour de plusieurs concepts clés : d’un côté, la laïcité, les projets de réforme politique et le cosmopolitisme tolérant des esprits des Lumières ; de l’autre, le parti des dévots, avec leur défense des prérogatives absolutistes et un certain chauvinisme. Selon plusieurs spécialistes du théâtre de l’époque, ces disputes se traduiraient d’ailleurs de façon transparente sur les scènes tragiques et comiques : postulant que, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le théâtre n’assume finalement qu’un rôle didactique ou propagandiste, les pièces de cette période sont souvent lues comme des transpositions des luttes idéologiques entre les deux partis1. Les potentialités expressives et la dimension publique du genre théâtral en feraient une tribune d’où haranguer tout adversaire et persuader l’audience de la bonté de certaines vues sur l’actualité.
- 2 J. Merrick, The Desacralization of the French Monarchy in the Eighteenth Century, Baton Rouge, Loui (...)
- 3 Voir E. Dziembowski, Un nouveau patriotisme français, 1750-1770, Oxford, The Voltaire Foundation, « (...)
- 4 Journal encyclopédique, 1756, t. VI, III partie, p. 78.
- 5 B. de Negroni, Lectures interdites. Le travail des censeurs au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, (...)
- 6 O. Ferret, La fureur de nuire : échange pamphlétaires entre philosophes et antiphilosophes (1750-17 (...)
- 7 E. Dziembowski, Un nouveau patriotisme, cit., p. 62-67 et p. 424-434. « Avec la guerre des Sept Ans (...)
2Il est en effet indéniable que pendant ces années les divisions au sein de la vie politique et culturelle française se radicalisent, le royaume de Louis XV vivant une véritable crise institutionnelle2. Nous pouvons par exemple penser aux tensions religieuses à la suite de la Bulle Unigenitus, ou à celles entre Roi et Parlement, lequel demande de participer davantage aux choix politiques et fiscaux du royaume ; ou à la Guerre de Sept Ans (1756-1763) qui, montrant l’inadéquation politique et militaire française, encourage une réflexion sur les apparats absolutistes ; en réponse, la monarchie favorise et soutient toute publication qui légitime ses actions3, dans une guerre qui était « aussi animée sur le papier que sur les mers »4. C’est dans ce contexte, où l’importance grandissante de l’opinion publique interne rend nécessaire pour la monarchie de mettre en place des stratégies efficaces de « publicisation » de ses politiques, que l’offensive contre les « philosophes » assume notamment ses tons les plus forts : rappelons les attaques à l’Encyclopédie à la suite de l’attentat de Damiens en 1757 et, deux ans plus tard, la révocation du privilège d’impression5 ; la violente campagne pamphlétaire qui se déchaîne dans le but de contraster les idées éclairées6 ; la condamnation de leur cosmopolitisme, considéré comme étant la cause de l’affaiblissement de l’esprit patriotique national : les « philosophes » sont accusés d’anglophilie ou de se désintéresser de la nation7, et pour reprendre les mots de Damis, personnage des Philosophes de Charles Palissot :
- 8 C. Palissot, Les Philosophes, Paris, Duchesne, 1760, (II, 5), p. 54.
Quel bien a produit cette philosophie ?
[…]
Louant, admirant tous les autres pays,
Et se faisant l’honneur d’avilir leur patrie :
Sont-ce là les succès sur lesquels on s’écrie ?8
- 9 Voir L. J. Connors, op. cit., p. 49-60.
3La violence des débats et des accusations touche donc incontestablement à son sommet pendant cette période, et la comédie de Palissot, avec son grand succès9, n’est qu’un des nombreux exemples qui montrent comment les scènes théâtrales ont pu se faire lieu de plusieurs querelles idéologiques.
- 10 Voir D. M. Nicolosi, La Tragédie du XVIIIe siècle et le mythe grec, thèse sous la dir. de G. Iotti (...)
4Pour conclure que le théâtre est devenu une « tribune propagandiste » des principes philosophiques et antiphilosophiques, il faut toutefois que plusieurs conditions se vérifient. Parmi elles, il faut déjà que les deux camps soient nettement distingués et que leurs positions soient très assurées, comme la critique théâtrale les imagine ; que l’œuvre théâtrale s’offre à l’instrumentalisation « sans aucune résistance », l’univocité étant un trait central de toute volonté persuasive (ce qui impliquerait que ses paradigmes dramaturgiques et scéniques puissent se plier à cette finalité ultime) ; qu’il existe un contexte et un public disposés à écouter ce message et à se l’approprier. Or, il est impossible dans l’espace court de cet article de discuter et remettre en question en profondeur ces postulats – aspect que j’ai toutefois déjà tenté ailleurs pour la tragédie à sujet mythologique du XVIIIe siècle10 ; mais nous pouvons tout de même montrer à quel point cette hypothèse critique se révèle problématique de manière générale. Dans cet article nous nous intéresserons surtout au patriotisme, concept qui assume une importance croissante pendant la guerre puisque, dans le but d’exorciser les défaites, on assiste à une multiplication exponentielle de pamphlets et de journaux qui visent à consolider un sentiment patriotique dans la population : sa thématisation théâtrale se prête donc parfaitement à une analyse du fonctionnement du discours tragique et de sa capacité présupposée de véhiculer des contenus idéologiques univoques. Parmi plusieurs exemples, nous choisirons alors deux tragédies qui, en raison de leurs contextes de composition et des positionnements politiques de leurs auteurs, devraient être mues par un esprit partisan explicite : Le Siège de Calais de Pierre-Laurent Buirette de Belloy et Briséis ou la Colère d’Achille de Louis Poinsinet de Sivry.
Quel patriotisme ? Et dans quel genre littéraire ? L’exemple du Siège de Calais
- 11 Voir D. Masseau, Les ennemis des philosophes, Paris, Albin Michel, 2000, p. 19-42.
- 12 Si dans son Discours sur l’inégalité Rousseau louait les « grandes âmes cosmopolites, qui franchiss (...)
- 13 Voir par exemple A. Hunwick, « Le Patriotisme de Voltaire », dans SVEC, 116, 1973, p. 7-18 ; D. J. (...)
- 14 Voir J. Shovlin, The Political Economy of Virtue. Luxury, Patriotism, and the Origins of the French (...)
- 15 Cette position, dont se font porteurs Montesquieu dans son De l’Esprit des Lois et l’Abbé Coyer dan (...)
