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Peut-on parler d’un théâtre « néoclassique » au XVIIIe siècle ?

Le fratricide à l’antique dans la tragédie post-thermidorienne. Chénier, Lemercier, Legouvé

Ancient Fratricides in Post-Thermidorian Tragedy. Chénier, Lemercier, Legouvé
Vincenzo De Santis et Paola Perazzolo

Résumés

Le motif de la fraternité (naturelle, d’élection ou de combat) joue un rôle central dans l’art dramatique de la décennie révolutionnaire. De nombreux auteurs contribuent à élaborer son mythe tragique, dont ils parcourent le côté sublime ou, à l’envers, le côté ténébreux d’un caïnisme fondamental. Cette étude explore le thème du fratricide dans la tragédie post-thermidorienne, analysant comment les dramaturges de l’époque (Chénier, Lemercier, Legouvé) thématisent le contraste entre les liens familiaux et une libido dominandi éminemment politique. L’analyse se concentre sur des tragédies inspirées de différents sujets antiques pour dévoiler leurs apports esthétiques et leurs implications dans le contexte politique en mutation.

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Notes de la rédaction

Vincenzo De Santis a écrit les paragraphes : « Timoléon. Froideur ou pathos ? », « Ophis ou le pardon fratricide : ambition et désir de pouvoir » ; Paola Perazzolo le paragraphe : « Étéocle, une tragédie (du) politique » ; introduction et conclusion sont le fruit d’un travail commun.

Texte intégral

  • 1 É. Flamarion, C. Volpilhac-Auger, « État de recherches et tendances actuelles », dans Dix-Huitième (...)
  • 2 Voir C. Mossé, L’Antiquité et la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1989 ; W. Nippel, Liber (...)
  • 3 Voir L. Bertrand, La Fin du Classicisme et le retour à l’Antique dans la seconde moitié du XVIIIe s (...)
  • 4 M. Praz, Gusto Neoclassico, Napoli, Edizioni Scientifiche, 1959, passim.
  • 5 Voir H. Parent, Modernes Cicéron. La romanité des orateurs révolutionnaires (1789-1807), Paris, Cla (...)
  • 6 J. Cocteau, Notes sur Antigone place de la Concorde, dans Id., Théâtre complet, éd. M. Décaudin, Pa (...)
  • 7 S. Loncle, « Faire entrer le présent dans les cadres du passé : écrire du théâtre contre la Révolut (...)

1« Omniprésente, impalpable, nourrissant toute réflexion et imprégnant toute image », l’Antiquité au XVIIIe siècle « affleure partout » : son rapport trouble au moderne ne s’arrête pas aux années de la reprise de la Querelle et se prolonge tout au long du siècle1. L’idéalisation et l’émulation des démocraties de l’Antiquité acquièrent une valeur politique prépondérante sous la Révolution2, quand la référence antique devient un véritable langage3. Dans une perspective animée par un « esprit de Plutarque », qui forge des parallèles constants entre l’Antiquité et les aspirations politiques contemporaines4, cette présence se manifeste dans les arts visuels, le théâtre et l’oratoire (dont l’osmose à l’époque est connue)5. Elle n’est pas seulement asservie à la propagande qui doit plier une « foule plutarquisée » – c’est ainsi que Jean Cocteau appelle la France révolutionnaire dont les « grands hommes » sont tout autant des « victimes de Plutarque »6 – mais peut être un instrument de contestation antirévolutionnaire (au théâtre et ailleurs)7, et surtout fournir des paramètres utiles à un examen critique de la réalité.

  • 8 Voir M. David, Fraternité et Révolution française : 1789-1799, Paris, Aubier, 1987 ; L. Hunt, Le Ro (...)
  • 9 P. Frantz, « Le Héros, la fraternité et la mort. La poétique des tragédies néoclassiques de Chénier (...)
  • 10 P. Perazzolo, « Introduction », dans G.-M. Legouvé, La Mort d’Abel, éd. P. Perazzolo, London, MHRA, (...)
  • 11 Voir R. Campagnoli, « La Rivoluzione di Caino : La Mort d’Abel di Légouvé », dans M. Richter (dir.) (...)
  • 12 Les frères rivaux sont aussi présents dans les reprises : Britannicus compte seize représentations (...)
  • 13 É. Flammarion, C. Volpilhac-Auger, art. cit., p. 5.

2Issu de la fraternitas antique, le motif de la fraternité (naturelle, d’élection ou de combat) joue un rôle central dans l’art dramatique de la décennie8, tout au long de laquelle plusieurs auteurs contribuent à élaborer son « mythe tragique »9. Bien avant la Terreur, quand le thème commence à pénétrer le discours politique, La Mort d’Abel de Legouvé (1792) constitue déjà, via « la mise en scène d’une fraternité dégénérée »10, une investigation précoce sur l’idéal de Fraternité et ses apories11. Après la mort de Robespierre – fratricide collectif et nécessaire –, les incertitudes du Directoire et du Consulat, la menace constante du retour de la monarchie, la carrière de Bonaparte (qui semble de moins en moins le défenseur de la République) se font jour dans la présence du thème du fratricide et dans ses multiples reprises et transformations. En témoigne la production dramatique des trois principaux dramaturges de la période (Chénier, Lemercier, Legouvé), qui non seulement font de la fraternité l’un des motifs centraux de leur création, mais qui, au fil de la décennie, proposent différents exemples de rivalité fraternelle et de fraternité criminelle12. Dans Timoléon (1793-1794), Ophis (1798), Étéocle (1799), la caractérisation des personnages et les modalités du geste fratricide sont au cœur d’une dynamique complexe qui, par le biais de la référence antique, dramatise le contraste entre les liens familiaux et une libido dominandi éminemment politique. « La source est un miroir »13 : l’insistance sur le thème en question et le choix des modèles évoqués par les auteurs trahissent une angoisse et un pessimisme liés à l’écroulement de l’utopie révolutionnaire et à la remise en doute de ses idéaux. À travers une analyse prenant en compte les modalités de reprise du fratricide à l’antique – textuelle, directe, allusive, contaminée par d’autres traditions littéraires ou picturales –, la réflexion portera ainsi sur ses implications politiques et esthétiques entre la chute de Robespierre et l’ascension de Bonaparte.

Timoléon. Froideur ou pathos ?

  • 14 N. Lemercier, « Analyse raisonnée du théâtre de Chénier », dans M.-J. Chénier, Œuvres complètes, Pa (...)
  • 15 Voir G. Ambrus, « Une campagne d’opinion contre Marie-Joseph Chénier », dans Annales historiques de (...)
  • 16 Cette « calomnie » (A.-V. Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, Paris, Dufey, 1833, t. II, p. 127-12 (...)
  • 17 L’Esprit des journaux, français et étrangers, t. IX, septembre 1794, p. 252-257.
  • 18 Mercure français : politique, historique et littéraire, t. XIII, 5 décembre 1794, p. 65-73.
  • 19 Voir M. Fazio, François-Joseph Talma. Le Théâtre et l’Histoire, de la Révolution à la Restauration, (...)
  • 20 Anonyme, « La Fin du XVIIIe siècle », dans Le Spectateur du Nord : journal politique, littéraire et (...)
  • 21 Pour un examen exhaustif de la question, voir G. Ambrus, « Une campagne d’opinion contre Marie-Jose (...)

