Peut-on parler d’un théâtre « néoclassique » au XVIIIe siècle ?
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- 1 L. Bertrand, La Fin du classicisme et le retour à l’antique, Paris, Hachette, 1897, p. VIII : « Dan (...)
- 2 R. Trousson, « Le Théâtre tragique grec au siècle des Lumières », dans T. Besterman, Transaction of (...)
1Après la Querelle des Anciens et des Modernes, on a cru parfois pouvoir analyser la présence de l’Antiquité dans les œuvres littéraires du XVIIIe siècle français et, en particulier, la récurrence des sujets antiques dans le théâtre, comme un « retour aux Anciens ». Dès ses premières formulations, cette hypothèse critique a été accompagnée de plusieurs corollaires négatifs, ce « retour » étant envisagé comme un repliement impuissant, une décadence du monde littéraire1, plutôt que comme une redécouverte ou une refonctionnalisation du patrimoine culturel et d’images hérités du monde grec et romain. La reprise de modèles ou de sujets anciens est réduite à un simple phénomène de mode contemporain aux découvertes d’Herculanum et Pompéi, en lien avec un préjugé pluriséculaire qui dévalorise la production théâtrale du XVIIIe siècle, considérée comme la reproduction maniériste des fastes du siècle précédent ou un instrument de propagande philosophique. Tout théâtre d’inspiration antique, dans ses sujets comme dans ses fondements théoriques, ne serait fondé que sur une profonde méconnaissance du monde ancien2, et seul le théâtre du Grand Siècle aurait été réellement capable d’une vraie réappropriation de l’antique et d’une innovation poétique.
- 3 Voir G. Iotti, Virtù e identità nella tragedia di Voltaire, Paris, Honoré Champion, 1995 ; J. Brill (...)
2Fort heureusement, la revalorisation récente de la production théâtrale du siècle des Lumières a ébranlé ce dogme critique, dévoilant, derrière les tentatives de récupération du monde classique, un désir profond de renouvellement, esthétique, moral et idéologique3 : dès lors, ne pourrait-on pas mettre cette présence insistante de l’Antiquité en relation avec un renouveau « moderne » sur la scène, et dans la littérature, l’inscrire dans le sillage de ce qu’on observe parallèlement dans l’histoire des arts ? Est-il possible d’imaginer que la mise en scène des fables grecques et des histoires romaines soit moins un hommage vide à des sujets usés qu’une manière de « dire autre », de véhiculer de nouveaux messages autrement indicibles, de donner forme à des conflits et à des thèmes latents qui trouvent dans les exempla antiques une manière adéquate, évidente, pour être exprimés ?
- 4 Voltaire, Lettre à Nicolas Claude Thieriot, 2 février 1736, dans Id., Correspondance, éd. Th. Beste (...)
- 5 Id., Lettre à Nicolas Claude Thieriot, 25 [décembre 1735], ibid., (D971), p. 684. C’est nous qui so (...)
- 6 Id., Lettre à Nicolas Claude Thieriot, 2 février 1736, ibid., (D999), p. 712.
3Lorsqu’en février 1736, Voltaire impose sur la scène française une tragédie exotique d’un genre nouveau à la suite de l’immense succès public de sa pièce Alzire ou les Américains, avec un sujet de totale invention, une action et des héros situés à l’époque moderne, dans une aire géographique largement inédite dans le théâtre sérieux, il est d’abord salué pour le caractère « moderne » de son théâtre, pour sa nouveauté et sa hardiesse. Voltaire rompt brutalement avec une tradition théâtrale, celle des doctes du Grand Siècle ; il se détourne tout autant de sa première manière, au temps de ses débuts au théâtre, marqués encore par l’influence de Racine (Œdipe, 1718 ; Mariamne, 1725 ; Ériphyle, 1732). Cependant, au moment même où il s’apprête à renouveler son coup de maître et à innover une nouvelle fois – par l’obtention d’un privilège pour faire jouer sa Mort de César, première adaptation en France d’une pièce de Shakespeare –, ses intentions se tournent déjà vers un autre projet qui trompe encore l’attente de son public et de la critique : « En un mot je vous conjure de me laisser faire de l’opéra de Samson, une tragédie dans le goût de l’Antiquité »4. Quelques jours avant, dans une autre lettre, il noue précisément ce lien entre antique et nouveauté, que tout semble pourtant opposer : « Je veux que Samson soit dans un goût nouveau, rien qu’une scène de récitatif à chaque acte, point de confident, point de verbiage »5. Il est clair que, pour Voltaire, l’Antiquité offre au théâtre une forme évidente de modernité à explorer. Samson, si radical dans la forme qu’il propose, innove tout autant que les héros tragiques « américains » ou ceux du barde de Stratford. L’Antiquité sur la scène s’inscrit pour le dramaturge philosophe dans la suite logique et immédiate d’un renouveau esthétique, sans incohérence dramaturgique forte ni rupture dans le processus d’invention : « J’ai travaillé à Samson dès que j’ai su que nous avions gagné la bataille au Pérou [i.e. Alzire] […] »6. L’antique offre même la possibilité d’expérimenter du nouveau par la redécouverte de principes très anciens dont la reformulation, à travers des œuvres nouvelles, s’écarte naturellement des routes tracées et trop empruntées :
- 7 Ibidem. Pour plus de précisions sur la conception de la pièce, voir l’édition critique de Samson pa (...)
