Le primitivisme dramatique de Diderot, un jeu de l’imagination entre nature et culture
Résumés
La théorie dramatique de Diderot permet d’analyser l’association topique des idées de « vérité » et de « nature » dans ce que l’on peut nommer le régime artistique du naturel idéal, dont le théâtre grec offre le modèle exemplaire. L’esthétique de Diderot vise constamment la vérité du « faire » artistique, aussi bien en peinture qu’à travers la composition dramatique et le jeu des acteurs, aboutissant dans le Paradoxe sur le comédien à une définition du vrai comme « la conformité des actions, des discours, de la figure, de la voix, du mouvement, du geste, avec un modèle idéal imaginé par le poète, et souvent exagéré par le comédien ». Dans les années 1770, Diderot joint à la source antique le modèle exotique, aboutissant à un primitivisme esthétique fondé sur un idéal de « naïveté », mais qui reste nourri par la culture et appelle une réalisation dans le présent : l’imagination des auteurs et des interprètes opère donc un détour pour régénérer les formes et viser un langage universel par l’art, qui soit accessible aux lecteurs et spectateurs.
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néoclassique, primitivisme, Diderot (Denis), nature, vérité, théâtre antique, esthétiquePlan
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- 1 Voir en particulier C. Grell, Le Dix-huitième siècle et l’Antiquité en France, 1680-1789, Oxford, T (...)
- 2 M. Fazio, P. Frantz et V. De Santis (dir.), Les Arts du spectacle et la référence antique dans le t (...)
- 3 J. Seznec, « L’invention de l’Antiquité », dans T. Besterman (dir.), Transactions of the Fourth Int (...)
- 4 J. Ehrard, L’Idée de nature en France dans la première moitié du XVIIIe siècle [1963], Paris, Albin (...)
- 5 Voir M. Delon, R. Mauzi et S. Menant, « Régénération et palingénésie », dans Id., De l’Encyclopédie (...)
1Le goût pour l’antique qui caractérise la seconde moitié du XVIIIe siècle a fait l’objet d’études nombreuses1, renouvelées à l’occasion d’un important colloque sur les arts de la scène organisé en 2012-2013 à Paris et à Rome2. Les découvertes d’Herculanum (1738) et de Pompéi (1748), puis la diffusion européenne des Réflexions sur l’imitation des ouvrages des Grecs en fait de peinture et de sculpture de Winckelmann (1755) ont lancé la vogue de l’anticomanie qui se comprend, selon le mot de Jean Seznec, comme un « effort de régénération » à contre-courant du maniérisme rococo3. Plus largement, ce « retour à l’antique » participe de la quête des origines chère au mouvement des Lumières à l’échelle européenne, qui touche à la fois le vivant et l’hypothétique « état de nature », les langues, l’histoire des nations ainsi que les œuvres de l’esprit4. Mais il constitue un paradoxe, puisque ce regard sur le passé est pleinement tourné vers l’avenir : c’est précisément le sens de la « régénération »5, tel un ressourcement créateur.
- 6 Voir L. Marie, « “Juger le procès entre la tragédie de Londres et la tragédie de Paris” : Shakespea (...)
- 7 Voir V. de Senarclens, « L’exception de la tragédie antique grecque dans la Lettre à d’Alembert sur (...)
- 8 J. Chouillet, L’Esthétique des Lumières, Paris, Presses universitaires de France, 1974, p. 204.
- 9 R. Trousson, « Le théâtre tragique grec au siècle des Lumières », dans T. Besterman, op. cit., p. 2 (...)
- 10 Ibid., p. 2124.
2Dans cette dynamique, le théâtre grec antique constitue une référence obligée pour penser le renouvellement des formes et des effets dramatiques, comme l’est aussi alternativement la référence shakespearienne entre Lumières et romantisme, objet de fascination et de rejet6. Réformateurs et contempteurs du théâtre au XVIIIe siècle ont recours au modèle athénien préclassique, diffusé dès 1730 par le Théâtre des Grecs de Brumoy, pour faire ressortir les limites du théâtre de leur temps. Chez Diderot, Mercier mais aussi Rousseau7, le théâtre grec sert à ressaisir une vigueur perdue. Il s’agit selon Jacques Chouillet « de retrouver, par-delà les copies modernes de l’Antiquité, la véritable inspiration antique, faite de violence, de sublime et de naïveté »8. Raymond Trousson a pointé trois clichés tenaces jusqu’à Schlegel dans les représentations du théâtre antique au XVIIIe siècle, clichés qui trahissent selon lui une « incompréhension fondamentale de la tragédie grecque »9 : 1) le thème de « l’enfance de l’art » (présupposant un procès d’épuration du goût jusqu’à l’époque moderne) ; 2) les notions de fatalité, de simplicité et d’« austérité » (ce dernier critère contraste avec la passion amoureuse omniprésente dans les tragédies galantes sur le modèle racinien) ; 3) le rapprochement de ces tragédies antiques avec l’opéra pour ce qui touche à la pompe spectaculaire. « En somme – écrit Trousson – le XVIIIe siècle borne le mérite des Grecs à l’absence d’amour et à la simplicité d’action, mais rejette ce qui n’obéit pas au goût et aux bienséances et récuse surtout le ressort religieux de la fatalité au nom du caractère universel des passions et de la liberté morale »10.
- 11 J. Chouillet, L’Esthétique des Lumières, cit., p. 129.
- 12 R. Trousson, « Diderot et la leçon du théâtre antique », dans A.-M. Chouillet (dir.), Colloque inte (...)
