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Mélanges

Théâtre et histoire contemporaine chez Stendhal : la politique mise en scène (1802-1804)

Theatre and contemporary history in Stendhal: staging politics (1802-1804)
Cécile Meynard

Résumés

La plupart des projets de pièces auxquels Stendhal travaille entre 1802 et 1804, et en particulier les deux plus aboutis, Les Deux hommes et Letellier, ont un lien avec l’histoire contemporaine, de la période révolutionnaire aux débuts de l’Empire : il conserve en effet l’idéal révolutionnaire du théâtre comme « école du citoyen » qui doit amener le public à lutter contre tout despotisme.

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Texte intégral

  • 1 Nous ferons référence aux ouvrages de Stendhal qui suivent : Id., Théâtre, Cercle du Bibliophile, G (...)
  • 2 Stendhal pense encore reprendre son Letellier en 1830, mais peut-être en le transformant en roman, (...)

1Le Stendhal dont il sera question ici est le tout jeune homme de l’époque consulaire et impériale, plus précisément des années 1802-1804, où il travaille en particulier sur Les Deux hommes et sur Letellier, ses deux projets de théâtre les plus aboutis et les plus personnels. De fait, c’est là qu’il définit nombre de ses principes littéraires et qu’il lie le plus intimement théâtre et histoire contemporaine1. Certes, on sait qu’il a échoué en tant que dramaturge, même s’il n’a renoncé que tardivement au théâtre2. Mais s’il ne parvient pas à achever ses projets de pièces, au moins en 1802-1804, ce n’est pas seulement parce qu’il est mauvais mais pour des raisons plus complexes, et notamment en lien avec l’actualité politique.

  • 3 Voir L. de Lanzac de Laborie : « C’est véritablement une épidémie. Il n’y a pas de vieille église d (...)
  • 4 Napoléon est un grand amateur de théâtre (il ira en moyenne une fois au théâtre par semaine pendant (...)
  • 5 Th I, p. 242.

2Stendhal partage sans conteste la passion de son temps pour le théâtre. La période révolutionnaire et le Consulat voient se multiplier les théâtres publics particuliers, notamment dans la capitale3. On se situe en effet avant la reprise en main officielle par l’Empereur avec les lois restrictives de 1806-1807, qui limiteront le nombre de théâtres à 8 dans la capitale, et développeront la censure : le Consulat (1799-1804) correspond encore à une période de relative liberté même si Bonaparte commence déjà à réglementer le fonctionnement des salles officielles4. Stendhal partage en particulier le goût de ce dernier pour le théâtre, et l’on trouve d’ailleurs dans ses journaux nombre de références à la présence du Premier Consul puis de l’Empereur aux pièces que lui-même va voir. Dès le 6 février 1803, il associe par exemple son projet des Deux hommes au Premier Consul. De fait, sous le titre anglicisé The Two men, il inscrit un code : « Bonaparte : 1000 an [sic] », et précise : « Si tu sais être naturel, tu dois lui plaire plus qu’un autre. La même passion règne dans vos cœurs »5. Ce rébus associe Bonaparte à l’euphorie glorieuse des campagnes d’Italie par l’évocation de la ville de Milan, découverte par Stendhal lors de la deuxième campagne en 1800. On peut y voir aussi le vœu que Bonaparte gouverne pendant mille ans. Toujours est-il que l’image donnée de ce dernier est à cette époque positive ; et Stendhal écrit dans la perspective de plaire à Bonaparte, l’homme de la liberté révolutionnaire, avec lequel il affirme partager deux traits de caractère fondamentaux, le naturel et la passion.

  • 6 Ibidem, p. 300.
  • 7 Voir en particulier M.-L. Netter, « L’intégration de nouvelles valeurs par le théâtre », dans L. Ga (...)

3La fin du XVIIIe et les premières années du XIXe siècle correspondent à une période d’effervescence, où, en dehors des théâtres officiels qui restent contrôlés et soumis à la censure des autorités, chacun peut se faire acteur et où se multiplient les spectacles d’amateurs dans des salons et sur des scènes privées6. Stendhal participe à ce mouvement de fond : il joue en 1803 dans le salon Rebuffel des scènes de Racine avant de prendre des cours de déclamation chez La Rive puis chez Dugazon en 1804. Mais surtout, comme ses contemporains, il croit à la vertu civique du théâtre7. Ses projets de pièces du début des années 1800 sont ainsi intimement liés à l’histoire contemporaine : on y retrouve l’écho de sa sensibilité à la montée en puissance de Bonaparte et de son rapprochement progressif des libéraux.

Les balbutiements d’une réflexion politique sur l’histoire contemporaine

  • 8 Nous écartons ici Selmours, la pièce qu’il rédige en 1795 ou 1796, encore adolescent à Grenoble, en (...)
  • 9 Ducis a donné une adaptation édulcorée de la pièce de Shakespeare en 1769. Sur son influence sur St (...)
  • 10 Th I, p. 217.

4Le rapport de Stendhal au théâtre est incontestablement politique, dès ses premiers projets8. Envisageant ainsi à la fin de 1802 d’écrire une tragédie intitulée Hamlet, dont la critique a souligné qu’elle est largement plus inspirée de Ducis que de Shakespeare, en particulier pour le plan et le respect des bienséances9, il en fait toutefois de façon bien plus originale le lieu d’une réflexion sur le pouvoir en ajoutant des éléments politiques qui lui sont personnels. Il oppose ainsi, dans son résumé Alfred, le despote éclairé, à Claudius, le tyran qui s’appuie sur le mécontentement des nobles et des prêtres pour fomenter une révolte et prendre le pouvoir10. Ce sont deux régimes politiques qui sont mis en opposition. Cette réflexion du 18 novembre 1802 semble pouvoir être une allusion indirecte aux ambitions de Bonaparte, devenu consul à vie quelques semaines plus tôt, le 2 août, officialisant ainsi son autorité grandissante depuis le coup d’État du 18 Brumaire. À sa critique de la tyrannie, il ajoute une valorisation de la République.

