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« Nos mots, si puissants dans l’imaginaire, ne peuvent finalement pas arrêter une guerre ». Conversation avec Régis Jauffret

« Our words, so powerful in the imagination, ultimately cannot stop a war ». A conversation with Régis Jauffret 
Teresa Manuela Lussone

Notes de l’auteur

Cet entretien a eu lieu suite au colloque Régis Jauffret, les pouvoirs de la fiction, qui s’est déroulé du 10 au 16 août 2024 à Cerisy-la-Salle, sous la direction de Christelle Reggiani et de Christophe Reig, que je remercie chaleureusement. Mes remerciements vont également à Benedetta Senin, qui m’a invitée à réaliser cette interview.

Texte intégral

  • 1 J.-P. Sartre, Les Mots, dans Id., Les Mots et autres écrits autobiographiques, J.-F. Louette (dir.) (...)
  • 2 J. Rancière, Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007, p. 11.
  • 3 Ibid., p. 8.

« Mon épée brisée »1, c’est l’image à laquelle Sartre a recours pour décrire l’impuissance de l’écrivain face à la société. Qu’en est-il aujourd’hui de cette épée ? L’échec de l’engagement est-il compatible avec l’existence d’une « politique de la littérature », dans le sens que Rancière donne à l’expression, selon lequel « la littérature fait de la politique en tant que littérature »2 et « intervient en tant que littérature dans ce découpage des espaces et des temps, du visible et de l’invisible, de la parole et du bruit »3 ? Autant de questions fondamentales qui sous-tendent cette conversation avec Régis Jauffret, ainsi que celle avec Antoine Volodine, également publiée dans ce numéro de la revue. Ces deux entretiens s’inscrivent dans la continuité du dossier « La Tour d’ivoire : finalités, formes et mythes de l’autonomie du littéraire », projetant dans l’époque contemporaine ces réflexions sur l’autonomie de la littérature et sur le rapport de l’écrivain à la société.

  • 4 A. Compagnon, La Littérature, pour quoi faire ?, Paris, Fayard, 2007, p. 30.
  • 5 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 90.
  • 6 Infra.
  • 7 Infra.
  • 8 « …une ère de raison et de paix mondiale. C’est tout le contraire qui s’est produit ». Conversation (...)
  • 9 Ibidem.
  • 10 Ibidem.
  • 11 Cf. G. Lukács, Le roman historique, Paris, Payot, 1965, p. 17-18.
  • 12 Infra.
  • 13 Infra.

Jauffret, tout comme Volodine, laisse entendre que la discussion ne peut plus être posée dans ces mêmes termes sartriens. À la question « Qu’est-ce que la littérature ? », peut-être pourrait-on substituer celle que propose Compagnon, « Que peut la littérature ? », ou bien « La littérature, pour quoi faire ? »4. Jauffret sent qu’il n’a pas une « tête épique »5 à la manière de Sartre et qu’il n’a aucune intention de terrasser le monde avec son épée, mais il est certain que les écrivains « servent tout de même »6. Et il poursuit : « il est difficile, et même impossible, de rester indifférent au monde qui nous entoure »7. Ses réflexions entrent en étroite résonance avec celles de Volodine, qui décrit le présent comme une époque de barbarie, « une entrée sans sortie possible désormais »8. C’est peut-être justement ce regard désabusé sur le présent, ainsi que la conscience de ne pas pouvoir agir sur lui, qui poussent les écrivains à se tourner vers l’Histoire. En effet, le rapport à l’Histoire réunit les deux écrivains. Une grande partie des écrits de Volodine sont « fondés sur une rumination et un regard qui se tournent vers le passé »9, et « les fictions se construisent sur une certaine déploration révoltée des échecs de l’Histoire »10. Pour Jauffret, le regard sur l’Histoire représente un tournant récent qui remonte à la publication de 1889 en 2023 et de Dans le ventre de Klara en 2024, œuvres dans lesquelles est racontée la grossesse de la mère d’Hitler. Loin de la veine mémorialiste, pour Jauffret, le regard sur les grandes catastrophes du XXe siècle est une manière de déchiffrer le présent11, et affronter les spectres du passé devient un moyen de mettre en lumière les préoccupations actuelles. Pour utiliser encore des termes employés par Sartre, on pourrait dire que représenter l’Histoire constitue un instrument privilégié pour que s’exerce la responsabilité de l’écrivain. Et comme l’affirme Jauffret, l’impuissance « n’est pas une raison d’abandonner »12, « écrire, c’est refuser de rester silencieux face à l’absurdité, même en sachant que ce cri risque de se perdre dans le bruit du monde »13.

