Les retombées du pacifisme dans l’œuvre narrative de Jean Giono
Résumés
Jean Giono a toujours pratiqué au cours de son existence l’idéologie pacifiste et l’a durement payé par deux incarcérations en 1939 et en 1944. Ce pacifisme revêt toutefois, dans son œuvre narrative, deux aspects nettement différents. Des années vingt du siècle dernier jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, il nous fait assister à la célébration, dans une certaine mesure utopique, de la vie paisible et préservée de la technique, de l’industrialisation et du profit, que menaient au début du XXe siècle, dans une atmosphère quasi intemporelle, les paysans et les artisans de Haute-Provence. Dans la deuxième partie du siècle, au contraire, notre auteur, fortement marqué par les événements des années trente et quarante, change de cap et, sans renoncer à son pacifisme, décide d’affronter l’histoire. Il décrit alors, surtout dans le « Cycle du Hussard », le pragmatisme amoral des milieux politiques, qui finit par induire le personnage principal du « Cycle » à opter pour une sorte d’anarchisme.
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1Le pacifisme est l’idéologie à laquelle Jean Giono a constamment adhéré au cours de son existence, dans un esprit toutefois différent d’une époque à l’autre. C’est cette différence que nous nous proposons de prendre en considération, en subdivisant notre analyse en deux parties. La première aura pour objet les récits élaborés par notre auteur jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, et la seconde les récits postérieurs à la guerre. Mais il est nécessaire, avant tout, de nous interroger sur les raisons profondes de cette discontinuité, de cette fracture, en examinant brièvement les prises de position politiques de notre auteur.
2Déjà en 1913 (c’est-à-dire à dix-huit ans) Giono refuse d’entrer dans la « Société de préparation militaire », et bien qu’il accepte d’être incorporé dans l’armée de 1915 à 1919, il ne tarde pas à publier dans l’entre-deux-guerres une longue série de textes pacifistes, dont l’un des plus significatifs, publié en 1934 dans Europe et repris en 1937 dans Refus d’obéissance, s’ouvre par ces phrases :
- 1 J. Giono, Refus d’obéissance, dans Id., Récits et essais, éd. P. Citron, H. Godard, V. de Montmolli (...)
Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement je la revois, je la sens, je l’entends, je la subis encore. Et j’ai peur […]. Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L’horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque.1
- 2 Cette association politico-culturelle publia périodiquement, comme on sait, les Cahiers du Contadou (...)
3Ce total refus de la belligérance (que Giono défendra avec acharnement, entouré de ses amis pacifistes, au cours des rencontres périodiques qu’il organisera au Plateau du Contadour, dans les Alpes de Haute-Provence, de 1935 à 19392) le conduira à approuver en 1938 les accords de Munich entre Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier, qui sauvegardaient tout compte fait la paix même s’ils prévoyaient l’occupation d’une partie de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne. S’adressant à Daladier, Giono écrit en effet dans Précisions (1939) :
- 3 J. Giono, Précisions, dans Id., Récits et essais, cit., p. 610.
Quand vous avez accepté d’aller à Munich le cri de soulagement que nous avons poussé était un cri de victoire car nous vous avions contraint. Nous vous avions fait céder. Ne vous faites pas d’illusions, les quatre qui étiez à Munich, vous y étiez non pas de votre plein gré mais poussés et contraints par vos quatre peuples qui ne voulaient pas se battre.3
- 4 En ce qui concerne la question fort controversée du collaborationnisme de Giono, rappelons qu’on a (...)
- 5 Dans son Journal du 12 novembre 1936 (P. Citron (dir.), Journal, poèmes, essais, Paris, Gallimard, (...)
4Une telle profession de foi lui coûtera cher. Ses écrits pacifistes lui vaudront d’être arrêté, d’abord de septembre 1939 à novembre 1939, alors qu’il était mobilisé, puis d’août 1944 à mars 1945, cette fois sur les ordres du Comité de libération de Manosque, en raison de son prétendu collaborationnisme4. Même si Giono (irréductible pacifiste) n’a jamais prononcé ni écrit un mot en faveur du nazisme, du fascisme, et du régime de Vichy, il a été à l’époque, en France, vivement attaqué par la droite (qui voyait en lui un déserteur) et par la gauche, malgré ses rapports – à dire vrai difficiles – avec les communistes5, qui le considéraient comme un obstacle à la résistance à l’hitlérisme et voyaient des affinités entre la vision du monde de l’auteur, et celle des idéologues de Vichy, qui critiquaient la décadence de la civilisation moderne, célébraient la vie paysanne et louaient sans réserve le retour à la terre. Quoi qu’il en soit, les graves événements dont l’auteur a été victime l’ont incité à éviter toute activité politique. Déjà, dans son Journal, le 13 octobre 1938 (c’est-à-dire un mois après les accords de Munich, qu’il avait approuvés, en suscitant de violentes polémiques), il écrit à propos de ce qu’il avait affirmé dans Précisions :
- 6 J. Giono, Journal, dans Id., Journal, poèmes, essais, cit., p. 278.
