La Sémiramis de Voltaire, tragédie néo-antique
Résumés
La création de Sémiramis de Voltaire à la Comédie-Française le 29 août 1748 puis ses reprises décisives par Lekain à partir de 1756 sont un parfait exemple de l’interdépendance entre les formes théâtrales et les formes antiques. La fortune de la pièce est en effet contemporaine de la publication des écrits de Caylus de retour de Rome, et de ceux de Winckelmann diffusés en France dès 1755. L’article analyse l’Antiquité figurée dans le texte de la pièce et dans ses décors comme un probable tournant dans l’histoire du théâtre et dans l’histoire de l’art en France. Voltaire, en précurseur, illustre en effet avec sa nouvelle tragédie une autre option du retour à l’antique, archaïque et oriental à la fois, dont l’ardeur et la violence s’opposent, en les affermissant, à la « noble simplicité » et à la « calme grandeur » de l’esthétique néo-antique.
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- 1 A. Chastel, L’Art français, t. V, Le temps de l’éloquence 1775-1825, Paris, Flammarion, « Tout l’Ar (...)
- 2 Voir J.-M. Bailbé, « Images de Sémiramis. De la tragédie de Voltaire à l’opéra de Rossini », dans C (...)
- 3 Voir P. Frantz, « Athalie au XVIIIe siècle », dans I. Martin et R. Elbaz (dir.), Jean Racine et l’O (...)
- 4 Voir É. Pommier, « Winckelmann et la vision de l’Antiquité classique dans la France des Lumières et (...)
- 5 J. J. Winckelmann, Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture, tr. (...)
1Si l’on envisage l’histoire du théâtre en France à la lumière de l’histoire de l’art, on est frappé par l’interdépendance entre les formes théâtrales et les formes antiques, en particulier au cours des décennies 1750-1770. En art, la « réforme des styles d’ornement vers le net et le sobre qui plus tard a pris le nom de style Louis XVI », comme l’écrit André Chastel, marque une première étape avant le raffinement qui conduit à « la soumission non plus sélective mais brutale au modèle antique qu’imposait la ligne radicale du nouveau classicisme, avec David et son école »1. Parallèlement au théâtre, l’influence antique se déplace, du texte à la scène, à un niveau plastique inédit. La création à la Comédie-Française de Sémiramis de Voltaire, le 29 août 1748, puis ses reprises décisives par le comédien Henri-Louis Lekain, à partir de 1756 et jusqu’à sa mort, en constituent un bon exemple. Des critiques ont montré ce que cette pièce spectaculaire devait à l’opéra, avec son recours aux émotions fortes, son action théâtrale omniprésente, sa figuration importante jusqu’à constituer pour certains un cas-limite de « tragédie-opéra »2. Pour d’autres, c’est d’abord à Athalie, modèle de tragédie biblico-orientale et de dénouement en action que Sémiramis est redevable3. Mais on oublie que la fortune de la pièce est aussi contemporaine de la publication des écrits du comte de Caylus, de retour de Rome, et de ceux de Winckelmann, diffusés très tôt en France à partir de 1755, juste après leur publication en Allemagne4. Ces ouvrages proposent de nouvelles notions et interprétations esthétiques, dont la théorie du « beau idéal », accueillies favorablement et quasi immédiatement par une grande partie de l’élite intellectuelle et artistique européenne. De surcroît, l’esthétique néo-antique de Sémiramis est avérée lorsque Voltaire joint à sa publication, l’année suivant la création, une Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne en guise de préface, qui est le texte théorique le plus important sur son théâtre depuis son Discours sur la tragédie en 1730. On interrogera donc l’Antiquité figurée dans la pièce et mise sur scène comme un probable tournant, une étape dans les histoires du théâtre et de l’art, voire un exemple « néo-antique » influent à son époque. Voltaire, en précurseur, propose ainsi, avec sa nouvelle tragédie une autre possibilité de retour à l’antique en France, à la fois archaïque et oriental, dont l’ardeur et la violence contrebalancent de façon ambivalente, en les affermissant, les « noble simplicité et calme grandeur » théorisées au même moment dans les Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques5.
Un Orient « à l’antique »
- 6 Voltaire, « Avertissement » en tête de Sémiramis, dans Id., Œuvres de M. de Voltaire, Dresde, Walth (...)
- 7 C’est plus que pour l’ancienne Sémiramis du même Crébillon que Voltaire entendait remplacer (1060 s (...)
- 8 Voir « Article sur la nouvelle tragédie de Sémiramis », dans Mercure de France, septembre 1748, p. (...)
- 9 Rôle créé en 1748 par Grandval qui joue le grand prêtre Oroès dans les reprises de 1756.
- 10 Lekain cumule ainsi 99 représentations de Sémiramis dont une à son bénéfice, le 2 décembre 1768.
2Présentée par son auteur comme une « tragédie d’une espèce particulière »6, Sémiramis est connue pour être la première tragédie française dont l’illusion théâtrale repose essentiellement sur un changement de décors à vue – le premier de notre théâtre parlé – et aussi sur des pantomimes novatrices et frappantes dont s’est souvenu Diderot au moment d’illustrer sa théorie du tableau. Le succès indéniable de la création a été un événement artistique majeur, réunissant le public le plus nombreux de toute la saison (1117 spectateurs) qui n’a d’égale que le public de la première de Catilina de Crébillon quelques mois plus tard (1301 spectateurs le 20 décembre 1748)7. Le Mercure relate la cohue à l’entrée du théâtre dès le début d’après-midi, l’envol du prix des billets y compris au parterre, les personnes refoulées qui se pressaient à chaque entracte pour savoir, à la sortie des spectateurs, si l’acte était réussi8. Après seize représentations dans sa création (dont une à Fontainebleau le 24 septembre 1748), et neuf reprises au début de la saison suivante, l’œuvre ne revient à la scène que sept saisons plus tard, le 26 juillet 1756, lorsque Lekain reprend avec un immense succès le rôle d’Arzace9 pour douze représentations (jusqu’au 25 septembre), qu’il rejoue ensuite chaque année jusqu’à sa mort en 177810.
3Ce qui frappe à l’étude de ces deux événements artistiques, espacés de quelques années, c’est la quantité exceptionnelle de documents littéraires et iconographiques qu’ils ont engendrée et dont on dispose encore aujourd’hui. Ces témoignages permettent de comprendre les choix artistiques de l’auteur, mais aussi des peintres feinteurs et des interprètes, afin de rattacher avec précision à l’esthétique néo-antique.
- 11 « Article sur la nouvelle tragédie de Sémiramis », cit., p. 227.