  • 14 R. Jauffret, Sévère, Paris, Seuil, 2010, p. 8-9.
  • 15 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 138.

Teresa Manuela Lussone : Je voudrais débuter cet entretien par une citation extraite de votre roman Sévère, plus précisément de son préambule, dans lequel vous écrivez : « Je suis brave homme, vous pourriez me confier votre chat, mais l’écriture est une arme dont j’aime à me servir dans la foule »14. Cette phrase me fait penser à Sartre, qui, dans Les Mots, son autobiographie, écrit : « Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée »15. Y a-t-il un lien avec Sartre ? Pourriez-vous expliquer cette image ? À quoi sert une arme ? À se défendre ? À frapper ? Et qui ou quoi ?

Régis Jauffret : Sartre, c’est l’écrivain qui veut terrasser le monde avec son épée, l’intellectuel qui se place au centre de la mêlée, convaincu que la plume peut fendre le réel comme une arme chevaleresque. Moi, je n’ai pas cette ambition épique. Mon écriture est une arme, certes, mais c’est une arme plus subtile, plus pernicieuse. Elle ne s’élève pas au-dessus de la foule pour la dominer ; elle circule en son sein, se glisse dans les interstices, à la recherche de failles, de vérités que chacun s’efforce de cacher.

Une arme, à quoi ça sert ? À frapper, bien sûr. Mais on ne frappe pas toujours pour faire du mal ou se défendre. Parfois, c’est pour révéler ce que l’autre ne sait pas encore de lui-même. L’écriture peut blesser, mais elle peut aussi libérer. Ce n’est pas un outil de destruction gratuite ; c’est une façon de créer des brèches dans le tissu serré des apparences. Elle s’attaque aux évidences, déjoue les illusions.

Je ne dirais pas que l’écriture est là pour se défendre, ni pour attaquer avec violence. Elle sert plutôt à ouvrir des portes, à franchir des seuils que la réalité quotidienne nous empêche de voir. C’est une arme d’émancipation, qui permet de sortir du cadre, de déborder les limites du monde convenu. En ce sens, oui, il y a peut-être un lien avec Sartre. Mais là où il voit une épopée, je vois une exploration plus intime, une intrusion dans l’individu et ses contradictions.

  • 16 R. Jauffret, Sévère, cit., p. 9.

T. L. : Dans ce même texte, vous écrivez : « Personne n’est jamais mort dans un roman. Car personne n’existe dedans. Les personnages sont des poupées remplies de mots, d’espace, de virgules, à la peau de syntaxe »16. Cette phrase semble reconnaître l’autonomie de l’art par rapport à la vie et au monde. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

R. J. : L’art et la vie, voilà deux sphères qui, pour moi, ne se chevauchent pas véritablement. Ce que l’on met dans un roman, ce sont des personnages qui ne respirent pas, qui ne saignent pas. Ils ne souffrent pas vraiment, parce qu’ils n’existent pas au sens où nous existons, nous, avec nos corps et nos émotions incontrôlables. Ce sont des constructions, des fictions, des figures de papier. Ils sont faits de mots, et les mots ne vivent que parce qu’on les manipule.

Quand j’écris « personne n’est jamais mort dans un roman », c’est une manière de dire que la mort, cette expérience qui échappe à toute représentation complète, ne peut pas réellement pénétrer le texte. Les personnages meurent, peut-être, mais c’est une mort stylisée, une mort de surface. Ce sont des poupées, comme je le dis, remplies de mots, et les mots ne meurent pas. Ils se déplacent, se transforment, mais ils n’ont pas de chair. Ils n’ont pas la densité de l’existence humaine.

L’art est autonome parce qu’il échappe aux lois du monde réel. Les personnages sont des prétextes, des supports. Ils servent l’architecture de la syntaxe, l’éclat des métaphores, la cadence des phrases. Le roman n’imite pas la vie, il en propose une version altérée, transfigurée. Et c’est précisément cette altération qui fait sa force : elle permet de dire ce que la réalité ne peut pas formuler, d’explorer des zones où la vie elle-même ne s’aventure pas.

Alors oui, l’art est autonome, et c’est cette distance qui le rend précieux. Il n’a pas à se soumettre à la vérité des corps, des âmes. Il invente ses propres règles, ses propres morts, qui ne sont que des silences entre les mots, des trous dans la syntaxe. C’est là que le roman puise sa puissance : il crée des espaces où tout devient possible, même l’impossible.

  • 17 Id., Dans le ventre de Klara, Paris, Récamier, 2024.