3Dans son analyse du Timoléon de Marie-Joseph Chénier, parue dans un recueil d’Œuvres complètes, Lemercier définit la mort de Timophane, le moment crucial de la tragédie, comme un acte « froidement médité »14. En comparant la pièce à la tragédie homonyme d’Alfieri, Lemercier insiste sur le caractère invraisemblable de la représentation du meurtre, auquel l’auteur italien aurait su donner la juste valeur. Le dramaturge revient sur un lieu commun critique qui avait accompagné l’ouvrage de Chénier depuis sa création. Les ennemis de l’auteur voyaient dans la mort de Timophane une sorte de référence à celle d’André Chénier, selon la « légende noire » bien connue de la postérité15 : Timoléon, détournant les yeux de Timophane au moment de sa mort, figurerait l’indifférence de Marie-Joseph face à l’exécution de son frère16. Lors de sa création le 11 septembre 1794, L’Esprit des journaux parle d’applaudissements mérités tout en soulignant certains défauts dans l’intrigue et dans la caractérisation de Timoléon, jugé trop naïf17 ; encore plus élogieux, le Mercure français publie également de longs extraits de cette œuvre présentée comme morale et républicaine18. Cet accueil positif est aussi lié à la valeur symbolique acquise par la pièce avec la réaction thermidorienne. Interdite au printemps de l’an II, quand les partisans de Robespierre avaient entrevu dans le portrait de Timophane les traits du despotisme, sa création acquiert donc au Théâtre de la République une valeur symbolique liée au retour de la liberté après la chute de la Terreur19. En dépit d’une réception peu enthousiaste mais somme toute positive, cette idée de « froideur », terme ambigu qui renvoie au modérantisme, revient souvent dans les comptes rendus de l’époque à propos de la scène du fratricide – « Fénelon m’affadit ; Timoléon me glace », lisait-on dans une longue satire anonyme intitulée « La Fin du XVIIIe siècle », publiée par le Spectateur du Nord en 179920 –, et les détracteurs de l’auteur usent de cette tragédie pour attaquer sa réputation personnelle21.

  • 22 M.-J. Chénier, Timoléon, (III, 5), dans Id., Théâtre, éd. G. Ambrus et F. Jacob, Paris, Flammarion, (...)
  • 23 Plutarque, Œuvres, tr. fr. J. Amyot [1572], Paris, Bastien, 1784, t. II, p. 390. Les Vies constitue (...)

4En mettant de côté l’instrumentalisation des attaques contre le tragédien, on a aujourd’hui du mal à comprendre les accusations de froideur dirigées contre la pièce : dans la mise en scène du meurtre, tout semble souligner la tentative de montrer le conflit intérieur du personnage, tiraillé entre l’amour fraternel et la raison d’État. L’imagerie antique dont use Chénier sert à conférer à l’hésitation du personnage un caractère sublime. Au moment du fratricide, Timoléon, incapable de voir son frère massacré par Ortagoras, tout comme chez Plutarque, dont la tragédie suit l’intrigue connue, se « voil[e] avec son manteau »22. D’un point de vue textuel, le meurtre par procuration et notamment le geste de couvrir son visage renvoient de manière directe aux Vies parallèles, lecture fondamentale pour la génération révolutionnaire : « Quoy voyant Timoleon se retira un peu à l’escart, et se couvrant le visage se print à plorer ; cependant les deux austres desguaignants leurs espées occirent Timophanes en la place »23. Chez les deux auteurs, Timoléon se résout à accepter, malgré sa profonde déchirure, un fratricide par procuration qui fait de lui le seul arbitre du pouvoir. De plus, au Plutarque d’Amyot, « bréviaire » déjà pour Montaigne, Chénier associe un personnage issu du canon classique français mais inspiré d’un sujet antique, c’est-à-dire Agamemnon dans Iphigénie de Racine, chez qui on retrouve le même geste :

  • 24 J. Racine, Iphigénie, (V, 4), dans Id., Théâtre-Poésie, éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, « Bibli (...)

Le triste Agamemnon, qui n’ose l’avouer,
Pour détourner ses yeux des meurtres qu’il présage,
Ou pour cacher ses pleurs, s’est voilé le visage.24

  • 25 Sur les intertextes antiques repris par Racine et leur traitement dans la composition d’Iphigénie, (...)
  • 26 H. Fullenwider, « “The Sacrifice of Iphigenia” in French and German Art Criticism, 1755-1757 », dan (...)
  • 27 Sur la signification politique de la pièce entre la Terreur et Thermidor, voir aussi G. Ambrus, « Q (...)
  • 28 Voir P. Frantz, « Talma et David : quelques réflexions sur une collaboration exemplaire », dans J.- (...)
  • 29 Mercure français, 5 décembre 1794, p. 72-73. Sa réception ambiguë est probablement due davantage au (...)

5Par la reprise de la scène du sacrifice d’Iphigénie – escamoté par Racine par la création de l’« heureux personnage » d’Ériphile25 –, Chénier évoque une autre référence antique, à savoir la peinture de Timanthe montrant Agamemnon le visage couvert, dont la scène est souvent reprise en peinture : que l’on pense à la version de Pompéi conservée au Museo Archeologico de Naples ou à la fresque de Tiepolo à la Villa Valmarana de Vicence (1759). Si Timanthe « a voilé la tête d’Agamemnon parce que le pinceau ne pouvait pas imiter ce deuil suprême », son œuvre offre également au spectateur l’image d’un père incapable d’assister à l’holocauste de sa fille26. Chez Timanthe, Plutarque et Racine, ce geste symbolise donc l’impossibilité du héros, investi d’une fonction politique, de faire voir au peuple sa douleur par les larmes, suscitées par le conflit entre les liens familiaux et les exigences de la chose publique. Par la reprise de Plutarque et de Timanthe, Chénier superpose l’image d’Agamemnon à celle de Timoléon. Le conflit entre devoir politique et amour paternel est donc remodelé, car l’opposition entre les deux frères constitue, après le parricide royal, une sorte de dislocation sur l’axe horizontal du rapport patriarcal qui liait le roi et les sujets sous l’Ancien Régime, et la création après la mort du tyran Robespierre complique ultérieurement la signification politique du dénouement27. Par ailleurs, la scène n’est pas sans rappeler la position du disciple qui offre à Socrate la coupe de ciguë, tourne le dos au spectateur et se couvre les yeux de la main gauche pour ne pas assister à la mort du philosophe dans la toile de David (1787). Par le geste accompli par Talma – Timoléon se couvre le visage devant les spectateurs et non hors-scène comme chez Racine –, Chénier essaie de créer une sorte de Pathosformel à la fois spectaculaire et pictural, capable de susciter la participation émotionnelle du public au conflit profond du personnage28 et à « l’expression mâle et pure de son républicanisme »29.

  • 30 Ibidem.
  • 31 G. Ambrus, « Voix politiques dans les tragédies révolutionnaires de Marie‑Joseph Chénier », dans Li (...)