5D’abord, malgré l’amertume des débats entre les philosophes et leurs adversaires, plusieurs spécialistes ont rappelé qu’il est impossible de réduire leurs positions à des étiquettes figées et simplistes, qui minimiseraient toute évolution ou changement de perspective ; l’idée même de deux partis nettement opposés devrait être sujette à caution11. Dans le cas du patriotisme, il n’est pas nécessaire de rappeler les évolutions de la pensée de Rousseau12 pour remarquer qu’il n’est pas une valeur étrangère aux hommes des Lumières et à leurs idées13 ; à côté du cosmopolitisme, l’amour pour la patrie assume un rôle central dans les définitions d’État moderne lorsqu’il se propose comme principe essentiel de plusieurs théories économiques14 ou lorsqu’il se décline en tant que participation active des citoyens à la vie de la nation, selon le principe anti-absolutiste qu’« il n’est point de patrie sous le joug du despotisme »15.
- 16 Voir D. A. Bell, The Cult of the Nation in France: Inventing Nationalism, 1680–1800, Cambridge, Har (...)
- 17 E. Dziembowski, Un nouveau patriotisme, cit., p. 434-472.
6De même, l’idée de patriotisme trouve chez les « antiphilosophes » des applications très variées, surtout en ce qui concerne son rapport avec le pouvoir monarchique : d’un côté, il s’agit d’un thème récurrent de la propagande royale, qui s’efforce de promouvoir la figure de Louis XV en tant que Père de la nation et de faire coïncider l’amour pour la France avec celui pour le souverain16 ; de l’autre, abandonnant l’apologie monarchique pour encenser au contraire le dévouement populaire à la grandeur et la renommée de la nation française, plusieurs intellectuels en proposent des définitions qui se rapprochent progressivement de celles de leurs adversaires17. Les positions théoriques des deux groupes semblent donc se confondre et se diffracter, la production pamphlétiste et littéraire manifestant ces fluctuations.
- 18 Voir P. Szondi, Essai sur le tragique, Belval, Circé, 2003.
- 19 « Dans les œuvres de Racine et déjà de Corneille, la puissante vitalité des passions se fonde pour (...)
- 20 « L’avantage d’une représentation théâtrale réside dans le dialogisme et la crise tragique : les au (...)
- 21 Voir notamment R. Bret-Vitoz, L’espace et la scène : dramaturgie de la tragédie française, 1691-175 (...)
- 22 Voir Ibid., p. 11-15 et J. Thomasseau, Drame et tragédie, Paris, Hachette Livre, 1995.
- 23 P. Brooks, The melodramatic imagination, New Haven, Yale University Press, 1976.
- 24 Voir P. Frantz, L’esthétique du tableau, Paris, PUF, 1998 et S. Marchand, Théâtre et pathétique au (...)
7Ensuite, rien n’empêche que les textes théâtraux puissent présenter, forts des multiplications de points de vue de leurs personnages ou de leurs retournements de l’intrigue, une certaine attitude critique autour d’un sujet donné. Parmi les différents genres dramaturgiques, la tragédie est celui qui semble faire de cette approche « problématisante » l’un de ses caractères principaux. Dégageant le tragique, concept philosophique qui se développe à partir du XIXe siècle dans le romantisme allemand18, nous constatons en effet que, à travers sa poétique « de la distance », l’idéalisation de ses personnages, ses règles d’abstraction de l’espace et du temps ainsi que ses stratégies de représentation, la tragédie peut se poser en tant qu’instrument analytique19 des fondements idéologiques du droit, de la monarchie, des rapports sociaux20. Évidemment, le genre a beaucoup évolué au cours du XVIIIe siècle, se faisant toujours plus pathétique et bourgeois dans ses contenus et plus spectaculaire dans ses stratégies de représentation21. Toutefois nous savons qu’une césure nette par rapport à la tragédie « classique » n’est finalement qu’un préjugé de la critique romantique du XIXe siècle22 ; d’ailleurs, le pathétique et le spectaculaire, s’ils procèdent d’un côté à une simplification des valeurs portantes d’une pièce et encouragent l’adhésion du public, ont par ailleurs la capacité d’amplifier la charge émotive des conflits éthiques, les rendant également plus pressants et plus marquants pour le spectateur sur un plan intellectuel23. Dans un siècle qui a fondé son esthétique sur la « force » et « l’énergie » de la recherche d’effets sensibles sur le public24, le pathétique et le spectaculaire deviennent donc un moyen de hausser les oppositions dialectiques de la tragédie, qui garde sa portée critique, entraînant le public « malgré lui » et le faisant participer aux affrontements théoriques qui se déroulent sur scène.
- 25 Voir M. Moffat, « Le Siège de Calais et l'opinion publique en 1765 », dans RHLF, 39, 1932, p. 339-3 (...)
- 26 À propos du système politique de son pays, c’est Édouard même qui affirme : « Je sortais de mon île (...)
8Prenons par exemple Le Siège de Calais de De Belloy (1765), tragédie qui raconte la résistance de la citadelle française contre l’invasion des Anglais pendant la Guerre de Cent Ans et dont les ambiguïtés ont été déjà identifiées par la critique. Évidemment inspirée par l’actualité de la Guerre de Sept Ans, cette tragédie est considérée comme étant antiphilosophique en raison de sa défense propagandiste de la monarchie25 et de ses personnages dont les caractérisations tranchantes réunissent aisément le public autour d’une rhétorique patriotique. D’un côté, De Belloy adopte en effet les perspectives du nouveau discours monarchique et promeut la consolidation du lien symbolique entre le roi et ses sujets, à préférer au modèle parlementaire anglais26 :
- 27 Ibid., (III, 4), p. 108.
Le Français, dans son Prince, aime à trouver un Frère,
Qui, né fils de l’État, en devienne le Père.
L’État et le monarque, à nos yeux confondus,
N’ont jamais divisé nos vœux et nos tributs.
De là cet amour tendre, cette idolâtrie
Qui dans le souverain adore la patrie.27
9Il n’épargne d’ailleurs pas les « philosophes », critiquant leur manque d’attachement à la nation :
- 28 Ibid., (IV, 2), p. 115.
Je hais ces cœurs glacés et morts pour leur Pays,
Qui, voyant ses malheurs dans une paix profonde,
S’honorent du grand nom de Citoyens du Monde,
Feignent dans tout climat d’aimer l’Humanité
Pour ne la point servir dans leur propre Cité ;
Fils ingrats, vils fardeaux du sein qui les fit naître,
Et dignes du Néant, par l'oubli de leur Être.28
- 29 Voir « Introduction », dans Ibid., p. 44-59 ; J. Truchet, Théâtre du XVIIIe siècle, Paris, Gallimar (...)
- 30 De Belloy, op. cit., (V, 2), p. 130.
- 31 Ibid., (V, 5), p. 134.