Fini aujourd’hui Précisions sur les événements du mois passé. Quel que sera le bruit que cela fera, attaques ni rien ne m’empêcheront de laisser désormais tout ce social de côté. Hâte de me sortir de là. Mais enfin, c’était honnête.6
5Les événements de la fin des années trente et du début des années quarante représentent donc une évidente césure dans la vie de Giono, mais créent surtout un véritable gap dans son œuvre narrative dans la mesure où, tout en restant attaché à son pacifisme, l’auteur dans ses récits d’un peu avant et d’après la Seconde Guerre mondiale refuse tout militantisme et conçoit le pacifisme d’une façon foncièrement différente par rapport à ses récits des premières décennies du siècle dernier.
Giono première manière
- 7 À vrai dire Colline, Un de Baumugnes, Regain peuvent être définis, nous semble-t-il, comme des réci (...)
- 8 Voir, à ce propos, le livre de C. Morzewski, Ramuz, Giono et la nature, Loches, La Guêpine, 2022.
- 9 S. de Beauvoir dans son article « La pensée de droite, aujourd’hui », publié dans Les Temps Moderne (...)
6Dans la première partie de son œuvre narrative qui comprend, entre autres, des récits comme Colline, Un de Baumugnes, Regain, Que ma joie demeure7, Giono décrit la vie souvent difficile, en proie à mille tracas, mais aussi simple, indifférente au superflu, paisible et préservée de la technique, de l’industrialisation et du profit, que menaient, au début du siècle dernier, les bergers, les paysans et les artisans de la Haute-Provence, dont la riche végétation est représentée avec la sensibilité d’un poète et la compétence d’un botaniste8. Ces groupes humains, dans chaque agglomération de la contrée, vivent pour ainsi dire hors de l’histoire et de ses aléas, dans une atmosphère quasi intemporelle9, en pleine harmonie avec le rythme des saisons, et forment une communauté étroitement solidaire, en parfaite osmose avec le monde extérieur. Giono écrit en 1938 dans Le Poids du ciel :
- 10 J. Giono, Le Poids du ciel, dans Id., Récits et essais, cit., p. 493-494.
Au cœur de la civilisation industrielle et technique continue à exister avec ses vieilles lois naturelles la civilisation paysanne. Elle est aussi pure qu’aux premiers âges ; elle est obligatoirement paisible ; elle n’a besoin de l’asservissement de personne, elle n’a besoin que de la liberté de tous. Elle n’est la sujette de personne, elle est indispensable à tous. Ce n’est pas une organisation de masses avec des chefs et une discipline mystique, c’est une organisation individuelle avec des hommes chefs d’eux-mêmes et une discipline naturelle. Cette civilisation est la paix. Elle est si complètement la paix que, depuis les premiers temps où les hommes ont commencé à marquer les vérités par des images, la charrue a été opposée à l’épée, et chaque fois qu’on a voulu, dans l’histoire, faire disparaître un soldat on a dit qu’il s’était fait paysan.10
7On relève une évocation particulièrement suggestive de la victoire, vivement souhaitée par l’auteur, de la civilisation paysanne, lorsque Giono, s’inspirant sans doute, dans Les Vraies Richesses, d’une célèbre scène du Macbeth de Shakespeare, adopte le ton d’un poème épique et imagine que les vastes forêts se mettent en marche pour submerger et anéantir ce que les villes représentent à ses yeux de négatif, à savoir le triomphe de l’antinature :
- 11 J. Giono, Les Vraies richesses, dans Id., Récits et essais, cit., p. 238-239.
