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Mélanges

Construire jusqu’au noir : le Moi de Valéry entre l’Introduction et Note et digression

Constructing Until the Dark: Valéry’s Conception of the Self between the Introduction and Note et digression.
Giovanni Salvagnini Zanazzo

Résumés

L’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1894) est un des lieux où s’expose le plus clairement la méthode intellectuelle de Valéry, vouée à la construction à travers l’ordre et la clarté. Cette méthode, appliquée au Moi, donne lieu à une construction solide qui se passe de toute détermination biographique, conçue comme hasardeuse. Valéry pense le Moi comme un système préalable aux événements et qui engendre la pensée, en préfigurant par là une typologie d’identité cognitive. Toutefois, cette solidité semblerait être remise en question par le texte de Note et digression (1919), où Valéry explore les difficultés et la « perte » de la conscience. On soulignera en revanche comment cette perte, loin d’être un accident, représente une étape obligée dans la réflexion de la conscience sur elle-même. La construction personnelle la plus solide montre ainsi qu’elle héberge l’impersonnalité en son sein, révélant le caractère troublant de la position valéryenne.

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Texte intégral

La construction comme idée de la littérature

  • 1 M. T. Giaveri, « Introduzione », dans P. Valéry, Opere scelte, Milano, Mondadori, 2014, p. XXV et s (...)
  • 2 Cela implique aussi un amour pour le cerveau, l’organe de l’intelligence, comme le souligne le titr (...)
  • 3 Il poursuivait un « effort to negotiate a place for intelligence within literary form. […] Valerian (...)
  • 4 Dans les Cahiers, l’écriture se montre en effet sous un état de pratique et d’acte, plutôt que d’œu (...)
  • 5 « Écrire devant être, le plus solidement et le plus exactement qu’on le puisse, de construire cette (...)
  • 6 I. Calvino, Lezioni americane. Sei proposte per il prossimo millenio, Milano, Mondadori, 1993, p. 7 (...)

1L’idée de Paul Valéry qu’on s’est forgée au fil des ans à travers sa réception critique a été efficacement fixée par Maria Teresa Giaveri dans l’introduction au recueil italien de ses œuvres dans la collection « Meridiani »1. Véritable amoureux de l’intelligence2 et confiant dans les facultés cognitives et herméneutiques de l’activité littéraire3, il n’a jamais cessé de se construire à travers l’écriture, en composant une œuvre en poésie et en prose qui, au moins pour ce qui concerne la partie publiée face à l’océan inachevé des Cahiers4, est l’expression d’un même souci de bâtir des organismes textuels rhétoriquement solides5. Il s’agit donc d’un constructeur inlassable, appartenant à ce que Italo Calvino nomme le parti du « cristal », opposé à celui de la « flamme » : « le cristal, avec sa facette exacte et sa capacité de réfléchir la lumière, est le modèle de la perfection »6.

  • 7 Voir F. Johansson, « Mythologie valéryenne de la création littéraire », dans Forschungen zu Paul Va (...)
  • 8 Une petite synthèse de la fonction que la figure de Léonard recouvre pour Valéry se trouve dans A.  (...)

2Ce parti est défendu de façon quasi programmatique déjà dans l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, texte publié en 1895 où le jeune Valéry donne une première esquisse de sa conception de l’esprit comme ensemble d’opérations de la pensée. Loin d’analyser académiquement l’œuvre du savant italien, dans ce texte il emploie sa figure en tant que dispositif emblématique pour incarner une idée de l’activité artistique7 et, plus en général, intellectuelle. Sa figure devient l’archétype de l’homme universel, dont la méthode hypothétique n’est que la méthode d’une création également universelle8.

  • 9 P. Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, cit., p. 46 (dorénavant IM).
  • 10 Ibidem.
  • 11 Ibid., p. 47, en italique dans le texte.
  • 12 Ibidem.

3Après avoir exposé les traits essentiels de son opération rhétorique, Valéry fait l’éloge des « joies de la construction »9, conçue sous la forme d’un acte géométrique et rationnel de la pensée, qui instaure un ordre nouveau dans le chaos du monde préexistant. Il s’agit d’« un jeu général de la pensée »10, dont la nécessité est témoignée par son omniprésence : loin de se borner à des cas particuliers, il constitue un véritable mode de fonctionnement de l’esprit à tel point qu’il s’exerce souvent selon des lois qui restent étrangères au constructeur lui-même. Toutefois, l’activité spirituelle qui intéresse Valéry n’est pas la simple construction, mais plutôt « le fait conscient de construire »11, posant donc l’attention sur la connaissance que l’esprit peut atteindre par rapport à sa propre construction : c’est justement dans ce dernier état qu’on perçoit « la richesse et la ressource et l’étendue spirituelle »12.

  • 13 Ibid., p. 63.
  • 14 Ibid., p. 62.
  • 15 Ibid., p. 64, en italique dans le texte.
  • 16 Ibid., p. 42.
  • 17 Voir les études de Cornelia Klettke, où elle souligne le rôle du regard et du langage poétique en t (...)
  • 18 ND, p. 86.
  • 19 Ibid., p. 88.
  • 20 Ibid., p. 89.

4La « clarté authentique sur une méthode »13 est par la suite exemplifiée par une des rares citations du texte léonardien, où l’inventeur affirme voir « l’air […] rempli d’infinies lignes »14. Il s’agit d’une « logique imaginative »15 ou de « combinaison rationnelle »16 qui fonctionne d’abord à travers une interprétation fonctionnelle du réel, toujours occupée à y déceler les éléments qui pourraient permettre d’y établir un ordre quelconque17. Léonard est le témoin d’un regard analogique qui se rapproche de celui des poètes, mais en s’orientant vers un côté éminemment rationnel : pour lui il ne peut y avoir « d’abîme ouvert à sa [de Léonard] droite. Un abîme le ferait songer à un pont. Un abîme pourrait servir aux essais de quelque grand oiseau mécanique »18. Son « intelligence si détachée »19 refuse la mystique des amours et des émotions : elle les conçoit plutôt en tant que « machine érotique », tandis que la physique et la sueur du combat des corps « semble n’exciter en lui que répugnance et que dédain »20. Bref, il se pose en représentant d’un vrai rêve calculateur et combinateur.