6Comme La Mort d’Abel de Legouvé et selon le schéma de la tragédie lyrique, la pièce est divisée en trois actes et s’accompagne de la musique de Méhul. Dans une reprise idéalisée du théâtre antique, Timoléon se signale également par la présence des chœurs, exécutés par les chanteurs de l’Opéra, qui alternent leurs octosyllabes aux alexandrins des dialogues, selon l’exemple des « anciens poètes grecs »30. Une pièce qui semble, après la Terreur, mettre en garde contre les risques d’un retour dans la tyrannie se clôt sur une note égalitaire et populaire. Dans cette tragédie qui formule une « condamnation sans appel du pouvoir de Robespierre et des crimes de la Terreur »31, c’est le « chœur du peuple et des guerriers » qui prononce les derniers mots sur la scène :

  • 32 M.-J. Chénier, Timoléon, (III, 8), dans Id., Théâtre, cit., p. 383.

Nous n’allons point chercher sur le lointain rivage
Un métal corrupteur, le prix de l’esclavage :
Des enfants de Corinthe il blesse la fierté ;
Mais nous portons la mort à des rois homicides,
          Et nos voiles tyrannicides
Vont conquérir la liberté.32

  • 33 G. Ambrus, « Qu’est-ce qu’écrire une tragédie sous la Terreur ? », cit., p. 46.

7Dans ses vers conclusifs, l’occurrence du lexème « voiles » transforme le tyrannicide du « faux républicain » Timophane33 en un geste collectif accompli pour le bien de la chose publique. La volonté de Timoléon de partager le pouvoir avec le peuple et les guerriers, auxquels il s’unit symboliquement en montant dans leur vaisseau, correspond à son désir de devenir un primus inter pares, et de préférer même à la fraternité de sang celle d’élection et de combat. Dans le dénouement, l’alliance démocratique entre le souverain et le peuple semble donc encore idéalement se profiler comme une alternative possible à la tyrannie.

Ophis ou le pardon fratricide : ambition et désir de pouvoir

  • 34 N. Lemercier, Ophis, Paris, Fayolle, 1798, p. [I].
  • 35 La pièce, qui répond à la mode née avec la campagne d’Égypte, fut également reprise sur la demande (...)

8Créée au Théâtre de la République le 22 décembre 1798, à un moment où Lemercier était encore proche de Bonaparte avant de devenir l’ennemi de Napoléon, Ophis, tragédie où l’auteur veut reproduire « la Terreur des Grecs »34, transpose en Égypte le motif des frères ennemis : un décor inspiré de celui de Sémiramis et le jeu des acteurs contribuent au succès de la tragédie entre 1798 et 179935. Tholus, obsédé par le trône et jaloux de son frère, assassine leur père et tente de tuer Ophis pour prendre le pouvoir. Par un geste de clémence extrême et pour éviter le fardeau du trône, le héros refuse de venger les actes odieux de Tholus. Celui-ci, déterminé à accomplir le fratricide, envisage également de sacrifier Naïs, dont les deux frères sont amoureux. Le peuple, soutenant Ophis, intervient contre son rival, qui, malgré l’offre de pardon d’Ophis et accablé par ses crimes, choisit le suicide.

  • 36 Le serpent, symbole de la ville de Memphis où l’action se déroule, fait également allusion à l’imag (...)
  • 37 N. Lemercier, Ophis, cit., (V, 8), p. 67.

9Si dans Timoléon nous assistons à un fratricide par procuration, la question se fait encore plus complexe chez Lemercier, car c’est Tholus lui-même qui se tue à la fin de la pièce, comme Ériphile chez Racine. L’auteur crée donc entre les deux rivaux un jeu de reflets où, à la tentative d’empoisonnement de Tholus, répond le pardon d’Ophis – dont le nom signifie justement « serpent » –, pardon qui agit sur son frère comme un autre poison36 : en réponse à la tirade du héros qui s’achève, sur l’impératif « Vis », au moment du suicide le tyran potentiel s’écrie « Épargne à Tholus un pardon qui l’outrage »37.

  • 38 « Hoc habent pessimum animi magna fortuna insolentes : quos laeserunt et oderunt » (« Car c’est là (...)
  • 39 Voltaire, La Mort de César, éd. D. J. Fletcher, dans Id., Les Œuvres complètes de Voltaire, Oxford, (...)

10Dans la représentation de ce fratricide indirect, Lemercier utilise une esthétique archaïsante, puisant dans des sources de nature et de provenance disparates. Si l’ensemble de la tragédie est censé rappeler la « Terreur des Grecs » et la mise en place évoquer l’horreur de l’Égypte, la phrase de Tholus qui précède sa mort condense un passage du De ira de Sénèque et sa reprise par Tacite dans Agricola, se présentant ainsi comme un montage de citations pas grecques ni égyptiennes, mais latines38. Dans le passage repris, Sénèque invite à abandonner la rage, la plus mortifère des passions, même lorsque l’on veut accomplir une vengeance légitime. Il est encore question de rage chez Tacite, son texte faisant allusion aux injustices de Domitien envers Agricola. Par ce jeu intertextuel, la colère et l’injustice de Domitien se reflètent ainsi sur Timophane, alors que la vertu de Timoléon est associée à celle du sage vivant à la cour dans le De ira et qui, comme le prince, refuse la logique de la vengeance. Les références intertextuelles renforcent l’ambiguïté du dénouement : Ophis tue indirectement son frère pour des raisons que le bien collectif rend légitimes. Innocent impardonnable, il n’est peut-être pas tout à fait inconscient des effets d’un pardon qui lui permet de devenir le seul héritier au trône. Dans un système dramatique influencé à la fois par l’héritage des Lumières voltairiennes – que l’on pense à La Mort de César39 – et par le bouleversement de la Révolution, renoncer à la couronne – comme voudrait le faire Ophis – représente une démonstration de mérite nécessaire et non suffisante pour devenir souverain. L’accès au pouvoir est garanti par le tyrannicide, mis en œuvre dans ce cas par le biais d’un pardon mortifère, preuve ultérieure de magnanimité. La pièce se clôt sur une tirade du grand-prêtre Amostris qui expose aux yeux du jeune prince les malheurs du pouvoir :

  • 40 N. Lemercier, Ophis, cit., (V, 8), p. 68.

Heureux, que n’ayant pu ceindre le diadème,
Il n’ait point à subir ce jugement suprême
Qui livrant, sans honneur, leur dépouille aux vautours,
Suit les tyrans d’Égypte au-delà de leurs jours,
Accuse aux dieux des morts toutes leurs injustices,
Et condamne leur ombre à d’éternels supplices.40

11Ophis met en scène un gouverneur légitime dont l’accession est saluée par le suffrage du peuple. Au-delà du caractère licite problématique d’un fratricide qui venge un parricide-régicide et qui chasse un héritier illégitime – nouvel avatar du tyran usurpateur et mis à mort à la manière du Timophane de Chénier, que Lemercier tend à éviter par le procédé du suicide –, l’auteur pose ici une question qui sera centrale dans son œuvre : le rapport de l’individu au pouvoir politique. À l’époque où il compose son Pinto, Lemercier met en scène son premier souverain malgré lui, une figure que l’on retrouve souvent dans son théâtre, et qui apparaît presque comme un avertissement indirect au futur empereur : vertu et pouvoir paraissent plus que jamais inconciliables.

  • 41 G.-M. Legouvé, La Mort d’Abel, cit., (III, 3), p. 105.
  • 42 M.-J. Chénier, Timoléon, (I, 1), dans Id., Théâtre, cit., p. 329.