- 12 Voir R. Niklaus, « Introduction », dans SEM, p. 60-64.
- 13 « Lorsque les Historiens veulent louer l’esprit et le courage de quelque princesse, ils croient ne (...)
4Premier point qui concerne le texte et que relève la critique en 1748 : « on a beaucoup de peine à reconnaître Sémiramis dans une Princesse toujours occupée de la crainte d’un Phantôme »11. En effet, tout babyloniens que soient les personnages et les sites de l’action, Sémiramis est en réalité la réécriture d’une ancienne pièce de Voltaire composée quinze ans plus tôt, Eriphyle, tragédie grecque à l’antique dans la lignée d’Œdipe, et jouée sans succès entre février et mai 1732. Après plusieurs tentatives de réécriture, Voltaire abandonne le manuscrit et s’oppose à toute publication. Le texte d’Eriphyle fournit à Sémiramis l’essentiel de sa trame et une soixantaine de vers, le principal changement opéré étant le déplacement complet de son cadre historique, du palais d’Argos vers celui de Babylone en Mésopotamie. Les autres modifications atténuent l’âpreté du prototype grec par l’ajout du personnage féminin d’Azéma et la rivalité désormais autant amoureuse que politique entre les deux héros masculins, Arzace et Assur. Par son amour pour la princesse et son comportement envers sa mère, Arzace gagne en humanité par rapport à son modèle grec, Alcméon, même si transparaissent encore sa bravoure guerrière et ses entrées en scène dramatisées12. L’héroïne principale, interprétée par la Dumesnil au jeu instinctif et pathétique, n’est plus en position de faiblesse, comme l’Argienne Ériphyle ; elle est, tout au contraire, une reine puissante, orgueilleuse, qui acquiert une incomparable dignité en transformant sa passion amoureuse en amour maternel protecteur, ce qui trahit encore l’influence d’une autre pièce grecque à l’antique de Voltaire, écrite entre temps, la tragédie Mérope (1743)13. Loin de renoncer aux pantomimes d’Eriphyle, comme l’apparition terrifiante de l’Ombre qui avait pourtant déçu le public à l’époque, Voltaire les décuple par divers mouvements de foule sur la scène (prêtres, soldats, mages).
- 14 Un cor de chasse semble ajouté à la sixième représentation (au moment de l’apparition de l’Ombre ?) (...)
- 15 A. Chastel, op. cit., p. 20.
- 16 La Palmire, reine de Zénobie de La Chaussée, en 1736, n’ayant été ni jouée ni publiée.
5Ce substrat antique envahissant est confirmé dans les realia scéniques de la nouvelle tragédie et dans les frais engagés très importants : les Registres du théâtre mentionnent « 8 habits à la grec [sic] » et « 8 paires de bas de coton » pour les figurants, une mante, un casque et un plumet noir pour le costume de l’Ombre, porté par Le Grand de Belleville, ou encore les (faux) diamants pour le costume d’Azéma, rôle interprété par la toute jeune Clairon. Certes la troupe loue pour l’occasion deux tapis de Turquie et les babouches du grand prêtre, mais le goût grec ne disparaît pas pour autant sous ce pittoresque oriental et sous cette tout autre couleur exotique14. À ce titre, Sémiramis, sur le modèle des arts figuratifs en général, est le signe visible d’un retour à l’antique qui est, d’abord et surtout, pour les auteurs et le public, un retour au « goût grec » ; à travers les vestiges et les copies romaines, l’Antiquité grecque en général devient progressivement « la grande et presque l’unique métaphore de la vie historique »15. Autrement dit, en reprenant le cycle tragique assyrien inauguré trente ans plus tôt, entre 1716 et 171816, par Mme de Gomez, Crébillon père, et Destouches à l’opéra, Voltaire renouvelle en réalité avec Sémiramis, contre toute attente, une Antiquité grecque bien connue par une dramaturgique matérielle et sensible. Là où ses prédécesseurs avaient trouvé une histoire orientale singulière, des thèmes exotiques inconnus du grand public, lui voit la matrice d’un retour au théâtre des Grecs. Les situations plastiques fortes et les jeux de scène novateurs dans sa nouvelle pièce lui permettent ainsi d’établir une réforme de la tragédie française par un retour au théâtre grec, et en s’inspirant du renouveau contemporain des formes antiques dans les arts figuratifs.
Les représentations entre 1748 et 1759 : vers un spectacle primitif et ardent
- 17 Voltaire recommande ce trucage, déjà présent dans Ériphyle, pour jouer sa pièce sur les théâtres de (...)
6Dès 1748, une forte dimension visuelle est sollicitée. Les Registres mentionnent l’usage inédit de « 6 grandes perches ou baguettes [mot barré] » probablement pour le changement à vue de l’acte III, la dépense journalière d’une « livre d’arcançon » et l’embauche de « deux [à quatre] personnes pour le jeter » hors-scène afin de créer des éclairs au moment du tonnerre, qui précède l’arrivée de l’Ombre, grâce à l’action de roues dentelées mues en coulisse sur des planches de bois17.
- 18 SEM, (I, 1), p. 169.
- 19 Ibid., (III, 1), p. 205.
- 20 Ibid., (III, 6), p. 215.
- 21 Ibid., (IV, 1), p. 221.
7À propos du décor, les didascalies mentionnent trois éléments simultanés représentant trois sites différents, auxquels s’ajoute un élément de décor successif pour un quatrième site. Aux actes I et II, en effet, « [l]e théâtre représente un vaste péristyle, au fond duquel est le palais de Sémiramis. Les jardins en terrasse sont élevés au-dessus du palais. Le temple des mages est à droite, et un mausolée à gauche, orné d’obélisques »18. Puis le troisième acte s’ouvre dans « un cabinet du palais »19 tandis qu’à la scène six du même acte l’action est transportée dans « un grand salon magnifiquement orné. Un trône est placé au milieu du salon »20. Le quatrième acte se déroule dans « le vestibule du temple »21 et le cinquième est centré sur le tombeau de Ninus – deux éléments du décor du premier acte –, ce qui laisse à penser que Voltaire situe la fin de l’intrigue dans le décor initial.
- 22 Ibid., (I, 1 et 3), p. 169-175.
- 23 Ibid., (III, 6), p. 218-220.
- 24 Ibid., (V, 2), p. 245.
- 25 Ibid., (V, 6, 7 et 8), p. 249-252.