5Il s’agit d’une position très claire, qui constitue le noyau initial de toute la démarche intellectuelle de Valéry, où la clarté stylistique devient un projet d’enquête épistémologique. Qu’est-ce que cette attitude produit en croisant la question du Moi ?

Le « Moi »

  • 21 Le Moi est, dans les Cahiers, « la question récurrente par excellence », D. Moutote, « L’Égotisme d (...)

6Valéry, dans son élan universalisant qui veut s’appliquer à tous les aspects de l’existence, ne peut que croiser avec force la question du sujet. Pour lui, il s’agit à la fois d’appliquer le désir de construction au sujet en tant qu’instance à construire parmi les autres, et d’affronter le sujet en tant que constructeur lui-même. Ce dernier est donc, à la fois, quelque chose qui est construit et celui qui construit. Dans cette perspective, on peut bien comprendre les raisons de la prédilection que Valéry accorde à la matière21.

  • 22 Sur le refus valéryen du journal et de l’autobiographie, voir A. Pizzorusso, « Sui Cahiers di Valér (...)
  • 23 Valéry veut « rejeter tout ce qui n’est pas le noyau le plus irréductible de soi […] le mot “pur” é (...)

7Le présupposé de son étude de soi-même est de se pencher exclusivement sur la faculté mentale du sujet : le « Moi » présenté dans l’Introduction à la méthode n’est pas le « moi » biographique de Valéry, celui qui est quand même marqué par des événements mythiques et pleinement auto-narratifs tels que la Nuit de Gênes22. Franchissant le seuil de la science (et non plus du récit) de soi, la nécessité apparaît d’écarter tous les éléments impurs qui empêcheraient d’obtenir la construction la plus solide23.

  • 24 Sur le « miroir comme outil » de l’introspection, voir N. Celeyrette-Pietri, Valéry et le Moi, Pari (...)
  • 25 V. Magrelli, Vedersi vedersi. Modelli e circuiti visivi nell’opera di Paul Valéry, Torino, Einaudi, (...)
  • 26 Voir G. Agamben, « L’io, l’occhio, la voce », dans P. Valéry, Monsieur Teste, Milano, SE, 2017, p.  (...)
  • 27 Voir V. Magrelli, op. cit., p. 157.

8En effet, comme on le sait, même la figure historique de Léonard de Vinci est dépourvue par Valéry de toute rigueur, devenant plutôt une sorte de fantôme ou de personnage passible de n’importe quelle manipulation par les mains du nouvel auteur qui l’a évoqué. Ce geste d’écrivain faisant passer au second plan les dessins et les manuscrits léonardiens dénonce déjà, outre un manque de connaissance philologique, l’absence de toute volonté de s’en doter : c’est-à-dire le fait que ce genre de connaissance n’est pas considéré comme essentiel pour le développement du discours valéryen. Les données que la réalité des choses a enregistrées, et sur lesquelles les historiens de l’art s’appuient pour bâtir leurs théories vers le dévoilement d’une vérité esthétique, ne sont pour Valéry que des accidents, des circonstances contingentes que l’esprit a trouvées sur son chemin et qui ont influencé la réalisation matérielle des possibilités préalables qu’il contenait en puissance. À travers le dispositif du dédoublement optique – l’acte de « se regarder se regarder »24 souligné par Valerio Magrelli25 – et d’autres expériences visuelles et auditives26, il approfondit l’étude de soi-même et reconnaît l’insuffisance du niveau objectif, communiquable aux autres, de son existence. Ce dernier n’est pour Valéry que le collapsus de la fonction d’onde quantique, l’inacceptable simplification d’un nuage de potentialités que le « Moi » perçoit, pour sa part, comme demeurant infinies27. Le visage lui-même, par exemple, n’est qu’un caprice de la biologie qui ne correspond en aucune manière à l’esprit qu’il recouvre. Il est un costume emprunté en raison des contraintes du corps, qui doit obligatoirement assumer une forme et ne peut pas supporter l’anti-forme, le « brouillon » du moi premier.

  • 28 IM, p. 13.
  • 29 Sur la notion de « Système » en tant que « méthode pour bien conduire sa pensée », voir D. Moutote, (...)
  • 30 IM, p. 13.
  • 31 Citation de la proposition 2.0123 de L. Wittgenstein, Logisch-philosophische Abhandlung, Annalen de (...)

9Comme Valéry le note dans un commentaire sur l’acte de composer une biographie, construire un personnage qui retracerait véritablement l’essence de la personne traitée ne signifie pas s’attacher aux moindres « anecdotes, détails, instants »28 que la vie a posés en face d’elle, et qui ne sont que les choses auxquelles elle a réagi. Ce que Valéry veut mettre en évidence est le Système29 qui est préalable à la réaction, c’est-à-dire l’attitude mentale qui est toujours prête à réagir aux événements et qui est beaucoup plus fondamentale que les rares événements qui viennent effectivement la solliciter. La construction d’un tel personnage implique de trouver « les conditions a priori d’une existence qui pourrait être – TOUT AUTRE »30, si seulement elle avait été confrontée à des défis différents (sans être, pour cela, différente elle-même : parce qu’elle se situe précisément en amont de ces défis). On pourrait rapprocher cette position valéryenne d’une remarque du Tractatus (1921) de Wittgenstein selon laquelle « chacune [des] possibilités doit être inhérente à la nature de [l’] objet »31 : en d’autres termes, tout ce qu’un être peut réaliser est déjà inscrit dans son Système, et pendant la vie il ne fait que déployer ce même Système au gré des situations où il se retrouve.