12Au sein de cette osmose entre réflexion politique et théâtre, les modalités d’exécution choisies par les dramaturges dans la mise en place du fratricide ne sont pas dépourvues de significations. Si chez Legouvé Caïn tue Abel en usant de sa bêche41 – son instrument de travail et prolongement de lui-même, objet symbolique qui semble renvoyer à l’allégorie d’une « lutte des classes », si on accepte l’anachronisme –, Timoléon assiste malgré lui au meurtre de son frère, et Ophis empoisonne le sien par son pardon. Dans les trois tragédies, le geste fratricide se dissocie progressivement de celui qui l’accomplit, et cette dissociation s’accompagne d’un changement, d’une redéfinition du sous-texte politique. Timoléon et, plus encore, Ophis semblent mépriser le pouvoir et apparaissent, face à leurs frères, presque sans ambition. « Je plains l’ambitieux qui n’est pas insensible »42 affirme Timophane dans la tirade d’ouverture de la tragédie : ambition et sensibilité semblent déjà antinomiques chez Chénier, mais le suicide final de Tholus, qui refuse toute forme de réconciliation avec son frère et qui préfère mourir pour ne pas renoncer au pouvoir, fait de l’ambition une passion résolument négative.

  • 43 La bibliographie sur ces thèmes est particulièrement vaste. Pour une perspective critique récente, (...)
  • 44 Le paragraphe qui suit reprend et développe des considérations amorcées dans P. Perazzolo, « Rifles (...)

13Le pouvoir, charge onéreuse pour ceux qui l’exercent, semble désormais conduire inévitablement à la mort ou à la corruption. Avec ce changement de perspective politique, les destinataires et les objectifs paraissent également évoluer. Alors que les tragédies romaines de Voltaire transformées au début de la Révolution et que les premières œuvres de Chénier ont servi de modèle à une nation en formation à l’époque de leur création43, Timoléon et Ophis s’adressent à un peuple qui a déjà connu la Terreur, l’avertissant ainsi de la fragilité de la République et du risque de la tyrannie. Elles offrent aussi une image négative du pouvoir absolu en agissant comme un miroir critique pour les hommes politiques, tels Robespierre en 1793 ou Bonaparte en 1799, via une condamnation de l’excès d’ambition qui sera également au centre d’Étéocle de Legouvé44.

Étéocle, une tragédie (du) politique

  • 45 Les censeurs approuvent une pièce dont « la haine des rois est la moralité », Archives Nationales, (...)
  • 46 J. Racine, « Préface », dans Id., La Thébaïde ou les frères ennemis, éd. G. Forestier, Paris, Galli (...)
  • 47 Sur les interrelations entre écriture dramatique et actualité historico-politique, voir J.-A. Mille (...)
  • 48 Voir Le Messager des relations extérieures, Affiches, Annonces et Avis divers, Journal de Paris, 29 (...)

14Créé au Théâtre Français de la République le 19 octobre 1799 – à savoir, quelque vingt jours avant le Coup d’État du 9-10 novembre –, Étéocle jouit d’un succès certain mais éphémère, sans doute partiellement imputable à sa réaffirmation de valeurs républicaines devenues problématiques après le 18 Brumaire45. La pièce traite le sujet « le plus Tragique de l’Antiquité »46, déjà développé par Garnier, Rotrou, Racine et Alfieri d’après les modèles grecs d’Euripide et d’Eschyle ou les versions latines de Sénèque et de Stace. Sa reprise permet à Legouvé de réifier l’image négative du pouvoir absolu évoquée ci-dessus tout en proposant des idées sur l’exercice et la légitimité du gouvernement et sur le danger de l’ambition individuelle fort actuelles en cette fin de siècle marquée par l’ascension des militaires, les révoltes, l’affrontement des factions47. Pour ce faire, Legouvé se focalise sur le segment mythique de la lutte fratricide en simplifiant une matière narrative d’où disparaissent tout épisode – le sacrifice héroïque de Ménécée et l’histoire d’amour entre Antigone et Hémon figurant dans d’autres modèles français – et tout personnage secondaire – les confidents mais aussi Créon, dont les manœuvres attisent la haine fraternelle chez Sophocle, Rotrou, Racine, Alfieri – sans réduire les interactions dramatiques grâce à une différentiation psychologique des enfants d’Œdipe fort louée par la critique48.

  • 49 Voir G.-M. Legouvé, Étéocle, Paris, Suresne, an VIII, « Avertissement », p. v.
  • 50 A. Fabiano, « La réception du théâtre d’Alfieri dans la presse théâtrale et littéraire française en (...)
  • 51 Voir Ch. Del Vento, « La première fortune d’Alfieri en France : de la traduction française du Panég (...)
  • 52 Mercure de France, 1 brumaire an IX.
  • 53 C.-B. Petitot, « Examen de Polinice », dans V. Alfieri, Œuvres dramatiques du comte Alfieri, tr. fr (...)
  • 54 Voir G.-M. Legouvé, Étéocle, Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, Ms. 410 ou MF0612.

15Prétendument dérivée des Phéniciennes d’Euripide – source avouée (et modifiée) avec La Thébaïde de Racine49 –, cette caractérisation paraît aussi influencée par Polinice, une tragédie composée entre 1775 et 1781 par Vittorio Alfieri qui circule en France dans l’édition Didot de 1788, conçue comme un véritable « dossier de presse »50 pour mieux diffuser la production du Piémontais. Après 1794, les idées alfiériennes sur le théâtre acquièrent en effet plus d’importance dans le milieu dramatique parisien, et ses théories politiques jouissent dans les cercles révolutionnaires post-jacobins d’une fortune qu’accroîtra la parution, en 1799-1800, de l’édition (non autorisée et sans doute motivée par des sentiments antinapoléoniens) Molini des Œuvres politiques51. Quelques témoignages signalent l’influence italienne dans la construction dramatique d’Étéocle. Le recenseur de l’édition écrit en 1800 que le dénouement est « imité d’Alfieri »52 ; en 1802 Petitot, le traducteur français du Piémontais, suggère même une intertextualité plus importante : « Il est possible que la tragédie d’Alfieri ait donné à Legouvé l’idée de traiter ce sujet d’une manière plus simple. C’est du moins à lui que le poète moderne doit l’avantage d’avoir mis le dénouement en action »53. Les variantes du manuscrit du souffleur semblent également indiquer une dérivation italienne du point de vue de la caractérisation des personnages54.

  • 55 V. Alfieri, Polinice, éd. R. Ramat, Milano, Mursia, 1971, (I, 4) [« Et que désirai-je plus que d’en (...)
  • 56 A. Préaux, « Il motivo dei fratelli nemici nelle tragedie di Vittorio Alfieri », dans Revue des Étu (...)
  • 57 V. Alfieri, Parere sulle tragedie e altre prose critiche, éd. M. Pagliai, Asti, Casa d’Alfieri, 197 (...)
  • 58 A. Préaux, art. cit., p. 10.
  • 59 Voir F. Spera, « Lettura del Polinice », dans Studi vari di lingua e letteratura italiana in onore (...)
  • 60 Les Phéniciennes montrent les conséquences désastreuses d’affrontements qui avaient mis en danger l (...)
  • 61 G.-M. Legouvé, Étéocle, Paris, cit., (II, 1), p. 27 ; voir aussi ibid., (III, 2), p. 41-42.
  • 62 Antigone décrit le roi comme un « [j]eune ambitieux de son trône occupé, / Et qu’aigrit encor plus (...)
  • 63 Ibid., (III, 3), p. 47.
  • 64 Magasin Encyclopédique, année V, t. IV, p. 353 et p. 364-365.
  • 65 La Décade philosophique, littéraire et politique, 10 brumaire an VIII.
  • 66 G.-M. Legouvé, Étéocle, Paris, cit., (II, 1), p. 30.
  • 67 R. Campagnoli, art. cit., p. 107.