  • 11 Voir Th I, p. 251.
  • 12 Le thème de l’instruction comme moyen d’émancipation, en faisant de l’Église un repoussoir vecteur (...)
  • 13 Th I, p. 243.
  • 14 JP I, p. 380.
  • 15 Manquent seulement les deux scènes les plus importantes et les plus difficiles à ses yeux : la scèn (...)
  • 16 Th I, p. 249.
  • 17 Th I, p. 353.

5Il enchaîne avec le projet des Deux hommes dès fin janvier 1803. L’intrigue semble banale et rappelle les comédies de mœurs du XVIIIe siècle : Charles Valbelle aime sa cousine Adèle, qui l’aime aussi. Un jeune fat sans scrupule, M. de Chamoucy, se pose en rival. Après une brouille entre les amants manigancée par la propre mère de Charles, suivie d’une réconciliation, la pièce se clôt sur le mariage de Charles et d’Adèle. Mais en réalité il s’agit d’une intrigue toute politique, largement inspirée des Précepteurs de Fabre d’Eglantine, lequel était, rappelons-le, un révolutionnaire modéré, qui fut guillotiné pour corruption en 1794. Dans cette pièce posthume publiée en 1799, s’opposaient deux précepteurs, Timante et Ariste11, deux élèves, Jules et Alexis, et surtout deux éducations, philosophique et anti-philosophique12. Chez Stendhal les précepteurs de Valbelle et Chamoucy sont l’oncle Valbelle, philosophe, et Delmare, dévot. L’objectif est affiché : « Je montre que l’éducation philosophique a produit un homme vraiment honnête, tandis qu’au contraire l’éducation dévote a produit un homme faible inclinant à la scélératesse »13. Stendhal associe explicitement le caractère républicain au caractère philosophique : « Valbelle pourrait dire : j’ai élevé Charles pour en faire un républicain »14. Le projet des Deux hommes consacre ainsi l’opposition du royaliste, hypocrite et individualiste, et du républicain vertueux et altruiste élevé selon les principes de Rousseau. La pièce, que Stendhal a quasiment fini de rédiger en prose15 avant de tenter – en vain – de la transposer en vers, porte sur les résonances de la Révolution dans la société française contemporaine. Une deuxième ligne de fracture se superpose ainsi à la première, celle entre roturiers (les Valbelle, Adèle) et nobles : la mère de Chamoucy est « dominée par tous les préjugés d’une bigote noble »16. Le mépris de Chamoucy pour Adèle révèle toutefois la prise en compte d’une évolution historique fondamentale, sujet qui sera repris par les romanciers des années 1830, Stendhal en tête : « La petite n’est pas noble, à la vérité, mais elle est riche, et dans ce maudit temps de révolution cela couvre tout »17.

  • 18 Th I, p. 305.
  • 19 Th I, p. 251.

6Les personnages sont ancrés dans leur époque, l’oncle Valbelle, « vieillard de soixante ans, mais vert encore pour son âge, et lieutenant général sous l’ancien régime »18, Chamoucy, fils d’émigré, « courtisan parfait »19, ou encore Delmare :

  • 20 JP I, p. 256-257.

L’anti-philosophe, le tartuffe actuel, bas flatteur. Les traits de Geoffroy et de Laharpe. Delmare a fini l’éducation de Chamoucy depuis cinq ans ; il veut épouser sa mère ; pour cela il l’a fait divorcer. M. de Chamoucy a émigré, ses biens ont été vendus. Il se cachait malheureux en France lorsque sa femme a demandé et obtenu le divorce. […] Ce M. de Chamoucy est mort de chagrin. Le projet de Delmare est de faire déshériter Chamoucy lorsqu’il sera le mari de sa mère. Pour cela il tâche de l’entraîner dans les fautes qu’il sait devoir le plus irriter sa mère. (Conduite de d’Orléans avec le prince de Lamballe. Étudier ce trait d’histoire).20

  • 21 Th I, p. 267-268.
  • 22 Ibidem.
  • 23 Th I, p. 278.

7Le contexte est celui des années suivant la Révolution, les thèmes sont d’actualité : divorce, émigration et privation de biens, détournement d’héritage. La référence au duc d’Orléans est significative. Ce prince du sang, qui prit le nom de Philippe-Égalité en 1792 et sera exécuté en 1793, fut accusé – apparemment à tort – d’avoir corrompu le prince de Lamballe (1747-1768), son futur beau-frère, dans le but de récupérer à son profit l’héritage de la famille de Penthièvre. Dans les versions ultérieures du projet, Chamoucy père n’est pas mort mais prisonnier21, et il réapparaîtra à la fin de la pièce pour démasquer Delmare. Stendhal précise en marge : « Établir dans l’avant-scène que Delmare a de grandes obligations à Chamoucy père. Delmare a été fait prêtre pendant la Terreur, mais il le cache pour épouser Mme Chamoucy. C’est le contraire de Dubois »22. Le Dubois évoqué ici est Dubois Fontanelle, modèle de l’éducateur ouvert à l’esprit nouveau et aux auteurs contemporains, français et étrangers, qui enseigna les Belles Lettres à Henri Beyle à l’École centrale de l’Isère en 1797-1799. Que Delmare soit défini comme son opposé et surtout qu’il devienne prêtre sous la Terreur, au moment où le clergé est le plus persécuté, en fait explicitement un fanatique antirévolutionnaire. Ainsi, loin d’être une simple histoire d’amours contrariées ou même la mise en scène de deux systèmes d’éducation, l’intrigue est totalement ancrée dans l’histoire immédiate et oppose deux idéologies et deux régimes politiques. La Révolution est partout présente en filigrane comme un horizon idéal. Pour sa « scène de raillerie » (Acte V, scène 9), dans laquelle l’affrontement entre Delmare et Valbelle doit tourner à l’avantage de ce dernier, Stendhal précise par exemple le 8 mars 1803, dans « Pensées pour le détail des scènes » : « Dans la scène de raillerie, justification de la Révolution française »23.