  • 32 ND, p. 109.
  • 33 Ibid., p. 107.
  • 34 F. Patrone, Piccola guida filosofica all’identità personale, Roma-Bari, Laterza, 2023, p. 14-18.
  • 35 En ce sens, « à Valéry répugne d’écrire sur ses sentiments […] mais il dit pouvoir faire un livre s (...)

10Cela préfigure un type d’identité qui exige beaucoup moins de qualités par rapport à celles que le discours quotidien est habitué à lui conférer : une identité plus subtile, fondée sur des bases moins aléatoires et arbitraires que les « romans » et les « mille personnages »32 du moi minuscule ou « personnalité »33, et donc plus solide juste là où elle semblerait se passer de données indispensables pour sa survivance (le nom, la profession…). Elle pose donc un défi par rapport aux trois catégories philosophiques avec lesquelles on pense le concept d’identité personnelle, retracées par Fabio Patrone : psychologique (garder les mêmes caractéristiques psychologiques dans le temps), physique (garder le même corps), narrative (se forger activement une narration unifiante de soi-même)34. Le « Moi » de Valéry est une possibilité pour ajouter une nouvelle perspective à ces trois façons de penser l’individualité, de « nous » penser : il s’agirait d’ouvrir la voie à une « identité cognitive » qui reposerait sur la pensée comme facteur qui régit le Moi et son unité. C’est elle qui est responsable du sentiment d’unité du sujet : il s’identifie avec ce qu’il pense35. Il est ses pensées ou, mieux encore, il est son « penser ».

  • 36 Cette notion, qui paraît dans Note et digression (voir D. Moutote, « L’Égotisme de Valéry », cit., (...)
  • 37 « La possibilité, la condition d’être de la pensée », D. Moutote, « L’Égotisme de Valéry », cit., p (...)
  • 38 N. Celeyrette-Pietri, op. cit., p. 33-37.
  • 39 Ibid., p. 39-41.
  • 40 Il s’agit en effet d’une « anthropologie insolite », J.-M. Rey, op. cit., p. 170.
  • 41 Voir l’intervention de M. Tsukamoto, L’Inhumain. L’imagination selon Valéry, Collège de France, 202 (...)

11Le « Moi », bientôt « Moi pur »36, se définirait en effet non pas à partir d’une pensée en particulier, mais plutôt comme la condition préalable à toute pensée37. Beaucoup d’images s’entassent le long de l’œuvre valéryenne pour rendre compte de cette idée : par exemple celle du Moi-zéro38, c’est-à-dire différent de tous les autres numéros positifs. En tout cas, le « Moi » représente une limite, un refus ou « non »39 opposé à tout, parce qu’il ne peut s’identifier complètement avec rien en particulier. Le « Moi » de Valéry, à travers l’extrême souci de son auto-construction, se présente donc comme quelque chose d’individuel et de pensant, mais très différent de la conception ordinaire de la « personne » humaine40, adoptant en revanche un regard qui est souvent « inhumain »41.

  • 42 Le dernier volet est la lettre à Léo Ferrero, Léonard et les philosophes, où est développé notammen (...)

12Dans cette perspective « cérébrale », même la mémoire peut être récupérée, mais elle sera alors conçue sous la forme de mémoire des pensées précédentes. En effet, une des possibilités qui s’offrent à l’exégète de l’Introduction à la méthode, à côté d’une lecture conceptuelle du programme que le texte expose, est celle de le lire comme un texte autobiographique. D’abord, Valéry poursuit son rapport avec la figure de Léonard dans trois textes différents, qui sont rassemblés dans le même volume de la collection « Folio ». Ainsi, on se retrouve face à un véritable macrotexte composé de volets qui datent d’années très distantes l’une de l’autre : 1894, 1919, 192942. En un peu plus d’une centaine de pages, s’entassent donc au moins trois versions successives du « moi » biographique de Valéry, pris à trois époques différentes de sa vie.

  • 43 P. Lejeune, op. cit., p. 50-51.

13À l’intérieur du texte, l’un des aspects les plus inusuels et déconcertants est la superposition et stratification de différentes couches d’écriture au sein de la même page, reproduisant de façon concrète, visuelle, ce mécanisme d’auto-relation diachronique de l’auteur avec soi-même qui a été signalé par Philippe Lejeune dans son étude sur l’Autobiographie43. La mise en page distingue en effet entre une partie hébergeant le corps du texte au sens strict du terme, et une autre qui, sur le côté, laisse de l’espace aux commentaires que l’auteur ajoute en 1930 aux textes originels. Dans ces remarques que Valéry adresse au soi-même du passé, qui s’attachent le plus souvent au plan intellectuel de la discussion des idées d’autrefois, s’esquisse le jeu d’une même individualité en train de retourner sur les sillons de sa propre pensée.

  • 44 ND, p. 72.
  • 45 P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Points, 1990, p. 2-3.
  • 46 D. Moutote, « L’Égotisme de Valéry », cit., p. 776.