16Dans Polinice Éteocle, tyran obsédé par une haine totalisante – « E ch’altro bramo, e ch’altro spero, e ch’altro / sospiro io più, che col fratel venirne / all’arme io stesso ? In me quest’odio è antico / quanto mia vita ; e assai più ch’essa io ‘l curo »55 – et que « le goût du pouvoir a entièrement déshumanisé »56, s’oppose à un frère « nato assai più mite »57 mais non totalement vertueux : « [h]éros libérateur mais aussi tyran en puissance »58, Polinice incarne l’idée alfiérienne que la contamination du pouvoir commence avec son ambition même59. Cette différentiation, absente dans les sources déclarées – chez Euripide, la haine de deux frères aux personnalités opposées naît de la lutte pour le trône ; chez Racine, les rivaux sont également assoiffés de pouvoir –, est récupérée par Legouvé pour renforcer la signification de la source grecque60 à travers les théorisations politiques du Piémontais. Tout en reprenant les thèmes de la fatalité du sang des Labdacides et d’une haine primordiale faisant du ventre maternel la « première arène » des rivaux, Étéocle est, in primis, la tragédie d’une ambition politique indiquée comme la véritable cause du conflit : « Hémon. Ce nom [celui fatal de fils d’Œdipe] est-il donc le principe / Des revers, des débats qui causent vos chagrins ? / La seule ambition a troublé vos destins »61. L’ambition est surtout incarnée par Étéocle. Comme chez Alfieri, le personnage est un tyran obsédé par un pouvoir acquis par la force et fondé sur la crainte62, un monarque déshumanisé par le désir d’un trône dont il préfère « tomber qu[e] descendre »63. Dans une moindre mesure, l’ambition hante aussi Polinice [sic] : celui-ci possède « toutes les vertus compatibles avec elle [l’ambition] »64 et parle « le langage de la justice et de la pitié filiale »65 jusqu’à ce que l’attitude de son frère – la source de sa propre haine –, son besoin de justice et son ambition ne le rendent incapable de renoncer au trône. Comme dans Polinice, l’attrait du pouvoir se manifeste dès son entrée en scène, suggérant l’incompatibilité foncière entre ambition politique et vertu tout comme l’impossibilité de l’existence d’un monarque vertueux. Pas tout à fait originales à la fin du siècle, ces idées pourraient avoir été reprises de la pièce italienne si l’on en croit les réécritures présentées par le manuscrit du souffleur de la réplique adressée à Hémon qui rappelle à l’assiégeant : « Vous déchirez votre triste patrie »66. La première version, biffée, illustre l’antithèse traditionnelle entre héros libérateur et antihéros. La seconde se fait l’écho de conceptions politiques, celles d’Alfieri, de plus en plus appropriées dans une République agonisante hantée par un « paradoxe de la présence de Caïn » d’après lequel « [l]’assassin Caïn […] traîne derrière lui, inséparable, le traître Abel »67 :

  • 68 G.-M. Legouvé, Étéocle, Ms. 410, fol. 33-34, liasse, (II, 1).

Polinice [sic]
C’est lui [Étéocle] qui m’y contraint ; accuse sa furie.
De Thèbes cependant j’entens gémir la voix.
Mais comment donc ce peuple, oubliant tout,
A servir un tyran a-t-il pu se contraindre ?
Hémon
Ne lui reproche rien, ce peuple n’est qu’à plaindre.
Polinice
Je le vois, il languit sous un joug rigoureux
Je lui pardonne tout puisqu’il est malheureux […]
Oui, Thébains, de vos maux Étéocle est l’auteur.
Polinice sera votre libérateur
Si je peux lui ravir son sanglant diadème
[…]
Hémon
Que de sang va couler ! que de maux vont éclore !68

  • 69 Ibid., fol. 33-34, becquet, (II, 1).

Polinice
C’est lui [Étéocle] qui m’y contraint ; accuse sa furie.
De Thèbes cependant j’entens gémir la voix.
Mais n’importe… le sceptre est tout ce que je vois.
Hémon
Que de sang va couler ! que de maux vont éclore !69

  • 70 Ibid., (III, 2) ; (III, 5).
  • 71 Dans Les Phéniciennes, le roi propose le duel pour éviter la guerre civile. Dans La Thébaïde, Polin (...)
  • 72 Le roi justifie le duel par des considérations où résonnent les propos du chapitre III du premier l (...)
  • 73 Ibidem, (V, 4), p. 87.

17L’ambition, l’exercice du pouvoir, la question de sa légitimité sont aussi les thématiques centrales de la confrontation de l’acte III, où la force du droit légal s’oppose à la volonté de garder le sceptre par le droit de la force. La violence deviendra le seul critère de résolution du conflit. Polinice ne renonce pas au trône empoisonné de Thèbes comme le lui avait demandé Jocaste, conformément au motif traditionnel de l’inanité du pouvoir ; Étéocle refuse de partager un pouvoir qu’il n’est plus question d’exercer comme primus inter pares : « […] on veut posséder seul la grandeur souveraine, / […] un trône est trop étroit pour être partagé » ; « Et plutôt qu’en ces murs commande un autre roi, / Périsse, s’il le faut, Thèbe entière avec moi »70. La pièce se termine sur un affrontement contre nature motivé, différemment par rapport à d’autres modèles71, par des considérations stratégiques qui visent la conservation du sceptre72. Le dénouement horrible, fort discuté dans les comptes rendus mais légitimé par Legouvé au nom de la cohérence interne de la tragédie et d’une modernité esthétique qui privilégie l’« effet » sur les spectateurs, est dilué en deux moments, comme chez Alfieri. Un premier récit évoque la bataille et la victoire de l’assiégeant avant que le corps agonisant du roi ne soit ramené dans le palais. Ici a lieu une étreinte mortifère montrée sur scène – Étéocle frappe à mort son frère repenti et expire sur un « Je meurs vengé d’un frère, et je meurs encor roi »73. Efficace par sa concision et par la plasticité de sa composition – la scène débute sur un « tableau stase » –, l’épilogue de cette tragédie (du) politique visant la dénonciation de l’ambition démesurée rend visibles, si besoin était, l’inanité et la négation de l’idéal fraternel, désormais perverti jusque dans ses gestes les plus symboliques. Dans une République déchirée par les luttes intestines, même les embrassements fraternels, motif important de l’iconographie et de l’imaginaire de la décennie, ne cachent plus qu’un piège mortel qui ne laisse aucune place au sublime, au pardon ou au rachat héroïque.

Conclusions

  • 74 R. Bret-Vitoz, L’Éveil du héros plébéien (1760-1794), Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2018, p (...)