3Or dans ce paysage communément partagé, Diderot occupe une position singulière. Pour lui tout particulièrement, l’antique est une sève inspirante dont il accepte et chérit jusqu’à la violence et le désordre. Sa théorie dramatique nous offre une fenêtre qui permet de parcourir l’association topique des idées de « vérité » et de « nature » dans ce que l’on peut nommer le régime artistique du naturel idéal, dont le théâtre grec offre le modèle exemplaire. Dans quelle mesure cette référence qui fonctionne comme un aiguillon poétique et critique a-t-elle contribué à renouveler la théorie, voire la pratique du théâtre, au moment du « passage de la normalité à la génialité »11 ? L’enjeu foncier est de décaper l’artifice qui a recouvert la tradition, à force d’imiter des modèles successifs. Reprenons la formule de Trousson : « À l’inverse de la plupart de ses contemporains s’ingéniant à “racinianiser” les Anciens, Diderot s’applique à “gréciser” Racine »12. Mais l’usage de la référence antique est ambigu, d’autant que celle-ci n’est pas univoque, comme le traduit le contraste entre les tragiques grecs et Térence, construit en modèle et précurseur du drame bourgeois : si Diderot s’intéresse bel et bien à un théâtre des origines, c’est en définitive pour fonder une culture adaptée à son temps, tout en rendant le lecteur-spectateur et le comédien acteurs de ce processus de transformation et d’actualisation du vrai par le travail de l’imagination au service d’un « faire » artistique.
La nature des Anciens : une pensée dynamique de l’Histoire
- 13 D. Diderot, Entretiens sur le Fils naturel (dorénavant EFN), dans Id., Œuvres, éd. L. Versini, Pari (...)
- 14 Ibid., p. 1155-1156.
- 15 Ibid., p. 1137-1138. Sur la représentation de la souffrance, voir C. Filippe, « Enjeux politiques d (...)
- 16 Ibid., p. 1152, ainsi qu’Id., Paradoxe sur le comédien (dorénavant PC), dans OET, p. 1404 : « Eschy (...)
- 17 EFN, p. 1156.
- 18 Voir sur ce point les articles de M. Saint Martin, « “Venger Sophocle”. De Crébillon à Diderot, un (...)
4En 1757, dans les Entretiens sur le Fils naturel, le comédien fictif Dorval exprime un idéal de vérité, que ne permettent ni la norme artistique de la belle nature, ni la règle des bienséances, en réclamant « sur la scène des situations naturelles qu’une décence ennemie du génie et des grands effets a proscrites. Je ne me lasserai point de crier à nos Français : La Vérité ! La Nature ! Les Anciens ! Sophocle ! Philoctète ! »13. Il aspire aussi à « [d]es habits vrais, des discours vrais, une intrigue simple et naturelle »14. Diderot rêve ainsi à la véhémence des « cris inarticulés de la douleur » de Philoctète déchirant « les entrailles du spectateur »15, à la poursuite d’Oreste par les Furies dans les Euménides16, ainsi qu’aux grandioses amphithéâtres de quatre-vingt mille citoyens17 : le théâtre athénien offre dans sa quintessence une nature qu’il s’agit de retrouver pour son énergie à la fois esthétique et civique18.
- 19 EFN, p. 1142.
- 20 « Dorval » et « Moi » sont des projections de la pensée de Diderot, un dédoublement factice. Robert (...)
- 21 D. Diderot, Discours sur la poésie dramatique (dorénavant DPD), dans OET, p. 1304.
5« Ô Nature ! tout ce qui est bien est renfermé dans ton sein ! Tu es la source féconde de toutes vérités ! »19, s’écrie « Moi », l’une des voix de l’auteur au seuil du « Second entretien » sur Le Fils naturel20. L’année suivante, dans le traité De la poésie dramatique, Diderot termine le chapitre consacré à la composition de la comédie et de la tragédie en vantant l’idée de « simplicité » qu’il illustre ici par un modèle générique exogène, celui de l’épopée homérique, à travers l’exemple de la plainte et de la supplication de Priam réclamant le corps d’Hector à Achille dans l’Iliade : « La nature m’a donné le goût de la simplicité, et je tâche de le perfectionner par la lecture des Anciens. Voilà mon secret. Celui qui lirait Homère avec un peu de génie y découvrirait bien plus sûrement la source où je puise »21. Après avoir inséré en traduction les paroles de Priam issues du chant XXII de l’Iliade, Diderot conclut dans un geste provocateur que la lecture de tels morceaux de « génie » fera jeter au feu les créations poétiques trop plates ou ampoulées de son temps, faute de pouvoir atteindre la vérité à travers une noble simplicité, source de justesse émotionnelle.
- 22 Diderot résume les effets dans les compositions des Anciens : « Une conduite simple, une action pri (...)
6Cette adéquation de la nature et de la vérité, grâce à « des discours énergiques » et des « passions fortes »22, érige les Grecs en modèles authentiques et se fonde sur un postulat culturel. La civilisation affadit les mœurs en les polissant, les rendant moins « poétiques » :
- 23 Ibid., p. 1331.
En général, plus un peuple est civilisé, poli, moins ses mœurs sont poétiques ; tout s’affaiblit en s’adoucissant. […] Qu’est-ce qu’il faut au poète ? Est-ce une nature brute ou cultivée, paisible ou troublée ? Préférera-t-il la beauté d’un jour pur et serein à l’horreur d’une nuit obscure […] ?23
- 24 Ibidem.
- 25 Ibid., p. 1282.
- 26 Ibid., p. 1331.
7Il s’agit d’une conception dynamique de l’Histoire, irréductible à la chute biblique ou celle du mythe de l’âge d’or : retrouver l’état sauvage permettrait de recréer un monde nouveau qui se déroberait aux corsets stériles. C’est alors que Diderot en arrive à cette célèbre clausule : « La poésie veut quelque chose d’énorme, de barbare, et de sauvage »24, conclusion en adéquation avec sa conception de la nature matérielle et organique de la Terre, puisqu’il envisage dans le même temps la vertu purificatrice et régénératrice des tempêtes et des éruptions volcaniques25. Cette pensée de l’évolution n’est donc pas comme chez Rousseau vécue sur le mode nostalgique de la déploration devant la « décadence » propre à flétrir l’humanité ; elle est au contraire inspirante pour penser un nouveau cycle créateur. Avant Louis-Sébastien Mercier, qui reprendra en 1782 l’éloge de la guerre civile comme ferment de régénération politique dans la préface de sa « pièce nationale » censurée, La Destruction de la Ligue ou la Réduction de Paris, Diderot accentue la fonction poétique des temps de crises : « C’est lorsque la fureur de la guerre civile ou du fanatisme arme les hommes de poignards, et que le sang coule à grands flots sur la terre, que le laurier d’Apollon s’agite et verdit »26. Sur ce point précis, le comédien Talma donnera raison à Diderot en témoignant que l’épreuve de la Révolution aura été pour lui une source d’inspiration et d’énergie pathétique :
- 27 F.-J. Talma, Réflexions sur Lekain et sur l’art théâtral, éd. P. Frantz, Paris, Desjonquères, 2002, (...)