T. L. : Mais, force est de constater que les personnages de votre dernier roman, Dans le ventre de Klara17, sont loin d’être des poupées imaginaires…

R. J. : C’est vrai, les personnages de Dans le ventre de Klara semblent plus proches de la chair, plus palpables. Mais même s’ils paraissent plus incarnés, ils restent fondamentalement des fictions, des créations faites de mots. Ce que vous ressentez en les lisant, c’est l’illusion d’une réalité. Ils ne sont pas faits de sang, mais de phrases qui cherchent à capturer quelque chose de l’humain, à le rendre tangible. Pourtant, cette tangibilité n’est qu’un effet de l’écriture.

Si les personnages semblent plus vivants, c’est parce que j’ai voulu jouer avec cette frontière entre le réel et l’imaginaire, entre le corps et le langage. Dans Dans le ventre de Klara, il y a cette tension entre l’intérieur et l’extérieur, entre ce que l’on ressent et ce que l’on montre. C’est un roman qui parle de l’enfermement, de la grossesse comme métaphore, mais aussi de la manière dont on se fabrique des identités, des existences. Mes personnages ne sont pas plus réels, mais ils donnent l’impression de l’être parce qu’ils sont le produit d’un travail de condensation, de tension. Ils absorbent plus de vie parce que le langage est ici plus dense, plus nerveux.

Mais au fond, ils ne sont pas moins des poupées pour autant. Ils sont manipulés, façonnés par le texte. Leur épaisseur, leur intensité, tout cela vient du fait que le langage fait croire à une forme de vie. Mais cette vie est toujours de papier. Ce sont des marionnettes qui tirent leurs fils dans les plis de la syntaxe, qui dansent au rythme des mots. Ce qui les rend proches de vous, c’est cette illusion que l’écriture sait produire, cette illusion qui fait que, parfois, vous oubliez qu’ils ne sont que des constructions verbales.

  • 18 Id., 1889, tr. it. T. Guerrieri, Firenze, Edizioni Clichy, 2023.

T. L. : Dans le ventre de Klara, où vous racontez la grossesse de la mère d’Hitler, est paru en 2024 aux éditions Récamier, tandis que c’est l’an dernier qu’il est paru en Italie aux Éditions Clichy sous le titre 188918. Pourriez-vous revenir sur la genèse de ce roman et expliquer le choix de cette publication initiale en Italie ?

R. J. : La genèse de Dans le ventre de Klara est née d’une fascination pour ce moment si fragile, si chargé de potentialités, qu’est la grossesse. L’idée d’explorer l’enfance d’Hitler, ou plutôt ce qu’il était avant même de naître, m’est venue comme un moyen de sonder l’origine du mal à l’état embryonnaire. Non pas pour excuser, bien sûr, ni pour expliquer de façon simpliste, mais pour imaginer cette période où tout est encore possible. Ce roman est une sorte de plongée dans l’avant, une méditation sur la création, non pas d’un monstre, mais d’un être humain qui aurait pu être autre chose.

Pourquoi l’Italie en premier ? Cela s’est fait presque naturellement. Les Éditions Clichy, spécialisées dans des œuvres franco-italiennes, avaient déjà montré un intérêt pour mes textes, et leur sensibilité à cette histoire était particulière. Il y a, en Italie, un rapport à l’Histoire qui est empreint de tragédie et de fascination, un regard peut-être plus direct sur les figures historiques comme Mussolini ou Hitler, sans la distance plus froide que l’on trouve parfois ailleurs. Ce roman, avec son approche à la fois intime et historique, semblait résonner avec ce rapport très viscéral que l’Italie entretient avec le passé.

De plus, la forme du texte, assez radicale, expérimentale, trouvait un écho favorable dans le paysage littéraire italien, qui est moins frileux face à des œuvres qui déforment le cadre du roman traditionnel. Le titre 1889 renvoyait directement à l’année de naissance d’Hitler, un chiffre qui, dans sa froideur, capturait bien cette idée de destin en germe, en contraste avec le titre français, Dans le ventre de Klara, plus charnel, plus intime. Ces deux titres expriment deux visages du même texte : l’un historique, l’autre profondément humain.

  • 19 Ibid., p. 237-238.

T. L. : Comme semble le suggérer le changement de titre, la version française de ce roman a été remaniée. L’une des différences notoires est que ne figure pas, dans la version française, la postface, dans laquelle il est notamment question de la disparition progressive des derniers témoins de la Shoah. Et du fait que tandis que les historiens poursuivront leurs études et les philosophes leur recherche sur les origines du mal, les artistes, quant à eux, feront entendre, dans leurs œuvres, les gémissements des juifs qui meurent de faim dans les rues des ghettos, les cris des enfants poussés dans les chambres à gaz. Enfin, vous présentez votre roman comme une humble contribution à ce singulier Mémorial19. Cette postface semble reconnaître le rôle déterminant qu’a l’artiste dans la reconstruction de la mémoire. Qu’en est-il ?