14L’idée d’une continuité à caractère intellectuel est d’ailleurs avérée par des considérations théoriques au début de Note et digression, que ce commentaire condense : « le lendemain trouve la veille plus faible ou plus forte que soi ; et les deux sensations le blessent »44. Cela présuppose évidemment un même sujet unique qui, plongé dans une dimension temporelle marquée seulement par la succession inlassable des pensées, peut juger de ses différentes phases. Il s’agit, certes, d’une continuité tourmentée, méfiante, qui se garde bien de coïncider avec ce niveau que Paul Ricœur définit comme « identité-idem », et dont « la permanence dans le temps constitue le degré le plus élevé »45. Valéry s’exprimera en effet de façon très claire dans les Cahiers par rapport au caractère changeant de l’espace mental, en proclamant l’importance de ne « jamais “se croire” »46. Cependant, cet espace, ce « je » ou « moi » n’en demeure pas moins continu, unifié en dépit des mutations extérieures. Celles qui se succèdent ne sont que des idées, à l’intérieur d’un espace de la pensée qui en est la condition et la limite, qui les engendre et les englobe, et qui ne peut donc pas être perturbé par elles quant aux fondements mêmes de son existence. Comme une pelouse qui est la condition pour la poussée des fleurs les plus diverses, mais dont l’existence n’est pas mise en question lorsque certaines fleurs dépérissent et sont remplacés par d’autres : ce ne sont que des fleurs.

  • 47 ND, p. 93.

15Par son inlassable opération de construction, Valéry semble donc atteindre finalement le niveau de solidité maximale du sujet qui, libéré de tous les obstacles et les faux-semblants de son identité biographique, remplie de faits accidentels, perçoit son unité presque « transcendantale ». Cela est montré par la célèbre sentence qui paraît dans Note et digression, où il se demande comment revenir à soi-même après s’être tant égaré dans Léonard : « Tout chemin m’y conduira : c’est la définition de ce moi-même. Il ne peut pas absolument se perdre, il ne perd que son temps »47. On ne peut pas sous-estimer le caractère péremptoire de ce propos. Face aux si fréquents et épouvantables troubles de l’identité personnelle, ici Valéry exhibe en revanche une certitude inébranlable sur l’impossibilité que la sienne puisse s’égarer. Elle est construite sur des fondements tout à fait différents.

Construire jusqu’au noir : Note et digression

  • 48 Valerio Magrelli (op. cit., p. 146-147) note que Valéry, tout en étant capable de déceler le mécani (...)

16Une telle solidité, comme celle de toutes les machines trop bien rodées, peut néanmoins contribuer à faire naître un soupçon : est-ce qu’elle cache un côté obscur, témoin d’une dimension de l’impensé chez Valéry ? Est-ce que l’on sous-estime les retombées troublantes d’une conception où ce « Moi pur » valéryen et léonardien devient, au fil des opérations mentales, une créature ressemblant moins à une « personne » humaine qu’à un monstre ? Bon nombre de critiques ont souligné en effet la crainte valéryenne de l’Autre et plus généralement de tout ce qui échappe au contrôle de sa « clarté »48, en soupçonnant que ses abstractions mentales, en dépit de toute leur rigueur interne, restent quand même une solution trop confortable, enfermée dans le souci d’un ordre omni-compréhensif qui veut éliminer tous les imprévus.

  • 49 Pour lui « l’altérité est presque pathologique », E. Morim de Carvalho, La Comédie de l’intellect d (...)
  • 50 Nicole Celeyrette-Pietri (op. cit., p. 77) et Daniel Moutote (« L’Égotisme de Valéry », cit., p. 76 (...)
  • 51 V. Descombes, Le Parler de soi, Paris, Gallimard, 2014, p. 69.
  • 52 IM, p. 44.

17En réalité, plus que d’impensé on pourrait ici parler de « pensé à contrecœur ». S’il est vrai que Valéry n’aime pas les ruptures de l’ordre49, c’est toutefois lui-même qui les décèle et en rend compte. Cela ne se fait pas seulement à travers une dimension de l’altérité et du corps (c’est-à-dire, du non-calculable) s’installant en général dans son œuvre au fil des années, après les rêves mathématiques de la jeunesse50, mais aussi en sondant déjà la possibilité d’une « perte » de la conscience précisément autour du thème de Léonard. Dans un des commentaires ajoutés à l’Introduction à la méthode, renvoyant au développement proposé dans Note et digression, il est en effet posé ce problème que Descartes, le grand prédécesseur du Cogito, avait ignoré51, celui de l’individuation : « Peut-être la plus grande possession de soi-même éloigne-t-elle l’individu de toute particularité – autre que celle-là même d’être maître et centre de soi ?... »52.

  • 53 En confrontant les deux, Charles Du Bos s’exclame : « combien dissemblable le rythme auquel cette p (...)
  • 54 N. Celeyrette-Pietri, op. cit., p. 43.
  • 55 ND, p. 94.
  • 56 Ibid., p. 95.

18Dans Note et digression (1919) on perçoit d’abord un certain changement d’ambiance et d’atmosphère par rapport au texte premier53 : à la confiance de ce dernier s’oppose dans le second une « centrifugation cosmique » où « ici et là on nie la causalité linéaire »54. Après avoir retracé quelques conditions biographiques qui étaient préalables à la genèse de son texte de jeunesse, en démontrant ainsi comment il peut continuer à se réclamer d’une histoire linéaire et diachronique très proche de celle du sens commun, Valéry se livre à une dissertation émouvante qui esquisse le paysage visuel et chromatique qui entoure ce « Moi » si éloigné des repères normaux. Visant à approfondir l’exposé rédigé en 1894, le défi devient celui de suivre l’autoreprésentation de la « conscience » ou de l’esprit à lui-même, lorsqu’il se trouve dans la situation de tension maximale exemplifiée par le cas de Léonard ou, en tout cas, « de quelque individu de la première grandeur »55. L’origine de cette quête réside dans une sorte de malheur ou d’inquiétude de ce moi : il perçoit que sa jouissante stabilité n’est pas vraiment omnipotente, qu’elle est « trompeuse », cachant en soi « une possibilité […] de faillite et de totale ruine »56.

  • 57 Ibid., p. 99.
  • 58 Ibidem.
  • 59 « Il faut pourtant sortir du non-lieu. […] L’extase n’est elle-même qu’une métaphore. Il n’y a “com (...)
  • 60 ND, p. 102.
  • 61 Ibidem.