Les crises violentes dont elle m’a rendu témoin m’ont souvent servi d’étude. L’homme du monde et l’homme du peuple, si opposés par leur langage, ont souvent, dans les grandes agitations de l’âme, la même expression : l’un oublie ses manières sociales, l’autre quitte ses formes vulgaires ; l’un redescend à la nature, l’autre y remonte ; tous deux dépouillent l’homme artificiel, pour n’être plus vraiment qu’hommes. Les accents de l’un et de l’autre seront les mêmes dans la violence des mêmes passions ou des mêmes douleurs.27
Critique de l’artifice vs éloge de l’art : à la recherche de la vérité
- 28 D. Diderot, Salon de 1759, dans OET, p. 194.
- 29 Id., Salon de 1761, dans OET, p. 205.
- 30 Id., Salon de 1765, dans OET, p. 309-310.
- 31 Id., Salon de 1759, dans OET, p. 197.
- 32 Id., Salon de 1763, dans OET, p. 264-265.
- 33 DPD, ch. XX, « Des vêtements », p. 1335. Devant ce goût pour le clinquant et le faste, Diderot cite (...)
- 34 Ibid., p. 1335-1336.
8L’esthétique de Diderot vise donc constamment la vérité du « faire » artistique, aussi bien en peinture qu’à travers la composition dramatique et le jeu des acteurs. Sous sa plume, l’adjectif « théâtral » est parfois synonyme de charge ou d’effet raté, lorsque manque la profonde énergie du drame. La toile dite de Jason et Médée de Carle Van Loo, par exemple, exposée au Salon de 1759, et dont le titre authentique est Mlle Clairon en Médée, présente « une décoration théâtrale avec toute sa fausseté », « une Médée de coulisse ». Le critique reste de marbre devant une toile manquant de véhémence dont il déplore l’absence dans des termes proches de la pantomime de Philoctète déjà mentionnée : « Il fallait lever au ciel des bras désespérés, avoir la tête renversée en arrière ; les cheveux hérissés ; une bouche couverte qui poussât de longs cris ; des yeux égarés »28. Le peintre Boucher collectionne les reproches d’artificialité sous la plume de Diderot : « Cet homme a tout, excepté la vérité »29, conclut-il en 1761. Quatre ans plus tard, son imagination et sa « fécondité » sont jugées factices au point que Diderot « ose dire qu’il n’a pas vu un instant la nature […] ; qu’il est sans goût », que « ce sont des natures romanesques, idéales » qu’il peint, achevant par ce verdict sans appel : « c’est un faux bon peintre »30. À l’inverse, les natures mortes de Chardin offrent le modèle de « la nature et la vérité »31. La Raie dépouillée exposée en 1763 donne à voir la chair même du poisson ; sur chaque tableau que la « magie » du peintre produit, « [c]’est la nature même. Les objets sont hors de la toile et d’une vérité à tromper les yeux »32. Les mêmes notions sont convoquées dans la théorie dramatique, lorsque Diderot critique pareillement l’artifice, par exemple celui des somptueuses dépenses pour la création en 1755 de L’Orphelin de la Chine de Voltaire33, tout en louant à cette même occasion Mlle Clairon pour avoir renoncé à la coiffure à panier : « La nature, la nature ! on ne lui résiste pas. Il faut ou la chasser, ou lui obéir. Ô Clairon, c’est à vous que je reviens ! Ne souffrez pas que l’usage et le préjugé vous subjuguent. Livrez-vous à votre goût et à votre génie ; montrez-nous la nature et la vérité »34.
- 35 J. Chouillet, L’Esthétique des Lumières, cit., p. 158.
- 36 EFN, p. 1181.
9Encore faut-il s’entendre sur ce que recoupe cette idée de « vérité » dont les modes d’intellection bougent, alors que s’opère une évolution, dans la seconde moitié du siècle, d’une « nature-vérité aristotélicienne » à une « nature-mouvement héraclitéenne »35. Dans un premier temps, celui des Entretiens sur le Fils naturel, Dorval définit la vérité comme une adéquation entre l’idée et l’objet à travers le simulacre qu’est le tableau – ou, ici, son incarnation par le comédien : « Il n’y a de beautés durables que celles qui sont fondées sur des rapports avec les êtres de la nature. […] Qu’est-ce donc que la vérité ? La conformité de nos jugements avec les êtres. Qu’est-ce que la beauté d’imitation ? La conformité de l’image avec la chose »36.
- 37 A. Becq, Genèse de l’esthétique française moderne. De la Raison classique à l’Imagination créatrice (...)
- 38 R. Trousson, « Diderot lecteur de Platon », dans Revue internationale de philosophie, 148, 1984, p. (...)
- 39 J. Chouillet, L’Esthétique des Lumières, cit., p. 153.
10Or cette vérité n’est pas statique et immédiate, mais le produit d’un processus intellectuel qui mêle l’imagination, la mémoire, la raison et les sens. Annie Becq a montré que le « modèle idéal » peu à peu élaboré par Diderot, distinct de la « belle nature », serait une manière de répondre à la question obsédante du fondement objectif ou subjectif de toute valeur (beauté, bonté, vérité…), et que sa faculté primordiale n’est pas la raison ni même le sentiment, mais l’imagination : « Le Beau idéal, rigoureusement entendu, se situe dans un écart absolu par rapport à la nature, dont il est en fait la négation ; or la faculté porteuse du pouvoir de nier le réel ne peut être que l’imagination »37. Diderot complexifie donc sa définition de la vérité esthétique en introduisant, avec Platon (dont il récupère l’outillage idéaliste de l’équivalence beau-vrai38 pour le subvertir dans une conception matérialiste), une opération de filtre intellectuel de la part de l’artiste afin de parvenir à cette adéquation ou « conformité », qui ne relève pas de la simple copie (mimésis) de la nature. Le beau n’est pas « essentiel » (comme le concevait encore le père André dans son Essai sur le beau en 1741) mais bien relatif, les œuvres manifestant l’esprit des artistes dans l’Histoire. Soit une révolution de paradigme selon Chouillet : « La nature cesse d’être un objet à imiter pour passer au rang de cause productrice dont l’artiste devient le re-producteur, mais au prix d’une effraction et d’un vol »39, et ce alors que l’œuvre requiert un tiers, le spectateur, pour parfaire le processus de signification grâce aux émotions, images ou fantasmes qu’elle suscite.