8Ce projet avorté annonce aussi la réflexion qu’il développera plus tard dans ses romans, sur les degrés divers d’ambition et d’énergie mais aussi d’authenticité et d’humanité qui se manifesteront dans les différentes classes sociales sous l’impact d’une nouvelle révolution. On le voit dans la tirade de Valbelle oncle sur le manque d’énergie et la fatuité des jeunes Parisiens :

  • 24 Th I, p. 318.

Aussi, qu’il ne vienne une révolution, que quelque grand intérêt force à s’occuper sérieusement d’une vérité à trouver, ou d’une grande entreprise à exécuter, vous voyez tous nos élégants disparaître et tous les grands hommes, gloire de la nation et envie de la postérité, sortir de la classe bourgeoise où le besoin ramène à la vérité, et où on est encore père et ami.24

  • 25 Th I, p. 403.

9Stendhal prend conscience du côté polémique de son projet dès le 18 avril 1803 : « Si ma pièce est bonne, B[onaparte] ne m’aimera pas »25. Mais il souligne l’actualité du projet le 9 septembre 1803 :

  • 26 JP I, p. 259.

Nos mœurs se sont républicanisées, donc c’est le moment de livrer au ridicule nos anciennes mœurs de courtisan. Les malheurs de la Révolution ont fait haïr la société et désirer le bonheur qu’on goûte à la campagne et dans les liens naturels (père, époux, amant, frère, etc.) pour beaucoup de monde.26

Le tournant du printemps 1804

  • 27 Moreau est arrêté et condamné à l’exil lors d’un procès que Stendhal juge inique. Voir OI I, p. 86 (...)
  • 28 Stendhal va ainsi à rebours du système d’orchestration de son image comme « héros-sauveur » mis en (...)

10Le changement survient donc au printemps 1804 quand le jeune homme se rend à Paris, où de nouveaux événements vont le détourner progressivement du thème de sa pièce : la conjuration de Cadoudal et Pichegru, à laquelle le général Moreau est accusé de s’être mêlé27, est découverte en février 1804 ; le 6 avril, Pichegru se suicide dans sa prison ; et surtout, le 18 mai, un sénatus-consulte proclame Napoléon Bonaparte Empereur des Français. C’est le début du Premier Empire, même si le sacre lui-même ne sera célébré que le 2 décembre. À partir de là, Stendhal se met à repérer de façon obsessionnelle toutes les « applications » qui peuvent être faites par le public à cet événement dans les pièces de théâtre qu’il voit jouer28, alors même que toute référence directe est interdite par la censure. Le 23 mai 1804, après avoir assisté à Œdipe de Voltaire, il note par exemple que Talma a été « [applaudi] à outrance » quand il a dit :

  • 29 OI I, p. 78-79. Voir aussi p. 84 et p. 110 d’autres « applications ».

Ce roi d’un fastueux rempart, ne marchait point
Entouré, etc.
On en fait une application à Bonaparte. Est-elle dans le bon ou dans le mauvais sens ? On applaudit beaucoup aussi la maxime contre les prêtres.29

En réalité, Voltaire a écrit :

  • 30 Voltaire, Œdipe, éd. D. H. Jory, dans Id., Les Œuvres complètes de Voltaire, Oxford, The Voltaire F (...)

Jocaste
Ce roi plus grand que sa fortune,
Dédaignait comme vous une pompe importune ;
On ne voyait jamais marcher devant son char
D’un bataillon nombreux le fastueux rempart ;
Au milieu des sujets soumis à sa puissance,
Comme il était sans crainte, il marchait sans défense ;
Par l’amour de son peuple il se croyait gardé.30

  • 31 Ce sont les mêmes jeux d’ambiguïté que chez Lemercier et Chénier, auteurs à la même époque de tragé (...)
  • 32 Voir M. Carlson, op. cit., p. 94 et sq.

11La critique du contexte actuel – quelques jours à peine après la proclamation de l’Empire – se fait donc sous forme d’une allusion indirecte, tronquée et fautive, en employant le pronom personnel indéfini « on » (qui permet à Stendhal de ne pas donner explicitement son avis et en même temps de montrer qu’il fait partie d’un groupe de spectateurs irrités), et en s’interrogeant sur le « bon » ou le « mauvais sens » à donner à l’application, comme s’il y avait ambiguïté31 : autant de stratagèmes pour faire planer un voile assez transparent sur la dénonciation du tyran au pouvoir (d’ailleurs significativement nommé Bonaparte et non pas désigné par son nouveau titre, Napoléon), auquel renvoie comme un miroir inversé l’éloge du bon roi. Stendhal donne ainsi au théâtre un rôle de contestation républicaine, comme l’ont fait les dramaturges dès 1791 après la fuite du Roi interrompue à Varennes32.

  • 33 Th II, p. 10.
  • 34 William Pitt le Jeune (1754-1806), le plus jeune Premier ministre de l’histoire britannique, nommé (...)
  • 35 Stendhal le confond sans doute avec l’évêque de Dol, Urbain-René de Hercé, fervent opposant à la Ré (...)
  • 36 Charles James Fox (1749-1806), connu pour son opposition à Pitt, partisan de l’indépendance des Éta (...)
  • 37 Th II, p. 11.