Maintenant, les champs se lèvent pour le combat du peuple de la vie, contre la société des faiseurs de mort. Nous sommes une immense forêt en marche […]. À toutes les grandes époques, quand il a fallu lutter contre les mauvaises forces, l’imagination paysanne a chaque fois inventé la forêt en marche […]. De l’est à l’ouest, par le nord, par le sud, la forêt s’avance, couvrant des vallons, couvrant des plaines, débordant les collines, recouvrant les collines le long des fleuves, le long des vallées, pas à pas, lourdement, cernant ce bourg, emportant d’assaut cette ville, poussant devant elle les décombres de la civilisation de la mort.11
8Cette célébration, dans une certaine mesure utopique, de la société rurale des premières décennies du vingtième siècle en Haute-Provence, contraste violemment avec la description minutieuse, dans Le Grand Troupeau (1931), des horreurs de la guerre de tranchées de 1914-1918 (à laquelle Giono avait participé), dont nous citerons un exemple particulièrement expressif et intentionnellement révoltant :
- 12 J. Giono, Le Grand troupeau, dans Id., Œuvres romanesques complètes, éd. R. Ricatte, Paris, Gallima (...)
[…] Les morts avaient la figure dans la boue, ou bien ils émergeaient des trous, paisibles, les mains posées sur le rebord, la tête couchée sur le bras. Les rats venaient les renifler. Ils sautaient d’un mort à l’autre. Ils choisissaient d’abord les jeunes sans barbe sur les joues. Ils reniflaient la joue puis ils se mettaient en boule et ils commençaient à manger cette chair d’entre le nez et la bouche, puis le bord des lèvres, puis la pomme verte de la joue. De temps en temps ils se passaient la patte dans les moustaches pour se faire propres. Pour les yeux, ils les sortaient à petits coups de griffes, et ils léchaient le trou des paupières, puis ils mordaient dans l’œil, comme dans un petit œuf, et ils le mâchaient doucement, la bouche de côté en humant le jus.12
Giono deuxième manière
9Dans la deuxième partie de son œuvre narrative (élaborée dans les années qui précèdent immédiatement et surtout qui suivent le second conflit mondial), Giono, fortement marqué par les événements de la fin des années trente et du début des années quarante, tout en ne renonçant en aucune façon à l’idéologie pacifiste, change de cap, comme l’a fort bien mis en lumière Richard J. Golsan :
- 13 Cette catégorie n’est évidemment pas pertinente pour les Chroniques romanesques.
- 14 R. J. Golsan, op. cit., p. 93-94. On consultera surtout à ce sujet l’ouvrage d’A. Marion, Renaissan (...)
[…] les romans [de Giono] d’après-guerre ne célèbrent plus le monde naturel, ni des gens si proches de la nature […]. Giono se consacra alors surtout à des romans historiques13 où la nature ne joue plus un rôle déterminant. D’une manière indirecte Giono avait peut-être reconnu qu’au bout du compte on doit faire face à l’histoire.14
- 15 On consultera avec fruit, à ce sujet, le livre de D. Labouret, Giono au-delà du roman, Paris, Press (...)
- 16 Voir l’article « Cycle du Hussard » de J-Y. Laurichesse, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 262-265.
- 17 Voir l’article « Le Bonheur fou » d’A.-A. Morello, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 137-140.
- 18 Ce pessimisme est surtout dû aux événements dont Giono a été victime, mais aussi, en partie, à l’in (...)
- 19 Voir l’article « Stendhal, Henry Beyle » de J.-Y. Laurichesse, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 87 (...)
- 20 Voir l’article « Le Hussard sur le toit » de J.-Y. Laurichesse, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 4 (...)
- 21 Il est intéressant de noter que la solitude, selon Giono, est un des traits distinctifs du pacifist (...)
- 22 Voir l’article « Anarchisme, Anarchie » de J.-P. Pilorget, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 43-44.
- 23 J. Giono, Jean le Bleu [1932], dans Id., Œuvres romanesques complètes, éd. R. Ricatte, P. Citron et (...)
- 24 J. Giono, Le Poids du ciel, dans Id., Récits et essais, cit., p. 392-393.
- 25 J. Giono, L’Homme qui plantait des arbres [1980], dans Id., Œuvres romanesques complètes, éd. R. Ri (...)