19Cette possibilité assume très vite l’apparence de ces moments où la pensée s’estompe, ces moments « à demi impossibles »57 et pourtant survenant de « sensations extraordinaires » dont une brève énumération est fournie : « les rêves, les malaises, les extases »58. Fidèle à sa tendance de prendre les abîmes pour des occasions de preuves de vol, la conscience tente de tirer des notions de ces états forcément passagers59. L’importance de ces moments est dans le fait qu’ils permettent à la conscience de comprendre que le monde où elle se traînait d’habitude, en exerçant son pouvoir unifiant et sa « logique imaginative » léonardienne, n’a pas de vérité fondamentale : ses lois et ses « choses pourraient être assez différentes de ce qu’elles sont »60, selon le même mouvement mental que Valéry employait pour saisir le trait hasardeux de la biographie et de l’apparence individuelles. Le déclic conceptuel qui est permis est donc celui de se représenter le monde non pas comme un tout à l’intérieur duquel instaurer des ordres divers en jouant à travers n’importe quelle typologie d’éléments, mais plutôt comme un élément lui-même, à l’intérieur d’un système « de degré plus élevé dont les éléments soient des mondes »61.

  • 62 Ibidem.
  • 63 N. Bastet, « “Penser ce qui n’existe pas” », dans R. Pietra (dir.), Valéry, la philosophie, les art (...)
  • 64 ND, p. 103.
  • 65 Voir M. Cometa, Mistici senza Dio. Teoria letteraria ed esperienza religiosa nel Novecento, Palermo (...)
  • 66 ND, p. 104.

20Par cette voie, la conscience s’éloigne définitivement d’une conception du réel en tant que niveau fondamental : elle se perçoit, par rapport à ses capacités, beaucoup plus vaste que celui-ci. Toutefois, même si elle a chassé le monde réel, elle ne possède aucune nouvelle représentation ou figure avec laquelle le remplacer : elle s’est seulement placée « hors du tout […] ce n’est plus qu’un corps noir qui tout absorbe et ne rend rien »62. Nous voici arrivés au noir, à la « pensée sans objet »63. Le jeu oxymorique de la polarité (tout/rien) marque le point sans retour où la conscience s’est désormais égarée. Ici, il ne subsiste plus aucune image de Léonard, si évidée qu’elle pût l’être. Il y a seulement la pulsation d’un corps céleste, d’un trou noir, et Valéry entasse images et négations pour souligner la nature ultime et irreprésentable de cette condition : la conscience « se pose enfin comme fille directe et ressemblante de l’être sans visage, sans origine »64. On pourrait aisément rapprocher cette façon de parler d’un discours mystique, peut-être de cette « mystique sans Dieu » si typique du XXe siècle65. Ainsi, l’homme qui accomplit ce parcours atteint, selon Valéry, « à la dernière simplicité »66 : formule célèbre qui n’est pas sans rappeler le concept de « pauvreté » exposé par Maître Eckhart dans son sermon Beati pauperes. L’acte de construction était censé garantir la solidité maximale de l’objet construit : il se retrouve en réalité à l’avoir transfiguré jusqu’au point où il ne se reconnaît même pas, où il ne dispose plus d’aucun principe d’individuation fiable.

21Or, on pourrait penser que le système de Valéry s’est trahi lui-même, qu’il a déraillé en raison d’un dégât technique évitable avec un peu plus de concentration – qu’il aurait bien pu se tenir à distance des irrationalités extatiques et ainsi garder sa maîtrise et sa cohérence autarcique. En réalité, non : les rails menaient exactement là-bas. Ce mouvement était absolument nécessaire :

  • 67 Ibid., p. 106.

Si je vous ai menés dans cette solitude, et jusqu’à cette netteté désespérée, c’est qu’il fallait bien conduire à sa dernière conséquence l’idée que je me suis faite d’une puissance intellectuelle. Le caractère de l’homme est la conscience ; et celui de la conscience, une perpétuelle exhaustion, un détachement sans repos et sans exception de tout ce qu’y paraît, quoi qui paraisse.67

  • 68 « Valéry ne prépare, ni ne développe : il énonce et passe », C. Du Bos, art. cit., p. 680.
  • 69 ND, p. 107.

22On était forcé d’arriver jusqu’au noir pour pouvoir affirmer avoir pensé jusqu’au bout, c’est-à-dire sans s’être arrêté avant le terme désigné. L’éventuel défaut technique des rails de l’esprit serait donc non pas penser le noir mais ne pas le penser. Ce ton péremptoire68 s’applique aussi à d’autres remarques présentes dans les mêmes pages, comme celle portant sur la remplaçabilité de toutes les choses : « Il est impossible que l’activité de la pensée ne le contraigne pas enfin à cette considération extrême et élémentaire »69. Il est également impossible, pour toute conscience qui exerce ses potentialités, de rester indéfiniment dans l’ignorance du noir. Ce n’est pas une vérité accessoire, celle qui est exposée sous le titre in minore de Note et digression, mais le déploiement même des préconditions du Système de l’esprit.

  • 70 Ibidem.
  • 71 Ibid., p. 110.
  • 72 « Dès lors que Valéry refuse le sacrifice de sa personne à la littérature comprise comme le tout d’ (...)
  • 73 IM, p. 113.
  • 74 Ibid., p. 116-117, en italique dans le texte.