12Et il se met aussitôt à imaginer de nouveaux projets de pièces polémiques, inscrivant le 9 juin 1804 dans sa liste d’« Ouvrages possibles », à côté de comédies de mœurs, des projets de « drames à la manière de Shakespeare », entre autres « L’Avènement de B[onaparte] au trône et le jugement de Moreau » ; et non moins significativement « La Descente de Quiberon en 3 Actes »33. Ce projet mettrait en scène les personnages clés de la tentative de débarquement manquée de corps expéditionnaires d’émigrés, menés en 1795 par Joseph de Puisaye et Charles de Sombreuil, qui aboutit à un massacre de ce dernier et de ses hommes par les forces républicaines du général Hoche. Cet épisode consacra la rupture entre les émigrés et les chouans et porta un coup funeste au parti royaliste. Stendhal note que pour réussir sa pièce, il doit « s’appliquer à la peinture des caractères », et en fait la liste : Louis XVIII, Pitt34, « un émigré scélérat (l’évêque d’Arras35) », « un émigré intéressant (Sombreuil) », « Fox homme estimable »36. Et il ajoute cette préconisation qui montre son attachement à produire un effet de réalisme et de vérité historique, conditions sine qua non à ses yeux : « Pour faire quelque chose de bon se bien pénétrer de l’histoire »37. On trouve ici en germe son admiration pour l’énergie, de quelque orientation politique qu’elle puisse être. Mais en raison de leur caractère hostile à toute forme de despotisme, ces deux projets restent encore une fois lettre morte.

  • 38 Voir V. Del Litto, op. cit., p. 223 et sq.
  • 39 Stendhal traduit la scène 1 et une partie de la scène 2 de l’acte I de la pièce d’Alfieri, voir Th (...)
  • 40 Th II, p. 20-21.

13À partir de juillet 1804, de nouvelles influences, celles de Shakespeare et d’Alfieri, vont détourner Stendhal du projet des Deux hommes. Il lit en effet à cette époque Richard III, et Henri IV, deux tragédies historiques de Shakespeare mettant en scène des héros détrônant des rois, et le Bruto primo d’Alfieri, qui met en scène la révolte populaire à l’origine de la première république romaine. On le sait, Stendhal éprouve la plus vive admiration envers l’esthétique et en particulier l’art de la sceneggiatura d’Alfieri mais aussi et surtout envers les sentiments républicains exprimés par l’Italien et sa haine des tyrans38. Cette lecture lui inspire de nouveaux projets. Il se lance dès juillet 1804 dans la traduction de deux scènes du Bruto primo, avec une perspective d’adaptation de la pièce en français, sous le titre « Brutus, tragédie d’Alfieri »39. Les deux scènes choisies ne sont pas anodines : la première commence sur un dialogue entre Brutus et Collatin, après le suicide de Lucrèce son épouse, qui a été violée par le fils de Tarquin le Superbe, roi de Rome ; Brutus appelle alors Collatin, effondré, à lancer la révolte populaire. Et dans la scène 2, il harangue le peuple : « Pour moi je demande seulement de mourir pour vous, pourvu que je sois le premier dans Rome qui meure libre et citoyen »40. Choisir un tel sujet est bel et bien un acte de rébellion républicaine – mais évidemment trop dangereux à mettre en œuvre, d’où son abandon immédiat.

  • 41 Th I, p. 446.

14Les Deux hommes vont être délaissés en quelques mois. Sans doute Stendhal se rend-il compte que les modèles choisis pour ses deux protagonistes, Charles et Chamoucy, sont devenus obsolètes : les lignes de fracture se font désormais dans d’autres espaces que la sphère intime. Il note le 10 août 1804 une inflexion à faire prendre à sa pièce : « Il y a apparence que le parti dévot, antiphilosophique, va devenir fauteur du despotisme. En faire prêcher les maximes à Delmare, à Chamoucy et à Mme Chamoucy. Composer leur caractère d’après cette remarque »41. C’est déjà en germe le projet de Letellier. Le 12 août 1804, il va plus loin en se donnant une mission fondamentale, contrer la tyrannie par la comédie, dans une société sous l’emprise de l’argent qui a remplacé les honneurs :

  • 42 JL II, p. 112.

Il faudra des tonnes d’or à B[onaparte]
Voilà le sens dans lequel moi, poète comique, je dois travailler pour être utile à la nation, en détruisant la prise des tyrans sur elle, et la rapprochant par-là de la divina libertà.42

  • 43 On trouve la dernière allusion au projet à la date du 20 août 1804.

15Ce nouvel objectif rend obsolète Les Deux hommes43. Le 28 août, il donne une réinterprétation politique du Misanthrope, qui marque bien ce tournant, avec un rejet de la comédie de caractère en faveur d’une perspective sociohistorique :

  • 44 OI I, p. 120.

Il y a dans Alceste l’imperfection capitale que la tête n’est pas assez bonne. Il devrait voir que tous ces maux qu’il ne peut endurer viennent du gouvernement monarchique, et tourner contre le tyran la haine que lui donnent les vices de ses contemporains.44

Letellier, projet (trop) politique

  • 45 Th II, p. 29.
  • 46 C’est le sous-titre que Stendhal envisage de donner à sa pièce le 29 août 1804. Voir JL I, p. 42.
  • 47 Napoléon est encore plus directement visé par ses critiques dans l’esquisse d’un autre projet de pi (...)
  • 48 Th II, p. 70.
  • 49 Th II, p. 61.
  • 50 Bibliothèque municipale de Grenoble, R. 5896 (9), fo 69r ; voir Th II, p. 34. Stendhal écrira en su (...)
  • 51 8 septembre 1804, Th II, p. 79. Sur Alfieri, voir Ch. Del Vento, « La première fortune d’Alfieri en (...)