8Les actes impairs proposent une succession de tableaux dramatiques étendus parfois sur plusieurs scènes et orientés vers autant d’instants poignants : au premier acte, « Deux esclaves portent une cassette dans le lointain » puis « on entend des gémissements sortir du fond du tombeau, où l’on suppose qu’ils sont entendus » avant que « les esclaves donnent le coffre aux mages, qui le posent sur un autel »22. À l’acte central, après le changement à vue, « le tonnerre gronde, et le tombeau paraît s’ébranler. […] l’ombre de Ninus sort de son tombeau. […] l’ombre retourne de son estrade à la porte du tombeau. […] le spectre rentre et le mausolée se referme »23. Enfin, au dernier acte, « les gardes se rangent au fond de la scène. […] [Sémiramis] entre dans le tombeau »24. Arzace-Ninias, qui a frappé sa mère par erreur, sort alors du tombeau « avec une épée sanglante à la main », précédant « Assur [qui] paraît dans l’enfoncement avec Otane et les gardes de la reine » puis « Sémiramis paraît au pied du tombeau, mourante ; un mage qui est à cette porte la relève »25.
- 26 « Arsace : Que la reine en ces lieux, brillants de sa splendeur, / De son puissant génie imprime la (...)
- 27 « Ninias : Au fond de ce tombeau, mon père était mon guide. / J’errais dans les détours de ce grand (...)
9Le dialogue comprend la description des sites de l’action tout en offrant aux acteurs un appui à leur jeu dans le décor. Ainsi Arzace découvre-t-il les murs de Babylone à l’acte I, ce qui constitue une double image brillante du génie de la reine comme de ses exploits personnels26. On peut prendre aussi pour exemple le récit de son crime au sortir du tombeau au moment du dénouement27.
- 28 Pour l’iconographie, voir l’article essentiel de P. Bjurström, « Mises en scène de Sémiramis de Vol (...)
10Le décor est surtout une proposition artistique en soi, comme l’attestent les nombreux témoignages et documents conservés. Dans un article historique essentiel de Per Bjurström sur l’iconographie autour de Sémiramis – qui sert de référence et de point de départ à notre étude –, on peut admirer un dessin qui présente une perspective depuis le fond de la salle. On y observe que la scène était entièrement décorée, y compris à la hauteur des trois paires de coulisses de chaque côté de l’avant-scène, ce qui contraint les acteurs à réduire le nombre de spectateurs sur la scène28.
Fig. 1. G. de Saint-Aubin, d’après les frères Slodtz, Scène finale de Sémiramis le soir de la première (1748), collection particulière (source : RHT, 4, 1956, avec l’aimable autorisation de Léonor Delaunay).
11Per Bjurström a décrit remarquablement le dessin de Saint-Aubin :
- 29 Ibid., p. 305-306.
On avait représenté à gauche le mausolée de Ninus couronné d’un obélisque et entouré de colonnes avec trophées, plaques commémoratives et cyprès. À droite le temple des mages fait pendant à la tombe ; c’est sans doute une coulisse placée de biais et comportant une ouverture de porte praticable. Conduisant au temple et à la tombe, deux escaliers de cinq marches très larges occupent l’espace de deux ou trois rues de coulisses.
Le fond comporte deux plans. Le premier, avec de larges baies, représente une terrasse, les jardins suspendus, portés par quelques colonnes doriques jumelées. Le second, formant l’arrière-fond, se divise en trois salles, dessinées en perspective, orientées en divers sens. Elles représentent le palais de Sémiramis et d’Assur. […] Arzace, au milieu du dessin, gémit sur son effrayante conduite […] tandis que Sémiramis s’avance, chancelante de la tombe (à gauche) et qu’Assur est emmené, captif, vers le fond de la scène.29
- 30 Per Bjurström attribue les deux dessins à Michel-Ange Slodtz (1705-1764), mais une note dans le cat (...)
12Le dessin et la lecture interprétative de Bjurström font apparaître un style original de décor qui témoigne avant tout d’un archéologisme frappant. Les esquisses réalisées – peut-être pour la reprise de la pièce à Fontainebleau le 24 octobre 1748, ou plus probablement pour des reprises à la Cour de 1756 – dans des décors légèrement modifiés par les frères Slodtz30, aident à identifier l’emploi du dorique, l’ordre classique le plus sévère, mêlé sans transition à une obélisque égyptienne.
Fig. 2. Michel-Ange ou P.-A. Slodtz, Esquisses des coulisses de droite de Sémiramis, le temple des mages [pour le décor de scène du Théâtre de Fontainebleau] (1752), Bibliothèque de l’Opéra, Paris (source : RHT, 4, 1956, avec l’aimable autorisation de Léonor Delaunay).
Fig. 3. Michel-Ange ou Paul-Ambroise Slodtz, Esquisses des coulisses de gauche de Sémiramis, le tombeau de Ninus, [pour le décor de scène du Théâtre de Fontainebleau] (1752), Bibliothèque de l’Opéra, Paris (source : RHT, 4, 1956, avec l’aimable autorisation de Léonor Delaunay).
- 31 Sur la deuxième esquisse, au centre du dessin, l’artiste a écrit : « Entrée de caveau qui s’ouvre s (...)
- 32 48 figurants effectifs : « 1 dame du palais de Sémiramis (personnage muet), 2 officiers de la garde (...)
- 33 Voir ibid., p. 413 et la note A6 costume n°24 de H.-L. Lekain, Registre de Lekain, cit.
- 34 Voir D. Chardonnet-Darmaillacq, op. cit., p. 500.
13Les châssis de gauche, particulièrement détaillés, juxtaposent des éléments architecturaux et naturels de style rocaille : un tombeau luxueux à plusieurs éléments (trophées, sarcophages et bas-reliefs) surmonte une entrée en forme de caveau naturel ou de grotte artificielle31. Si l’influence antique est bien perceptible en 1748 aux niveaux textuel et scénographique, en 1756 l’esthétique est encore accentuée au moment où Paolo Antonio Brunetti est en charge des décors à la Comédie-Française et où Lekain conçoit en réalité la totalité du spectacle. Les manuscrits de travail de l’acteur témoignent d’une surenchère dans la figuration qui accuse un orientalisme pittoresque général (51 figurants dont six mages, vingt Babyloniens, huit satrapes, etc.32). L’« habit oriental ou asiatique » pour les rôles principaux prolonge cet ordre d’idée et de formes. C’était le costume déjà employé dans Athalie, Rodogune, Héraclius, Nicomède, Rhadamiste33, soit des pièces écrites en majorité sous Louis XIV. La présence de ces costumes orientaux confirment le retour de l’Orient sur la scène de la Comédie-Française orchestré par Voltaire après un net recul en 1718. Lekain renforce cet aspect du spectacle en 1756, poussé par son récent succès dans L’Orphelin de la Chine, dans un contexte oriental ravivé par la Guerre de Sept ans34. Dans le brouillon de son Registre, plus détaillé que dans la version mise au net, le style décoratif accuse clairement un art composite, classique et archaïque à la fois :
- 35 H.-L. Lekain, Matériaux pour le travail de mon répertoire tragique, Bibliothèque nationale de Franc (...)