10La série de « chroniques » que Giono a publiées à partir du début des années quarante (Deux cavaliers de l’orage, en 1942-1943, Un roi sans divertissement, en 1947, Les Âmes fortes, en 1950, etc.) sont en effet des tranches de vie dont les personnages sont souvent des bourgeois qui vivent dans une époque, un lieu et un milieu déterminés15, mais c’est certainement dans le « Cycle du Hussard »16, dont le héros est un aristocrate, et surtout dans le dernier roman du « Cycle », Le Bonheur fou (1957), que cette nouvelle modalité narrative s’exprime avec le plus de force et de netteté. Angélo Pardi, le héros du Bonheur fou17 (et de presque tous les autres romans du Cycle), participe avec enthousiasme à la première guerre d’indépendance de l’Italie contre l’Autriche, qui finira par la défaite des indépendantistes, mais il ne tarde pas à prendre conscience qu’il est victime de la mauvaise foi, de l’égoïsme, de la duplicité et de l’ambition de ses coreligionnaires18, de sorte qu’il décide de poursuivre seul (pour reprendre une célèbre expression stendhalienne chère à Giono) sa « chasse au bonheur »19. Bien qu’Angélo soit profondément intrépide et charitable lorsqu’il entreprend, au péril de sa vie, dans Le Hussard sur le toit20 (1951), de sauver de nombreuses personnes infectées par le choléra, il finit en somme par se convaincre, dans Le Bonheur fou, que tout engagement politico-social est infructueux, dans la mesure où le pouvoir est par définition peu honorable, et que l’individu ne peut accéder au plein épanouissement qu’en s’affranchissant des règles de la société. Tandis que, dans Giono première manière, le bonheur ne pouvait être atteint qu’au sein d’une communauté rurale préservée de la technique, dans Giono deuxième manière on ne parvient au bonheur qu’à travers une quête entièrement solitaire21. La réflexion de l’auteur débouche donc sur une sorte d’anarchisme22, qui est d’ailleurs présent dès le début chez Giono, puisqu’il est un héritage de son père, comme on peut le lire dans Jean le Bleu23 (1932). « Aucun régime politique – écrit-il en effet dans Le Poids du ciel – n’a pu donner aux hommes en mille ans la millième partie du bonheur que leur donne une nuit de sommeil »24. Le court récit intitulé L’Homme qui plantait des arbres (1953), dont le héros, le berger Elzéard Bouffier, est un déserteur, qui continue sa tâche en « bon athlète de Dieu »25 sans se soucier des dégâts de la Deuxième Guerre mondiale, offre un parfait exemple de cet anarchisme. La chasse au bonheur de ce solitaire consiste à continuer à planter des arbres pour faire revivre une région désolée.
11Plusieurs héros des récits de Giono deuxième manière sont des militaires, ce qui aurait évidemment été inconcevable dans les premiers récits de notre auteur : Langlois, le héros d’Un roi sans divertissement, est un capitaine de la gendarmerie royale dans les années quarante du règne de Louis-Philippe ; Angélo Pardi est le personnage principal du « Cycle du Hussard » ; Martial Langlois, dans Les Récits de la demi-brigade, publiés à titre posthume en 1972, est lui aussi capitaine de la gendarmerie royale, mais au début du règne de Louis-Philippe. Ces différents personnages n’adhèrent toutefois en aucune façon à l’utopie d’une communauté fraternelle. Le héros d’Un roi sans divertissement est littéralement fasciné par le mal ; celui du Bonheur fou prône une « chasse au bonheur » proprement individuelle et refuse toute idée de félicité collective ; celui des Récits de la demi-brigade lutte contre les bandits de grands chemins et déjoue les complots des activistes légitimistes, mais sert le pouvoir établi avec une nuance de distance et de dédain. Il en résulte une mise en lumière de la perversité irrémédiable du monde, dont l’issue, suggérée au lecteur, ne peut être que le désengagement.
- 26 J. Giono, Le Bonheur fou, dans Id., Œuvres romanesques complètes, éd. R. Ricatte, Paris, Gallimard, (...)
12Même si l’œuvre narrative de Giono présente un ensemble d’aspects nettement différents, le pacifisme en est, dans une bonne mesure, un élément fédérateur. L’auteur est toutefois passé, surtout durant les années vingt et trente du siècle dernier, d’un véritable engagement en faveur de cette idéologie (en représentant et en érigeant en exemple une paisible société agricole réfractaire à la civilisation moderne et soucieuse d’éviter les dangers qu’elle comporte) à une sorte de désenchantement sur ses possibilités d’affirmation, en décrivant souvent, dans la deuxième moitié du XXe siècle, le pragmatisme amoral de la plupart des milieux politiques de son époque, généralement sourds à l’idée de paix. Le Bonheur fou, dernier volet du « Cycle du Hussard », relate avec franchise et amertume la perte des illusions. « On aura beau me tourner et me retourner sur le gril – déclare Angélo –, je ne serai jamais comestible pour ces messieurs du gouvernement »26.