J’ai examiné la chose très mûrement. Je ne veux point donner dans les lieux communs. Samson n’est point un sujet susceptible d’une amour ordinaire. Plus on est accoutumé à ces intrigues qui sont toutes les mêmes sous des noms différents, plus je veux les éviter.7
- 8 Voir P. Leclerc, Voltaire and Crébillon père, history of an enmity, Oxford, The Voltaire Foundation (...)
- 9 Voltaire, Lettre à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental, [15 January 1750], dans Id., Correspo (...)
- 10 Voir Voltaire, Oreste, éd. D. H. Jory, dans Id., Les Œuvres complètes de Voltaire, Oxford, The Volt (...)
- 11 Ibid., (IV, 5), p. 487 : « Oreste : Le ciel menace en vain, la nature l’emporte / Un dieu me retena (...)
- 12 J. Starobinski, Le Remède dans le mal, Paris, Gallimard, 1989, p. 55 : « L’effritement du sacré ins (...)
- 13 Voltaire, Oreste, cit., (IV, 6), p. 489 : « Oreste : Si le ciel veut se faire obéir, / Qu’il me don (...)
- 14 Ibid., (V, 9), p. 515 : « Oreste : Dieux qui me punissez, qui m’avez fait coupable, / Eh bien, quel (...)
4De même, lorsqu’en 1750 Voltaire donne son Oreste, tragédie que la critique littéraire a souvent analysée en fonction de la célèbre rivalité de l’auteur avec Crébillon père8, nous savons qu’elle fut mal « digérée » par le public parisien9, en raison probablement de son audace thématique – le sujet matricide étant problématique à l’époque – et dramatique – les cris de Clytemnestre, entendus sur scène, renvoyant sur le plateau à l’horreur du meurtre que la dramaturgie classique tendait à reléguer dans les coulisses10. Il serait facile alors de s’arrêter à ce prétendu fiasco, et d’y voir la preuve d’une récupération impossible de l’antique par des auteurs et un public incapable d’en saisir la dimension tragique intrinsèque. Et pourtant, si l’on entre dans le texte voltairien, on retrouve mis en forme, à travers l’un des mythes fondateurs et parmi les plus populaires de la culture occidentale, tous les questionnements profonds de l’époque des Lumières. Cet Agamemnon qui, via les injonctions divines, semble pourchasser ses enfants, en niant leur réunion « naturelle » et vertueuse11, et qui les pousse au matricide, ne raconte-t-il pas aussi, sous le masque du mythe, la complexité de toute rébellion à l’encontre des Pères révérés et aimées ? N’illustre-t-il pas, mutatis mutandis, tout affranchissement d’une tradition de pensée et de valeur, d’une vision du monde qu’on perçoit comme oppressante et obscure mais dont la disparition ouvre à l’inconnu d’une refondation critique12 ? Quelles sont les prérogatives et les limites de cette nature qu’Oreste oppose aux volontés divines13 ? Et qui sont ces « dieux » contre lesquels le protagoniste crie dans ses dernières hallucinations, dieux « moins cruels » qu’il ira chercher en Tauride14 ? Tous les thèmes qui vont hanter la pensée de Voltaire dès les années 1750 (et de bien des contemporains au fil des décennies), du Poème sur le désastre de Lisbonne à Candide, sont déjà dans cette tragédie qui, en exploitant la fécondité de la matière mythique, transforme en images denses et puissantes les problématiques critiques et existentielles les plus profondes de la période.
- 15 Voir J.-Ph. Chimot, « Néoclassicisme », dans M. Delon (dir.), Dictionnaire européen des Lumières, P (...)
- 16 Voir M. Delon, « Existe-t-il un néoclassicisme en littérature ? », dans J. Dagen et Ph. Roger (dir. (...)
5Bien qu’ici brièvement mentionnés, ces deux exemples voltairiens montrent à l’évidence que la récupération de l’antique ne fit pas l’économie d’une recherche de conceptualisation et de fondation d’une Antiquité nouvelle, annonciatrice de ce que les historiens de l’art nommeront plus tard le néoclassicisme. Car le terme de « néo-classique » et le concept de néoclassicisme n’apparaissent respectivement dans les ouvrages d’histoire de l’art qu’en 1861 et en 1928 pour le qualifier15. Rejet du style rococo pour les uns, si évidemment associé au règne de Louis XV qui s’est étendu dans toute l’Europe du Siècle des Lumières – en architecture et dans tous les arts imitatifs, en peinture, en sculpture –, sentiments antifrançais pour les autres, principalement dans les pays anglosaxons et réformés qui rejettent l’extravagance ornementale du rocaille pour promouvoir le retour à la simplicité, le néoclassicisme propose, sous une certaine unité reconnaissable, une diversité de formes. Face à l’ampleur du phénomène et des domaines où il a pu être observé, Michel Delon a montré que « comme le baroque ou le rococo, le néoclassicisme est enfin une catégorie conçue par les historiens d’art et importée ensuite par les historiens de la littérature »16, ce qui l’a conduit à poser la question : « Existe-t-il un néoclassicisme en littérature ? ». Constatant par exemple que la Révolution et l’Empire multiplient les tragédies et les épopées en alexandrins, il souligne l’équilibre nouveau qui se met en place « entre l’invention et la fidélité, entre le refus des normes académiques et le respect d’une tradition plus ancienne » et conclut :
- 17 M. Delon, « Existe-t-il un néoclassicisme en littérature ? », cit., p. 321.