Sur les parties les plus proches de l’avant-scène, le théâtre doit représenter à droite, le tombeau de Ninus auquel on monte par des gradins, et parallèlement sur la gauche, le temple des dieux de Zoroastre, auquel on monte de même par des gradins. Sur un plan plus reculé, on voit sur [la droite] le profil d’une partie du palais de Sémiramis, et sur la gauche en parallèle le profil d’une partie du palais d’Assur. Le fond représente la ville de Babylone, traversée par l’Euphrate. On découvre dans le lointain ces fortes arcades sur lesquelles étaient construits ces fameux jardins de Sémiramis ; on aperçoit encore de droite et de gauche des obélisques antiques, qui sont, ainsi que les autres bâtiments d’une architecture égyptienne.35
- 36 Bjurström émet l’hypothèse que le sujet de l’esquisse renvoie au décor de Brunetti, voir Bjurström, (...)
14Cette « architecture égyptienne » – à une époque où cet art est quasiment muet pour les archéologues et les historiens – est la forme syncrétique la plus évocatrice pour le public d’une Antiquité différente, exotique, non-grecque. C’est le style « oriental ou asiatique » qui convient indifféremment pour toutes les tragédies qui ne sont ni grecques ni romaines et dont le sens est celui d’un double éloignement, temporel et spatial, tel un paysage de ruines. L’esquisse anonyme du décor de la scène finale, dont on trouve deux versions concordantes, est centrée sur le praticable du tombeau égyptien orné d’une obélisque et d’orantes à pschent, praticable encadré symétriquement d’éléments doriques36.
Fig. 4. [Anonyme], Scène finale de Sémiramis de Voltaire, d’après le décor de P.-A. Brunetti (1759), Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française (source : RHT, 4, 1956, avec l’aimable autorisation de Léonor Delaunay).
- 37 Le Mercure met sur le même plan la perfection du jeu des acteurs, la « pompe du spectacle » et le t (...)
- 38 J. de La Porte, Dictionnaire dramatique, Paris, Lacombe, 1776, t. III, « Sémiramis », p. 129-132.
15De façon significative, le Mercure ne parle en 1756 que de la scénographie et de la nouvelle distribution, sans revenir sur les vifs débats poétiques de 1748. Il qualifie d’« alliage » ce genre décoratif nouveau qui joint « au merveilleux de l’Opéra toute la force du plus grand tragique », et la « majesté sombre » qui se dégage du grand-prêtre (interprété par Brisart)37. Le Dictionnaire dramatique de La Porte retient pour sa part le retour en scène de Lekain au cinquième acte, cheveux en bataille et bras teintés de sang après son crime involontaire38. La trouvaille visuelle serait de l’acteur, comme l’atteste Voltaire, et elle apporte une tonalité nouvelle au texte de 1748 :
- 39 Voltaire, Lettre au comte d’Argental, 4 août 1756, dans Id., Correspondance, cit., t. IV, 1978, (D6 (...)
On dit que Lekain s’est avisé de paraître au sortir du tombeau de sa mère avec des bras qui avaient l’air d’être ensanglantés : cela est tant soit peu anglais, et il ne faudrait pas prodiguer de pareils ornements. Voilà de ces occasions où l’on se trouve tout juste entre le sublime et le ridicule, entre le terrible et le dégoûtant.39
- 40 A.-V. Arnault, Les Souvenirs et les regrets du vieil amateur dramatique, ou Lettres d’un oncle à so (...)
- 41 J. de La Porte, op. cit., p. 130.
16Le poète Arnault, qui assista au spectacle, a signalé le sens métaphorique de ce jeu de scène : « quand les bras sanglants, l’œil égaré, le front pâle, les genoux tremblants, il sortait du tombeau de Ninus, cette expression silencieuse n’en disait-elle pas plus que la parole ? »40. Dès lors, la pantomime de Lekain supplée puissamment la déclamation et exprime l’acte au-delà du langage, c’est-à-dire le tabou indicible du matricide, souligné par la gestuelle de sa partenaire, la Dumesnil dans le rôle de Sémiramis, laquelle apparaît ensuite « échevelée, percée de coups, se traînant sur les marches du tombeau »41 pour former avec le comédien un tableau vivant ou un groupe statuaire, sans rien ajouter au texte pour autant.
L’Antiquité de Sémiramis à la lumière de la critique d’art
- 42 É. Décultot, « Anthropologie et ethnologie de l’histoire de l’art au XVIIIe siècle : Winckelmann et (...)
- 43 Concept déjà présent en France dans la première moitié du siècle, comme l’a démontré E. Pommier, ar (...)
- 44 É. Décultot, art. cit., p. 836.
17Le texte et le spectacle de Sémiramis témoignent donc de l’alliage réussie entre antique nouveau et Orient barbare, alliage que l’histoire de l’art nous permet de situer précisément dans le courant néo-antique européen. Le Recueil d’antiquités de Caylus, publié à partir de 1752, entre la création et les reprises de Sémiramis, a attiré l’attention des contemporains sur certaines nuances du goût grec affecté par l’apport des autres civilisations antiques. Comme l’a montré Elisabeth Décultot42, Winckelmann relève, au même moment, lors de ses lectures préparatoires, les arguments du Français en opposition à la prééminence des Grecs dans les sciences et les arts. Ces arguments étaient en effet susceptibles de poser une objection au concept de noble simplicité43. Caylus conteste en effet le « schéma vertical de la germination sui generis des peuples et de leur patrimoine artistique » – schéma civilisationnel autarcique propre à la Grèce que défend Winckelmann – et propose à l’inverse le « schéma horizontal d’une communication transversale des civilisations »44 par circulation et mutuelle fécondation.
- 45 Johann Gottfried von Herder (1744-1803), disciple de Kant et figure du Sturm und Drang, voir ibid., (...)
- 46 Voltaire, Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne, en tête de Sémiramis et quelques autres (...)
- 47 Ibid., p. 142.