- 32 Ibid., (III, 3), p. 101.
- 33 « D’ailleurs, Maître de tout, l’est-il de sa personne ? / Peut-il à d’autres Rois transporter sa Co (...)
- 34 « Valois trop fortuné ! Quel Roi, digne du trône, / Ne demande au destin le peuple qu’il te donne ? (...)
10De l’autre côté, il a été remarqué que la tragédie de De Belloy s’avère non seulement influencée par plusieurs concepts du patriotisme « éclairé », mais aussi dangereuse pour la monarchie elle-même qui en encourage les représentations29. Les origines bourgeoises des protagonistes et leur héroïsme spontané et démesuré, en dépit du roi Philippe de Valois qui est finalement absent pendant la pièce, ne font que confirmer que les valeurs patriotiques demeurent désormais plus dans l’esprit citoyen que dans la figure du souverain. Les attaques au roi Édouard III, légitimées par sa méchanceté et son appartenance au camp anglais, résonnent comme des observations critiques de tout système monarchique : c’est la puissance sacrée de la royauté qui est remise en cause lorsqu’Eustache de Saint Pierre déclare : « Vous me forcez, Seigneur, d’être plus grand que vous »30, ou quand Aliénor affirme qu’« un sujet vertueux, s’immolant pour son roi / Vaut bien un roi, Seigneur, cruel dans sa victoire »31. D’ailleurs, quand le Maire de Calais refuse de reconnaître le pouvoir royal d’Édouard, « titre vain sans l’aveu des Sujets »32, ou lorsque le projet de Philippe de Valois de terminer la guerre par un duel est contredit et rejeté par les arguments du comte Melun33, nous remarquons que le pouvoir de la nation ne réside plus dans la personne du monarque mais dans la communauté des citoyens, dont le roi n’a qu’à seconder les volontés34.
- 35 C. Biondi, « Le Siège de Calais di Dormont de Belloy : ragioni di un successo », dans C. Rosso (dir (...)
- 36 « Des brigues de la Cour quel effet déplorable ! / Ce fut en l’outrageant qu’on le rendit coupable. (...)
- 37 Ibid., (II, 4), p. 93.
- 38 Ibid., (II, 5), p. 94 : « Ce n'est point à mourir que la Gloire convie, / C'est à rendre sa mort ut (...)
- 39 Voir par exemple Ibid., (IV, 2), p. 114-115 ou Ibid., (III, 4), p. 108.
- 40 Dziembowski, Un nouveau patriotisme, cit., p. 173-182.
11La tragédie de De Belloy, qui aurait dû représenter l’apothéose d’un théâtre absolutiste, se révèle donc au contraire ambiguë et parcourue par plusieurs tensions. Pour justifier ce caractère exceptionnel, inexplicable selon les catégories courantes, la critique a évoqué l’indépendance de Belloy du pouvoir royal et de ses stratégies propagandistes35. Mais si l’on abandonne cette interprétation figée du théâtre de l’époque, on se rend compte que la raison la plus probable du succès du Siège consiste justement en sa capacité d’intensifier la valeur de ses oppositions théoriques internes à travers la grandeur pathétique de son intrigue et de ses personnages. La réflexion sur les rapports entre la monarchie et ses sujets se déroule grâce au remords du jeune aristocrate Harcourt, qui paie avec la mort de son frère ses revendications, pourtant justes, contre la Cour française et son système de privilèges36 ; à travers la « sublime horreur »37 du sacrifice envisagé par Eustache de Saint-Pierre, le prix de sa fidélité apparaissant d’autant plus démesuré38 que le roi Edouard s’efforce de la vaincre menaçant une exécution sommaire et cruelle ; à l’aide des regards extérieurs et empathiques de Mauni et d’Aliénor, qui dédoublent ceux des spectateurs en les enrichissant de considérations morales et politiques39. Finalement, adhérant aux présupposés monarchiques et encensant les nouvelles formes d’attachement à la nation, c’est à travers ses exacerbations et ses dangers ultimes que la tragédie touche sur le vif un public qui, à la suite de la défaite contre l’Angleterre, commence à reconsidérer son rôle à l’intérieur du corps social et les prérogatives royales40.
12L’intérêt du Siège de Calais résiderait donc dans sa capacité de questionnement des discours idéologiques contemporains, sans y prendre une position nette mais pour en représenter la complexité : la tragédie garde sa fonction analytique, intensifiée par le recours à des personnages pathétiques et bien distingués éthiquement. Nous pourrions toutefois penser qu’il s’agit d’une stratégie poétique de Belloy, cause directe de son étonnant succès : pour rendre plus évidente la nécessité méthodologique de modifier notre regard sur la tragédie du XVIIIe siècle, nous pouvons alors nous pencher sur l’analyse de Briséis de Poinsinet de Sivry, auteur incontestablement « antiphilosophe », et vérifier sa manière de présenter les valeurs patriotiques si chères à son « parti ».
Le « sort bizarre » de Briséis
13Dans son Journal historique, Charles Collé se dit surpris du succès incertain qu’a rencontré la Briséis de Poinsinet, créée à la Comédie-Française le 25 juin 1759 :
- 41 C. Collé, Journal historique, ou Mémoires critiques et littéraires, Paris, L’Imprimerie Bibliograph (...)
Les Comédiens français ont donné en juin Briséis, tragédie d'un M. Poinsinet […]. Cette tragédie a eu un sort bizarre : elle a été prodigieusement applaudie à la première représentation, on a demandé l'auteur, elle a eu tous les symptômes d'un grand succès et elle a été déserte à la seconde ; on m'a assuré qu'elle en avait eu cinq en tout, et qu'il n'y avait personne aux trois dernières.41
- 42 J. de La Porte et S.-R.-N. Chamfort, Dictionnaire dramatique, Paris, Lacombe, 1776, t. I, p. 188.
- 43 Voir le Registre des recettes R122, p. 119 et sq., consulté le 25/02/2021, URL : <https://flipbooks (...)
- 44 Voir Registre d’assemblées R52_22, p. 350, consulté le 25/02/2021, URL : <https://flipbooks.cfregis (...)
- 45 J.-F. de La Harpe, Correspondance littéraire, adressée à Son A. I. M. Le Grand-Duc, aujourd’hui Emp (...)
- 46 Voir le Registre des recettes R153, p. 55 et sq., consulté le 25/02/2021, URL : <https://flipbooks. (...)