R. J. : La postface de la version italienne, en effet, portait un regard assez direct sur la responsabilité de l’artiste face à l’Histoire, et notamment à l’Holocauste. Je voulais, dans cette version, évoquer ce moment où les derniers témoins disparaissent, où la mémoire vivante s’efface peu à peu, laissant place aux récits, aux études, et aussi aux œuvres artistiques. L’artiste, à sa manière, participe à cette transmission, non pas en recréant l’Histoire, mais en capturant une dimension plus émotionnelle, plus intuitive, de ce qu’elle signifie.

Cependant, pour la version française, j’ai ressenti le besoin de laisser cette dimension en retrait, de ne pas expliciter cette idée dans une postface. Je ne voulais pas que le texte soit accompagné d’un discours qui viendrait l’encadrer ou le justifier. Dans le ventre de Klara est une œuvre qui, je crois, parle d’elle-même. C’est un roman qui se tient à l’écart d’une reconstitution historique directe, qui s’intéresse à la question du mal en amont, avant même qu’il ne prenne forme. Je voulais que le lecteur fasse ce chemin sans être guidé par une explication ou une réflexion annexe.

Cela dit, je crois toujours profondément au rôle de l’artiste dans la mémoire collective. L’art a cette capacité unique à faire résonner ce qui a été perdu, ce qui ne peut plus être raconté par les vivants. Les historiens garderont les faits, les philosophes en analyseront les causes, mais l’artiste donne une voix à ce qui reste souvent indicible. Les cris, les souffrances, les silences aussi. L’œuvre d’art n’est pas un témoignage à proprement parler, mais elle est une sorte d’écho, un lieu où ces voix réprimées, ces vies brisées, continuent de vibrer.

En cela, Dans le ventre de Klara peut être vu comme une contribution à ce Mémorial symbolique. Mais j’ai voulu que cette contribution soit plus implicite dans la version française. Laisser l’œuvre porter, sans explication extérieure, cette charge émotionnelle et mémorielle.

  • 20 Ibid., p. 237.

T. L. : Dans la postface de 1889, vous parlez « d’artiste »20 et pas seulement d’écrivain. Pensez-vous que l’écrivain joue un rôle privilégié ou qu’il ait une plus grande responsabilité comparativement aux autres artistes ?

R. J. : Dans la postface de 1889, en effet, je parle d’artiste au sens large. Je ne crois pas que l’écrivain ait un rôle ou une responsabilité supérieure à celle des autres artistes. Il participe à un ensemble plus vaste de voix qui, chacune à leur manière, tentent de restituer quelque chose de l’humain, quelque chose de ce que l’Histoire a broyé, effacé. La littérature, bien sûr, a une relation particulière avec le langage, et le langage est la matière première du témoignage. Mais le peintre, le musicien, le cinéaste, eux aussi, traduisent des expériences qu’aucun mot ne pourrait entièrement capter. Ils nous confrontent à des réalités par d’autres moyens, souvent plus directs, plus sensoriels.

Ce que l’écrivain peut faire, c’est manipuler le temps et l’introspection avec une liberté que d’autres formes d’art n’ont pas toujours. Il peut entrer dans les pensées, déplier les non-dits, explorer l’invisible. Mais cette responsabilité n’est ni plus grande ni plus noble. Elle est simplement différente. L’écriture a une capacité à rendre palpable l’intime, à créer des espaces où les lecteurs peuvent se confronter à eux-mêmes en dialoguant avec l’œuvre. Cela dit, la peinture, la musique, la sculpture, elles aussi, ouvrent ces espaces de résonance intérieure, ces moments de confrontation avec la mémoire, l’histoire, le mal.

L’artiste, quel que soit son médium, est là pour donner forme à l’informe, pour permettre à l’indicible de se manifester. Il s’agit de créer des œuvres qui, au-delà des faits, suscitent des émotions, des questionnements, des souvenirs qui ne sont pas nécessairement les nôtres, mais que l’on s’approprie en les ressentant. En ce sens, l’écrivain n’est pas plus responsable qu’un autre, mais il se trouve, comme tous les artistes, dans cette position fragile où il tente de faire revivre ce qui a disparu, d’inscrire l’oubli dans la mémoire collective, et de donner une voix à ceux qui n’en ont plus.

  • 21 A. Gefen, La littérature est une affaire politique, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2022, p. 27.