À l’idée d’une nature qui pourrait être atteinte à travers les modèles anciens et les préceptes de l’École se substitue une nature qui ne peut plus se confondre avec une providence quelconque ni un tranquille conformisme social ni une doctrine scolaire. La norme antique se diversifie en réalités historiques et archéologiques, bien distinctes les unes des autres. Rendues à elles-mêmes, les tragédies de Sophocle et d’Euripide apparaissent plus proches de Shakespeare que de Racine. Elles montrent une violence qui bouleverse les bienséances, des disparates qui ruinent toute volonté de poétique réductrice. L’imitation de la nature ne peut plus se résumer à une imitation des Anciens, assimilés à un modèle unique. […] La fidélité ne va pas sans renouvellement.17
- 18 A. Chénier, « L’Invention », dans Id., Œuvres complètes, éd. G. Walter, Paris, Gallimard, « Bibliot (...)
- 19 « La catégorie de néoclassicisme ne permet pas de découper une tranche séculaire de la littérature (...)
6La volonté des jeunes poètes, traduite dans le vers célèbre de « L’Invention » d’André Chénier (« Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques »18) a conduit à des expérimentations libres, des fusions ou des juxtapositions, des réussites, des échecs, des inachèvements. L’inventivité et la diversité remarquables qui se dégagent de toutes les productions artistiques, composées autant de textes théoriques que de fictions, leurs significations, les problématiques qu’ils soulèvent, les événements publics qui les accompagnent, sont loin d’avoir été tous analysés. Il convient donc de poursuivre l’enquête, de comprendre les formes de ce retour, ou de ce renouveau, en se focalisant ici sur le théâtre, tout en ouvrant des perspectives et en élargissant la chronologie, entre la publication du Théâtre des Grecs du père Brumoy en 1730, et le Génie du Christianisme en 1802, entre le style rococo et la sévérité du théâtre impérial19. L’invention par Diderot d’une Antiquité « primitive », l’esthétisme inspiré de Winckelmann ou de David, l’intérêt porté à d’autres civilisations antiques (égyptienne, assyrienne, chinoise…), les méditations politiques de Voltaire, de Chénier ou du citoyen Arnault, le renouvellement des décors et des costumes « historiques » à la suite de la Réforme du théâtre de 1759 et, plus en général, le rapport subtil, ni exclusion réciproque ni transposition directe, entre les évolutions politiques et socio-culturelles de l’époque et cette dramaturgie d’inspiration antique, sont autant de voies qui ont permis de problématiser les questions posées par l’apparition d’une Antiquité « rococo » ou « moderne », ou encore par la concomitance entre la naissance du « classicisme » canonique et celle du premier romantisme.
7C’est l’ambition de ce dossier, qui réunit des travaux variés et approfondis autour de la question d’une Antiquité nouvelle sur les scènes de spectacle du XVIIIe siècle. L’occasion en a été donnée dans le cadre de deux sessions de communications lors du Congrès des Lumières de la Société internationale d’étude du XVIIIe siècle (SIEDS) qui s’est tenu à Rome en juillet 2023.
Une Antiquité « moderne » ?
8Le retour à l’antique ne signifie pas forcément la répétition d’une pratique antérieure par réaction à l’instant présent ou par respect fidèle et scrupuleux au goût des Anciens. Bien au contraire, il est porteur de renaissance mais dans l’esprit d’un renouveau, d’un réveil, d’une progression. Si pendant plusieurs décennies, l’antique s’est imposé de manière diffuse et transversale dans tous les champs artistiques, c’est parce qu’il a été capable, grâce à ses formes et ses modèles, de traduire en styles et images connues, et donc maîtrisées et familières, les désirs et les aspirations au renouvellement de l’époque sur un plan esthétique, politique et moral.
- 20 A. Pajou, Madame du Barry, 1773, Département des Sculptures du Moyen Age, de la Renaissance et des (...)
9À titre d’exemple, autour de 1770, le sculpteur Augustin Pajou, portraitiste attitré de Madame du Barry, a modelé un buste de sa commanditaire, aujourd’hui exposé au Louvre20, dans un style qui établit avec finesse la charnière entre les deux moitiés du siècle en échappant précisément, comme le rappelle l’historienne de l’art Geneviève Bresc-Bautier,
- 21 G. Bresc-Bautier, Sculpture française – XVIIIe siècle, Paris, éditions de la Réunion des Musées Nat (...)
à la complication du rocaille, à la grandeur créée par l’artifice et l’accessoire. La simplicité relative de la coiffure et du vêtement à l’antique participe du renouveau du classicisme et du naturel qui prélude au néoclassicisme. Mais à la différence de Houdon qui met l’accent sur la réalité et l’expression, Pajou idéalise le modèle.21
10Ce qui frappe dans ce buste est justement l’accrétion des deux styles artistiques, trop souvent opposés de manière tranchée : le retour à l’antique n’est pas à considérer comme une réfutation nette et soudaine des « extravagances » baroques et rocailles, mais comme l’intégration, lente et progressive, d’une nouvelle rigueur expressive qui, limitant les « complications », vise à une « simplicité » dont les connotations sont autant esthétiques qu’éthiques et idéologiques. Cette fusion rend impossible toute réduction à une copie servile ou à un phénomène de mode : dans le mot « néoclassique », le préfixe garde toute sa complexité dialectique, au sens hégélien du terme.