- 40 Dans l’ample introduction du Salon de 1767, Diderot reprend d’abord la théorie du simulacre de Plat (...)
- 41 Ibid., p. 525.
11Cette perspective esthétique générale concerne aussi le comédien, lecteur expert d’un texte dramatique, dont l’interprétation est informée par la pratique de la scène. Il est intéressant de noter qu’avant l’aboutissement de la réflexion dans le Paradoxe sur le comédien, c’est au sein de la critique d’art des Salons que la définition du « vrai » se précise à travers la notion platonicienne de « fantôme »40, ou « ligne vraie, modèle idéal de beauté qui n’exista nulle part que dans la tête »41 des grands maîtres, tandis que l’acteur anglais David Garrick est posé face à Platon comme l’autre principale source d’inspiration de Diderot, à la faveur d’une extension du propos :
- 42 Ibid., p. 528.
[…] ces principes s’étendent également à l’éloquence, à la poésie et peut-être aux langues. Le célèbre Garrick disait au chevalier de Chastellux : « Quelque sensible que Nature ait pu vous former, si vous ne jouez que d’après vous-même, ou la nature subsistante la plus parfaite que vous connaissiez, vous ne serez que médiocre. – Médiocre ! et pourquoi cela ? – C’est qu’il y a pour vous, pour moi, pour le spectateur tel homme idéal possible qui dans la position donnée, serait bien autrement affecté que vous. Voilà l’être imaginaire que vous devez prendre pour modèle. Plus fortement vous l’aurez conçu, plus vous serez grand, rare, merveilleux et sublime. – Vous n’êtes donc jamais vous ? – Je m’en garde bien. Ni moi, M. le chevalier, ni rien que je connaisse précisément autour de moi. Lorsque je m’arrache les entrailles, lorsque je pousse des cris inhumains, ce ne sont pas mes entrailles, ce ne sont pas mes cris, ce sont les entrailles, ce sont les cris d’un autre que j’ai conçu et qui n’existe pas ». Or il n’y a, mon ami, aucune espèce de poète à qui la leçon de Garrick ne convienne.42
- 43 PC, p. 1384-1386 : « Les larmes du comédien descendent de son cerveau » ; les personnages interprét (...)
12Diderot a ainsi préparé la célèbre définition donnée dans le Paradoxe sur le comédien, dont Garrick est aussi le garant, même si le philosophe se fonde également pour les opposer sur le jeu de tête « parfait » et constant de Mlle Clairon et le jeu d’entrailles « sublime » et inégal de Mlle Dumesnil43. Il découple désormais nettement les notions de nature et de vérité :
- 44 PC, p. 1387.
Réfléchissez un moment sur ce qu’on appelle au théâtre être vrai. Est-ce y montrer les choses comme elles sont dans la nature ? Aucunement. Le vrai en ce sens ne serait que le commun. Qu’est-ce donc que le vrai de la scène ? C’est la conformité des actions, des discours, de la figure, de la voix, du mouvement, du geste, avec un modèle idéal imaginé par le poète, et souvent exagéré par le comédien.44
Du naïf et du primitivisme
- 45 Au sens où Guy de Maupassant écrira dans « Le Roman », préface à Pierre et Jean (1887), que les aut (...)
13L’Antiquité, chez Diderot, est donc un réservoir de modèles d’énergie pour l’intensité du jeu expressif, mais aussi une caution théorique par laquelle le philosophe matérialiste compose sa propre compréhension de la vérité artistique à laquelle doit adhérer le spectateur, amateur d’art ou de théâtre. S’il ne s’agit pas pour Diderot de promouvoir la reprise des sujets mythologiques au théâtre (ce qui reviendrait à cautionner l’artificialité de la tragédie traditionnelle), il convient de « penser l’antique » pour fonder le drame selon une optique réaliste, c’est-à-dire à la fois illusionniste45 et expressive.
- 46 EFN, p. 1144.
- 47 « Ce qui émeut toujours, ce sont des cris, des mots inarticulés, des voix rompues, quelques monosyl (...)
- 48 Ibid., p. 1152-1153. Voir P. Frantz, L’Esthétique du tableau dans le théâtre du XVIIIe siècle, Pari (...)
- 49 Ibid., p. 1152-1153.
- 50 Ibid., p. 1186-1187.
14Idéal esthétique et critère de la Vérité, la Nature telle que Diderot la conçoit associe « le spectacle de l’homme animé de quelque grande passion »46 et l’énergie d’un art brut, telle une langue primitive où la phonè (les cris, borborygmes et murmures47, le chant…) prime le logos. Sur la toile comme sur la scène, la pantomime vise une éloquence du corps qui tire profit non seulement des mouvements expressifs d’actions simultanées, mais aussi du silence des scènes muettes formant un « tableau », une « décoration animée »48. Diderot songe au contraste terrible dans les Euménides entre Oreste réfugié au pied de la statue d’Athéna et les divinités infernales qui le poursuivent dans une scène double, matérialisant l’urgence et le désordre : « Quel moment de terreur et de pitié que celui où l’on entend la prière et les gémissements du malheureux percer à travers les cris et les mouvements effroyables des êtres cruels qui le cherchent ! »49. Si ce brouillage des sons et des sens relève de la « nature », Diderot déplore qu’il ne soit plus en vigueur dans le théâtre émotionnellement appauvri de son temps, fondé sur le primat d’un discours statique, celui de la « déclamation » réglée. Or la parole même peut être éloquente, a fortiori quand elle est chantée et accompagnée d’une orchestration : Diderot imagine l’adaptation en opéra de la tirade de Clytemnestre dans l’acte V, scène 2 de l’Iphigénie de Racine, où la mère « doit arracher de ses entrailles le cri de la nature ; et le musicien le portera à mes oreilles dans toutes ses nuances »50. Un siècle avant Wagner, l’éditeur de l’Encyclopédie esquisse les contours d’un spectacle total qui sollicite tous les sens pour que l’émotion envahisse le spectateur, loin de la torpeur et de la surabondance antithéâtrale de « l’esprit » qu’il trouve dans les œuvres de son temps.