T. L. : Quelle est la place de ce roman dans l’ensemble de votre production ? Le choix d’écrire 1889 et Dans le ventre de Klara a-t-il été influencé par l’époque dans laquelle nous vivons ? Dans La Littérature est une affaire politique, Alexandre Gefen affirme que « l’Histoire constitue en effet un terrain de débat politique »21. Écrire un roman dont le sujet est historique, est-ce une manière de prendre la parole sur la société actuelle, qui voit la guerre faire irruption en Europe et au Proche-Orient ?

R. J. : Dans le ventre de Klara et 1889 occupent une place particulière dans mon travail, car ils représentent un point de bascule, une sorte de dialogue entre l’intime et l’historique. Jusqu’ici, mes romans étaient souvent centrés sur des situations personnelles, sur des explorations de la psyché humaine, des rapports familiaux, affectifs. Avec ce texte, j’ai voulu aller plus loin, toucher quelque chose de plus vaste, en interrogeant les origines d’un être qui allait marquer l’Histoire de la façon la plus tragique qui soit. Ce n’est pas tant un récit historique qu’une méditation sur les racines du mal, sur la naissance d’une monstruosité.

Le choix d’écrire ce roman, bien sûr, est en partie influencé par l’époque dans laquelle nous vivons. Aujourd’hui, l’Histoire semble nous rattraper, les spectres du passé refont surface, et la guerre, qui paraissait lointaine, revient frapper à nos portes. Je ne crois pas que l’on puisse écrire en étant complètement déconnecté du monde qui nous entoure. Écrire un roman sur les origines d’Hitler, c’est aussi une manière d’interroger les mécanismes qui, encore aujourd’hui, mènent à la violence, à l’horreur, à la haine collective.

Alexandre Gefen a raison lorsqu’il dit que l’Histoire est un terrain de débat politique. En écrivant sur des périodes du passé, on parle forcément du présent. Ce que l’on choisit de raconter, la manière dont on le fait, tout cela résonne avec les questions actuelles. Ce roman ne traite pas directement de la société contemporaine, mais il reflète nos préoccupations : comment le mal naît-il, comment est-il possible de le contenir, ou d’en reconnaître les signes avant-coureurs ? Quand on se plonge dans l’Histoire, c’est souvent pour mieux comprendre notre époque, pour tenter de trouver des parallèles, des leçons, même si elles sont toujours imparfaites.

En ce sens, Dans le ventre de Klara est une œuvre profondément ancrée dans notre temps. La violence, la guerre, le repli sur soi, ce sont des thèmes qui hantent ce roman, et qui font écho aux événements que nous voyons aujourd’hui en Europe et au Proche-Orient. L’art, la littérature, ont ce pouvoir de mettre en lumière des dynamiques invisibles, de faire ressentir des tensions que l’on vit sans toujours les comprendre. Ce roman est peut-être une manière de prendre la parole sur notre époque, mais de façon indirecte, en creusant dans le passé pour mieux éclairer le présent.

  • 22 T. R. Durand, Vie et chaos dans le roman contemporain, Paris, L’Harmattan, 2022, p. 43.

T. L. : L’un des aspects les plus intéressants de Dans le ventre de Klara consiste dans le recours constant à des procédés comiques, un aspect que l’on retrouve, du reste, dans toutes vos œuvres. Quelle est la fonction de cette veine comique ? Selon Thierry René Durand, dans vos œuvres, le comique « nivelle et nous rend tous égaux devant le non-sens »22. Est-ce une façon de représenter la tragédie de la condition humaine ou bien un outil pour susciter l’empathie ?

R. J. : Le comique, pour moi, est une manière essentielle de regarder le monde, même dans ses aspects les plus sombres. Dans Dans le ventre de Klara, l’humour vient justement désamorcer la solennité que l’on pourrait attendre d’un sujet aussi lourd. Il crée un décalage, une respiration dans la tragédie. Ce n’est pas une manière de minimiser la gravité de l’Histoire, mais plutôt de la rendre plus humaine, plus proche. Le rire permet d’affronter ce qui, autrement, serait insoutenable.

Thierry René Durand a raison lorsqu’il dit que le comique nivelle. Le rire met tout le monde sur un pied d’égalité, il annule les hiérarchies, qu’elles soient sociales ou morales. C’est une forme de résistance face à l’absurdité de la condition humaine. Nous sommes tous, au fond, vulnérables, ridicules dans nos certitudes, et l’humour permet de révéler cette vérité universelle. Il y a dans l’humour quelque chose qui frôle le non-sens, qui nous rappelle que la vie elle-même n’a pas toujours de logique ou de justice. Face à cela, le rire devient une arme, mais une arme douce, qui éclaire au lieu de blesser.