11De même, si l’on porte le regard vers la fin du siècle, on ne peut qu’être frappé de constater que le principe d’une Antiquité « moderne » est désormais chose acquise. La question du renouveau antique semble convenue, rebattue, et les débats apaisés, tant la domination du répertoire et des motifs antiques dans tous les arts est devenue une réalité familière et générale, bien visible tout autour de soi, comme le rappelle le passage, souvent cité, du Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier :
- 22 L.-S. Mercier, Tableau de Paris, éd. J.-Cl. Bonnet, Paris, Mercure de France, 1994, t. I, ch. LXXXV (...)
L’architecture, depuis vingt années seulement, a repris un très bon style, surtout quant aux ornements. Le comte de Caylus a ressuscité parmi nous le goût grec et nous avons enfin renoncé à nos formes gothiques. […] On a régénéré deux arts presque en même temps, la musique et l’architecture.22
- 23 A. Chastel, L’Art français, t. IV, Le temps de l’éloquence, 1775-1825, Paris, Flammarion, 2000, p. (...)
12Et si Mercier n’hésite pas à utiliser le mot de « régénération », dans le sillage de l’interprétation courante à l’époque d’une récupération de la puissance originelle des formes antiques (en soi, porteuses d’une force primitive et majestueuse), cette adhésion se fait toujours selon un principe de revitalisation du présent par l’antique. Il nous suffit d’observer la présence antique sous la Révolution, où cette idée de régénération se trouve relancée sur le plan historique et assume une fonction politique, donnant forme à la nouvelle éthique républicaine. Un peu partout, les effigies des grands hommes de la Patrie, et les répliques des productions des grands artistes engagés dans le grand mouvement historique, les montrent selon les conventions antiques du nu héroïque, en statue ou sur la toile : La Mort de Marat de David devient l’emblème du nouveau style, alors que le Jean-Jacques Rousseau observant les premiers pas de l’enfance, ou l’éducation d’Emile, de Jean-Guillaume Moitte, au Musée Carnavalet, reprend tout en l’affermissant le style esthétique du Voltaire nu de Pigalle et de son Citoyen heureux sur le piédestal de la statue de Louis XV à Reims. Ces œuvres nous indiquent comment la Révolution, elle aussi, n’a fait que donner une nouvelle forme et une nouvelle direction à une évolution esthétique qui, sans solution de continuité, trouve ses racines dans l’art d’Ancien Régime. S’il y a une rupture ici, elle se fait moins du côté des formes que des fonctions qu’on leur attribue : les images et les modèles connus de l’Antiquité deviennent la manière de dire et de penser cette nouveauté absolue qu’était Révolution ; ils offrent un cadre à la fois rassurant et ennoblissant qui permet d’organiser la nouvelle vie civique. Les funérailles nationales se font à l’antique, les représentants politiques semblent avoir définitivement adopté la gestuelle et même la toge lors des séances de l’Assemblée, les prénoms des nouveau-nés sont tirés des héros de Plutarque ou de Tacite, comme si leur recyclage pouvait, à lui seul, garantir la revivification d’un système entier de valeurs morales ; l’Antiquité est partout et « tout porte la marque romaine »23 car elle a su conceptualiser et réifier ce qui, autrement, serait resté inconnu.
- 24 Ibidem : « L’Antiquité dont on faisait un modèle absolu n’était pas celle des archéologues mais un (...)
13Aujourd’hui, notre regard ne peut s’empêcher de mettre en perspective la trajectoire des arts à travers l’ensemble du siècle des Lumières, avec la Révolution en point de fuite, ce qui autorise la plupart des commentateurs à conclure, sans grande objection, à la présence tangible et bien visible d’une néo-antiquité affermie qui s’est généralisée au tournant du XIXe siècle24. Cependant l’enjeu de ce dossier est justement de contrer les conclusions réductives qu’il est possible de tirer de cette perspective téléologique, dans l’espoir de rendre à ce mouvement toute sa singularité et toute son originalité, sur le plan des formes – entre continuité et refonctionnalisation – et sur celui des contenus, l’Antiquité étant moins une manière de « faire du vieux » que de « dire du nouveau ». C’est pour cette raison qu’il nous a semblé nécessaire d’étendre l’enquête à la Révolution et à l’Empire, où l’utilisation de la matière antique n’est évidemment pas la même que pendant la période précédente, sous l’Ancien Régime, afin de montrer comment elle ne cesse d’évoluer ou de se déplacer au gré des techniques de l’art, de leur usage, et de la singularité même des auteurs.
Quelle Antiquité sur la scène ?
14Au cours du long XVIIIe siècle le théâtre, et le théâtre tragique en particulier, ne convoque pas de la même façon les témoignages du passé, malgré une apparente continuité de formes et de sujets à l’antique au fil des deux siècles qui composent l’Âge classique. Il reste un espace propice à l’exploration de ces mutations et refonctionnalisation de l’antique, un révélateur privilégié du sens et des potentialités cachées derrière cette réappropriation massive.
15Après la mort des poètes tragiques du Grand Siècle, leurs successeurs se sont en effet emparés eux aussi d’histoires et d’images prélevées dans le monde antique, influençant le regard des contemporains sur la compréhension du passé et même, pourrait-on dire, leur sensibilité au passé et au temps ; mais cela, toujours en accord et en renfort des évolutions esthétiques, historiques, politiques dont ils étaient témoins.