16Le jeune homme est mûr pour envisager de produire lui-même ce qu’on pourrait appeler une « comédie politique ». Dès le 31 octobre 1803, il a exprimé l’envie d’écrire une comédie en trois actes et en vers, intitulée L’intérieur d’un journal : « J’y pourrai développer mon sentiment sur l’érudition et sur les chapons qui rognent les ailes du génie »45. En août 1804, il y ajoute une nouvelle ambition, celle de dénoncer à travers Letellier « l’ami du despotisme et le pervertisseur de la république »46. Le modèle du personnage est bien entendu Geoffroy mais aussi – on l’oublie trop souvent car il reste en arrière-plan et est soigneusement masqué – Napoléon lui-même, que Stendhal s’obstine encore à nommer Bonaparte, quand il ne le désigne pas par le pseudonyme désormais antiphrastique de Milan47. Dans ses notes et ses commentaires marginaux, il ne cesse de rapprocher son personnage de l’Empereur : « Je ridiculiserai la politique que Milan veut peut-être suivre contre la philosophie, en la donnant en projet à Letellier, ainsi que la politique des Jésuites […] »48 ; « Letellier a cinquante ans et 30.000 fr. de rente. Ne lui donner aucune avant-scène parce que cela ne pourrait que détruire le peu de ressemblance qui existe entre Milan et lui »49. La décision est mûrie : « Mon protagoniste est l’ami du Despotisme, car je ne puis mettre en scène le despote lui-même, B, qui d’ailleurs serait un mauvais sujet de comédie, étant de sa nature très odieux, et très peu ridicule »50. Cette réflexion montre aussi que, bien avant la rédaction du Rouge ou de Lucien Leuwen, Stendhal est déjà préoccupé par le problème du registre de l’écriture de l’histoire contemporaine ; pour convaincre le public sans le heurter, il faut absolument conserver la dimension comique : « Si j’aborde la question sérieusement, j’entre tout de suite dans l’odieux, et il faut finir par un livre dans le genre de la Tirannide contre Milan »51. Le fantôme du pamphlet d’Alfieri plane bel et bien au-dessus du projet.

17On trouve beaucoup plus de réflexions que de scènes rédigées dans les brouillons de Letellier ; les plans sont eux-mêmes assez tardifs car Stendhal commence par réfléchir sur le caractère qu’il veut mettre en scène et surtout sur la situation qu’il veut dénoncer. Il donne en effet une analyse aigüe du despotisme, des raisons qui pourraient le faire revenir en France, et des moyens de l’empêcher, notant par exemple le 27 août 1804 :

  • 52 Th II, p. 35-36.

Quels sont les meilleurs moyens de rétablir le despotisme en France ?
Le seul obstacle que jy voie, cest l’opinion publique. […]
Le tyran ne veut choquer les opinions que jusqu’à un certain point, parce quil craint de faire une scène.
Lopinion publique gênant les tyrans, ils doivent donc mettre leurs soins à la pervertir, et c’est ce que fait Milan.52

  • 53 Th II, p. 39-40.

18Le projet est donc tout entier orienté pour attaquer le tyran sans subir les foudres de la censure, en montrant au public les ressorts des manipulations dont il fait l’objet sans le savoir. Stendhal le dit : le meilleur moyen d’attaquer la tyrannie serait la publication d’un « appel aux Français par Alfieri » ou d’« un roman dans le genre de Don Quichotte où l’on montrerait le malheur de l’état de courtisan et où on le couvrirait de ridicule, livre que je pourrai faire un jour » – mais ces deux livres seraient immédiatement censurés53. L’alternative serait alors qu’il écrive une comédie où

  • 54 Ibidem.

[il tâcherait] de couvrir de ridicule
A) ceux qui dans le monde prêchent des maximes favorables au despotisme. Ce que je ferai par une excellente scène de raillerie entre mon jeune amant d’une actrice et mon protagoniste.
B) Ceux qui prêchent ces maximes dans leurs écrits.54

  • 55 Cité dans L. Goldsmith, Cours politique et diplomatique de Napoléon Bonaparte comme général en chef (...)
  • 56 Stendhal définit ainsi ce qu’il appelle « le parti des cuistres » : « Ce parti est composé de ceux (...)
  • 57 Th II, p. 47.
  • 58 Th II, p. 48.
  • 59 Ibidem.

19Et il ajoute cette note en marge du point « B » : « Toutes les autres manières de les prêcher sont trop odieuses pour la comédie. Comme les tribuns trahissant leurs serments, les discours de Fontanes, les proclamations de Murat, les juges condamnant Moreau, etc. etc. ». Ces tribuns sont les sénateurs qui, le 4 mai 1804, ont décrété qu’« il est du plus grand intérêt du peuple français, de confier le gouvernement de la république à Napoléon Bonaparte, empereur héréditaire »55. L’orateur Louis de Fontanes (nommé membre du Corps législatif en 1804, et qui en deviendra le président en 1805), le général Joachim Murat (fait maréchal d’Empire le 19 mai 1804) se sont aussi ralliés à Napoléon, convaincus que lui seul peut mettre fin aux désordres nés de la révolution. Et les juges ont condamné à l’exil le général Moreau, trop populaire et probablement le seul à pouvoir encore faire obstacle à l’autorité de l’Empereur. Toujours est-il que ces « prêches » odieux et par là-mêmes impossibles à mettre en scène s’inscrivent en creux dans le projet de pièce. Il s’agit ainsi de ridiculiser indirectement par le comique et l’antiphrase tous ces discours potentiellement pervertisseurs de l’opinion publique. Stendhal illustre d’ailleurs aussitôt son propos par la seule scène qu’il a significativement rédigée presque en entier à cette date, celle du discours de Letellier aux cuistres56, où ce dernier propose de lutter contre les philosophes par la littérature : il s’agit de séduire les âmes sensibles par des romans dans le genre de l’Émile qui valoriseront les courtisans de la fin du règne de Louis XIV57, les gens froids et raisonnables par « un ouvrage philosophique aussi brillant que De l’Esprit d’Helvétius et s’opposant à lui »58, les gens sensibles au ridicule par un roman et une comédie ridiculisant les philosophes59.