18Par la reprise des sujets antiques, Chénier, Lemercier et Legouvé illustrent et reformulent l’idéal de la fraternité en le représentant sous son angle le plus obscur : Timoléon, Ophis et Étéocle semblent bien poursuivre la réflexion sur l’ambivalence du motif fraternel qui caractérisait déjà La Mort d’Abel, quoique sur un plan différent. D’une manière qui n’a plus grand-chose à voir avec l’ancienne dimension cathartique de la tragédie, le fratricide se configure ici comme un geste humain, motivé par des raisons politiques ou personnelles, et la manière dont celui-ci s’accomplit dans les différentes tragédies oriente profondément leur signification politique. En proposant une réponse différente à la question foncière « Caïn, qu’as-tu fait de ton frère ? », ces œuvres montrent la capacité du théâtre contemporain de s’approprier l’Antiquité pour saisir et refléter les apories du présent. Dans la tragédie post-thermidorienne, les conflits qui mènent au meurtre entre les membres d’une même famille, cellule idéale du genre tragique selon Aristote, illustrent désormais l’impossibilité de concilier l’excès de l’ambition individuelle et le bien collectif. Dans les tragédies d’après la Terreur, le frère assassin apparaît « comme un être sensible et réfléchi » dont le « crime » est motivé par « une injustice criante »74. Dans le scénario politique chaotique qui précède l’ascension de Napoléon, la reprise du fratricide antique prend les couleurs d’un sombre présage.

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Notes

1 É. Flamarion, C. Volpilhac-Auger, « État de recherches et tendances actuelles », dans Dix-Huitième siècle, 27, 1995, « L’Antiquité au XVIIIe siècle », p. 5. Voir aussi l’introduction du présent dossier et C. Grell, Le Dix-huitième siècle et l’Antiquité en France, 1680-1780, Oxford, Voltaire Foundation, 1995 ; J. Seznec, « L’invention de l’Antiquité », dans T. Besterman (dir.), Transactions of the Fourth International Congress on the Enlightenment, Oxford, The Voltaire Foundation, « SVEC », 1976, t. V, p. 2033-2047.

2 Voir C. Mossé, L’Antiquité et la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1989 ; W. Nippel, Liberté antique, liberté moderne. Les fondements de la démocratie, de l’Antiquité à nos jours, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2010 ; É. Bellot, « Les tragédies à sujet antique de la Révolution. Mythes et limites de la métaphore », dans M. Fazio, P. Frantz et V. De Santis (dir.), Les Arts du spectacle et la référence antique dans le théâtre européen (1760-1830), Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 53-68 et, ici même, P. Frantz, « La Révolution et les tragédies romaines ».

3 Voir L. Bertrand, La Fin du Classicisme et le retour à l’Antique dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et les premières années du XIXe en France, Paris, Fayard, 1897 ; J. Brillaud, Sombres lumières : essai sur le retour à l’antique et la tragédie grecque au XVIIIe siècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 2011 ; M. Fazio, P. Frantz et V. De Santis, op. cit. ; D. M. Nicolosi, La tragédie française du XVIIIe siècle et le mythe grec, thèse sous la dir. de G. Iotti et P. Frantz, Université de Pise – Lettres Sorbonne Université, 2020.

4 M. Praz, Gusto Neoclassico, Napoli, Edizioni Scientifiche, 1959, passim.

5 Voir H. Parent, Modernes Cicéron. La romanité des orateurs révolutionnaires (1789-1807), Paris, Classiques Garnier, 2022 ; M. Thévoz, Le théâtre du crime. Essai sur la peinture de David, Paris, Éd. de Minuit, 1989 ; F. Jacob, « Lyre Chénier », dans G. Bardazzi et A. Grosrichard (dir.), Dénouement des Lumières et invention romantique, Genève, Droz, 2003, p. 131-142.

6 J. Cocteau, Notes sur Antigone place de la Concorde, dans Id., Théâtre complet, éd. M. Décaudin, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 325.

7 S. Loncle, « Faire entrer le présent dans les cadres du passé : écrire du théâtre contre la Révolution en 1790, 1793 et 1795 », dans M. Poirson (dir.), Le Théâtre sous la Révolution. Politique du répertoire (1789-1799), Paris, Desjonquères, 2008, p. 314-323.

8 Voir M. David, Fraternité et Révolution française : 1789-1799, Paris, Aubier, 1987 ; L. Hunt, Le Roman familial de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 1995 ; J. R. Mason et L. Hunt, Liberty, Equality, Fraternity. Exploring the French Revolution, University Park, Penn State Press, 2001 ; M. Ozouf, « Fraternité » dans F. Furet et M. Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 2007, t. IV, p. 199-215.

9 P. Frantz, « Le Héros, la fraternité et la mort. La poétique des tragédies néoclassiques de Chénier », dans D. Masseau (dir.), Le XVIIIe siècle. Histoire, mémoire et rêve. Mélanges offerts à Jean Goulemot, Paris, Champion, 2006, p. 217.

10 P. Perazzolo, « Introduction », dans G.-M. Legouvé, La Mort d’Abel, éd. P. Perazzolo, London, MHRA, 2016, p. 25.

11 Voir R. Campagnoli, « La Rivoluzione di Caino : La Mort d’Abel di Légouvé », dans M. Richter (dir.), Il Teatro e la Rivoluzione Francese, Vicenza, Accademia Olimpica, 1991, p. 107-121.

12 Les frères rivaux sont aussi présents dans les reprises : Britannicus compte seize représentations entre 1796 et 1798, sur un total de trente-sept au cours de la période révolutionnaire ; Adélaïde du Guesclin neuf représentations parisiennes entre 1797 et 1798, trente-sept entre 1789 et 1799 (la Thébaïde n’a en revanche aucune représentation). Cf. A. Tissier, Les spectacles à Paris pendant la Révolution. Répertoire analytique, chronologique et bibliographique, Genève, Droz, 1992-2002, passim.

13 É. Flammarion, C. Volpilhac-Auger, art. cit., p. 5.

14 N. Lemercier, « Analyse raisonnée du théâtre de Chénier », dans M.-J. Chénier, Œuvres complètes, Paris, Robert et Dantou, 1826, p. LXVI, c’est nous qui soulignons.

15 Voir G. Ambrus, « Une campagne d’opinion contre Marie-Joseph Chénier », dans Annales historiques de la Révolution française, CCCLXXX, 2, 2015, p. 79.

16 Cette « calomnie » (A.-V. Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, Paris, Dufey, 1833, t. II, p. 127-128), est déjà traitée par les contemporains de « question injurieuse dont on le poursuit sans cesse », celle d’être « un nouveau Timoléon » ([A. Morellet], Pensées libres sur la liberté de la presse, Paris, Maret, 1794, passim).

17 L’Esprit des journaux, français et étrangers, t. IX, septembre 1794, p. 252-257.

18 Mercure français : politique, historique et littéraire, t. XIII, 5 décembre 1794, p. 65-73.

19 Voir M. Fazio, François-Joseph Talma. Le Théâtre et l’Histoire, de la Révolution à la Restauration, Paris, CNRS Éditions, 2011, p. 75-77 ; G. Ambrus, « Qu’est-ce qu’écrire une tragédie sous la Terreur ? Poésie et politique dans Timoléon de M.-J. Chénier », dans T. Julian et V. De Santis (dir.), Fièvre et vie du théâtre sous la Révolution française et l’Empire, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 41-53.

20 Anonyme, « La Fin du XVIIIe siècle », dans Le Spectateur du Nord : journal politique, littéraire et moral, t. XII, décembre 1799, p. 352-370, p. 361.