16La représentation de l’Antiquité, et son usage littéraire, sont toujours le reflet de l’époque qui les ont produits ; ils sont aussi dépendants du rapport qu’ils entretiennent avec les témoignages authentiques, avec les sources, livresques ou archéologiques, qu’a léguées l’Antiquité aux périodes successives. On comprend dès lors que l’image de l’Antiquité est déterminée, moins en fonction d’une vérité historique ou présentée comme telle, qu’en fonction d’une vraisemblance psychologique et d’une esthétique propre à chaque génération d’auteurs, voire à chaque auteur. Il revient, en effet, au poète tragique de donner à sa pièce une authenticité antique, sous la forme d’un vraisemblable qui prend tantôt le sens d’une fidélité aux sources, tantôt celui d’une conformité avec les règles d’équilibre, de cohérence interne et d’achèvement qui ont été tirées de la lecture de la Poétique d’Aristote.
17Cette tension, qui innerve tout remploi de l’antique et qui donne un vrai intérêt à toute cette production dramaturgique, nous la retrouvons par exemple dans la capacité de la dramaturgie antique de fonctionner en tant que contre-modèle théorique et esthétique : comme le montre Thibaut Julian, c’est grâce à une pensée particulière de l’antique, à la faveur des réseaux d’images que le monde ancien lui évoque et qui s’offrent à la comparaison, que Diderot peut penser les limites de la représentation artistique contemporaine et envisager de les réformer. Tension que nous retrouvons à la fin de la Révolution quand, comme le souligne Ilaria Lepore, le vieux topos d’un Aristophane (anti-)modèle comique – en tant qu’auteur d’un théâtre d’invective personnelle et circonstancielle – est ravivé par plusieurs auteurs afin d’ouvrir un nouveau chemin pour le genre comique, après l’extrême politisation des années révolutionnaires.
18De même, les contenus politiques et éthiques dont ces figures et leurs intrigues sont porteuses sont toujours modelés selon l’expression d’instances et de thèmes qui s’ancrent dans la contemporanéité la plus pressante, dans un jeu où la référence aux mythes grecs ou aux histoires romaines est, à la fois, une couverture plus au moins explicite et consciente des enjeux présents, et une manière de leur conférer la grandeur majestueuse, l’exemplarité et la puissance tragique que la tradition reconnaît aux sujets antiques. Par leur éloignement temporel et géographique, par l’indéniable grandeur et la notoriété attachées à ses situations et à ses protagonistes, les sujets antiques sont ainsi propices à une « investigation du réel », conférant à ses grandes structures et à ses détails un rôle littéraire universel. Ils offrent à tout public autant de situations vraisemblables et connues, tout en conservant une authenticité à l’arrière-plan et un effet de réel garanti par une mémoire culturelle partagée. Par conséquent, l’abstraction et le dépouillement propres aux récits des historiens et des dramaturges anciens, au lieu d’imposer une vision unique du cadre et des sites où se déroulent les intrigues, favorisent également l’évocation de notions modernes ou familières pour le public de chaque époque, sans anachronismes, voire des allusions à l’actualité la plus immédiate. Si rien dans l’Antiquité grecque ou romaine ne peut être rapproché, de près ou de loin, aux systèmes de gouvernement modernes et à la politique sous Louis XV ou Louis XVI, le spectateur de l’époque ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec son temps à la simple mention, visuelle ou sonore, d’un palais royal, d’un temple, d’un trône ou d’une Cour :
- 25 J.-P. Néraudau, « Mais où sont ces Romains que fait parler Racine ? », dans Littératures classiques(...)
L’histoire romaine fonctionne en réalité comme un mythe littéraire aussi libre d’interprétation que le mythe mythologique, si l’on peut se permettre cette redondance. Elle offre des situations exemplaires qui, de toute nécessité, correspondent à des situations réelles, d’autant plus qu’elles touchent à la pratique du pouvoir. […] Situés dans le temps lointain où ils ont existé, [les Romains sur la scène] sont par cet éloignement à la fois autres et semblables, de nature donc à représenter un certain nombre de situations. L’histoire romaine, avec son recueil d’exempla, permet une investigation du réel, en faisant de lui la répétition de modèles primordiaux. Elle le fait échapper à l’anecdotique et à l’éphémère, et par le jeu des analogies et des ressemblances elle force ses secrets, en jouant de ses complexités elle jette une lueur sur ses profondeurs, sans les éclairer totalement. […] Mais pour qu’elle fonctionnât ainsi, il fallait qu’elle ne fût pas un carcan. Comme par leur nature littéraire les textes anciens ne lui donnaient précisément pas cette rigidité, l’Histoire pouvait être traitée comme les mythes, c’est-à-dire respectée dans ses grandes structures mais modifiable dans ses détails. […] Du même coup, cette Histoire continuait à vivre et à faire vivre l’Histoire contemporaine.25
19Plusieurs contributions de ce dossier s’intéressent précisément à cette capacité, propre aux récits antiques, de profiter de ce double régime représentatif pour donner forme aux aspirations et aux problématiques qui parcourent l’imaginaire collectif de l’époque. C’est le cas de l’article de Dario Maria Nicolosi, qui montre comment la reprise, en 1757, de plusieurs mythes grecs qui thématisent le régicide a fonctionné comme repoussoir symbolique du récent attentat de Damiens, mais aussi, plus généralement, du désir de renouvellement qui caractérise la société française en pleine révolution des Lumières. Cette refonctionnalisation de la fable classique s’apparente aussi à celle des mythes historiographiques, comme nous le retrouvons sous l’autre Révolution, celle de 1789-1799 : Vincenzo De Santis et Paola Perazzolo s’intéressent à plusieurs pièces « mythiques » (Timoléon, Ophis, Étéocle…) et invitent à déchiffrer, derrière une référence antique apparemment commune, les changements dans les attentes et les orientations de la pensée révolutionnaire, ses espoirs ainsi que ses déceptions, et toujours dans un jeu entre référence actualisante et réflexion plus générale sur les catégories politiques les plus fondamentales. Ce dernier aspect se retrouve dans les articles de Pierre Frantz et d’Éric Avocat, qui analysent, chacun à leur façon, de quelle manière l’histoire romaine et ses exemples deviennent un modèle de pensée politique et civique pendant la Révolution : alors que le premier se concentre sur les potentialités offertes par la référence romaine pour « concevoir » la nouveauté révolutionnaire, le second analyse la capacité de ce répertoire à fournir un modèle rhétorique et d’organisation politique immédiat ; la dialectique entre scène et salle n’est pas tant celle d’une simple exposition didactique des modèles antiques que la construction partagée d’une symbolique et d’un imaginaire républicains, d’une manière de vivre et faire avancer l’expérience révolutionnaire.