15La nature donne un accès au vrai et au bien, subsumés dans la notion de « naïf » que Diderot (re)définit dans les Pensées détachées sur la peinture, la sculpture, l’architecture et la poésie, pour servir de suite aux Salons (dont l’assemblage fait partie de ses œuvres les plus tardives, le tout ayant été revu en 1781) :
- 51 D. Diderot, Pensées détachées sur la peinture, dans OET, p. 1051.
Pour dire ce que je sens, il faut que je fasse un mot, ou du moins que j’étende l’acception d’un mot déjà fait : c’est naïf. Outre la simplicité qu’il exprimait, il y faut joindre l’innocence, la vérité et l’originalité d’une enfance heureuse qui n’a point été contrainte ; et alors le naïf sera essentiel à toute production des beaux-arts ; le naïf discernera dans tous les points d’une toile de Raphaël ; le naïf sera tout voisin du sublime ; le naïf se retrouvera dans tout ce qui sera très beau ; dans une attitude, dans un mouvement, dans une draperie, dans une expression. C’est la chose, mais la chose pure, sans la moindre altération. L’art n’y est plus.
Tout ce qui est vrai n’est pas naïf, mais tout ce qui est naïf est vrai, mais d’une vérité piquante, originale et rare. […] Sans naïveté, point de vraie beauté.51
- 52 A. Chénier, Essai sur les causes et les effets de la perfection et de la décadence des Lettres et d (...)
- 53 Ibid., p. 681.
- 54 D. Diderot, Essais sur la peinture pour faire suite au Salon de 1765, dans OET, p. 504.
- 55 EFN, p. 1166-1167.
16Dans l’Essai sur les causes et les effets de la perfection et de la décadence des Lettres et des Arts d’André Chénier figure la même association de la (supposée) pureté antique et de l’idéal de naïveté : « Les anciens étaient nus… leur âme était nue… Pour nous, c’est tout le contraire… Dès l’enfance, nous emmaillotons notre esprit ; nous retenons notre imagination par des lisières »52. La tâche consiste alors pour l’artiste à se dégager des oripeaux de l’artifice : « il faut être vrai avec force et précision, c’est-à-dire être naïf. […] la naïveté est le point de perfection de tous les arts et de chaque genre dans tous les arts »53. Cet idéal du « naïf » était annoncé par Diderot dès 1765 à travers le nu sur les toiles, associé aux temps anciens : « […] en faisant nu on éloigne la scène, on rappelle un âge plus innocent et plus simple, des mœurs plus sauvages, plus analogues aux arts d’imitation. C’est qu’on est mécontent du temps présent, et que ce retour vers les temps antiques ne nous déplaît pas »54. L’on comprend mieux pourquoi, dans le « Troisième Entretien » sur Le Fils naturel, Diderot compare l’auteur aspirant au genre sérieux (celui du « drame bourgeois ») à l’apprenti peintre : « […] qu’on ressente toujours le nu sous la draperie […] ; qu’il jette sur son personnage un manteau royal ou une robe de palais, mais que l’homme ne disparaisse jamais sous le vêtement »55.
- 56 Voir D. Fletcher, « Primitivisme et peinture dans les théories dramatiques de Diderot », dans A.-M. (...)
- 57 Si « Les Adieux du vieillard » font résonner l’éloge d’une vie conforme à la nature et une véhément (...)
- 58 Notamment celui de l’acte II, scène 5, saturé de cris, de silences, d’aposiopèses, et marqué par l’ (...)
- 59 Ibid., p. 1126 : « La représentation en avait été si vraie qu’oubliant en plusieurs endroits que j’ (...)
- 60 Ibid., p. 1127.
17De l’idée à la réalisation, la marche peut sembler grande. Avec Diderot s’affirme ce que l’on pourrait appeler un primitivisme esthétique56, qui serait le pendant du primitivisme anthropologique et moral exposé en 1772 dans le Supplément au voyage de Bougainville où la parole est donnée aux Tahitiens… Or l’œuvre présente des discours contradictoires qui minent in fine l’idéalisation de la nouvelle Cythère57. De même, dans le cas du théâtre comme de la peinture, ce primitivisme se fonde sur la notion de naïveté, on l’a vu, mais celle-ci servira à exprimer, dans le genre sérieux, le tableau des « conditions » archétypales de la société. L’antique, exotisme temporel, comme l’exotisme géographique du voyage aux îles lointaines, permet ainsi un détour heuristique pour revenir enrichi vers le contemporain. Dans Le Fils naturel, Diderot a d’une certaine façon transposé les vagissements douloureux et amers de Philoctète devant son antre en façonnant un langage expressif qui, notamment par la mise à nu pathétique dans les monologues de Dorval58, tend à rapprocher (jusqu’à confondre ?) le personnage et le spectateur pour l’émouvoir au cœur. Le dénouement de la pièce, suspendu par le coup de l’émotion collective des acteurs, abolit le quatrième mur59, alors que la lecture de la scène finale par le narrateur dans « l’ombre d’un cabinet » s’avère déceptive en ce qu’il y manque « l’impression que le spectacle de la nature et de Dorval y faisaient »60. Nature et vérité sont de nouveau réunies pour qualifier l’effet théâtral et la justesse du jeu des comédiens, au point de confondre réalité et fiction par l’illusion du vrai.
- 61 G. Legouvé, La Mort d’Abel, éd. P. Perazzolo, Londres, MHRA, « Critical Textes », 2016, p. 63-64.
- 62 Je ne mentionne cet exemple qu’en point de fuite de la présente réflexion. Voir l’introduction et l (...)