18L’« alliage » architectural et ornemental, relevé par le Mercure, peut dès lors être perçu comme un aspect de la réception des débats entre Caylus, Winckelmann, voire Herder45, dans les milieux artistiques et lettrés français. Voltaire y participe par sa correspondance avec Caylus et aussi par la Dissertation en tête de Sémiramis (1749) qui témoigne de son intérêt pour l’art chez les Anciens tout en présentant une vision personnelle du modèle antique. La Dissertation commence par rappeler la prééminence des arts en Grèce et leur influence verticale et unilatérale sur les voisins barbares. Mais les conclusions que Voltaire en tire sont bien différentes : l’invention moderne de l’opéra et du récitatif ont remplacé avantageusement selon lui la mélopée du chœur grec répétitive et languissante, toujours accompagnée d’une « danse grave »46. Les formes nationales modernes sont parallèlement réhabilitées : « J’ignore si la forme de nos tragédies, plus rapprochée de la nature, ne vaut pas celle des Grecs, qui avait un appareil plus imposant »47.
- 48 Ibid., p. 156.
19Replacée ainsi dans les débats esthétiques du temps, Sémiramis résout l’opposition entre l’imitation de la nature (« La route de la nature est cent fois plus sûre, comme plus noble »), et la référence à « l’ancien théâtre grec » (« Il serait triste, après que nos grands maîtres ont surpassé les Grecs en tant de choses dans la tragédie, que notre nation ne pût les égaler dans la dignité de leurs représentations »)48. L’histoire de l’art est cumulative, chaque forme nationale s’enrichit au contact des formes étrangères, ce qui permet à notre modernité de dépasser le goût et l’héritage des Anciens. Avec des termes qui peuvent renvoyer aux concepts clés des Gedanken, comme le montrent les citations précédentes, la Dissertation débouche sur des conclusions différentes, plus proches de Caylus.
20En témoigne le projet scénique que porte Sémiramis. L’action profuse de la pièce emprunte à des formes antiques mais, comme le rappelle la Dissertation, elle le fait via les Italiens de la Renaissance – on pense au modèle scénographique tripartite du teatro Olimpico de Palladio qui permet de réaliser trois actions simultanément sur la scène dans au moins trois lieux distincts – et aussi via le théâtre anglais qui multiplie les intrigues épisodiques même dans ses tragédies à l’antique. Voltaire renouvelle donc la terreur des Grecs par des moyens « barbares », étrangers à la civilisation hellène, selon une vision syncrétique des formes, tant grossières que délicates, et par une fusion des cultures entre elles qui, chez lui, n’est jamais le signe d’un appauvrissement, mais bien d’un perfectionnement, voire d’un raffinement.
21Au même moment ou presque, Diderot, admiratif du spectacle de Sémiramis et du théâtre de Voltaire, vient confirmer en termes esthétiques l’apport de cet archaïsme exotique ou barbare au cœur du retour à l’antique. Un passage du Salon de 1765 peut corroborer cette réévaluation d’un antique impur et fruste né de la bigarrure avec des civilisations plus anciennes ou extérieures, indépendamment de la réinterprétation stylistique des œuvres antiques à la Renaissance et à l’âge classique. Comme Soufflot face aux colonnes doriques sans base des temples de Paestum, Diderot célèbre les bas-reliefs au fronton des temples grecs, qui représentent les exploits des dieux mythologiques selon un symbolisme venu d’un art bien plus ancien que l’art athénien, c’est-à-dire l’art des hiéroglyphes pharaoniques. Cet art considéré ou comme barbare ou dans son enfance, au moment où l’art grec a conduit au progrès et à la perfection de la sculpture, viendrait selon Diderot de la vocation édifiante des bas-reliefs destinés à entretenir la foi des fidèles avant d’entrer au temple. Les artistes grecs prenaient pour modèle les idoles païennes aux pouvoirs miraculeux, sculptées de façon plate ou informe il y a fort longtemps, et qui étaient objet néanmoins de vénération de la part de la population en raison de leur forme inachevée, barbare, mi naturelle, mi humaine. Diderot voit dans ces « indigne[s] fétiche[s] » un exemple ingénieux de la supériorité d’un art premier sur l’art académique :
- 49 D. Diderot, Salons, t. III, Ruines et paysages : Salon de 1767, éd. E. M. Bukdahl, M. Delon, A. Lor (...)
Adieu toute la vénération, toute la confiance de la populace, si l’on substitue à cette figure gothique un chef-d’œuvre de Pigalle ou de Falconet. [...] C’est une chose bien singulière que le dieu qui fait des prodiges, n’est jamais une belle chose, l’ouvrage d’un habile homme ; mais toujours quelque magot tel qu’on en adore sur la côte du Malabar, ou dans la chaumière du Caraïbe.49
- 50 « Nos magots de Chine n’ont pas réussi. J’en ai fait cinq. Cela est à la glace, allongé, ennuyeux » (...)
- 51 D. Diderot, Salons, t. II, Salon de 1765, éd. E. M. Bukdahl, A. Lorenceau, cit., p. 126. Voir aussi (...)
- 52 Id., Ruines et paysages : Salon de 1767, cit., p. 342.
- 53 Ph. Junod, « Poétique des ruines et perception du temps : Diderot et Hubert Robert », dans A.-M. Ch (...)
22Voltaire comparait déjà ses tragédies les plus exotiques à de « vieux magots »50, après avoir vanté au début de sa carrière poétique la rusticité et la robustesse des héros d’Homère ou de Shakespeare, par rapport à ceux de Racine et Quinault, dans son Essai sur la poésie épique (1723). Diderot partage ce goût pour l’exagération superlative de la sculpture par rapport à la peinture ou au dessin, pour le « système exagéré »51 de l’Hercule Farnèse par rapport au raffinement de l’Antinoüs. Plus loin dans les Salons, il signale le motif récurrent de la « mauvaise figure de saint dans sa niche »52 dans les paysages de Robert. Philippe Junot en conclut plus généralement qu’avec le thème pictural des ruines, « les axes spatial et temporel se superposent et tendent à se confondre […]. En cheminant d’une fabrique à l’autre, le promeneur parcourt à la fois l’histoire et la géographie […]. […] la remontée dans le temps coïncide avec l’éloignement dans l’espace. Dans l’imaginaire de l’époque, exotique sera bientôt synonyme d’archaïque »53.
- 54 J. J. Winckelmann, op. cit., p 147. Ce propos vient à la suite de ce passage : « L’émotion la plus (...)