20Dans toute la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la référence antique au théâtre représente donc une occasion féconde de dialogue entre présent et passé, ou mieux une manière d’élaborer et problématiser le premier par le deuxième. Or, cette coexistence constante des deux plans chronologiques se dévoile aussi dans ce qui est plus propre aux arts de la scène, la représentation matérielle et sensible et sa dimension figurative. De façon originale, la scénographie et l’interprétation dramatique au XVIIIe siècle sont, en effet, plus ou moins tiraillées entre deux manières de mettre en scène l’Histoire et la fable antique, soit par fidélité à la tradition des comédiens français depuis le XVIIe siècle (en perruque, en costumes de cour contemporains « améliorés » d’ornements, de parures propres à la pompe et à l’exagération théâtrale), soit en référence à la nouvelle règle du « costume historique » et du décorum documenté, tout deux conformes à la période et à la zone géographique où se déroule l’action, à la suite de la réforme de la scène portée par certains auteurs et mécènes (Voltaire, le comte de Lauraguais) et des interprètes influents au sein de la troupe du Théâtre-Français (Mlle Clairon, Lekain). Mais derrière cette coprésence d’ancien et de nouveau, qu’on pourrait trop hâtivement qualifier d’anachronisme et de manifestation de la décadence du théâtre au XVIIIe siècle, incapable de se renouveler, se cache au contraire le désir d’en rehausser la portée et les émotions, en alliant justement les codes représentatifs classiques, leur faste, à la somptuosité qu’on associe de plus en plus au monde antique, dans son ordre apollinien ainsi que dans son énergie primitive, aux traits parfois dionysiaques.
- 26 Voltaire, Le Pyrrhonisme de l’histoire, éd. S. Davies, dans Id., Les Œuvres complètes de Voltaire, (...)
21 Ainsi, lorsqu’en tant qu’historien Voltaire reste plus que prudent vis-à-vis du témoignage partisan des historiens antiques et face à « des histoires mêlées de fables qui ne racontent que des forfaits »26, il reconnaît cependant, sur le plan de la forme et du style, l’apport indispensable de la pompe antique dans le spectacle dramatique, qu’elle soit grecque, romaine ou orientale : elle seule est apte, par sa dignité, à faire accepter auprès du grand public les avancées scénographiques en termes de décors et de mouvements plus énergiques, si risquées au regard du code classique, et vers lesquelles s’oriente pourtant la scène française à partir de la seconde moitié du siècle :
- 27 Id., Appel à toutes les nations de l’Europe, des jugements d’un écrivain anglais, éd. D. Williams, (...)
Ce n’est que depuis quelques années que les acteurs ont enfin hasardé d’être ce qu’ils doivent être, des peintures vivantes ; auparavant ils déclamaient. Nous savons, et le public le sait mieux que nous, qu’il ne faut pas prodiguer ces actions terribles et déchirantes ; que plus elles font d’impression, bien amenées, bien ménagées, plus elles sont impertinentes quand elles sont hors de propos. […] Le respect pour l’Antiquité, la mythologie, la majesté du sujet, la grandeur du crime, je ne sais quoi de sombre et de terrible répandu dans les premiers vers sur toute cette tragédie [Sémiramis], transportent le spectateur hors de son siècle et de son pays ; mais ne répétez pas ces hardiesses ; qu’elles soient rares, qu’elles soient nécessaires : si elles sont inutilement prodiguées, elles feront rire. L’abus de l’action théâtrale peut faire rentrer la tragédie dans la barbarie.27
22C’est précisément dans cet équilibre subtil et toujours à reconfirmer, dans cet ordre qui s’ouvre à de nouvelles « hardiesses » et qui craint de tomber dans la « barbarie », que la scène assume un caractère singulier que, peut-être, la pure abstraction de la scène classique ou le mimétisme strict des siècles à venir ne retrouveront plus. Elle trouve ses meilleures réalisations dans deux propositions esthétiques qui influenceront le plus ce parcours d’appropriation dramaturgique et visuelle de l’antique, engagé dans un dialogue productif avec la modernité. La première est justement celle de Voltaire, dont la Sémiramis, analysée par Renaud Bret-Vitoz, s’impose, en 1748, comme le modèle principal et fondateur de cette nouvelle esthétique théâtrale néo-antique, capable d’accompagner et de diffuser les réflexions d’un Caylus ou d’un Winckelmann tout en revigorant, par son décor et son interprétation scénique, la « majesté », la « grandeur », la dimension « sombre et le terrible » qui font l’essence du genre tragique. La seconde est l’œuvre du peintre David, qui s’invite dans notre dossier de manière oblique par le truchement de ses collaborations avec le décorateur Degotti, étudiées par Elisa Cazzato. Connu dans le monde théâtral, en tant que créateur d’un imaginaire pictural de l’antique ainsi que par sa complicité avec la troupe et les décorateurs du Théâtre-Français – Talma surtout –, le décorateur italien devient notamment la preuve de l’existence, à la fin du siècle, d’un savoir partagé sur l’antique qui, s’il naît dans les cercles artistiques de Rome en raison de son évidente richesse de modèles, se construit de manière décisive à Paris, où il se diffuse via le théâtre et façonne toute idée « moderne » du monde grec et romain et guide toute réappropriation révolutionnaire.