23Ainsi, les jugements sur l’unité de la conscience ne sont pas annulés par cette promenade dans le noir, preuve du fait que ce dernier ne surgit pas contre elle, mais au-dedans d’elle : « qu’est-ce qui résiste […] ? Ce n’est que cette conscience seule, à l’état le plus abstrait »70. Donc, cette conscience n’a pas fait faillite : elle demeure tout à fait solide, et sous le nom de « Moi pur », qui est encore l’« élément unique et monotone [qui] habite éternellement notre sens »71, et même sous les traits du moi minuscule. Il suffit de voir la suite de Note et digression : conçu d’abord pour donner des renseignements biographiques sur les circonstances de la genèse de l’Introduction à la méthode, le texte reprend en effet sa tâche où il l’avait abandonnée avant la « digression ». Dans la pratique du récit, hors de l’espace de théorisation du « Moi pur », le texte de Valéry est prêt à réacquérir les usages normaux du mot « moi » dans le langage quotidien – ce qui confirme que même ce niveau « minuscule » continue, lui aussi, à être opératif. Valéry revient à sa propre biographie72, conçue dans le sens le plus strictement narratif : « encore quelques instants à passer en 1894 »73. La même attitude est montrée lorsqu’il expose, toujours avec netteté, la nature foncièrement individuelle de toute connaissance, qui l’a poussé à offrir une image si partielle et si personnalisée de Léonard : « On n’en trouve jamais qu’en soi […] Quel que soit X, la pensée que j’en ai, si je la presse, tend vers moi, quel que je sois […] L’intention de toute pensée est en nous »74. Ce plaidoyer théorique en faveur de la relativité du point de vue, où le « soi » semble finalement coïncider avec la personne biographique de « Paul Valéry » écrivant l’Introduction, confirme encore, même de façon implicite et presque automatique, la confiance dans une notion unitaire de soi-même à tous les niveaux.

  • 75 Même « à travers ses passions amoureuses […] c’est toujours la vérité sur soi-même […] qu’il cherch (...)
  • 76 « Valéry a beau réduire à l’épure la plus sévère son idée de l’homme de l’esprit, – il a beau se ce (...)
  • 77 V. Magrelli, op. cit., p. 290-292.
  • 78 Autrement dit, chez Valéry on décèle « la nécessité et l’impossibilité du “système” », A. Pizzoruss (...)
  • 79 ND, p. 102-103.

24Donc, même après être passé par le noir du « Moi pur », on ne peut pas qualifier d’« anti-je » l’égotiste75 Valéry. On ne peut affirmer non plus qu’il soit un partisan de l’impersonnel : autrement on ne trouverait aucun paradoxe ni aucune difficulté à saisir sa position. Il serait pourvu d’une ligne cohérente qui s’attacherait entièrement à la dissolution du sujet. En revanche, même si Valéry atteint effectivement cette condition du noir et de la perte de la pensée, il n’a jamais entrepris une action d’évidement et de destruction de soi-même : il s’est toujours attaché au mouvement de la construction. L’intérêt de la position valéryenne, et le dépaysement qu’on perçoit en lui faisant face et en essayant de saisir ses contradictions76, est justement dans la découverte cruciale que le maximum de la construction personnelle, loin de fuir l’impersonnel, en contient et en produit. En paraphrasant ce que Magrelli note au sujet de l’alternative entre vivre et non vivre77, dans le « Moi » de Valéry il y a à la fois le personnel et l’impersonnel78. La structure elle-même de Note et digression suffit à le montrer : la discussion portant sur le non-moi, sur le noir, entre dans le discours comme une interruption de l’exposé biographique et génétique, reproduisant ce trait de l’« instant » et de l’« intervalle »79 qui caractérise les états de transe par rapport aux états non altérés de la conscience. Après cela, le texte revient au personnel, l’auteur recommence à parler de son passé comme une personne tout à fait ordinaire et compréhensible.

  • 80 Ibid., p. 109.

25Chez Valéry, il s’agit en somme d’une individualité qui s’ouvre à l’impersonnel pour l’héberger, en tant que partie constituante, à l’intérieur d’elle-même. Cela peut nous amener à réfléchir à notre identité en termes de quantité. L’hypothèse est que celle-ci subsiste mais qu’elle est beaucoup plus subtile et fine par rapport à ce que nous sommes habitués à penser. Si les neuf dixièmes du moi sont hasardeux80, peut-être que son vrai noyau, sa vraie taille est toute contenue dans le dernier dixième.

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Notes

1 M. T. Giaveri, « Introduzione », dans P. Valéry, Opere scelte, Milano, Mondadori, 2014, p. XXV et sq.

2 Cela implique aussi un amour pour le cerveau, l’organe de l’intelligence, comme le souligne le titre de l’ouvrage d’Olivier Houdé (Paul Valéry, amoureux de son cerveau. Curieux de tout, mais d’abord de lui-même, Paris, Odile Jacob, 2022) qui en éclaircit les relations avec la psychologie.

3 Il poursuivait un « effort to negotiate a place for intelligence within literary form. […] Valerian intelligence transforms a philosophical problem into a linguistic performance across genres », P. Zakir, « Gathering Intelligence from Taine to Bergson », dans L’Esprit Créateur, 4, 2016, p. 146-159, p. 157-158 (« Un effort pour négocier une place pour l’intelligence dans une forme littéraire. […] L’intelligence valéryenne transforme un problème philosophique en une performance linguistique à travers les genres », c’est nous qui traduisons).

4 Dans les Cahiers, l’écriture se montre en effet sous un état de pratique et d’acte, plutôt que d’œuvre. Voir S. Kao, « L’Écriture informe dans les Cahiers », dans N. Celeyrette-Pietri, B. Stimpson (dir.), Un nouveau regard sur Valéry, Paris, Lettres Modernes, 1995, p. 87-100.

5 « Écrire devant être, le plus solidement et le plus exactement qu’on le puisse, de construire cette machine de langage », P. Valéry, Note et digression, dans Id., Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, 1957, p. 79 (dorénavant ND). Sur la poïétique valéryenne, voir J.-M. Rey, Paul Valéry. L’Aventure d’une œuvre, Paris, Seuil, 1991, p. 59-88.