18À un autre niveau thématique – celui de la fable –, le primitivisme a pu tenter des auteurs comme Gabriel Legouvé, lorsque, dans sa tragédie créée en 1792, il s’attelle au sujet de La Mort d’Abel adapté du poème épique de Gessner Der Tod Abels (1758). La préface met l’accent sur « la peinture de la touchante simplicité de la nature primitive », la « franchise des mœurs pastorales » et les « mouvements plus vrais de la nature première », « cette illusion antique où la poésie aime à s’égarer, où, remontant le cours des âges, elle paraît enveloppée de leur auguste obscurité comme d’un nuage religieux, d’où sa voix semble sortir plus éloquente et plus majestueuse »61. La tragédie biblique aboutit ici, par la recherche de l’effet et de l’énergie prônés par Diderot, aux portes du romantisme et du sublime, débordant le « néoclassicisme » de maintes pièces contemporaines62.
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- 63 Voir par exemple M.-J. Chénier, « Épître dédicatoire à la nation française », dans Id., Charles IX (...)
- 64 R. Trousson, « Diderot et la leçon du théâtre antique », cit., p. 481.
- 65 F.-J. Talma, op. cit., p. 37.
19Au terme de cette promenade effectuée avec Diderot pour guide, il apparaît que l’idéal dramatique du naturel suppose un nouveau pacte esthétique dépouillé des conventions de la dramaturgie classique que Diderot fonde sur la matière antique, souvent mythifiée pour son potentiel esthétique et politique, et que la Révolution française renouera avec le rêve démocratique et civique du théâtre conçu comme « école du peuple »63. Diderot s’en inspire aussi pour concevoir un spectacle grandiose, véritablement dynamique grâce à l’énergie de tableaux frappant l’imagination et les sens du public : Raymond Trousson allait jusqu’à déceler « chez lui une préfiguration du théâtre-peste dont Antonin Artaud explicitera le mécanisme »64. Loin de se réduire à une thématique primitiviste célébrant le « bon sauvage », absent de son œuvre théâtrale, le « naturel » correspond à un idéal de justesse et de profondeur du jeu, dont le spectateur juge la qualité à l’aune de l’effet produit. Les grands comédiens comme Talma aspirent ainsi à un jeu naturel, entraînant une réforme du costume, de la déclamation et de la pantomime : « Les acteurs doivent sans cesse se proposer la nature pour modèle ; elle doit être l’objet constant de leurs études »65. Reste que cette notion labile se prête à de multiples significations, comme le rappelait Martine de Rougemont :
- 66 M. de Rougemont, La Vie théâtrale en France au XVIIIe siècle, Paris, Champion, 1988, p. 125.
Le mot de naturel, comme celui de réalisme, porte sur lui tant d’hypothèses que l’on ne peut s’en servir qu’en précisant quel sens on lui donne provisoirement. Quand il s’agit du jeu au XVIIIe siècle, on appellera naturels une diction et des mouvements qui se rapprochent – en tenant compte des contraintes de la scène – de la diction et des mouvements pratiqués hors de la scène. Et en même temps on désignera par ce mot une option de l’acteur en faveur du personnage et non pas du public. […] On appellera donc naturel l’acteur qui paraîtra s’identifier à son personnage et oublier qu’il joue une pièce de théâtre.66
- 67 « La nature ! s’écrie-t-on sans cesse, n’écoutez, ne suivez que la nature… Car c’est le refrain ord (...)
- 68 A. Becq, op. cit., p. 550.
20Cette plasticité de la notion ne doit pas servir à la disqualifier, nonobstant les agacements exprimés dès le XVIIIe siècle par des critiques comme Servandoni d’Hannetaire67. Elle constitue précisément une richesse, selon trois orientations résumées par Annie Becq, qu’il s’agisse de « remonter, en deçà des préjugés, aux grands principes rationnels », de « trouver une simplicité native, dont la portée morale, voire mystique, est évidente », ou de « remonter à la source vive, non seulement de la lumière mais de l’énergie »68. La nature de Diderot oscille selon les usages et les moments entre ces différentes voies au service d’une authentique « régénération » des arts. Son primitivisme esthétique est donc pleinement noué dans une tension entre Nature et Culture, comme l’a bien souligné Dennis Fletcher, qui se traduit par le primat théorique de la passion sur la vertu, bien que le culte de la vertu domestique soit au cœur des drames de Diderot, Sedaine ou Mercier :
- 69 D. Fletcher, op. cit., p. 466.
Dans ses théories dramatiques, ce tiraillement intérieur se fait voir, sous une de ses formes, comme l’opposition entre primitivisme et peinture. Dans ce contexte, qui dit peinture, dit tableau dramatique et édifiant ; qui dit primitivisme, dit toutes ces forces naturelles et subversives qui tendent à saper les fondements de toute prédication.69
- 70 Voir É. Pavy-Guilbert, L’Image et la langue, Diderot à l’épreuve du langage dans les Salons, Paris, (...)
21Cette quête de la nature idéale, simultanément nourrie par le primitivisme et la culture (avec ses modèles de mauvais goût comme de génie), pose la question épineuse de la langue adéquate pour dire et produire un effet de vérité (alethéia) pour le lecteur ou pour le spectateur70. Diderot y consacre la fin de son essai Sur Térence (1765), interrogeant le seuil de l’indicible dans les traductions des chefs-d’œuvre en langue étrangère de quelque époque ou nationalité que ce soit. La matérialité des mots, leur « énergie » est condition du plaisir de lecture mais aussi de la formation de notre « pâte » existentielle, et Diderot de chanter la soif de culture à même de garantir notre humanité :
- 71 D. Diderot, Sur Térence, dans OET, p. 1363.
Pour nous, qui nous sommes trouvés de chair au sortir de leurs mains, nous continuerons de penser que les morceaux d’Homère, de Virgile, d’Horace, de Térence, de Cicéron, de Démosthène, de Racine, de Voltaire, qu’il serait peut-être impossible de faire passer de leur langue dans une autre, n’en sont pas les moins précieux, et loin de nous laisser dégoûter par une opinion barbare de l’étude des langues tant anciennes que modernes, nous les regarderons comme des sources de sensations délicieuses que notre paresse et notre ignorance nous fermeraient à jamais.71
Notes
1 Voir en particulier C. Grell, Le Dix-huitième siècle et l’Antiquité en France, 1680-1789, Oxford, The Voltaire Foundation, 1995, 2 vol.