23La nouveauté artistique passe donc aussi par une utilisation des formes antiques, et l’Antiquité est un viatique pour les formes nouvelles. Utilisée avec finesse, prodiguée sans déférence excessive, toujours en position critique ou délicate par rapport aux traditions et à la force de l’habitude, elle apporte à la nouveauté en art le cadre grandiose et l’extraordinaire qui font moins diversion qu’ils ne sont nécessaires pour en imposer au public, relevant ainsi la gageure d’élever au rang de l’évidence ce qui est inédit, inattendu voire improbable.
Notes
1 L. Bertrand, La Fin du classicisme et le retour à l’antique, Paris, Hachette, 1897, p. VIII : « Dans ces conditions, revenir à l’antique, c’était revenir en arrière ; c’était prétendre recommencer toute une évolution historique. Mais comme tous les mouvements rétrogrades, celui-ci ne devait pas aboutir. Il n’accuse que l’impuissance et la stérilité ; et ainsi ce retour à l’antique, par son échec même, n’a fait que manifester la ruine du classicisme ».
2 R. Trousson, « Le Théâtre tragique grec au siècle des Lumières », dans T. Besterman, Transaction of the Fourth international congress on the Enlightenment, Oxford, The Voltaire Foundation, « SVEC », 155, 1976, p. 2113-2136, p. 2129 : « Finalement, un Diderot mis à part, le XVIIIe siècle juge la tragédie grecque selon les formules d’un classicisme étriqué, bien éloigné même de l’art d’un Racine, infiniment plus “grec” et qui avait su, dans Iphigénie ou Phèdre, renouveler la Fatalité antique et la concilier avec le dénouement de la crise par le jeu des passions et des sentiments ». Voir aussi M. Mat-Hasquin, Voltaire et l’Antiquité grecque, Oxford, The Voltaire Foundation, « SVEC », 1981 et F. Marchal-Ninosque, Images du sacrifice, 1680-1840, Paris, Honoré Champion, 2005.
3 Voir G. Iotti, Virtù e identità nella tragedia di Voltaire, Paris, Honoré Champion, 1995 ; J. Brillaud, Sombres Lumières. Essai sur le retour à l’antique et la tragédie grecque au XVIIIe siècle, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2010 ; M. Fumaroli, Le Sablier renversé. Des Modernes aux Anciens, Paris, Gallimard, « Tel », 2013 ; B. Ferrier (dir.), Le Sacré en question, Bible et mythes sur les scènes du XVIIIe siècle, Paris, Classique Garnier, 2015 ; M. Fazio, P. Frantz et V. De Santis (dir.), Les Arts du spectacle et la référence antique dans le théâtre européen (1760-1830), Paris, Classiques Garnier, 2018.
4 Voltaire, Lettre à Nicolas Claude Thieriot, 2 février 1736, dans Id., Correspondance, éd. Th. Besterman et F. Deloffre, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975-1992, t. I, 1977, (D999), p. 713. Pour la numérotation entre parenthèses, nous renvoyons à la Table de cette édition.
5 Id., Lettre à Nicolas Claude Thieriot, 25 [décembre 1735], ibid., (D971), p. 684. C’est nous qui soulignons.
6 Id., Lettre à Nicolas Claude Thieriot, 2 février 1736, ibid., (D999), p. 712.
7 Ibidem. Pour plus de précisions sur la conception de la pièce, voir l’édition critique de Samson par Julien Dubruque dans Id., Théâtre complet, éd. P. Frantz, Paris, Classiques Garnier, tome II, à paraître.
8 Voir P. Leclerc, Voltaire and Crébillon père, history of an enmity, Oxford, The Voltaire Foundation, « SVEC », 1973 et M. Mat-Hasquin, op. cit.
9 Voltaire, Lettre à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental, [15 January 1750], dans Id., Correspondance, cit., t. III, 1975, (D4097), p. 154 : « Il n’y a point de vraie tragédie d’Oreste sans le cri de Clytemnestre. Si cette viande grecque est trop dure pour les estomacs des petits maîtres de Paris, j’avoue qu’il ne faut pas d’abord la leur donner ».
10 Voir Voltaire, Oreste, éd. D. H. Jory, dans Id., Les Œuvres complètes de Voltaire, Oxford, The Voltaire Foundation, 1968-2022, t. 31a, 1992, « Introduction », p. 340-343.