6 I. Calvino, Lezioni americane. Sei proposte per il prossimo millenio, Milano, Mondadori, 1993, p. 79.

7 Voir F. Johansson, « Mythologie valéryenne de la création littéraire », dans Forschungen zu Paul Valéry, 29, 2016, p. 8-34.

8 Une petite synthèse de la fonction que la figure de Léonard recouvre pour Valéry se trouve dans A. Valéry, « Le Léonard de Paul Valéry », dans e-Phaïstos, 1, 2021, consulté le 07/07/2024, URL : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ephaistos.8858. Des études plus approfondies sont recueillies dans les volumes suivants : C. Vogel (dir.), Valéry et Léonard : le drame d’une rencontre. Genèse de l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Frankfurt, Lang, 2007 ; R. Nanni, A. Sanna (dir.), Leonardo da Vinci. Interpretazioni e rifrazioni tra Giambattista Venturi e Paul Valéry, Firenze, Olschki, 2012.

9 P. Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, cit., p. 46 (dorénavant IM).

10 Ibidem.

11 Ibid., p. 47, en italique dans le texte.

12 Ibidem.

13 Ibid., p. 63.

14 Ibid., p. 62.

15 Ibid., p. 64, en italique dans le texte.

16 Ibid., p. 42.

17 Voir les études de Cornelia Klettke, où elle souligne le rôle du regard et du langage poétique en tant qu’outils pour renforcer la position intellectuelle du savant universel : Ead., « L’Essai d’un portrait de l’intellect en tant que simulacre », dans P. Glaudes, B. Lyon-Caen (dir.), Essai et essayisme en France au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2014, p. 249-262 ; Ead., « La Métaphysique valéryenne du regard en tant que représentation du pouvoir de l’Esprit », dans Cahiers de l’AIEF, 74, 2022, p. 263-279.

18 ND, p. 86.

19 Ibid., p. 88.

20 Ibid., p. 89.

21 Le Moi est, dans les Cahiers, « la question récurrente par excellence », D. Moutote, « L’Égotisme de Valéry », dans Revue d’Histoire littéraire de la France, 5, 1978, p. 759-780, p. 760.

22 Sur le refus valéryen du journal et de l’autobiographie, voir A. Pizzorusso, « Sui Cahiers di Valéry : le immagini del soggetto », dans Belfagor, 2, 1989, p. 141-148, p. 143 et sq., ainsi que le texte valéryen sur le Lucien Leuwen de Stendhal recueilli dans P. Lejeune, L’Autobiographie en France, Paris, Colin, 1998, p. 169-171.

23 Valéry veut « rejeter tout ce qui n’est pas le noyau le plus irréductible de soi […] le mot “pur” étant à interpréter ici dans un sens plus chimique (sans mélange, sans élément étranger) », J. Robinson-Valéry, « Soi et non-soi dans la pensée de Valéry », dans J. Bernard, M. Bessis, C. Debru (dir.), Soi et non-soi, Paris, Seuil, 1990, p. 231-248, p. 238.

24 Sur le « miroir comme outil » de l’introspection, voir N. Celeyrette-Pietri, Valéry et le Moi, Paris, Klincksieck, 1979, p. 129-177 ; J. Jallat, Introduction aux figures valéryennes, Pisa, Pacini, 1982, p. 109-198.

25 V. Magrelli, Vedersi vedersi. Modelli e circuiti visivi nell’opera di Paul Valéry, Torino, Einaudi, 2002, p. 97 et sq.

26 Voir G. Agamben, « L’io, l’occhio, la voce », dans P. Valéry, Monsieur Teste, Milano, SE, 2017, p. 103-116.

27 Voir V. Magrelli, op. cit., p. 157.

28 IM, p. 13.

29 Sur la notion de « Système » en tant que « méthode pour bien conduire sa pensée », voir D. Moutote, « Égotisme et système chez Valéry », dans H. Laurenti (dir.), Approche du « Système », Paris, Lettres Modernes, 1979, p. 101-111.

30 IM, p. 13.

31 Citation de la proposition 2.0123 de L. Wittgenstein, Logisch-philosophische Abhandlung, Annalen der Naturphilosophie, 1921 ; tr. fr. G.-G. Granger, Tractatus Logico-philosophicus, Paris, Gallimard, 1993, p. 34.

32 ND, p. 109.

33 Ibid., p. 107.

34 F. Patrone, Piccola guida filosofica all’identità personale, Roma-Bari, Laterza, 2023, p. 14-18.

35 En ce sens, « à Valéry répugne d’écrire sur ses sentiments […] mais il dit pouvoir faire un livre sur ses idées », A. Pizzorusso, art. cit., p. 144-145.

36 Cette notion, qui paraît dans Note et digression (voir D. Moutote, « L’Égotisme de Valéry », cit., p. 770), est par la suite reprise aussi dans les Cahiers (voir N. Celeyrette-Pietri, op. cit., p. 37-42).

37 « La possibilité, la condition d’être de la pensée », D. Moutote, « L’Égotisme de Valéry », cit., p. 764.

38 N. Celeyrette-Pietri, op. cit., p. 33-37.

39 Ibid., p. 39-41.

40 Il s’agit en effet d’une « anthropologie insolite », J.-M. Rey, op. cit., p. 170.

41 Voir l’intervention de M. Tsukamoto, L’Inhumain. L’imagination selon Valéry, Collège de France, 2023, consulté le 13/02/2024, URL : https://www.youtube.com/watch ?v =oKva_XgskaI.

42 Le dernier volet est la lettre à Léo Ferrero, Léonard et les philosophes, où est développé notamment le thème de la relation entre l’art et la philosophie.