L’humour dans mes œuvres, et dans Dans le ventre de Klara en particulier, n’est pas là simplement pour susciter l’empathie, même si c’est un de ses effets. Il permet au lecteur d’entrer en contact avec les personnages sans lourdeur, sans distance. On peut être horrifié par ce qu’ils représentent, mais l’humour ouvre une brèche, une vulnérabilité qui fait qu’on ne peut pas les tenir à l’écart. C’est aussi une manière d’humaniser l’inhumain, de rappeler que derrière les monstres ou les figures historiques terrifiantes, il y a d’abord des êtres humains. L’humour, en quelque sorte, ramène tout au niveau de l’humain.

Mais je dirais que l’humour va au-delà de l’empathie. Il permet de rendre la tragédie supportable. Quand on rit de l’absurde, on ne s’y soumet pas. C’est une façon de contourner la souffrance, de ne pas lui donner tout le pouvoir. Dans Dans le ventre de Klara, le comique est là pour que l’on puisse entrer dans l’histoire avec une certaine légèreté, sans pour autant nier la profondeur du drame. C’est une manière d’échapper au poids de la fatalité, de réintroduire une forme de liberté dans la lecture, une respiration au milieu du chaos.

T. L. : Microfictions et Microfiction II comptent parmi vos œuvres qui ont eu le plus de succès. Pourriez-vous nous expliquer cette prédilection pour la forme brève ? Cette forme a-t-elle à voir avec une exigence de rapidité de la réception ou s’agit-il d’une manière privilégiée de disséquer la réalité, récit après récit ?

R. J. : La forme brève, celle des Microfictions, est née d’un désir de capturer la réalité dans sa diversité, dans ses fragments, et de saisir l’essentiel sans détour. Ce n’est pas tant une exigence de rapidité qu’une forme de discipline narrative. Dans chaque texte court, il faut aller droit au but, découper un instant de vie, une émotion, et la rendre immédiatement perceptible. Ce qui m’a attiré vers cette forme, c’est justement sa capacité à disséquer la réalité, à l’observer sous différents angles, récit après récit, comme on tournerait un prisme pour en observer toutes les facettes.

L’économie de mots impose une concentration du sens. Il faut que chaque phrase frappe juste, que chaque détail soit significatif. Ce n’est pas seulement une question de rapidité dans la réception, même si, dans notre époque marquée par l’immédiateté, la forme brève trouve naturellement son public. C’est plutôt une manière de distiller l’expérience humaine, de montrer que la vie elle-même se compose d’une multitude de petits récits, chacun aussi important que l’autre. Chaque microfiction est comme un éclat de cette mosaïque de l’existence.

Avec les Microfictions, j’ai voulu adopter une approche presque clinique, comme un entomologiste qui observe les mouvements de la société, de l’âme humaine, en capturant des instants précis, souvent dérisoires ou tragiques. Il y a une grande liberté dans cette forme : on peut passer d’un personnage à l’autre, d’une situation à l’autre, sans les lourdeurs d’une intrigue continue. C’est une manière de montrer la variété des vies, des drames, des joies, tout en gardant cette distance nécessaire pour les observer sans les juger.

Finalement, cette forme brève me permet de rendre compte de la fragmentation du monde contemporain. Nous vivons dans une époque où tout se déroule par à-coups, où l’attention se disperse, où l’on passe d’un sujet à l’autre sans toujours chercher la cohérence. Les Microfictions reflètent ce chaos, mais elles tentent aussi de le structurer, de donner un sens à ces éclats de vie. Chaque récit est comme une tranche de cette réalité, un zoom sur un instant, un personnage, avant de passer au suivant. C’est une forme qui m’a permis d’explorer la condition humaine dans toute sa diversité, sa complexité, et aussi sa brièveté.

  • 23 R. Jauffret, Sévère, cit., p. 7.
  • 24 Ibid., p. 8

T. L. : Mais finalement, qu’est-ce qui vous intéresse le plus : disséquer le réel, c’est-à-dire le représenter, ou tenter de l’expliquer ? Dans le « Préambule » de Sévère que j’ai déjà cité, vous écrivez : « La fiction éclaire comme une torche »23. Et de poursuivre : « Je suis romancier, je mens comme un meurtrier […] la littérature est voyou. Elle avance, elle détruit. C’est son honneur, sa manière d’être honnête, de ne laisser derrière elle pierre sur pierre d’une histoire dont elle s’est servie pour bâtir un tout petit objet plein de pages, un fichier rempli d’octets, une histoire à lire dans son lit, ou debout sur un rocher face à l’océan comme un Chateaubriand égaré dans une image d’Épinal »24. La fonction de la littérature est-elle donc d’éclairer la réalité ?