23Selon le même regard, la pantomime de Lekain au dernier tableau de Sémiramis représente un exemple convaincant de l’émotion rendue, non par la calme déclamation des vers, mais par la maîtrise du sentiment et de l’expression, par un jeu silencieux qui frappe l’assistance. À l’image du noble et sauvage Laocoon, l’interprétation de Lekain rend ce que ni le cri ni le langage ne saurait transmettre. L’acteur ajoute, à la beauté immanente du corps souffrant, l’individualité d’un geste inédit et inattendu (les bras sanglants, le visage convulsé, les cheveux hirsutes), à l’image de la grimace silencieuse du Laocoon, et de sa bouche ouverte d’où ne sort aucun cri, « calme mais en même temps active ; sereine, mais ni indifférente, ni sans vie », tel que l’écrit Winckelmann54.
- 55 J. J. Winckelmann, op. cit., p. 147, cité par A. Calvié, art. cit., p. 109.
- 56 Ibidem.
24La réévaluation française des lents tâtonnements accumulés par les artistes antiques avant l’apothéose de leur art, et l’éloge des formes impures qui s’exprime chez Caylus, Voltaire, Diderot ou Lekain, revivifient précocement et de manière visible le goût antique en France, et d’abord au théâtre. Même s’il valorise une autre voie, Winckelmann reconnaît d’ailleurs la présence de cet antique singulier, exprimé entre autres dans Sémiramis, et dont la ferveur ardente s’oppose au beau idéal. Il qualifie même cette tendance de « parynthyrsus »55, dont l’attitude emprunte au thyrse, c’est-à-dire à une posture de nature proprement théâtrale par opposition à l’équilibre serein dans la douleur recherché par l’artiste. Winckelmann emprunte le terme au traité Du sublime (1er siècle ap. J.-C.) et lui donne un sens personnel. Il range sous ce concept « toutes les actions et attitudes des figures grecques qui ne possédaient pas ce caractère de sagesse, mais étaient trop ardentes et sauvages […] [et à] l’opposé de leur idéal de sagesse »56. Si le corps expressif de Lekain dans des décors imposants et mouvants n’exprime pas l’état d’harmonie ou de repos que goûte Winckelmann, c’est qu’il montre cet autre aspect de l’art antique, excessif et sauvage, par une artificialité consciente et une théâtralité exagérée. Sémiramis marque ainsi une étape dans l’histoire du goût antique en France. Voltaire rompt avec les traditions de représentation de l’imaginaire antique et avec la gestuelle classique qui figeait les affects dans un ensemble de traits reproductibles. Il expérimente ainsi en précurseur les singularités des lieux et des situations, l’individualité des passions tragiques, et annonce la fortune sur scène d’une Antiquité sombre, inquiète, archaïque, et spectaculaire, celles des Troyennes (1754) de Chateaubrun, d’Hypermnestre (1758) de Lemierre ou des Pélopides (1772) du même Voltaire.
Notes
1 A. Chastel, L’Art français, t. V, Le temps de l’éloquence 1775-1825, Paris, Flammarion, « Tout l’Art. Histoire », 2000, « Le Répertoire antique », p. 19.
2 Voir J.-M. Bailbé, « Images de Sémiramis. De la tragédie de Voltaire à l’opéra de Rossini », dans Centre d’étude et de recherche d’histoire des idées et de la sensibilité (dir.), Iconographie et littérature. D’un art à l’autre, Paris, Presses universitaires de France, 1983, p. 107-120, p. 107, et I. Ligier-Degauque, « Dans l’atelier de création et de refonte d’une “tragédie-opéra” : étude de lettres choisies de Voltaire sur Sémiramis (1748) et de sa réception parodique », communication lors du colloque Voltaire homme de théâtre, organisé par C. Cave et M. Poirson, Genève, janvier 2009, consulté le 05/07/2024, URL : https://hal.science/hal-03826679/document.
3 Voir P. Frantz, « Athalie au XVIIIe siècle », dans I. Martin et R. Elbaz (dir.), Jean Racine et l’Orient, Tübingen, Günter Narr Verlag, 2003, p. 133-146 et Id., « Voltaire et ses fantômes », dans F. Lavocat et F. Lecercle (dir.), Dramaturgies de l’ombre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Interférences », 2005, p. 263-276.
4 Voir É. Pommier, « Winckelmann et la vision de l’Antiquité classique dans la France des Lumières et de la Révolution », dans Revue de l’Art, 83, 1989, p. 9-20. Édouard Pommier distingue trois étapes dans la diffusion de l’œuvre de Winckelmann en France : 1755-1757 ; juillet 1760 ; 1764-1766. Vient ensuite le préambule du Salon de 1767 dans lequel Diderot rend hommage au « modèle idéal » et qui se concilie avec le platonisme inhérent à la démarche de Winckelmann. D’autres articles, traductions et publications paraissent jusqu’en 1786.
5 J. J. Winckelmann, Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture, tr. fr. L. Mis, Paris, Aubier, 1954, p. 142. La formule est reprise à p. 150 et p. 158. Voir A. Calvié, « Les sources françaises de la formule de Winckelmann “Edle Einfalt und stille Grösse” », dans Cahiers d’Études Germaniques, 21, 1991, p. 99-111.
6 Voltaire, « Avertissement » en tête de Sémiramis, dans Id., Œuvres de M. de Voltaire, Dresde, Walther, 1752, t. IV, p. 424, et dans Id., Sémiramis, éd. R. Niklaus, dans Id., Les Œuvres complètes de Voltaire, Oxford, The Voltaire Foundation, 1968-2022, t. 30a, 2003, p. 165 (dorénavant SEM).
7 C’est plus que pour l’ancienne Sémiramis du même Crébillon que Voltaire entendait remplacer (1060 spectateurs le 10 avril 1717). Toute indication concernant le nombre de représentations est issue des données du Projet des Registres de la Comédie-Française, consulté le 05/07/2024, URL : https://www.cfregisters.org/#!/.
8 Voir « Article sur la nouvelle tragédie de Sémiramis », dans Mercure de France, septembre 1748, p. 224-229.
9 Rôle créé en 1748 par Grandval qui joue le grand prêtre Oroès dans les reprises de 1756.
10 Lekain cumule ainsi 99 représentations de Sémiramis dont une à son bénéfice, le 2 décembre 1768.
11 « Article sur la nouvelle tragédie de Sémiramis », cit., p. 227.
12 Voir R. Niklaus, « Introduction », dans SEM, p. 60-64.
13 « Lorsque les Historiens veulent louer l’esprit et le courage de quelque princesse, ils croient ne pouvoir en donner une plus haute idée, qu’en la comparant à cette Reine de l’Orient, également connue et par l’éclat des qualités qu’elle fit briller sur le trône, et par la grandeur du crime qui l’y plaça », « Article sur la nouvelle tragédie de Sémiramis », cit., p. 224.