14Nous savons que la programmation de la tragédie a été en réalité interrompue à cause d’un accident arrivé à l’acteur Le Kain lors de la cinquième représentation42 ; cependant, les Registres de la Comédie-Française confirment les mots de Collé : les recettes se réduisent progressivement, le public désavouant l’appréciation de la première43. La pièce sera retirée de l’affiche, et la troupe de la Comédie-Française se refusera à la remettre en scène à cause d’une dispute avec l’auteur, qui en avait demandé avec insistance la reprise en 176044. Elle ne sera reproposée qu’en 1787, dans le but d’aider financièrement Poinsinet, tombé en disgrâce45 : elle obtiendra alors un bon succès, avec onze représentations et une recette moyenne de 1817 livres46. Comment faut-il interpréter la fortune fluctuante de la pièce, son accueil lors de la première, sa chute immédiate et sa récupération juste avant la Révolution ?
- 47 Année littéraire, 1759, t. IV, p. 187-189.
- 48 Correspondance littéraire, éd. M. Tourneux, Paris, Garnier Frères, 1878, t. IV, p. 124-126.
15La presse de 1760 ne nous fournit pas de réponse certaine. En effet, dans L’Année littéraire, Fréron loue la tragédie de Poinsinet, dont il rappelle le franc succès de la première : ce « véritable talent », dont la poésie s’est abreuvée directement à la « sublime » source homérique, a composé une tragédie dont le style est « tel que le demande la tragédie »47. Au contraire, Grimm s’avère très critique, attaquant durement dans la Correspondance littéraire cet « ouvrage d'un écolier qui manque de nerf et de génie » : tout personnage serait fautif, irrespectueux des mœurs homériques ; la pièce serait languissante et le style enfin « élégiaque ou épique, et non dramatique »48. Si ces avis très divergents ne permettent pas de tirer des conclusions à propos du succès de Briséis, leur opposition ne semble toutefois pas anodine, nous suggérant qu’ils peuvent cacher des enjeux extra-littéraires : Fréron est notamment un « antiphilosophe », tandis que Grimm appartient au groupe des « philosophes ». En dehors de la valeur esthétique de la pièce, ses résultats incertains sont-ils alors liés aux disputes entre ces deux partis ?
- 49 L. Poinsinet de Sivry, La Berlue, Londres, à L’Enseigne du Lynx, 1759. Par rapport au patriotisme, (...)
- 50 Parmi ses œuvres successives nous trouvons la pièce de marionnettes Les Philosophes de bois, Paris, (...)
- 51 A.-C. Cailleau, Les Originaux, ou Les Fourbes punis, Nancy, s. é., 1760, page non numérotée.
- 52 Voir H. C. Lancaster, French Tragedy in the time of Louis XV and Voltaire, 1715-1774, New York, Oct (...)
16La biographie de Poinsinet pourrait nous conforter dans cette hypothèse. Lorsqu’il présente en 1759 sa Briséis, il est l’un des personnages les plus en vue parmi les « antiphilosophes » : beau-frère de Palissot, il a déjà publié une satire antiphilosophique intitulée La Berlue49 ; son engagement contre la cause philosophique, qui continuera les années suivantes50, est à tel point connu que dans la gravure qui ouvre l’édition imprimée des Originaux ou les Fourbes punis, parodie des Philosophes par André-Charles Cailleau, on voit le buste de Poinsinet rangé à côté de ceux de Fréron et de Palissot : leurs œuvres les plus importantes (Briséis comprise) sont condamnées à brûler par une figure allégorique féminine qui, appuyée à une statue de Socrate, agit afin « qu’ils n’aient point de postérité » (No Sobolescant)51. Et pourtant, même si Poinsinet nous rappelle que son Ajax tombera en 1762 à cause d’une cabale organisée par ses ennemis52, lier la fortune incertaine de Briséis aux revers de la dispute avec les « philosophes » apparaît peu convaincant : le succès des Philosophes de Palissot nous confirme que pendant ces années le mouvement antiphilosophique trouve un large soutien politique et intellectuel, nous suggérant que le sort ambigu de la pièce de Poinsinet est probablement dû à ses contenus, problématiques au-delà de toute rivalité publique. Pour chercher à répondre à la suggestion de Collé il ne nous reste donc qu’à procéder à l’analyse du texte de Briséis.
Une réflexion amère sur le patriotisme
17Les modifications apportées par Poinsinet à la fable homérique sont très importantes. Dans Briséis, l’héroïne n’est pas l’objet passif de la dispute entre Agamemnon et Achille, mais le moteur principal de l’intrigue. Se pensant grecque, elle est amoureuse d’Achille qui, offensé par les abus du chef de l’armée Achée, a déserté et s’est offert à Priam pour se battre à côté des Troyens ; elle cherche à plusieurs reprises à le convaincre de retourner au combat, lui rappelant l’importance et la gloire de servir sa patrie, mais sans succès ; en revanche elle persuade Patrocle de prendre la place d’Achille dans la bataille où, comme dans l’Iliade, il sera tué par Hector. À l’acte IV, Briséis découvrira toutefois qu’elle est la fille de Priam, exposée à la naissance par Hécube car un oracle lui avait annoncé que la petite aurait causé la perte de son frère Hector. Briséis accomplit donc son destin : la mort de Patrocle provoque le retour d’Achille à la guerre du côté des Grecs, le massacre d’Hector et la défaite des Troyens. La pièce se termine avec Priam qui demande au guerrier grec le corps de son fils et de Briséis, qui s’est éteinte pleurant le corps de son frère.
- 53 J. de La Porte et S.-R.-N. Chamfort, op. cit., p. 187.
- 54 « AJA : Achille est né féroce ; il n'a, jamais changé. / […] / Ni la Grèce expirante aux rivages de (...)
- 55 « Il faut combattre Hector, puisque vous le voulez », Ibid., (IV, 5), p. 34.
- 56 « Je dois une victime en tribut de ta cendre ; / Tu demandes son sang, et je vais le répandre », Ib (...)
- 57 Ibid., (V, 5), p. 42.
- 58 Pour ne faire qu’un exemple : « ACH : L'orgueil d'Agamemnon serait-il confondu ! / Atride ! a la pi (...)
- 59 « PAT : […] Qui moi ! que je renonce à l'amour de la Grèce ! / Que je sois insensible au danger, qu (...)
- 60 « PAT : Peut-être est-il resté sur la rive Troyenne / Quelque débris de gloire échappée à la tienne (...)
- 61 « ULY : […] À peine ce Héros avait quitté ces lieux, / Hector s'avance à lui la fureur dans les yeu (...)