  • 60 Th II, p. 63.
  • 61 7 septembre 1804, Th II, p. 76.
  • 62 Ibidem.

20Ce n’est que le 1er septembre 1804, six jours après avoir commencé à travailler sur son projet, que Stendhal note : « Il s’agit maintenant de trouver l’intrigue »60. C’est bien la preuve qu’à ce stade de la réflexion, le texte tient encore du pamphlet bien plus que du théâtre et que la pièce n’en doit être que le masque comique. Cette intrigue semble bien mince en comparaison de celle des Deux hommes : Letellier veut faire interdire une comédie dirigée contre lui, en l’accusant de vouloir attaquer les mœurs et la religion, et pervertir l’opinion publique. Il se laisse pourtant flatter par Vardes, alors même que ce dernier est l’auteur de la pièce en question et manigance pour venger sa maîtresse, « jeune artiste dont Letellier a dit du mal »61 ; « et pendant ce temps la pièce se joue »62, note ironiquement Stendhal.

  • 63 Th II, p. 97.
  • 64 Ibidem.
  • 65 Th II, p. 116.
  • 66 OI I, p. 156.
  • 67 OI I, p. 161.

21Le rythme se ralentit ensuite, il se force à travailler63, élabore des plans et rédige en prose la scène 3 de l’acte I en novembre 180464. Stendhal précise, dépité, qu’il perd le sentiment du comique et du ridicule65. Mais en réalité, le problème naît aussi du fait qu’à cette date le sacre de Napoléon est imminent et irrévocable : il aura lieu le 2 décembre, et l’opinion publique y est favorable. Stendhal note sobrement dans son journal qu’après avoir réfléchi « toute cette journée sur cette alliance si évidente de tous les charlatans », « la religion venant sacrer la tyrannie », il s’est rincé la bouche en lisant Alfieri66 : ne plus pouvoir parler librement semble couper court à toute inspiration. Le projet de Letellier perd tout sens. Une petite note dans son journal à la date du 12 décembre 1804 marque aussi un net changement d’état d’esprit de la part de Stendhal : « Il zio [l’oncle maternel, Romain Gagnon] a vu Beauharnais [Eugène, avec lequel il était lié] ; à mon retour il m’a conté la réception amicale que celui-ci lui avait faite, ce qui m’a donné des illusions d’ambition pendant deux heures »67. Stendhal lui-même envisage de se rallier : le temps de l’opposition et de l’instruction du public par la comédie satirique semble bel et bien révolu.

  • 68 Th II, p. 154 et sq.

22Il reprendra Letellier en janvier 1806 à Marseille mais la critique des philosophes aura définitivement perdu tout lien avec l’actualité politique : Letellier, caractérisé simplement par sa vanité ridicule de journaliste s’exagérant son importance, ne veut plus que nuire au jeune Chapelle (qui a remplacé Vardes), par des manigances d’ordre financier68. La pièce se réoriente ainsi vers une comédie de caractère. Cet amoindrissement du propos suit exactement l’évolution psychologique de Stendhal : ce dernier n’est en effet plus aussi intransigeant, et envisagera même bientôt de demander une place dans l’administration impériale. Il en ira de même en juillet 1810, puis à Moscou fin 1812 et à Paris début 1813 : Stendhal, désormais fonctionnaire de l’Empire, s’est accommodé – tant bien que mal – du despotisme et est de toute façon muselé par le danger d’exprimer une opinion politique hostile au régime. Et après la chute de Napoléon, son état d’esprit sera tout différent, animé par la volonté de défendre la mémoire du grand homme contre la médiocrité de la Restauration, ce qui bridera toute velléité d’évoquer au théâtre la dimension tyrannique du personnage.

*

23Ainsi, le projet de Letellier est en 1804 le point d’orgue d’une réflexion politique sur le contexte historique récent, voire immédiat, que l’apprenti dramaturge s’efforce de transposer au théâtre. Stendhal conçoit initialement la comédie comme une chambre de réflexion (aux deux sens du terme) qui doit faire prendre conscience au public des enjeux historico-politiques et le former à la citoyenneté républicaine : sa période la plus intense de création précède et suit immédiatement l’établissement du régime impérial, avec l’espoir de susciter un sursaut révolutionnaire chez les Français. Quand cet espoir s’évanouit, ses ambitions dramaturgiques sont mises de côté, au moins pour un temps.

  • 69 Th I, p. 287.
  • 70 G. Kliebenstein note aussi que « le péché majeur de Stendhal serait sa “manie théorisante” : la cri (...)

24L’échec de ses projets tient donc à plusieurs raisons : la plus évidente, bien connue, est que le théâtre n’est incontestablement pas son domaine de compétence. Il est obnubilé par la versification – dont il est incapable – et mélange trop les registres et les modèles, ce qui l’amène à des incohérences, par exemple quand il définit Mme Valbelle comme « la Cléopâtre (de Rodogune) du monde »69. À cela s’ajoute le fait qu’encore trop « classique » – il admire Racine face à Shakespeare –, il ne sait pas s’adapter au goût du jour. Il est bien conscient du problème lors de son travail sur Letellier qui s’accompagne d’une prolifération de réflexions théoriques et de préconisations et est finalement très peu rédigé70, et commence d’ores et déjà, dans la douleur, à mûrir sa conception selon laquelle « la comédie est impossible » à son époque. Mais à tout cela s’ajoute un élément déterminant, à savoir que Stendhal est encore très persuadé de l’idée révolutionnaire que le théâtre doit avoir un rôle éducatif, forger une conscience civique. Or c’est un objectif qui devient obsolète sous l’Empire : un Charles Valbelle et plus encore un Letellier ne sont plus possibles au moment même où il conçoit ces personnages. Ses projets littéraires ont ainsi une dimension trop politisée, trop polémique, trop en lien avec l’histoire contemporaine, et sont donc impubliables : dans ces années 1802-1804 se pose déjà le problème qu’il rencontrera pour Lucien Leuwen en 1834.