R. J. : Ce passage du « Préambule » de Sévère que vous citez est assez révélateur de la manière dont je perçois la littérature. Elle éclaire, oui, mais pas pour révéler une vérité immuable. La lumière que la fiction projette est mouvante, incertaine. Elle éclaire comme une torche vacillante dans l’obscurité, révélant des fragments, des éclats, sans jamais offrir une vue complète. Ce n’est pas la fonction de la littérature de tout expliquer, de résoudre le réel. Si elle dissèque, c’est pour ouvrir, pour laisser le lecteur voir ce qu’il veut, ce qu’il peut.

Ce qui m’intéresse le plus, ce n’est pas de représenter le réel fidèlement, ni de le comprendre totalement. La fiction n’a pas cette prétention. Elle ne cherche pas à établir des vérités, mais à brouiller les pistes, à poser des questions. Quand je dis que la littérature est « voyou », c’est parce qu’elle ne respecte aucune règle. Elle avance en détruisant, en dérangeant. Elle met à mal les certitudes, elle déforme les histoires dont elle s’inspire pour créer quelque chose de nouveau, un objet qui se tient par lui-même, détaché de la réalité initiale.

L’acte de création est un mensonge, mais un mensonge qui, paradoxalement, peut être plus honnête que la réalité elle-même. Quand j’écris, je ne cherche pas à expliquer le monde, mais à proposer une autre manière de l’appréhender. La fiction déforme le réel pour mieux le toucher, pour le rendre perceptible autrement. C’est là toute la force de la littérature : elle avance masquée, elle détruit les repères habituels, mais dans ce chaos, elle éclaire ce qui, autrement, resterait invisible. Ce n’est pas une lumière qui réconforte, qui rassure, mais une lumière qui fait apparaître des ombres, des failles.

Alors, oui, la littérature éclaire, mais elle ne prétend pas offrir une explication complète du monde. Elle ne dissèque pas pour offrir un diagnostic, mais pour montrer la complexité, la confusion, la part d’ombre qui habite le réel. C’est un travail de déconstruction, un jeu avec les apparences, qui permet au lecteur de se perdre pour mieux se retrouver. Dans cet élan, elle est honnête, car elle ne cherche pas à tout dire, mais à troubler, à déranger, à créer un espace de questionnement.

  • 25 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 138.

T. L. : Je voudrais revenir à Sartre et à son épée. Il écrit : « Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée, à présent je connais notre impuissance. N’importe : je fais, je ferai des livres ; il en faut ; cela sert tout de même »25. N’avez-vous jamais éprouvé cette impuissance face à la société ?

R. J. : Bien sûr, l’impuissance face à la société, je l’ai ressentie, et je la ressens encore. Comment pourrait-il en être autrement quand on voit le monde continuer sa marche, souvent vers l’absurde, parfois vers l’horreur, et que l’on sait que nos mots, si puissants dans l’imaginaire, ne peuvent finalement pas arrêter une guerre, ni empêcher une injustice ? C’est cette impuissance qui, paradoxalement, alimente l’écriture. Nous écrivons justement parce que nous sommes impuissants. Si nous avions les moyens de transformer la société directement, peut-être la littérature n’aurait-elle pas lieu d’être.

Sartre parle de cette désillusion : il a cru à la puissance de l’écriture, à sa capacité de changer le monde, puis il a compris que les livres, malgré leur force, ne suffisent pas. Mais comme lui, je crois qu’il en faut. La littérature n’a peut-être pas le pouvoir immédiat de transformer la société, mais elle a celui de la troubler, de la questionner, de lui tendre un miroir déformant, et parfois, c’est déjà beaucoup. Il ne s’agit pas de s’illusionner sur l’impact direct de nos mots, mais de continuer malgré tout. Écrire, c’est refuser de rester silencieux face à l’absurdité, même en sachant que ce cri risque de se perdre dans le bruit du monde.

L’impuissance, pour moi, n’est pas une raison d’abandonner. Elle est plutôt un moteur. Quand on sait qu’on ne peut pas tout changer, on se concentre sur l’essentiel : sur les individus, sur les petites fissures du quotidien, sur ce qui, à défaut de transformer la société en bloc, peut toucher les consciences. La littérature est un acte de résistance, non pas contre la société dans son ensemble, mais contre le désespoir, contre la résignation.

C’est peut-être là que réside son utilité. Même si elle n’a pas la puissance d’une épée, elle reste une force subtile, discrète, qui travaille les esprits, qui éveille des questionnements, des doutes. Elle n’offre pas de solutions, mais elle prépare le terrain pour que chacun se les pose. C’est cette forme de persistance, d’insistance, qui fait que, malgré l’impuissance apparente, nous continuons à écrire, à faire des livres. Parce qu’ils servent tout de même.