18Si le mérite principal de la pièce de Poinsinet est d’avoir condensé toute l’Iliade dans une seule œuvre dramatique53, son résumé nous révèle déjà que la thématique patriotique ne reçoit pas l’encensement attendu par une tragédie « antiphilosophique ». Achille, le héros triomphant, ne montre aucun attachement au camp grec, se battant seulement au gré de ses caprices54 : lorsqu’il décide de reprendre les armes, il ne le fait que par amour de Briséis55 ou pour venger Patrocle56, et son combat singulier contre Hector n’a d’autres raisons que celles dictées par ses sentiments blessés57. La colère d’Achille, d’ailleurs, est directement adressée contre Agamemnon, qui est à la fois son égal mais aussi son roi dans le contexte de la guerre : ses insultes58 et son insubordination, ainsi que son succès au dénouement, représentent un vrai coup porté aux paradigmes de l’absolutisme français, qui prône le respect de la figure sacrée du monarque et de ses volontés. Il faut d’ailleurs remarquer que les critiques des autres guerriers grecs aux gestes d’Achille ne portent pas sur sa rébellion, mais sont liées à une approche éthique aristocratique (Ajax) ou à la raison d’état (Ulysse). À l’opposé, le patriotisme de Patrocle59, héros dont les origines « obscures » sont presque un mobile ultérieur à son dévouement national60, révèle toutes ses limites : contrairement aux citoyens de Belloy, chez Poinsinet son sacrifice est privé de toute grandeur et de toute rhétorique héroïque61. À une aristocratie égoïste s’oppose donc une bourgeoisie impuissante, aucun groupe social ne se faisant porteur d’un attachement positif et efficace à la nation.
- 62 Voir J.-N. Pascal, « De l’épopée à la tragédie : la Briséis de Poinsinet de Sivry (1759) », dans F. (...)
- 63 « La Scène est devant Troie, dans le camp d’Achille, séparé de celui des Grecs », Poinsinet, Briséi (...)
19Néanmoins, c’est évidemment dans le personnage de Briséis que se concentre le noyau de la remise en question du discours patriotique62. De façon spéculaire à Achille, elle se retrouve à « changer de patrie » sans solution de continuité et sans qu’une vraie remise en question des implications de cet attachement ait lieu ; fluidité qui, de façon plus générale, est bien symbolisée par le lieu scénique choisi par Poinsinet, le champ d’Achille n’étant ni grec ni troyen mais endroit « indifférencié » où tous les personnages viennent sans obstacles présenter leurs raisons63. L’ironie tragique des éloges que Patrocle adresse à Briséis, exemple d’un pur amour patriotique, affaiblit l’importance de ce sentiment, dont le spectateur mesurera la vacuité lors de la découverte des origines troyennes de l’héroïne :
- 64 Ibid., (II, 6), p. 24.
PAT : […] Tout te dit de chérir, de venger ton pays.
Pour apprendre à l'aimer, contemple Briséis.
[…]
Malgré son infortune et l'injure du sort,
Le zèle qui l'anime est toujours le plus fort.
Fidèle à sa Patrie, il lui suffît pour l'être,
De savoir qu’elle est Grecque, et qu'Argos l'a vu naître.
Tant ces droits sont puissants ! et tant, on doit d'amour
Aux climats quels qu'ils soient, où l'on reçut le jour !64
- 65 « Qui, moi ? les droits du sang ! eh ! les puis-je connaître ? / En serait-il pour moi ? sais-je qu (...)
- 66 Ibid., (IV, 5-7), p. 34-37.
20Recourant au stylème de l’anagnorisis, Poinsinet remet en cause les caractères du patriotisme, qui n’est pas présenté comme une adhésion volontaire aux valeurs nationales mais plutôt comme une condition identitaire aux contours aléatoires : en effet, la volonté de l’auteur de ne pas recourir à un autre élément typique des tragédies de reconnaissance, la « voix de la nature » ou le « cri du sang » n’étant jamais entendus par Briséis envers Priam ou Troie, nous confirme que l’identité nationale trouve dans la tragédie de Poinsinet un statut incertain65. En même temps, l’héroïne se laisse aller à des accents proprement pathétiques car elle éprouve toute l’angoisse d’être « sans patrie » : fatalement rejetée par sa vraie famille et nation, elle perd son influence sur Achille66, ainsi que tout point de repère identitaire :
- 67 Ibid., (IV, 4), p. 33.
BRI : […] Hélas ! tout m'abandonne.
Que vais-je devenir ? quelle horreur m'environne !
Qui suis-je ? qu'ai-je appris ? quelle affreuse clarté !
Grands Dieux ! replongez-moi dans mon obscurité…67
- 68 Ibid., (V, 6), p. 43.
21L’ignorance de ses racines devient presque le bien suprême ; et c’est seulement à sa mort, près du corps d’Hector, que la protagoniste réussit à se réunir symboliquement avec la famille qui l’a refusée à jamais68.
- 69 E. Dziembowski, La Guerre de Sept Ans, cit., p. 468-469.
22Le patriotisme de Briséis est donc à la fois un concept dépourvu d’épaisseur (ses contenus se révélant peu distinctifs) et une donnée existentielle en dehors de laquelle le sujet est perdu. Au final, cette valeur ne se trouve ni présentée de façon platement propagandiste, ni attaquée car privée d’importance : elle est au contraire complexifiée par les places différentes que Briséis assume au sein de la patrie-famille, sa difficulté d’y trouver une place se projetant sur tout amour national, concept dont on découvre la fragilité en 1759. Nous savons en effet qu’en raison de ses défaites contre l’Angleterre se succédant sans répit, cette année est terrible pour la France ; même la propagande monarchique se trouve affaiblie par les échecs militaires continuels69. Les potentialités du genre tragique permettent donc à Poinsinet de rendre explicites toutes les difficultés d’un sentiment dont l’actualité dévoile toujours plus les contradictions : bien qu’écrite par un « antiphilosophe », la tragédie de Briséis remet en question le patriotisme et ses applications, ses personnages en vivant les ambiguïtés.
23Nous pouvons alors avancer une hypothèse sur son succès incertain : Briséis s’avère irrecevable tant pour les philosophes que pour leurs adversaires, ses contenus étant trop durs à accepter dans une période si négative pour le sort de la France. C’est justement parce que le message de la tragédie n’est pas univoque, exposant le patriotisme à une critique radicale, qu’elle se révèle indigeste pour le public, qui déserte ses représentations après la première ; contrairement à la pièce de Belloy, dont les questionnements s’accordent aux sentiments des spectateurs, le réquisitoire de Poinsinet s’avère trop amer pour une année 1759 si néfaste. De même, lorsque les réflexions sur le concept de patrie et sur le rôle des sujets en son sein reviennent à l’ordre du jour à la veille de la Révolution, la pièce rencontre le succès : n’assumant pas une position outrancièrement monarchique ou antimonarchique, aristocratique ou bourgeoise, Briséis se découvre capable de parler à un public transversal qui s’interroge toujours plus sur les potentialités et les limites du patriotisme et sur ses liens avec l’amour du souverain. Nous découvrons alors que la valeur, la beauté et la fortune de la Briséis de Poinsinet de Sivry ne dépendent pas de sa transparence idéologique ou de son esprit partisan, en réalité absents, mais au contraire résident, comme pour Le Siège de Calais, dans l’espace qu’elle offre à une réflexion sur un thème qui, au XVIIIe siècle, s’avère toujours plus pressant.