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Notes

1 Nous ferons référence aux ouvrages de Stendhal qui suivent : Id., Théâtre, Cercle du Bibliophile, Genève, 1971 et 1972, t. I et II (dorénavant Th I et Th II) ; Id., Journal littéraire, Genève, Cercle du Bibliophile, 1970, t. I et II (dorénavant JL I et II) ; Id., Journaux et Papiers, éd. C. Meynard, H. de Jacquelot, M.-R. Corredor, Grenoble, ELLUG, 2013, t. I (dorénavant JP I) ; Id., Œuvres intimes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1981, t. I (dorénavant OI I).

2 Stendhal pense encore reprendre son Letellier en 1830, mais peut-être en le transformant en roman, Th II, p. 200. Voir aussi son article dans la Revue de Paris « La comédie est impossible en 1836 » (Id., Mélanges, Genève, Cercle du Bibliophile, 1972, t. II, p. 265-278) qui constitue une critique à la fois poétique et sociologique de l’échec de ce genre littéraire.

3 Voir L. de Lanzac de Laborie : « C’est véritablement une épidémie. Il n’y a pas de vieille église délabrée, de salle un peu vaste dont on ne s’empare pour jouer la comédie ». Voir Id., Paris sous Napoléon : Spectacles et Musées, Paris, Plon/Nourrit, 1913, p. 126.

4 Napoléon est un grand amateur de théâtre (il ira en moyenne une fois au théâtre par semaine pendant les 15 ans du Consulat et de l’Empire), mais il le considère comme un instrument politique et à cet égard fait limiter leur nombre à Paris en 1806 puis en 1807, développe la censure. Le décret de 1807 stipule qu’aucun théâtre ne peut jouer une pièce autre que celles de son répertoire, et qu’aucun théâtre ne peut être créé sans autorisation. Voir M. Carlson, Le Théâtre de la Révolution française [1966], Paris, Gallimard, NRF, « Bibliothèque des idées », 1970, p. 333-335.

5 Th I, p. 242.

6 Ibidem, p. 300.

7 Voir en particulier M.-L. Netter, « L’intégration de nouvelles valeurs par le théâtre », dans L. Garbagnati et M. Gilli (dir.), Théâtre et révolution, Annales littéraires de l’Université de Besançon, 1989, p. 25-31 ; É. Avocat, « Orateurs et héros ? Un rôle de théâtre problématique sous la Révolution », dans A. Ferry (dir.), Les Personnages historiques de théâtre de 1789 à nos jours, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 185-200.

8 Nous écartons ici Selmours, la pièce qu’il rédige en 1795 ou 1796, encore adolescent à Grenoble, en s’inspirant d’une nouvelle anglaise de Florian.

9 Ducis a donné une adaptation édulcorée de la pièce de Shakespeare en 1769. Sur son influence sur Stendhal, voir V. Del Litto, La Vie intellectuelle de Stendhal : genèse et évolution de ses idées (1802-1821), Paris, Presses universitaires de France, 1959, p. 71 et sq.

10 Th I, p. 217.

11 Voir Th I, p. 251.

12 Le thème de l’instruction comme moyen d’émancipation, en faisant de l’Église un repoussoir vecteur d’obscurantisme, est cher à la période révolutionnaire (voir M.-L. Netter, art. cit., p. 29). Stendhal, qui a lui-même souffert, dans son enfance, de l’éducation donnée par son précepteur, l’abbé Raillane, hérite directement de cette idéologie.

13 Th I, p. 243.

14 JP I, p. 380.

15 Manquent seulement les deux scènes les plus importantes et les plus difficiles à ses yeux : la scène de raillerie entre Delmare et Valbelle, et celle de réconciliation entre Charles et Adèle, comme il le note le 15 avril 1803 (Th I, p. 389).

16 Th I, p. 249.

17 Th I, p. 353.

18 Th I, p. 305.

19 Th I, p. 251.

20 JP I, p. 256-257.

21 Th I, p. 267-268.

22 Ibidem.

23 Th I, p. 278.

24 Th I, p. 318.

25 Th I, p. 403.

26 JP I, p. 259.

27 Moreau est arrêté et condamné à l’exil lors d’un procès que Stendhal juge inique. Voir OI I, p. 86 et son projet de « Mémoires sur l’accusation intentée à J. V. Moreau, Général de division, en Pluviôse XII », dans Stendhal, Mélanges, cit., t. I, p. 3-7.

28 Stendhal va ainsi à rebours du système d’orchestration de son image comme « héros-sauveur » mis en place par Bonaparte à la même époque. Voir notamment les analyses de P. Dwyer, Citizen Emperor : Napoleon in Power 1799-1815, London, Bloomsbury, 2013 et de J. Tulard, Napoléon, ou le mythe du sauveur, Paris, Fayard, 2021. K. Astbury et P. Perazzolo notent ainsi que « Napoléon est convoqué sur les planches à travers l’allusion, la métaphore, le parallèle récurrent avec des personnages glorieux mythiques ou historiques comme Hector, Sylla, Tibère, Auguste, Charlemagne. Leur évocation récurrente hante la production culturelle des années qui précèdent immédiatement le sacre de 1804 ». Ead., « Les masques de l’Empereur », dans Revue italienne d’études françaises, 11, 2021, consulté le 05/02/2024, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/8702. Mais Stendhal n’est pas le seul ni le premier à contester ce « masque » de Bonaparte, puisque des dramaturges font jouer des pièces amenant le public à rire du personnage. Voir C. Siviter, « Héros, sauveur, homme du peuple ? La création et contestation des premiers masques théâtraux de Bonaparte sous le Directoire », dans Revue italienne d’études françaises, 11, 2021, consulté le 05/02/2024, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/8568.