14 Un cor de chasse semble ajouté à la sixième représentation (au moment de l’apparition de l’Ombre ?). Voir les Registres des recettes de la Comédie-Française les jours des cinq premières représentations jusqu’au 5 septembre 1748, consultés le 05/07/2024, URL : https://flipbooks.cfregisters.org/R111/index.html#page/226/mode/1up.
15 A. Chastel, op. cit., p. 20.
16 La Palmire, reine de Zénobie de La Chaussée, en 1736, n’ayant été ni jouée ni publiée.
17 Voltaire recommande ce trucage, déjà présent dans Ériphyle, pour jouer sa pièce sur les théâtres de société : « Le tonnerre est aisément imité par le bruit d’une ou deux roues dentelées qu’on fait mouvoir derrière la scène sur des planches ; les éclairs se forment avec un peu d’orcanson », Voltaire à Albergati Capacelli, 4 décembre 1758, dans Id., Correspondance, éd. Th. Besterman et F. Deloffre, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1977-1992, t. V, 1980, (D7963), p. 273-274. Pour la numérotation entre parenthèses, nous renvoyons à la Table de cette édition.
18 SEM, (I, 1), p. 169.
19 Ibid., (III, 1), p. 205.
20 Ibid., (III, 6), p. 215.
21 Ibid., (IV, 1), p. 221.
22 Ibid., (I, 1 et 3), p. 169-175.
23 Ibid., (III, 6), p. 218-220.
24 Ibid., (V, 2), p. 245.
25 Ibid., (V, 6, 7 et 8), p. 249-252.
26 « Arsace : Que la reine en ces lieux, brillants de sa splendeur, / De son puissant génie imprime la grandeur ! / Quel art a pu former ces enceintes profondes / Où l’Euphrate égaré porte en tribut ses ondes ; / Ce temple, ces jardins dans les airs soutenus ; / Ce vaste mausolée où repose Ninus ? / Éternels monuments, moins admirables qu’elle ! […] / Mitrane : Quand Babylone en feu célébrait vos conquêtes ; / Lorsqu’on vit déployer ces drapeaux suspendus, / Monuments des états à vos armes rendus […] », ibid., (I, 1), p. 169 et p. 171.
27 « Ninias : Au fond de ce tombeau, mon père était mon guide. / J’errais dans les détours de ce grand monument, / […] / Il marchait devant moi : j’ai reconnu la place, / Que son ombre en courroux marquait à mon audace. / Auprès d’une colonne, et loin de la clarté, / Qui suffisait à peine en ce lieu redouté, / J’ai vu briller le fer dans la main du perfide », ibid., (V, 5), p. 249.
28 Pour l’iconographie, voir l’article essentiel de P. Bjurström, « Mises en scène de Sémiramis de Voltaire en 1748 et 1759 », dans Revue d’Histoire du Théâtre, 4, 1956, p. 299-321. Les quatre images publiées dans cet article proviennent des reproductions hors pagination insérées dans l’article de la RHT, numérotées respectivement Fig. 2, Fig. 5, Fig. 4 et Fig. 7.
29 Ibid., p. 305-306.
30 Per Bjurström attribue les deux dessins à Michel-Ange Slodtz (1705-1764), mais une note dans le catalogue de la BnF, au recto du second document, mentionne son frère aîné Paul-Ambroise Slodtz (1702-1758) avec pour titre propre : « 1 esquisse de décor par Paul Ambroise Slodtz, pour la reprise à la cour en 1756 », et avec des mesures et annotations à l’encre : « Le trophée est doré ainsi que les faisceaux / les bas reliefs et l'inscription / ainsi que le trophée d'enhau / sont de bronze verte » ; « le trophée / les moulures sont / de bronze dorée ainsi / que le culot du tombeau / les bas reliefs son de / bronze verte » ; « Tombeaux de / Semiramis / K en rouge » ; « Entrée de caveau qui / s’ouvre sur la moitié du / chassis jusque sous / le bas relief du / sarcophage » ; « les trophées et non la / moulure sont de bronze / doré et le marbre de / la meme espece » et « Le tour est fait / au demi pouce pour pied ». Indications manuscrites au crayon et à l’encre sur les matériaux et couleurs utilisés : « 3 châssis ; 1er et 3e châssis : trophées militaires composés de drapeaux, cuirasses, boucliers parant une architecture antiquisante ; 2e châssis : tombeau terminé par une pyramide s'élevant au-dessus de l'entrée du caveau ». Voir la numérisation de ce document réalisée par la BnF, consulté le 05/07/2024, URL : https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/btv1b53113112h/f1.item.
31 Sur la deuxième esquisse, au centre du dessin, l’artiste a écrit : « Entrée de caveau qui s’ouvre sur la moitié du châssis jusque sur le bas-relief du sarcophage ». Les indications de couleur et de motifs peints sont accordées aux tonalités pathétiques du genre de la pièce, bronze doré et marbrures, gris et rouge se répondent, le rouge étant une couleur privilégiée pour la tragédie, que l’on retrouve dans le décor donnant l’illusion d’un palais de porphyre dans Hypermnestre de Lemierre peint par P.-A. Brunetti en 1758, et qui prolonge métaphoriquement sur la scène la pourpre seigneuriale, les flammes du péril tragique ou encore le sang qui coule lors du dénouement funèbre.
32 48 figurants effectifs : « 1 dame du palais de Sémiramis (personnage muet), 2 officiers de la garde de la Reine, 12 soldats de la même garde, 6 mages de la suite du grand-prêtre, 20 hommes du peuple babylonien, 8 chefs de l’état du Satrape de l’empire, 2 esclaves à la suite d’Arzace [pris parmi les Babyloniens] », H.-L. Lekain, Registre de Lekain, Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française, cote Ms. 25035, cité dans D. Chardonnet-Darmaillacq, Gouverner la scène : le système panoptique du comédien LeKain, thèse de 3e cycle sous la dir. de Ch. Biet, vol. III, p. 280.
33 Voir ibid., p. 413 et la note A6 costume n°24 de H.-L. Lekain, Registre de Lekain, cit.
34 Voir D. Chardonnet-Darmaillacq, op. cit., p. 500.
35 H.-L. Lekain, Matériaux pour le travail de mon répertoire tragique, Bibliothèque nationale de France, cote BnF : Français 12534, cité dans D. Chardonnet-Darmaillacq, op. cit., vol. II, p. 298.
36 Bjurström émet l’hypothèse que le sujet de l’esquisse renvoie au décor de Brunetti, voir Bjurström, art. cit., p. 312.