43 P. Lejeune, op. cit., p. 50-51.

44 ND, p. 72.

45 P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Points, 1990, p. 2-3.

46 D. Moutote, « L’Égotisme de Valéry », cit., p. 776.

47 ND, p. 93.

48 Valerio Magrelli (op. cit., p. 146-147) note que Valéry, tout en étant capable de déceler le mécanisme de la réciprocité visuelle, le laisse de côté dans ses expérimentations d’optique mentale. Stefano Agosti (« Aporie di Valéry », dans P. Valéry, Introduzione al metodo di Leonardo da Vinci, Milano, Abscondita, 2007, p. 107-125, p. 114) décèle dans l’incapacité de pactiser avec le réel une des « apories » de Valéry. Pour Maria Teresa Giaveri (art. cit., p. LII-LIII), le personnage typique de Valéry est un solitaire, un Robinson sans Vendredi.

49 Pour lui « l’altérité est presque pathologique », E. Morim de Carvalho, La Comédie de l’intellect dans les Cahiers de Valéry ou l’imitation de la comédie, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 73.

50 Nicole Celeyrette-Pietri (op. cit., p. 77) et Daniel Moutote (« L’Égotisme de Valéry », cit., p. 768) situent ce changement dans les années 1920, notamment autour de 1925. Sur l’imaginaire mathématique chez Valéry, voir, outre N. Celeyrette-Pietri (op. cit., p. 9-76), A. Pasquino, « Valéry et l’imaginaire mathématique », dans S.-T. Kim (dir.), Image, imagination, imaginaire autour de Valéry, Paris, Lettres Modernes, 2006, p. 113-118 ; R. Gheno, Valéry e la scatola nera, Messina, Mesogea, 2015.

51 V. Descombes, Le Parler de soi, Paris, Gallimard, 2014, p. 69.

52 IM, p. 44.

53 En confrontant les deux, Charles Du Bos s’exclame : « combien dissemblable le rythme auquel cette pensée obéit ! », C. Du Bos, « Sur l’Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, de Paul Valéry », dans La Nouvelle Revue Française, XIV, 1920, p. 675-699, p. 695.

54 N. Celeyrette-Pietri, op. cit., p. 43.

55 ND, p. 94.

56 Ibid., p. 95.

57 Ibid., p. 99.

58 Ibidem.

59 « Il faut pourtant sortir du non-lieu. […] L’extase n’est elle-même qu’une métaphore. Il n’y a “comparaison”, ou extase, que parce qu’on la quitte », M. de Certeau, La Fable mystique. XVIe-XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 1975, p. 272.

60 ND, p. 102.

61 Ibidem.

62 Ibidem.

63 N. Bastet, « “Penser ce qui n’existe pas” », dans R. Pietra (dir.), Valéry, la philosophie, les arts, le langage, Grenoble, PU, 1989, p. 33-47, p. 44.

64 ND, p. 103.

65 Voir M. Cometa, Mistici senza Dio. Teoria letteraria ed esperienza religiosa nel Novecento, Palermo, Edizioni di passaggio, 2012. C’est ce que Martin Turnell propose, en affirmant que l’enquête valéryenne du « moi universel » « était le résultat du déclin de la croyance religieuse. […] Sans avoir consciemment aucune intention anti-religieuse, Valéry espérait découvrir […] une nouvelle forme de nature humaine […] remplaçant la conception de l’homme qui appartenait aux religions révélées » (M. Turnell, « Paul Valéry and the Universal Self », dans The American Scholar, XLV, 2, 1976, p. 262-270, p. 264). Même pour Emil Cioran l’effort de la conscience valéryenne reproduit un effort mystique mais « délibérément en deçà de l’absolu » (E. Cioran, « Valéry face à ses idoles » [1970], dans Id., Exercices d’admiration. Essais et portraits, Paris, Gallimard, 1986, p. 75-95, p. 76). Sur l’imaginaire de l’origine surtout dans la poésie de Valéry, voir P. Gifford, « L’Imaginaire de la Source-origine », dans S.-T. Kim (dir.), op. cit., p. 143-155. Sur le scepticisme valéryen par rapport à la valeur cognitive des témoignages mystiques, voir en revanche P. Gifford, « Valéry, William James et le “problème de l’expérience mystique” », dans R. Pietra (dir.), op. cit., p. 106-118.

66 ND, p. 104.

67 Ibid., p. 106.

68 « Valéry ne prépare, ni ne développe : il énonce et passe », C. Du Bos, art. cit., p. 680.

69 ND, p. 107.

70 Ibidem.

71 Ibid., p. 110.

72 « Dès lors que Valéry refuse le sacrifice de sa personne à la littérature comprise comme le tout d’une existence, il refuse aussi bien l’impersonnalité qui en serait un autre résultat », M. Jarrety, Valéry devant la littérature, Paris, PUF, 1991, p. 157.

73 IM, p. 113.

74 Ibid., p. 116-117, en italique dans le texte.

75 Même « à travers ses passions amoureuses […] c’est toujours la vérité sur soi-même […] qu’il chercha éperdument à comprendre ». O. Houdé, op. cit., p. 10.

76 « Valéry a beau réduire à l’épure la plus sévère son idée de l’homme de l’esprit, – il a beau se cerner de toutes parts, – toujours quelque chose de lui s’échappe qui nous atteint en plein centre », C. Du Bos, art. cit., p. 698. Sur la contradiction constitutrice chez Valéry, voir aussi J.-M. Rey, op. cit., p. 167-174.

77 V. Magrelli, op. cit., p. 290-292.

78 Autrement dit, chez Valéry on décèle « la nécessité et l’impossibilité du “système” », A. Pizzorusso, art. cit., p. 148.

79 ND, p. 102-103.

80 Ibid., p. 109.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Giovanni Salvagnini Zanazzo, « Construire jusqu’au noir : le Moi de Valéry entre l’Introduction et Note et digression »Revue italienne d’études françaises [En ligne], 14 | 2024, mis en ligne le 15 novembre 2024, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/13257 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12oz0

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