29 OI I, p. 78-79. Voir aussi p. 84 et p. 110 d’autres « applications ».

30 Voltaire, Œdipe, éd. D. H. Jory, dans Id., Les Œuvres complètes de Voltaire, Oxford, The Voltaire Foundation, 1968-2022, t. 1a, 2001, (IV, 1), p. 222.

31 Ce sont les mêmes jeux d’ambiguïté que chez Lemercier et Chénier, auteurs à la même époque de tragédies politiques : ces dernières ont pu être interprétées par le public comme des allusions à l’Empereur, en bonne comme en mauvaise part. Voir P. Frantz et V. De Santis, « Masques et miroirs de l’Empereur autour du sacre : Lemercier et Chénier », dans Revue italienne d’études françaises, 11, 2021, consulté le 05/02/2024, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/7869.

32 Voir M. Carlson, op. cit., p. 94 et sq.

33 Th II, p. 10.

34 William Pitt le Jeune (1754-1806), le plus jeune Premier ministre de l’histoire britannique, nommé à seulement 24 ans, est à la tête de la coalition contre la France pendant la Révolution.

35 Stendhal le confond sans doute avec l’évêque de Dol, Urbain-René de Hercé, fervent opposant à la République, aumônier de l’armée catholique et royale de Bretagne qui fut pris à Quiberon et fusillé en 1795.

36 Charles James Fox (1749-1806), connu pour son opposition à Pitt, partisan de l’indépendance des États-Unis et de la Révolution française, mais modéré. Ibidem.

37 Th II, p. 11.

38 Voir V. Del Litto, op. cit., p. 223 et sq.

39 Stendhal traduit la scène 1 et une partie de la scène 2 de l’acte I de la pièce d’Alfieri, voir Th II, p. 21.

40 Th II, p. 20-21.

41 Th I, p. 446.

42 JL II, p. 112.

43 On trouve la dernière allusion au projet à la date du 20 août 1804.

44 OI I, p. 120.

45 Th II, p. 29.

46 C’est le sous-titre que Stendhal envisage de donner à sa pièce le 29 août 1804. Voir JL I, p. 42.

47 Napoléon est encore plus directement visé par ses critiques dans l’esquisse d’un autre projet de pièce le 6 septembre 1804 : « Milan protège le luxe ; faire une comédie contre sous le titre du Magnifique… », JL II, p. 158 ; il revient sur ce projet le 7 septembre, Th II, p. 23. De fait, sitôt fait empereur, en mai 1804, Napoléon a rétabli le faste de la cour : livrée, grands laquais, chambellans, aumôniers, cordons, etc. Encore une fois Stendhal choisit un sujet au plus près de la réalité historique.

48 Th II, p. 70.

49 Th II, p. 61.

50 Bibliothèque municipale de Grenoble, R. 5896 (9), fo 69r ; voir Th II, p. 34. Stendhal écrira en surcharge, sans doute en 1816 : « Je vous en demande pardon, ô grand par excellence. J’étais jeune et plein d’Alfieri ». Napoléon doit évidemment être réhabilité à cette époque, après le retour d’une tyrannie encore pire que la sienne.

51 8 septembre 1804, Th II, p. 79. Sur Alfieri, voir Ch. Del Vento, « La première fortune d’Alfieri en France : de la traduction française du “Panégyrique de Trajan par Pline” (1787) à la traduction des “Œuvres dramatiques” (1802) », dans Revue des Études Italiennes, « Vittorio Alfieri et la culture française », 1-2, 2004, p. 215-227, en particulier les p. 221-222 où le critique évoque les traductions d’Alfieri en français et la circulation de l’édition (non autorisée et probablement due à des instances antinapoléoniennes) publiée par Molini en 1799-1800 des Œuvres politiques.

52 Th II, p. 35-36.

53 Th II, p. 39-40.

54 Ibidem.

55 Cité dans L. Goldsmith, Cours politique et diplomatique de Napoléon Bonaparte comme général en chef des armées républicaines, comme Premier consul, comme Empereur et roi, et du Gouvernement français, 1816, R. Juigné, Londres, t. II, p. 1180.

56 Stendhal définit ainsi ce qu’il appelle « le parti des cuistres » : « Ce parti est composé de ceux qui aiment le despotisme pour la religion, tels que Chateaubriand, Mme de Genlis, etc. Ils doivent être mécontents ; 2° de ceux qui prêchent la religion pour servir le despotisme tels que Geoffroy, Petitot, et toute la canaille littéraire », Th II, p. 35-36, 27 août 1804.

57 Th II, p. 47.

58 Th II, p. 48.

59 Ibidem.

60 Th II, p. 63.

61 7 septembre 1804, Th II, p. 76.

62 Ibidem.

63 Th II, p. 97.

64 Ibidem.

65 Th II, p. 116.

66 OI I, p. 156.

67 OI I, p. 161.

68 Th II, p. 154 et sq.

69 Th I, p. 287.

70 G. Kliebenstein note aussi que « le péché majeur de Stendhal serait sa “manie théorisante” : la critique aurait étouffé la pratique », Id., « Théâtre », dans Y. Ansel, Ph. Berthier et M. Nerlich (dir.), Dictionnaire de Stendhal, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 707.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Cécile Meynard, « Théâtre et histoire contemporaine chez Stendhal : la politique mise en scène (1802-1804) »Revue italienne d’études françaises [En ligne], 14 | 2024, mis en ligne le 15 novembre 2024, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/13405 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12oze

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Auteur

Cécile Meynard

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