24En conclusion, un nouveau regard sur les tragédies du XVIIIe siècle semble souhaitable de manière plus générale : les deux exemples abordés révèlent que, loin des logiques propagandistes, les textes tragiques et leurs stylèmes poétiques ne s’avèrent pas porteurs d’un discours clair et unique sur une thématique, mais qu’au contraire ils devraient être réévalués en vertu de leur capacité à donner forme aux sentiments et aux doutes d’une époque qui remet constamment en cause ses postulats et ses certitudes. Cela vaut dans le cas de la diffusion du sentiment patriotique, qui triomphera sous peu pendant la Révolution mais dont les définitions sont encore incertaines pendant la Guerre de Sept ans ; ainsi que pour les tragédies « antiphilosophiques », dont la valeur dans l’histoire théâtrale du XVIIIe siècle semble reposer dans leur tendance à se faire interprètes de la désorientation et de la réélaboration des paradigmes d’Ancien Régime mis en crise par l’affirmation de ceux d’origine « éclairée ». Au-delà de toute réduction simplificatrice, la pensée du XVIIIe siècle trouve dans la poétique tragique et dans ses codes expressifs un moyen de s’exprimer dans toute sa complexité ; et si le succès de certaines tragédies à l’époque est lié à leur capacité de traduire en images puissantes et sensibles les questionnements collectifs les plus importants, les lecteurs contemporains peuvent redécouvrir leur beauté en tant que témoins exceptionnels des bouleversements idéologiques de l’Âge des Lumières.
Notes
1 Voir par exemple R. Ridgway, La propagande philosophique dans les tragédies de Voltaire, Genève, Institut et Musée Voltaire, 1961 ; R. Niklaus, « La propagande philosophique au théâtre au siècle des Lumières », dans SVEC, 26, 1963, p. 1223-1261. Plus récemment, voir L. J. Connors, Dramatic battles in eighteenth-century France, Oxford, The Voltaire Foundation, « SVEC », 2012, et F. Marchal-Ninosque, Images du sacrifice, 1680-1840, Paris, Honoré Champion, 2005: « La scène au XVIIIe se fait tribune ; il est de bon ton d’y décrier les autels sanglants du fanatisme, d’y dénoncer les ruses d’un rituel certes nécessaire à l’expression du tragique et du sentiment religieux, mais en contradiction avec les idées éclairées, parce que sans doute trop attaché au sacré le plus archaïque, bien mal adapté aux sociétés modernes dans lesquelles l’appareil judiciaire a remplacé avantageusement le sacrifice propitiatoire », Ibid., p. 11.
2 J. Merrick, The Desacralization of the French Monarchy in the Eighteenth Century, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1990, p. 78-104.
3 Voir E. Dziembowski, Un nouveau patriotisme français, 1750-1770, Oxford, The Voltaire Foundation, « SVEC », 1998, p. 59-110 et Id., La Guerre de Sept Ans, 1756-1763, Paris, Perrin, 2015, p. 457-480.
4 Journal encyclopédique, 1756, t. VI, III partie, p. 78.
5 B. de Negroni, Lectures interdites. Le travail des censeurs au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1995, p. 201-212.
6 O. Ferret, La fureur de nuire : échange pamphlétaires entre philosophes et antiphilosophes (1750-1770), Oxford, The Voltaire Foundation, 2007, p. 369-411.
7 E. Dziembowski, Un nouveau patriotisme, cit., p. 62-67 et p. 424-434. « Avec la guerre des Sept Ans, la propagande antiphilosophique se trouve en présence d’un terrain beaucoup plus fertile. Il suffit en effet d’exploiter le contexte international. Accuser les philosophes du crime de lèse-patrie, alors que les passions sont exacerbées, permet de braquer les regards vers ces citoyens du monde qui clament leur attachement aux valeurs insulaires. La propagande antiphilosophique peut en ce sens être perçue comme le prolongement intérieur de la grande offensive de dénigrement de l’éternelle rivale », Ibid., p. 121.
8 C. Palissot, Les Philosophes, Paris, Duchesne, 1760, (II, 5), p. 54.
9 Voir L. J. Connors, op. cit., p. 49-60.
10 Voir D. M. Nicolosi, La Tragédie du XVIIIe siècle et le mythe grec, thèse sous la dir. de G. Iotti et P. Frantz, Université de Pise - Lettres Sorbonne Université, 2020, p. 124-183.
11 Voir D. Masseau, Les ennemis des philosophes, Paris, Albin Michel, 2000, p. 19-42.
12 Si dans son Discours sur l’inégalité Rousseau louait les « grandes âmes cosmopolites, qui franchissent les barrières imaginaires qui séparent les Peuples », dans le Contrat Social il se montre beaucoup plus dur contre « ces prétendus Cosmopolites, qui justifiant leur amour pour la patrie par leur amour pour le genre humain, se vantent d’aimer tout le monde pour avoir droit de n’aimer personne ». Voir J.-J. Rousseau, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1964, t. III, p. 178 et p. 287.
13 Voir par exemple A. Hunwick, « Le Patriotisme de Voltaire », dans SVEC, 116, 1973, p. 7-18 ; D. J. Fletcher, « Montesquieu’s conception of patriotism », dans SVEC, 56, 1967, p. 541-555 ; G. Lepan, Jean-Jacques Rousseau et le patriotisme, Paris, Champion, 2007 ; E. Dziembowski, Un nouveau patriotisme, cit., p. 130-165. Voir aussi l’introduction de L. J. Connors dans P.-L. de Belloy, Le Siège de Calais, éd. L. J. Connors, Cambridge, MHRA, 2014, p. 31-44.
14 Voir J. Shovlin, The Political Economy of Virtue. Luxury, Patriotism, and the Origins of the French Revolution, New York, Cornell University Press, 2006.