Notes
1 J. Giono, Refus d’obéissance, dans Id., Récits et essais, éd. P. Citron, H. Godard, V. de Montmollin et M. Sacotte, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, p. 261. Sur cette idéologie de la non-belligérance voir l’article « Pacifisme, Pacifiste » d’A.-A. Morello, dans M. Sacotte et J.-Y. Laurichesse (dir.), Dictionnaire Giono, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 685-687.
2 Cette association politico-culturelle publia périodiquement, comme on sait, les Cahiers du Contadour qui contiennent des textes des défenseurs du pacifisme.
3 J. Giono, Précisions, dans Id., Récits et essais, cit., p. 610.
4 En ce qui concerne la question fort controversée du collaborationnisme de Giono, rappelons qu’on a accusé l’auteur non seulement d’avoir approuvé les accords de Munich, mais aussi d’avoir publié dans La Gerbe en 1942 et 1943 (hebdomadaire collaborationniste dirigé par Alphonse de Chateaubriant) le roman Deux cavaliers de l’orage, et d’avoir accepté qu’André Zucca (photographe collaborateur) publiât en janvier 1943 un reportage photographique sur lui dans Signal, magazine illustré italo-allemand imprimé en Allemagne. Sur cette question on consultera avec fruit les travaux suivants, dont les points de vue sont évidemment divergents : P. Ory, Les Collaborateurs. 1940-1945, Paris, Seuil, 1976, p. 27-35 ; P. Citron, Giono. 1875-1970, Paris, Seuil, p. 318-400 ; R. J. Golsan, « Jean Giono et la “collaboration”, nature et destin politique », dans Le Roman politique, F. d’Ameida, F. Tobaki et M. Tournier (dir.), Mots. Les langages du politique, 54, 1998, p. 86-94 ; la série d’articles suivants publiés dans la revue French Historical Studies, 4, 2010 : P. M. E. Lorcin, « Jean Giono, Vichy, and Collaboration : An Exchange », p. 573-574 ; M. Emery, « Giono’s Popular Front. “La Joie au grand air”, Idéologie réactionnaire ? », p. 575-604 ; R. J. Golsan, « Of Jean Giono and Collaboration : A Response to Meaghan Emery », p. 605-624 ; l’article « Seconde Guerre mondiale » d’A.-A. Morello, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 846-848 ; E. Lambert, Giono, Furioso, Paris, Gallimard, « Folio », 2020 (et, en particulier, le chapitre intitulé « Un chien vivant », p. 129-141).
5 Dans son Journal du 12 novembre 1936 (P. Citron (dir.), Journal, poèmes, essais, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1995, p. 149), Giono illustre sa position à l’égard des communistes de la façon suivante : « Je crois que nous allons donner à cette forme de communisme fausse, ce stalinisme, ce thorezisme, un coup assez dur. Ne pas séparer le prolétariat de l’idée de paix. C’est ce qui l’ennoblira devant le monde entier. Faire que la définition du prolétariat ne soit plus la définition actuelle. Mais signifie désormais devant le monde : “l’ensemble des hommes qui refusent toutes les guerres” ». La dernière phrase est soulignée dans le texte.
6 J. Giono, Journal, dans Id., Journal, poèmes, essais, cit., p. 278.
7 À vrai dire Colline, Un de Baumugnes, Regain peuvent être définis, nous semble-t-il, comme des récits poétiques, tandis que Que ma joie demeure est un roman.
8 Voir, à ce propos, le livre de C. Morzewski, Ramuz, Giono et la nature, Loches, La Guêpine, 2022.
9 S. de Beauvoir dans son article « La pensée de droite, aujourd’hui », publié dans Les Temps Modernes, 114-115, 1955, et repris dans Privilèges, Paris, Gallimard, 1955, a bien mis en lumière l’intemporalité qui se dégage des romans du premier Giono lorsqu’elle écrit : « […] la nature nous donne du temps une image cyclique […] : dans le recommencement indéfini des saisons, des jours et des nuits, s’incarne complètement la grande ronde cosmique. L’évidente répétition des hivers et des étés rend dérisoire l’idée de révolution, et manifeste l’éternel » (p. 189).