21 Pour un examen exhaustif de la question, voir G. Ambrus, « Une campagne d’opinion contre Marie-Joseph Chénier », cit.

22 M.-J. Chénier, Timoléon, (III, 5), dans Id., Théâtre, éd. G. Ambrus et F. Jacob, Paris, Flammarion, 2002, p. 380. Sur la pièce, voir aussi les notes et les commentaires de cette édition. Chénier n’opte pas pour la version de Diodore de Sicile (Bibliothèque historique, XVI), chez qui c’est Timoléon qui tue son frère.

23 Plutarque, Œuvres, tr. fr. J. Amyot [1572], Paris, Bastien, 1784, t. II, p. 390. Les Vies constituent aussi un modèle pour l’ode introductive qui crée un parallèle entre Corinthe et Paris. L’auteur avait sans doute lu une édition de la traduction d’Amyot chronologiquement proche de la composition de sa tragédie, ou bien celle de Mme Dacier.

24 J. Racine, Iphigénie, (V, 4), dans Id., Théâtre-Poésie, éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 760.

25 Sur les intertextes antiques repris par Racine et leur traitement dans la composition d’Iphigénie, voir F. Mariotti, « L’eidolon d’Iphigénie. À propos d’une source possible de Racine », dans Cahiers de littérature française, 4, 2006, p. 157-173.

26 H. Fullenwider, « “The Sacrifice of Iphigenia” in French and German Art Criticism, 1755-1757 », dans Zeitschrift für Kunstgeschichte, LII, 4, 1989, p. 539-449, ici comme partout dans l’article, sauf indication contraire, c’est nous qui traduisons.

27 Sur la signification politique de la pièce entre la Terreur et Thermidor, voir aussi G. Ambrus, « Qu’est-ce qu’écrire une tragédie sous la Terreur ? », cit.

28 Voir P. Frantz, « Talma et David : quelques réflexions sur une collaboration exemplaire », dans J.-L. Haquette, E. Hénin (dir.), La Scène comme tableau, Poitiers, La Licorne, 2004, p. 95-106.

29 Mercure français, 5 décembre 1794, p. 72-73. Sa réception ambiguë est probablement due davantage au désir d’attaquer l’auteur qu’à un manque d’effet dans la scène.

30 Ibidem.

31 G. Ambrus, « Voix politiques dans les tragédies révolutionnaires de Marie‑Joseph Chénier », dans Littératures, 62, 2010, consulté le 05/07/2024, http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/litteratures/929.

32 M.-J. Chénier, Timoléon, (III, 8), dans Id., Théâtre, cit., p. 383.

33 G. Ambrus, « Qu’est-ce qu’écrire une tragédie sous la Terreur ? », cit., p. 46.

34 N. Lemercier, Ophis, Paris, Fayolle, 1798, p. [I].

35 La pièce, qui répond à la mode née avec la campagne d’Égypte, fut également reprise sur la demande de Bonaparte, qui invita l’auteur dans sa loge le 13 janvier 1800 après lui avoir également demandé de le suivre dans l’expédition vers le Nil. Sur Lemercier, voir V. De Santis, Le Théâtre de Louis Lemercier entre Lumières et romantisme, Paris, Classiques Garnier, 2015. Ce paragraphe développe des réflexions amorcées dans ce livre (p. 76-82). Sur les spectacles et la réception d’Ophis, voir ibid., p. 76-78.

36 Le serpent, symbole de la ville de Memphis où l’action se déroule, fait également allusion à l’imaginaire révolutionnaire, peuplé de créatures ophidiennes qui alimentent une grande partie de l’iconographie de l’époque, y compris dans le contexte initiatique et franc-maçon. Voir R. Liris, 1789 ou l’Interdit d’Éternité, [Toulouse], L’Éther vague, 1989, passim.

37 N. Lemercier, Ophis, cit., (V, 8), p. 67.

38 « Hoc habent pessimum animi magna fortuna insolentes : quos laeserunt et oderunt » (« Car c’est là le pire sentiment chez ceux que leur haute situation rend insolents : ceux qu’ils blessent, ils les haïssent par surcroît », Sénèque, De ira, II, 33, éd. A. Bourgery, Paris, Les Belles Lettres, 1961, p. 58-59) ; « Proprium humani ingenii est odisse quem laeseris » (« Il est dans la nature humaine de haïr ceux qu’on a lésés », Tacite, Agricola, XLII, 3, éd. E. de Saint-Denis, Paris, Les Belles Lettres, 1962, p. 35).

39 Voltaire, La Mort de César, éd. D. J. Fletcher, dans Id., Les Œuvres complètes de Voltaire, Oxford, The Voltaire Foundation, 1968-2022, t. 8, 1988, (II, 4).

40 N. Lemercier, Ophis, cit., (V, 8), p. 68.

41 G.-M. Legouvé, La Mort d’Abel, cit., (III, 3), p. 105.

42 M.-J. Chénier, Timoléon, (I, 1), dans Id., Théâtre, cit., p. 329.

43 La bibliographie sur ces thèmes est particulièrement vaste. Pour une perspective critique récente, voir T. Wyslobocki, « “Apôtre de la tolérance”, “bienfaiteur de l’humanité” : Voltaire ressuscité et réinterprété par la Révolution », dans Revue Voltaire, 22, 2024, p. 215-229 ; G. Ambrus, « Charles IX, 4 novembre 1789. La tragédie sur la scène du peuple », dans O. Bara (dir.), Théâtre et Peuple de Louis-Sébastien Mercier à Firmin Gémier, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 51-68.

44 Le paragraphe qui suit reprend et développe des considérations amorcées dans P. Perazzolo, « Riflessioni sulla fraternità fratricida : influenze e confluenze nelle opere di Alfieri e Legouvé », dans S. Brunetti, S. Onesti, E. Randi, E. Zilotti (dir.), Fermenti, sperimentazioni e incontri sulla scena coreutica e teatrale italiana tra Sette e Ottocento, Bari, Edizioni di Pagina, « Visioni teatrali », à paraître.

45 Les censeurs approuvent une pièce dont « la haine des rois est la moralité », Archives Nationales, « F7 4334 », Dr. XII et XIII, « Censure des théâtres parisiens », « Mélanges », rapport du 4 floréal an VII. Le document est signalé par O. Krakovitch, « Le théâtre sous la République et la censure sous le Directoire », dans M. Poirson (dir.), op. cit., p. 171.

46 J. Racine, « Préface », dans Id., La Thébaïde ou les frères ennemis, éd. G. Forestier, Paris, Gallimard, 2010, p. 112.

47 Sur les interrelations entre écriture dramatique et actualité historico-politique, voir J.-A. Miller, « Fratricide : Tragic Brothers, Masculine Violence, and the Republic on the French Stage, 1799 », dans P. Serna, A. De Francesco, J.-A. Miller (dir.), Republics at War, 1776-1840 : Revolutions, Conflicts, and Geopolitics in Europe and the Atlantic World, Houndmills, Palgrave Mcmillan, 2013, p. 189-210.

48 Voir Le Messager des relations extérieures, Affiches, Annonces et Avis divers, Journal de Paris, 29 vendémiaire an VIII, et La Décade philosophique, littéraire et politique, 10 brumaire an VIII. Pour une réflexion sur cet aspect, voir D. M. Nicolosi, « L’Étéocle de Gabriel-Marie Legouvé (1799), ou du mythe et du fratricide à la fin de la Révolution », dans R. Bret-Vitoz et T. Julian, La Révolution et le théâtre des émotions, Paris, Presses Universitaire Blaise-Pascal, à paraître.