15 Cette position, dont se font porteurs Montesquieu dans son De l’Esprit des Lois et l’Abbé Coyer dans ses Dissertations pour être lues. La première sur le vieux mot de patrie. La seconde sur la nature du peuple, est celle qui est finalement retenue par le Chevalier de Jaucourt dans l’Encyclopédie. Voir « Patrie », dans Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, Paris, Briasson, 1751-1780, t. XII, 1765, p. 178b–180a.
16 Voir D. A. Bell, The Cult of the Nation in France: Inventing Nationalism, 1680–1800, Cambridge, Harvard University Press, 2001, p. 62-68.
17 E. Dziembowski, Un nouveau patriotisme, cit., p. 434-472.
18 Voir P. Szondi, Essai sur le tragique, Belval, Circé, 2003.
19 « Dans les œuvres de Racine et déjà de Corneille, la puissante vitalité des passions se fonde pour une bonne part sur cet isolement du monde tragique, comparable à celui dont la science moderne entoure les expériences de laboratoire afin qu’elles se déroulent dans des conditions favorables ; on observe ainsi les phénomènes sans que rien ne vienne les entraver ou les interrompre », E. Auerbach, Mimesis, La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard, 1968, p. 384. Voir aussi F. Regnault, La Doctrine inouïe, Dix leçons sur le théâtre classique français, Paris, Hatier, 1996, p. 225-253.
20 « L’avantage d’une représentation théâtrale réside dans le dialogisme et la crise tragique : les auteurs peuvent exposer les contradictions, les conflits, les divers types de légitimité à l’œuvre dans les personnages ou à l’intérieur d’un même personnage, et les renvoyer à un débat […]. Si la tragédie peut in fine dire la norme (le droit de gouvernement, le rejet des passions, etc.), à l’intérieur de la cérémonie qu’elle institue, elle a surtout pour effet de la mettre en débat et en question représentant les diverses options humaines face à la norme préétablie, qu’elle soit politique, philosophique ou religieuse », C. Biet, La tragédie, Paris, Armand Colin, 2010, p. 85. Voir aussi Id., Droit et littérature sous l’Ancien Régime. Le Jeu de la valeur et de la loi, Paris, Champion, 2002.
21 Voir notamment R. Bret-Vitoz, L’espace et la scène : dramaturgie de la tragédie française, 1691-1759, Oxford, The Voltaire Foundation, « SVEC », 2008 et J.-P. Perchellet, L’Héritage classique. La tragédie entre 1680 et 1814, Paris, Champion, 2004.
22 Voir Ibid., p. 11-15 et J. Thomasseau, Drame et tragédie, Paris, Hachette Livre, 1995.
23 P. Brooks, The melodramatic imagination, New Haven, Yale University Press, 1976.
24 Voir P. Frantz, L’esthétique du tableau, Paris, PUF, 1998 et S. Marchand, Théâtre et pathétique au XVIIIe siècle : pour une esthétique de l’effet dramatique, Paris, Honoré Champion, 2009.
25 Voir M. Moffat, « Le Siège de Calais et l'opinion publique en 1765 », dans RHLF, 39, 1932, p. 339-354 ou J.-P. Perchellet, op. cit., p. 321-323. D’ailleurs, déjà à l’époque Bachaumont soulignait amèrement la valeur « engagée » de ce « sermon monarchique que le gouvernement doit protéger, étendre et faire entendre à toute la nation ». L. P. de Bachaumont, Mémoires secrets de Bachaumont, éd. J. Ravenel, Paris, Brissot-Thivars, 1830, t. I, p. 364-365.
26 À propos du système politique de son pays, c’est Édouard même qui affirme : « Je sortais de mon île orageuse, / Climat toujours sanglant, par la nécessité / Des querelles du Trône et de la Liberté ; / Où le Peuple rival et tyran de son maître, / Veut qu’il le rende heureux et refuse de l’être », P.-L. de Belloy, op. cit., (III, 2), p. 99.
27 Ibid., (III, 4), p. 108.
28 Ibid., (IV, 2), p. 115.
29 Voir « Introduction », dans Ibid., p. 44-59 ; J. Truchet, Théâtre du XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1974, t. II, p. 1438 ; E. Dziembowski, Un nouveau patriotisme, cit., p. 472-486 ; E. Annandale, « Patriotism in De Belloy’s theatre: the hidden message », dans H. Mason (dir.), Transactions of the Eighth International Congress of the Enlightenment, Oxford, The Voltaire Foundation, « SVEC », 1991, p. 1225-1228: « His point of view was much closer to that of the philosophes than has been believed. His Siège de Calais was a vehicle of new national, rather than traditional royalist, patriotism », Ibid., p. 1228.
30 De Belloy, op. cit., (V, 2), p. 130.
31 Ibid., (V, 5), p. 134.
32 Ibid., (III, 3), p. 101.
33 « D’ailleurs, Maître de tout, l’est-il de sa personne ? / Peut-il à d’autres Rois transporter sa Couronne, / Aux mains d’un étranger l’exposer aujourd’hui ? / La Loi que fait le Prince est au-dessus de lui. / Quand vous immoleriez Philippe e ses Fils même, / Vainement votre front attend son diadème : / Tout le sang des Capets coulât-il par vos coups, / Les derniers des Français ont des droits avant vous », Ibid., (V, 4), p. 132.
34 « Valois trop fortuné ! Quel Roi, digne du trône, / Ne demande au destin le peuple qu’il te donne ? / Rendre heureux qui nous aime est un si doux devoir ; / Pour te faire adorer, tu n’as qu’à le vouloir », Ibid., (III, 2), p. 100.
35 C. Biondi, « Le Siège de Calais di Dormont de Belloy : ragioni di un successo », dans C. Rosso (dir.), Intorno a Montesquieu, Pisa, Editrice libreria goliardica, 1970, p. 5-20, p. 9-13.
36 « Des brigues de la Cour quel effet déplorable ! / Ce fut en l’outrageant qu’on le rendit coupable. / Innocent et plongé dans l’horreur des cachots, / La seule excuse, hélas ! des erreurs d’un Héros », P.-L. de Belloy, op. cit., (I, 1), p. 75.
37 Ibid., (II, 4), p. 93.
38 Ibid., (II, 5), p. 94 : « Ce n'est point à mourir que la Gloire convie, / C'est à rendre sa mort utile à sa Patrie : / Un aveugle courage est-il une vertu ? / Qui ne fait que mourir, ne sait qu'être vaincu ».
39 Voir par exemple Ibid., (IV, 2), p. 114-115 ou Ibid., (III, 4), p. 108.
40 Dziembowski, Un nouveau patriotisme, cit., p. 173-182.
41 C. Collé, Journal historique, ou Mémoires critiques et littéraires, Paris, L’Imprimerie Bibliographique, 1807, t. II, p. 294.