2 M. Fazio, P. Frantz et V. De Santis (dir.), Les Arts du spectacle et la référence antique dans le théâtre européen (1760-1830), Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2018.
3 J. Seznec, « L’invention de l’Antiquité », dans T. Besterman (dir.), Transactions of the Fourth International Congress on the Enlightenment, Oxford, The Voltaire Foundation, « SVEC », 1976, t. V, p. 2033-2047, p. 2034. Voir plus largement son étude, Id., Essais sur Diderot et l’antiquité, Oxford, Clarendon Press, 1957.
4 J. Ehrard, L’Idée de nature en France dans la première moitié du XVIIIe siècle [1963], Paris, Albin Michel, 1994.
5 Voir M. Delon, R. Mauzi et S. Menant, « Régénération et palingénésie », dans Id., De l’Encyclopédie aux Méditations (1750-1820) [1984], Paris, Flammarion, « Histoire de la littérature française », 1998, p. 79-106.
6 Voir L. Marie, « “Juger le procès entre la tragédie de Londres et la tragédie de Paris” : Shakespeare contre le modèle tragique français », dans É. Angel-Pérez et F. Lecercle (dir.), La Haine de Shakespeare, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2017, p. 67-82.
7 Voir V. de Senarclens, « L’exception de la tragédie antique grecque dans la Lettre à d’Alembert sur les spectacles de 1758 », dans C. Martin, J. Berchtold et Y. Séité (dir.), Rousseau et le spectacle, Paris, Armand Colin, 2014, p. 43-56.
8 J. Chouillet, L’Esthétique des Lumières, Paris, Presses universitaires de France, 1974, p. 204.
9 R. Trousson, « Le théâtre tragique grec au siècle des Lumières », dans T. Besterman, op. cit., p. 2113-2136, p. 2126.
10 Ibid., p. 2124.
11 J. Chouillet, L’Esthétique des Lumières, cit., p. 129.
12 R. Trousson, « Diderot et la leçon du théâtre antique », dans A.-M. Chouillet (dir.), Colloque international Diderot (1713-1784), Paris, Amateurs de Livres, 1985, p. 479-492, p. 482. Voir aussi D. M. Nicolosi, La Tragédie française du XVIIIe siècle et le mythe grec, thèse de Littérature française sous la dir. de P. Frantz et G. Iotti, Sorbonne Université/Université de Pise, 2020, en particulier p. 230-243.
13 D. Diderot, Entretiens sur le Fils naturel (dorénavant EFN), dans Id., Œuvres, éd. L. Versini, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1996, t. IV, « Esthétique-Théâtre », p. 1155 (dorénavant OET).
14 Ibid., p. 1155-1156.
15 Ibid., p. 1137-1138. Sur la représentation de la souffrance, voir C. Filippe, « Enjeux politiques du corps souffrant dans les poétiques dramatiques de Diderot et de Mercier », dans Fabula-LhT, 31, 2024, URL : http://www.fabula.org/lht/31/filippe.html.
16 Ibid., p. 1152, ainsi qu’Id., Paradoxe sur le comédien (dorénavant PC), dans OET, p. 1404 : « Eschyle, Sophocle, Euripide, ne veillaient pas des années entières pour ne produire que de ces petites impressions passagères qui se dissipent dans la gaieté d’un souper. Ils voulaient profondément attrister sur le sort des malheureux ; ils voulaient, non pas amuser seulement leurs concitoyens, mais les rendre meilleurs ».
17 EFN, p. 1156.
18 Voir sur ce point les articles de M. Saint Martin, « “Venger Sophocle”. De Crébillon à Diderot, un siècle d’imitation de l’Antique », dans M. Fazio, P. Frantz et V. De Santis (dir.), op. cit., p. 83-95, et Ead., « “La Vérité ! la Nature ! les Anciens ! Sophocle ! Philoctète !”. Diderot et l’Antiquité, l’invention d’une modernité à l’antique », dans A. Lehmann (dir.), Diderot et l’Antiquité, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 243-260.
19 EFN, p. 1142.
20 « Dorval » et « Moi » sont des projections de la pensée de Diderot, un dédoublement factice. Robert Niklaus observe que dans ses œuvres, « le dialogue tel que Diderot l’a conçu est à base de dédoublement ou, pour employer le mot dont il se sert, d’aliénation », R. Niklaus, « Réflexion sur la philosophie de Diderot », dans Revue internationale de philosophie, 148, 1984, p. 24-34, p. 29.
21 D. Diderot, Discours sur la poésie dramatique (dorénavant DPD), dans OET, p. 1304.
22 Diderot résume les effets dans les compositions des Anciens : « Une conduite simple, une action prise le plus près de sa fin, pour que tout fût dans l’extrême ; une catastrophe sans cesse imminente et toujours éloignée par une circonstance simple et vraie ; des discours énergiques ; des passions fortes ; des tableaux ; un ou deux caractères fermement dessinés ; voilà tout leur appareil. Il n’en fallait pas davantage à Sophocle pour renverser les esprits. Celui à qui la lecture des Anciens a déplu, ne saura jamais combien notre Racine doit au vieil Homère », ibid., p. 1285-1286.
23 Ibid., p. 1331.
24 Ibidem.
25 Ibid., p. 1282.
26 Ibid., p. 1331.
27 F.-J. Talma, Réflexions sur Lekain et sur l’art théâtral, éd. P. Frantz, Paris, Desjonquères, 2002, p. 26.
28 D. Diderot, Salon de 1759, dans OET, p. 194.
29 Id., Salon de 1761, dans OET, p. 205.
30 Id., Salon de 1765, dans OET, p. 309-310.
31 Id., Salon de 1759, dans OET, p. 197.
32 Id., Salon de 1763, dans OET, p. 264-265.
33 DPD, ch. XX, « Des vêtements », p. 1335. Devant ce goût pour le clinquant et le faste, Diderot cite l’exclamation de Platon dans le Timée : « Ô Athéniens, vous êtes des enfants ! ».