11 Ibid., (IV, 5), p. 487 : « Oreste : Le ciel menace en vain, la nature l’emporte / Un dieu me retenait, mais Électre est plus forte ». Pour la superposition entre Agamemnon et les Dieux, nous nous permettons de renvoyer à D. M. Nicolosi, La tragédie française du XVIIIe siècle et le mythe grec, thèse sous la dir. de G. Iotti et P. Frantz, Université de Pise – Lettres Sorbonne Université, 2020, p. 96-103.
12 J. Starobinski, Le Remède dans le mal, Paris, Gallimard, 1989, p. 55 : « L’effritement du sacré institutionnel, l’impossibilité pour le discours théologique de continuer à valoir comme “concret et absolu” invitent la plupart des esprits à chercher de toute urgence des absolus substitutifs ».
13 Voltaire, Oreste, cit., (IV, 6), p. 489 : « Oreste : Si le ciel veut se faire obéir, / Qu’il me donne des lois que je puisse accomplir ».
14 Ibid., (V, 9), p. 515 : « Oreste : Dieux qui me punissez, qui m’avez fait coupable, / Eh bien, quel est l’exil que vous me destinez ? / Quel est le nouveau crime où vous me condamnez ? / Parlez… Vous prononcez le nom de la Tauride ; / J’y cours, j’y vais trouver la prêtresse homicide / Qui n’offre que du sang à des dieux en courroux, / À des dieux moins cruels, moins barbares que vous ».
15 Voir J.-Ph. Chimot, « Néoclassicisme », dans M. Delon (dir.), Dictionnaire européen des Lumières, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 771-775.
16 Voir M. Delon, « Existe-t-il un néoclassicisme en littérature ? », dans J. Dagen et Ph. Roger (dir.), Un siècle de deux cents ans ? Les XVIIe et XVIIIe siècles, continuités et discontinuités, Paris, Desjonquères, 2004, p. 315-327, p. 316. Voir aussi R. Mortier, « Le Néo-classicisme entre sublime et sensibilité », dans Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 50, 1998, p. 97-104.
17 M. Delon, « Existe-t-il un néoclassicisme en littérature ? », cit., p. 321.
18 A. Chénier, « L’Invention », dans Id., Œuvres complètes, éd. G. Walter, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1958, p. 123-132, p. 127.
19 « La catégorie de néoclassicisme ne permet pas de découper une tranche séculaire de la littérature française, ni sans doute d’isoler un goût, au sens où l’entend Mario Praz, ni même un style selon Hugh Honour, mais elle définit une problématique, c’est à dire une grille de lecture, susceptible d’éclairer les propos théoriques aussi bien que les fictions. Il existe un moment néoclassique, moins comme époque que comme situation. Il aide à comprendre les rythmes de l’histoire culturelle, par exemple entre grandeur et goût du petit, entre modèles masculins et féminins », M. Delon, « Existe-t-il un néoclassicisme en littérature ? », cit., p. 323-324.
20 A. Pajou, Madame du Barry, 1773, Département des Sculptures du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes, Musée du Louvre, URL : https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010092073, consulté le 05/07/2024.
21 G. Bresc-Bautier, Sculpture française – XVIIIe siècle, Paris, éditions de la Réunion des Musées Nationaux, 1980, p. 46.
22 L.-S. Mercier, Tableau de Paris, éd. J.-Cl. Bonnet, Paris, Mercure de France, 1994, t. I, ch. LXXXVIII, p. 224.
23 A. Chastel, L’Art français, t. IV, Le temps de l’éloquence, 1775-1825, Paris, Flammarion, 2000, p. 20.
24 Ibidem : « L’Antiquité dont on faisait un modèle absolu n’était pas celle des archéologues mais un choix d’œuvres éclatantes associées à un corps de notions esthétiques et morales. Expression d’un système, c’était la référence absolue, où se vérifiait l’union de la Nature et de la Raison […]. On ne pouvait représenter la dramatique évolution du présent qu’à travers les modèles romains et grecs : Caton, Socrate, Brutus, Marcus Sextus ou Timoléon. Il n’y a pas de situation vécue qui ne s’illumine grâce à cette référence. Ce jeu de miroirs est si fort que des ouvrages comme le Serment des Horaces ou le Brutus de David sont aussitôt commentés en fonction d’arrière-pensées politiques. […] Ce va-et-vient entre la forme antique et le contenu émotif dont on l’investit dura tout au long du nouveau classicisme : il en est caractéristique. La cohérence du système est impossible à ébranler, même pour les artistes qui entendent échapper à la tyrannie de la ligne pure ».
25 J.-P. Néraudau, « Mais où sont ces Romains que fait parler Racine ? », dans Littératures classiques, 26, janvier 1996, p. 75-90, p. 90.
26 Voltaire, Le Pyrrhonisme de l’histoire, éd. S. Davies, dans Id., Les Œuvres complètes de Voltaire, cit., t. 67, 2007, p. 289.
27 Id., Appel à toutes les nations de l’Europe, des jugements d’un écrivain anglais, éd. D. Williams, dans Id., Les Œuvres complètes de Voltaire, cit., t. 51b, 2013, p. 100.
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Référence électronique
Renaud Bret-Vitoz et Dario Maria Nicolosi, « Peut-on parler d’un théâtre « néoclassique » au XVIIIe siècle ? », Revue italienne d’études françaises [En ligne], 14 | 2024, mis en ligne le 15 novembre 2024, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/13290 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12oz2
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