49 Voir G.-M. Legouvé, Étéocle, Paris, Suresne, an VIII, « Avertissement », p. v.

50 A. Fabiano, « La réception du théâtre d’Alfieri dans la presse théâtrale et littéraire française entre Révolution et Consulat », dans Revue des Études Italiennes, L, 1-2, 2004, p. 233.

51 Voir Ch. Del Vento, « La première fortune d’Alfieri en France : de la traduction française du Panégyrique de Trajan par Pline (1787) à la traduction des Œuvres dramatiques (1802) », dans Revue des Études Italiennes, L, 1-2, 2004, p. 222.

52 Mercure de France, 1 brumaire an IX.

53 C.-B. Petitot, « Examen de Polinice », dans V. Alfieri, Œuvres dramatiques du comte Alfieri, tr. fr. C. B. Petitot, Paris, Giguet et Michaud, 1802, p. 228.

54 Voir G.-M. Legouvé, Étéocle, Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, Ms. 410 ou MF0612.

55 V. Alfieri, Polinice, éd. R. Ramat, Milano, Mursia, 1971, (I, 4) [« Et que désirai-je plus que d’en venir aux mains moi seul avec mon frère ? C’est l’objet de tous mes vœux ; je soupire sans cesse après ce moment. La haine que j’ai pour lui, est à moi aussi ancienne que la vie ; et je la conserve avec plus de soin que mon existence », Id., Œuvres dramatiques du Comte Alfieri, cit., p. 148].

56 A. Préaux, « Il motivo dei fratelli nemici nelle tragedie di Vittorio Alfieri », dans Revue des Études Italiennes, XXXIV, 1-3, 1988, p. 9.

57 V. Alfieri, Parere sulle tragedie e altre prose critiche, éd. M. Pagliai, Asti, Casa d’Alfieri, 1978, p. 88 [« né d’un tempérament bien plus doux »].

58 A. Préaux, art. cit., p. 10.

59 Voir F. Spera, « Lettura del Polinice », dans Studi vari di lingua e letteratura italiana in onore di Giuseppe Velli, Milano, Cisalpino, 2000, t. II, p. 617-634, p. 628 et sq.

60 Les Phéniciennes montrent les conséquences désastreuses d’affrontements qui avaient mis en danger le régime démocratique d’Athènes. Voir E. Medda, « Introduzione », dans Euripide, Le Fenicie, éd. E. Medda, Milano, BUR, 2006.

61 G.-M. Legouvé, Étéocle, Paris, cit., (II, 1), p. 27 ; voir aussi ibid., (III, 2), p. 41-42.

62 Antigone décrit le roi comme un « [j]eune ambitieux de son trône occupé, / Et qu’aigrit encor plus un pouvoir usurpé […] / Fondant tout sur la force il dédaigne nos craintes. / […] Enfin dans les forfaits ce barbare affermi, / D’un peuple consterné forçant l’obéissance, / Soutient par des rigueurs son injuste puissance », ibid., (I, 1), p 12-13. L’allusion à la crainte réapparait à plusieurs reprises dans le texte, ainsi qu’en témoignent ces vers choisis à titre d’exemple : « Antigone : Vous aviez dans vos mains toute l’autorité ; / Vous pûtes aisément forcer leur volonté [des Thébains] : / Et d’un peuple tremblant, avouez-le sans feinte, / L’amour vous couronna beaucoup moins que la crainte. / Étéocle : Qu’importent les moyens dont je me suis servi, / Si mon heureux effort du succès fut suivi ! / Qu’importe qu’en ces murs l’on m’aime ou l’on me craigne ! / J’ai le droit de régner, ma sœur, puisque je règne. / […] Antigone : Mais vos conventions… Étéocle : Ne sont rien à mes yeux. / Antigone : L’ambition… Étéocle : J’en ai sans doute, et j’en fais gloire ; / […] Et le trône appartient à qui sait y monter. / […] Je tiens toujours le sceptre ; et si ma sœur m’abhorre, / […] / Qu’elle apprenne du moins à craindre mon pouvoir », ibid., (I, 2), p. 18-20.

63 Ibid., (III, 3), p. 47.

64 Magasin Encyclopédique, année V, t. IV, p. 353 et p. 364-365.

65 La Décade philosophique, littéraire et politique, 10 brumaire an VIII.

66 G.-M. Legouvé, Étéocle, Paris, cit., (II, 1), p. 30.

67 R. Campagnoli, art. cit., p. 107.

68 G.-M. Legouvé, Étéocle, Ms. 410, fol. 33-34, liasse, (II, 1).

69 Ibid., fol. 33-34, becquet, (II, 1).

70 Ibid., (III, 2) ; (III, 5).

71 Dans Les Phéniciennes, le roi propose le duel pour éviter la guerre civile. Dans La Thébaïde, Polinice défie son rival pour donner libre cours à sa haine et éviter l’affrontement des armées. Chez Alfieri, le fratricide libère un sentiment trop longtemps retenu : « Eteocle : Troppa ho la sete del tuo sangue / […] Entrambi, a gara, nell’aborrito nostro sangue a un tempo / bagnar potremci in campo. […] / beremci il sangue ; e giurerem sovr’esso, / anco oltre morte di aborrirci noi. / Polinice : Punirti io giuro, e disprezzarti. Ah! Degno / non fosti mai dell’odio mio ; né il sei. / Cadrà con te l’abominevol trono, / per te contaminato », V. Alfieri, Polinice, cit., (IV, 1), [« Étéocle : J’ai trop de soif de ton sang […] Tous les deux à l’envi nous pourrons nous baigner [la tête] dans un sang abhorré sur le champ de bataille. […] nous nous enivrerons de notre sang ici que notre haine nous survivra. Polinice : Je jure de te punir et de te mépriser. Ah tu ne fus jamais digne de ma haine, et tu ne l’es pas dans ce moment. Le trône horrible que tu as souillé tombera avec toi », Id., Œuvres dramatiques du Comte Alfieri, cit., p. 205-206].

72 Le roi justifie le duel par des considérations où résonnent les propos du chapitre III du premier livre de Della Tirannide : « Il le faut ; tout m’invite / À remplir promptement ce que j’ai résolu. / Irai-je m’exposer aux retours du vulgaire ? / Thèbes peut se lasser des travaux de la guerre, / Et sentant que c’est moi qui cause son danger, / Du parti de mon frère à la fin se ranger. / Déjà, dans nos remparts ramenés par la crainte, / N’ont-ils pas contre un maître élevé quelque plainte ? / Habile à commander, attentif à punir, / Dans la soumission j’ai su les contenir ; / Mais je crains qu’aujourd’hui ce ressort ne m’échappe. / C’est un coup plus certain qu’il faut que ma main frappe », G.-M. Legouvé, Étéocle, Paris, cit., (IV, 4), p. 64.

73 Ibidem, (V, 4), p. 87.

74 R. Bret-Vitoz, L’Éveil du héros plébéien (1760-1794), Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2018, p. 335.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincenzo De Santis et Paola Perazzolo, « Le fratricide à l’antique dans la tragédie post-thermidorienne. Chénier, Lemercier, Legouvé »Revue italienne d’études françaises [En ligne], 14 | 2024, mis en ligne le 15 novembre 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/13328 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12oz9

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