37 Le Mercure met sur le même plan la perfection du jeu des acteurs, la « pompe du spectacle » et le texte. Voir Mercure de France, septembre 1756, p. 229-230 ; février 1757, p. 193 ; et septembre 1759, p. 200-201.
38 J. de La Porte, Dictionnaire dramatique, Paris, Lacombe, 1776, t. III, « Sémiramis », p. 129-132.
39 Voltaire, Lettre au comte d’Argental, 4 août 1756, dans Id., Correspondance, cit., t. IV, 1978, (D6958), p. 829-830. C’est nous qui soulignons. Voir aussi Id., Lettre à Thieriot, 9 août 1756, ibid., (D6965), p. 832-833.
40 A.-V. Arnault, Les Souvenirs et les regrets du vieil amateur dramatique, ou Lettres d’un oncle à son neveu sur l’ancien théâtre, Paris, Charles Froment et Neveu, 1829, « Troisième Lettre », p. 22.
41 J. de La Porte, op. cit., p. 130.
42 É. Décultot, « Anthropologie et ethnologie de l’histoire de l’art au XVIIIe siècle : Winckelmann et le tableau des peuples antiques », dans Études germaniques, LXIV, 4, 2009, p. 821-840.
43 Concept déjà présent en France dans la première moitié du siècle, comme l’a démontré E. Pommier, art. cit.
44 É. Décultot, art. cit., p. 836.
45 Johann Gottfried von Herder (1744-1803), disciple de Kant et figure du Sturm und Drang, voir ibid., p. 837-839.
46 Voltaire, Dissertation sur la tragédie ancienne et moderne, en tête de Sémiramis et quelques autres pièces de littérature, Paris, P. G. Le Mercier et M. Lambert, 1749, p. 1-34, rééd. dans SEM, p. 139-164, p. 141.
47 Ibid., p. 142.
48 Ibid., p. 156.
49 D. Diderot, Salons, t. III, Ruines et paysages : Salon de 1767, éd. E. M. Bukdahl, M. Delon, A. Lorenceau, Paris, Hermann, 1995, p. 107.
50 « Nos magots de Chine n’ont pas réussi. J’en ai fait cinq. Cela est à la glace, allongé, ennuyeux », Voltaire, Lettre au comte d’Argental, 3 août 1754, dans Id., Correspondance, cit., t. IV, 1978, (D5899), p. 223. Voir aussi Id., Lettre au comte d’Argental, 29 août [1755], ibid., (D6447), p. 536 et Id., Lettre au comte d’Argental et à la comtesse d’Argental, 28 octobre [1760], ibid., t. VI, 1980, (D9360), p. 51-52.
51 D. Diderot, Salons, t. II, Salon de 1765, éd. E. M. Bukdahl, A. Lorenceau, cit., p. 126. Voir aussi p. 280-281.
52 Id., Ruines et paysages : Salon de 1767, cit., p. 342.
53 Ph. Junod, « Poétique des ruines et perception du temps : Diderot et Hubert Robert », dans A.-M. Chouillet (dir.), Diderot (1713-1784). Paris, Sèvres, Reims, Langres, Paris, Aux Amateurs de Livres, 1985, p. 321-326, p. 324.
54 J. J. Winckelmann, op. cit., p 147. Ce propos vient à la suite de ce passage : « L’émotion la plus grande est provoquée non pas par la violence du sentiment mais par sa maîtrise. Le Laocoon… frappe par son silence. Die “Stille” – le recueillement dû à la tranquillité, au calme accompli en soi – excelle à rendre ce que le cri ne saurait donner : plus est calme l’attitude du corps et plus elle est apte à montrer le vrai caractère de l’âme ; dans toutes les positions qui s’écartent par trop de celles de repos, l’âme n’est pas dans l’état qui lui est le plus propre, mais dans un état de violence et de contrainte. L’âme se reconnaît plus facilement et est plus caractéristique en de violentes passions ; mais elle est grande et noble dans l’état d’harmonie, dans l’état de repos. Dans le Laocoon la douleur, représentée seule, aurait été parynthyrsus ; c’est pourquoi l’artiste, pour fondre la caractéristique et la noblesse de l’âme, a fait accomplir par Laocoon une action qui était, dans une telle douleur, la plus voisine de l’état de repos », cité et commenté par D. de Font-Réaulx, « “La grâce d’une grande figure qui écoute en silence…”. Défis et impasses de la représentation du sentiment », dans M. Challier et B. Caille (dir.), L’Invention du sentiment, Paris, Musée de la Musique, Réunion des musées nationaux, 2002, p. 49-59, p. 52.
55 J. J. Winckelmann, op. cit., p. 147, cité par A. Calvié, art. cit., p. 109.
56 Ibidem.
Haut de pageTable des illustrations
Légende | Fig. 1. G. de Saint-Aubin, d’après les frères Slodtz, Scène finale de Sémiramis le soir de la première (1748), collection particulière (source : RHT, 4, 1956, avec l’aimable autorisation de Léonor Delaunay). |
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URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/docannexe/image/13313/img-1.jpg |
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Légende | Fig. 2. Michel-Ange ou P.-A. Slodtz, Esquisses des coulisses de droite de Sémiramis, le temple des mages [pour le décor de scène du Théâtre de Fontainebleau] (1752), Bibliothèque de l’Opéra, Paris (source : RHT, 4, 1956, avec l’aimable autorisation de Léonor Delaunay). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/docannexe/image/13313/img-2.jpg |
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Légende | Fig. 3. Michel-Ange ou Paul-Ambroise Slodtz, Esquisses des coulisses de gauche de Sémiramis, le tombeau de Ninus, [pour le décor de scène du Théâtre de Fontainebleau] (1752), Bibliothèque de l’Opéra, Paris (source : RHT, 4, 1956, avec l’aimable autorisation de Léonor Delaunay). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/docannexe/image/13313/img-3.png |
Fichier | image/png, 2,4M |
Légende | Fig. 4. [Anonyme], Scène finale de Sémiramis de Voltaire, d’après le décor de P.-A. Brunetti (1759), Bibliothèque-Musée de la Comédie-Française (source : RHT, 4, 1956, avec l’aimable autorisation de Léonor Delaunay). |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/docannexe/image/13313/img-4.jpg |
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Pour citer cet article
Référence électronique
Renaud Bret-Vitoz, « La Sémiramis de Voltaire, tragédie néo-antique », Revue italienne d’études françaises [En ligne], 14 | 2024, mis en ligne le 15 novembre 2024, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/13313 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12oz4
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