34 Ibid., p. 1335-1336.
35 J. Chouillet, L’Esthétique des Lumières, cit., p. 158.
36 EFN, p. 1181.
37 A. Becq, Genèse de l’esthétique française moderne. De la Raison classique à l’Imagination créatrice, 1680-1814 [1982], Paris, Albin Michel, 1994, p. 586.
38 R. Trousson, « Diderot lecteur de Platon », dans Revue internationale de philosophie, 148, 1984, p. 79-90.
39 J. Chouillet, L’Esthétique des Lumières, cit., p. 153.
40 Dans l’ample introduction du Salon de 1767, Diderot reprend d’abord la théorie du simulacre de Platon, citant en grec une expression de La République (598B) distinguant « phantasmatos » et « alethéia », le fantôme et la vérité, D. Diderot, Salon de 1767, dans OET, p. 522.
41 Ibid., p. 525.
42 Ibid., p. 528.
43 PC, p. 1384-1386 : « Les larmes du comédien descendent de son cerveau » ; les personnages interprétés sont « les fantômes imaginaires de la poésie ». Voir S. Chaouche, La Philosophie de l’Acteur. La dialectique de l’intérieur et de l’extérieur dans les écrits sur l’art théâtral français (1738-1801), Paris, Champion, 2007, ainsi que L. Marie, Inventer l’acteur. Émotions et spectacle dans l’Europe des Lumières, Paris, Sorbonne Université Presses, « Theatrum mundi », 2019, ch. VI, « Le vrai et l’imagination », p. 303-353.
44 PC, p. 1387.
45 Au sens où Guy de Maupassant écrira dans « Le Roman », préface à Pierre et Jean (1887), que les auteurs réalistes de talent devraient plutôt être appelés des « illusionnistes ».
46 EFN, p. 1144.
47 « Ce qui émeut toujours, ce sont des cris, des mots inarticulés, des voix rompues, quelques monosyllabes qui s’échappent par intervalles, je ne sais quel murmure dans la gorge, entre les dents », ibidem.
48 Ibid., p. 1152-1153. Voir P. Frantz, L’Esthétique du tableau dans le théâtre du XVIIIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1998.
49 Ibid., p. 1152-1153.
50 Ibid., p. 1186-1187.
51 D. Diderot, Pensées détachées sur la peinture, dans OET, p. 1051.
52 A. Chénier, Essai sur les causes et les effets de la perfection et de la décadence des Lettres et des Arts, éd. G. Walter, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1958, p. 645.
53 Ibid., p. 681.
54 D. Diderot, Essais sur la peinture pour faire suite au Salon de 1765, dans OET, p. 504.
55 EFN, p. 1166-1167.
56 Voir D. Fletcher, « Primitivisme et peinture dans les théories dramatiques de Diderot », dans A.-M. Chouillet (dir.), Colloque international Diderot (1713-1784), cit., p. 457-467.
57 Si « Les Adieux du vieillard » font résonner l’éloge d’une vie conforme à la nature et une véhémente critique de l’Occident corrupteur, le chapitre suivant, « L’entretien de l’aumônier et d’Orou », évoque en contrepoint les soubassements eugénistes, utilitaristes voire dirigistes de la société tahitienne, qui démystifient cet Éden. Voir M. Mat, « Le Supplément au voyage de Bougainville : une aporie polyphonique », dans Revue internationale de philosophie, 148, 1984, p. 158-170, et K. E. Tunstall, « Sexe, mensonges et colonies : les discours de l’amour dans le Supplément au Voyage de Bougainville », dans Littératures classiques, LXIX, 2, 2009, p. 15-34.
58 Notamment celui de l’acte II, scène 5, saturé de cris, de silences, d’aposiopèses, et marqué par l’inflation des didascalies, ainsi qu’à l’acte III, scène 9. Voir D. Diderot, Le Fils naturel, dans OET, p. 1095-1096 et p. 1107-1108.
59 Ibid., p. 1126 : « La représentation en avait été si vraie qu’oubliant en plusieurs endroits que j’étais spectateur, et spectateur ignoré, j’avais été sur le point de sortir de ma place, et d’ajouter un personnage réel à la scène ».
60 Ibid., p. 1127.
61 G. Legouvé, La Mort d’Abel, éd. P. Perazzolo, Londres, MHRA, « Critical Textes », 2016, p. 63-64.
62 Je ne mentionne cet exemple qu’en point de fuite de la présente réflexion. Voir l’introduction et les annexes très riches retenues par Paola Perazzolo dans son édition.
63 Voir par exemple M.-J. Chénier, « Épître dédicatoire à la nation française », dans Id., Charles IX ou l’École des rois, éd. G. Ambrus et F. Jacob, Paris, Flammarion, « GF », 2002, p. 65-68.
64 R. Trousson, « Diderot et la leçon du théâtre antique », cit., p. 481.
65 F.-J. Talma, op. cit., p. 37.
66 M. de Rougemont, La Vie théâtrale en France au XVIIIe siècle, Paris, Champion, 1988, p. 125.
67 « La nature ! s’écrie-t-on sans cesse, n’écoutez, ne suivez que la nature… Car c’est le refrain ordinaire qu’on semble répéter par écho, la nature !... Mais vraiment c’est ne rien dire ; on ne doute point qu’il ne faille suivre la nature, puisqu’elle est le principe général de tous les arts. Dites plutôt comment il faut s’y prendre pour la suivre, indiquez-en les vrais moyens, et cela vaudra mieux qu’un précepte vague, qui ne signifie presque rien », L. Servandoni dit d’Hannetaire, Observations sur l’art du comédien [1774], dans S. Chaouche, op. cit., p. 302.
68 A. Becq, op. cit., p. 550.
69 D. Fletcher, op. cit., p. 466.
70 Voir É. Pavy-Guilbert, L’Image et la langue, Diderot à l’épreuve du langage dans les Salons, Paris, Classiques Garnier, 2014.
71 D. Diderot, Sur Térence, dans OET, p. 1363.
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Référence électronique
Thibaut Julian, « Le primitivisme dramatique de Diderot, un jeu de l’imagination entre nature et culture », Revue italienne d’études françaises [En ligne], 14 | 2024, mis en ligne le 15 novembre 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/13300 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12oz3
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