T. L. : Sartre identifie deux grandes catégories d’écrivains : d’un côté, il y a Hugo, emblème de l’engagement, de l’autre, Flaubert, emblème de l’art pour l’art. De quel côté vous situeriez-vous ?

R. J. : La distinction que fait Sartre entre Hugo et Flaubert, entre l’écrivain engagé et l’écrivain de l’art pour l’art, est fascinante, mais je ne crois pas que les choses soient si simples, si tranchées. Il est tentant de se ranger d’un côté ou de l’autre, mais je pense que l’écriture, du moins la mienne, se situe quelque part entre ces deux pôles, dans un espace plus flou, plus ambigu.

D’un côté, comme Flaubert, je crois profondément à la littérature comme un art autonome, une quête de la forme, du style, une exploration de la beauté et de la complexité du langage. L’écriture est une fin en soi, un territoire à explorer, sans obligation de répondre à des attentes extérieures, politiques ou sociales. Il y a un plaisir presque égoïste dans le travail de la phrase, une fascination pour ce que les mots peuvent produire en eux-mêmes, au-delà de toute fonction utilitaire.

Mais de l’autre côté, il est difficile, et même impossible, de rester indifférent au monde qui nous entoure. Comme Hugo, je sens parfois la nécessité d’écrire en réaction à ce que je vois, d’aborder des sujets qui touchent au politique, à l’historique, à l’humain dans sa dimension collective. Ce n’est pas un engagement frontal, mais il y a toujours cette conscience que la littérature n’est pas déconnectée du monde. Même lorsqu’on pense écrire pour soi, ou pour l’art, on finit toujours par toucher à des questions qui concernent la société, la violence, la justice, la mémoire.

Je me situerais donc dans cet entre-deux : l’écriture comme un espace où l’on peut à la fois se perdre dans la recherche formelle, tout en étant traversé par des préoccupations qui dépassent l’individu, qui touchent au collectif. Je ne crois pas qu’on puisse écrire vraiment en se coupant du monde. Même Flaubert, qui rejetait l’engagement, ne pouvait s’empêcher de peindre une société avec ses travers, ses hypocrisies. De la même manière, je ne prétends pas écrire pour changer le monde, mais la littérature, par sa nature même, interroge le monde, le secoue, même de façon indirecte.

En fin de compte, je pense que chaque écrivain, consciemment ou non, oscille entre ces deux pôles. La question n’est pas tant de choisir un camp, mais de trouver l’équilibre qui nous permet de faire entendre une voix unique, entre le souci de la forme et la nécessité de dire quelque chose du monde dans lequel nous vivons. Cela dit, je ne suis ni philosophe ni théoricien. Je suis un conteur, un inventeur d’histoires. Il se pourrait bien que cette interview aussi, soit une fiction. 

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Notes

1 J.-P. Sartre, Les Mots, dans Id., Les Mots et autres écrits autobiographiques, J.-F. Louette (dir.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, p. 90.

2 J. Rancière, Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007, p. 11.

3 Ibid., p. 8.

4 A. Compagnon, La Littérature, pour quoi faire ?, Paris, Fayard, 2007, p. 30.

5 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 90.

6 Infra.

7 Infra.

8 « …une ère de raison et de paix mondiale. C’est tout le contraire qui s’est produit ». Conversation avec Antoine Volodine, infra.

9 Ibidem.

10 Ibidem.

11 Cf. G. Lukács, Le roman historique, Paris, Payot, 1965, p. 17-18.

12 Infra.

13 Infra.

14 R. Jauffret, Sévère, Paris, Seuil, 2010, p. 8-9.

15 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 138.

16 R. Jauffret, Sévère, cit., p. 9.

17 Id., Dans le ventre de Klara, Paris, Récamier, 2024.

18 Id., 1889, tr. it. T. Guerrieri, Firenze, Edizioni Clichy, 2023.

19 Ibid., p. 237-238.

20 Ibid., p. 237.

21 A. Gefen, La littérature est une affaire politique, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2022, p. 27.

22 T. R. Durand, Vie et chaos dans le roman contemporain, Paris, L’Harmattan, 2022, p. 43.

23 R. Jauffret, Sévère, cit., p. 7.

24 Ibid., p. 8

25 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 138.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Teresa Manuela Lussone, « « Nos mots, si puissants dans l’imaginaire, ne peuvent finalement pas arrêter une guerre ». Conversation avec Régis Jauffret  »Revue italienne d’études françaises [En ligne], 14 | 2024, mis en ligne le 15 novembre 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/13428 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ozf

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Teresa Manuela Lussone

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