42 J. de La Porte et S.-R.-N. Chamfort, Dictionnaire dramatique, Paris, Lacombe, 1776, t. I, p. 188.
43 Voir le Registre des recettes R122, p. 119 et sq., consulté le 25/02/2021, URL : <https://flipbooks.cfregisters.org/R122/index.html#page/119/mode/1up>.
44 Voir Registre d’assemblées R52_22, p. 350, consulté le 25/02/2021, URL : <https://flipbooks.cfregisters.org/R52_22/index.html#page/350/mode/1up>.
45 J.-F. de La Harpe, Correspondance littéraire, adressée à Son A. I. M. Le Grand-Duc, aujourd’hui Empereur de Russie, dans Id., Œuvres de La Harpe, Paris, Verdière, 1820, t. XII, p. 425.
46 Voir le Registre des recettes R153, p. 55 et sq., consulté le 25/02/2021, URL : <https://flipbooks.cfregisters.org/R153/index.html#page/55/mode/1up>.
47 Année littéraire, 1759, t. IV, p. 187-189.
48 Correspondance littéraire, éd. M. Tourneux, Paris, Garnier Frères, 1878, t. IV, p. 124-126.
49 L. Poinsinet de Sivry, La Berlue, Londres, à L’Enseigne du Lynx, 1759. Par rapport au patriotisme, voir par exemple : « Ce n'est pas assez que la guerre soit entre les Royaumes, il faut encore qu'elle brouille les Particuliers. Les inimitiés et les jalousies cessaient chez les Romains sitôt qu'il s'agissait du bien de la Patrie ; mais la Patrie n'est plus qu'un nom parmi nous, ou plutôt nous n'en avons point d'autre, que nos propres intérêts », Ibid., p. 70.
50 Parmi ses œuvres successives nous trouvons la pièce de marionnettes Les Philosophes de bois, Paris, Ballard, 1760, et le pamphlet Appel au petit nombre, ou procès de la multitude, Paris, Moreau, 1762, où il contestera l’importance croissante de l’opinion du parterre dans les questions de goût, que l’on devrait ignorer en raison d’une conception aristocratique de la littérature.
51 A.-C. Cailleau, Les Originaux, ou Les Fourbes punis, Nancy, s. é., 1760, page non numérotée.
52 Voir H. C. Lancaster, French Tragedy in the time of Louis XV and Voltaire, 1715-1774, New York, Octagon, 1977, t. II, p. 405.
53 J. de La Porte et S.-R.-N. Chamfort, op. cit., p. 187.
54 « AJA : Achille est né féroce ; il n'a, jamais changé. / […] / Ni la Grèce expirante aux rivages des Troyens, / Ni les exploits d'Hector qui surpassent les tiens, / Rien ne peut assouvir ta barbare furie ! / Puisque tu mets ta gloire à trahir ta patrie, / Adieu ! c'est trop tarder. Garde ta haine… », L. Poinsinet de Sivry, Briséis ou la Colère d’Achille [1759], Paris, Barba, an VII, (II, 3), p. 12.
55 « Il faut combattre Hector, puisque vous le voulez », Ibid., (IV, 5), p. 34.
56 « Je dois une victime en tribut de ta cendre ; / Tu demandes son sang, et je vais le répandre », Ibid., (IV, 7), p. 37.
57 Ibid., (V, 5), p. 42.
58 Pour ne faire qu’un exemple : « ACH : L'orgueil d'Agamemnon serait-il confondu ! / Atride ! a la pitié me crois-tu si -facile ? / Par des soumissions crois-tu fléchir Achille ? / C'est du sang qu'il fallait ; et le tien eût coulé, / Si, rougissant mon bras, il ne l'eût point souillé », Ibid., (I, 4), p. 5.
59 « PAT : […] Qui moi ! que je renonce à l'amour de la Grèce ! / Que je sois insensible au danger, qui la presse ! / Que, sans être arrêté par de secrets liens, / Je l'abandonne Adraste, en faveur des Troyens ? / Va, ses maux m'ont touché, ma pitié les partage, / Et les succès d'Hector irritent mon courage / Élevé près de toi sur les pas des héros, / Je languis à regret dans un obscur repos », Ibid., (I, 1), p. 2.
60 « PAT : Peut-être est-il resté sur la rive Troyenne / Quelque débris de gloire échappée à la tienne. / La carrière est ouverte, et m’invite à rentrer ; / Patrocle à ton défaut la doit seul illustrer. / […] / Osons sur tous les noms célèbres dans l’histoire, / Osons sur le tien même élever ma mémoire ! », Ibid., (III, 6), p. 27,
61 « ULY : […] À peine ce Héros avait quitté ces lieux, / Hector s'avance à lui la fureur dans les yeux. / Hector croit voir Achille ; et d'un ton de menace, / "Viens, dit-il, recevoir le prix de ton audace". / Patrocle ne répond que par un trait lancé, / Qui dans l'air.... Mais lui-même il tombe terrassé ; / Et par le fier Hector immolé sans défense, / Il s'écriait : "Achille !", et demandait vengeance », Ibid., (IV, 6), p. 37.
62 Voir J.-N. Pascal, « De l’épopée à la tragédie : la Briséis de Poinsinet de Sivry (1759) », dans F. Létoublon et C. Volpilhac-Auger (dir.), Homère en France après la querelle (1715-1900), Paris, Champion, 1999, p. 231-241, p. 237.
63 « La Scène est devant Troie, dans le camp d’Achille, séparé de celui des Grecs », Poinsinet, Briséis, cit., page non numérotée. Grimm remarquera ironiquement cette incongruence surtout à propos du personnage de Priam, « qui se trouve, on ne sait comment, dans le camp des Grecs tout le long de la pièce », Correspondance littéraire, cit., p. 126.
64 Ibid., (II, 6), p. 24.
65 « Qui, moi ? les droits du sang ! eh ! les puis-je connaître ? / En serait-il pour moi ? sais-je qui m'a fait naître ? » Ibid., (IV, 1), p. 30.
66 Ibid., (IV, 5-7), p. 34-37.
67 Ibid., (IV, 4), p. 33.
68 Ibid., (V, 6), p. 43.
69 E. Dziembowski, La Guerre de Sept Ans, cit., p. 468-469.
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Référence électronique
Dario Maria Nicolosi, « Des difficultés d’une véritable tragédie de propagande au XVIIIe siècle : le cas de deux tragédies patriotiques et « antiphilosophiques » », Revue italienne d’études françaises [En ligne], 11 | 2021, mis en ligne le 15 novembre 2021, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/7388 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rief.7388
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