10 J. Giono, Le Poids du ciel, dans Id., Récits et essais, cit., p. 493-494.
11 J. Giono, Les Vraies richesses, dans Id., Récits et essais, cit., p. 238-239.
12 J. Giono, Le Grand troupeau, dans Id., Œuvres romanesques complètes, éd. R. Ricatte, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, t. I, p. 620. L’auteur fait les réflexions suivantes, catégoriques, sur la guerre dans sa Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix [1938] : « Les temps modernes ont accablé les hommes d’un travail si terrible, ils les tiennent dans un esclavage si total qu’ils sont avidement prêts à accueillir n’importe quelle libération, n’importe quelle promesse de gloire. Les hommes ne peuvent plus voir ce qu’ils voient ; ils ne voient plus que ce qu’ils désirent. Ils ne voient plus qu’il n’y a pas de héros, que les morts sont tout de suite oubliés, que les soldats sont cocus, qu’il ne reste plus après les guerres que des manchots, des boiteux, des culs-de-jatte et des visages affreux dont les femmes se détournent ; qu’après la guerre, celui qui vit, c’est celui qui n’a pas fait la guerre ; qu’après la guerre tout le monde oublie la guerre et ceux qui l’ont faite », Récits et essais, cit., p. 595.
13 Cette catégorie n’est évidemment pas pertinente pour les Chroniques romanesques.
14 R. J. Golsan, op. cit., p. 93-94. On consultera surtout à ce sujet l’ouvrage d’A. Marion, Renaissance de Giono. La reconstruction de l’auteur après la Seconde Guerre mondiale (Paris, Classiques Garnier, 2024) qui met bien en lumière les multiples causes, les contrecoups dans les domaines thématique, formel, stylistique et idéologique du « changement de cap » dont parle R. J. Golsan.
15 On consultera avec fruit, à ce sujet, le livre de D. Labouret, Giono au-delà du roman, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2016.
16 Voir l’article « Cycle du Hussard » de J-Y. Laurichesse, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 262-265.
17 Voir l’article « Le Bonheur fou » d’A.-A. Morello, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 137-140.
18 Ce pessimisme est surtout dû aux événements dont Giono a été victime, mais aussi, en partie, à l’influence de la pensée de Machiavel, sur laquelle l’auteur a longtemps médité. Voir, sur cette question, Machiavel, Œuvres complètes, éd. E. Barincou, Introduction de J. Giono, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1952. On consultera également avec profit : J. Giono, De Homère à Machiavel, éd. H. Godard, Paris, Gallimard, « Cahiers Giono 4 », 1986.
19 Voir l’article « Stendhal, Henry Beyle » de J.-Y. Laurichesse, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 871-875.
20 Voir l’article « Le Hussard sur le toit » de J.-Y. Laurichesse, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 455-458.
21 Il est intéressant de noter que la solitude, selon Giono, est un des traits distinctifs du pacifiste. Dans Recherche de la pureté (Récits et essais, cit., p. 635) il écrit en effet : « Le pacifiste est toujours seul. Il n’est pas dans l’abri d’un rang, dans une troupe, s’il emploie le pluriel, s’il dit “nous”, il dit “nous sommes seuls”. Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de défilé de pacifistes de n’importe quelle Bastille à n’importe quel Panthéon ; il ne court pas les rues ». Il n’en va pas évidemment ainsi de nos jours, puisque les manifestations pacifistes sont de plus en plus nombreuses de par le monde. Le pacifisme dans une certaine mesure « aristocratique » de Giono a en somme fait son temps. Voir, à ce propos, l’article de A. Marion, « “L’ermite de Manosque” : Jean Giono, écrivain marginal », dans Frontière, Travaux en cours, 14, 2019, p. 33-56.
22 Voir l’article « Anarchisme, Anarchie » de J.-P. Pilorget, dans Dictionnaire Giono, cit., p. 43-44.
23 J. Giono, Jean le Bleu [1932], dans Id., Œuvres romanesques complètes, éd. R. Ricatte, P. Citron et L. Ricatte, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, t. II, p. 25 et sq.
24 J. Giono, Le Poids du ciel, dans Id., Récits et essais, cit., p. 392-393.
25 J. Giono, L’Homme qui plantait des arbres [1980], dans Id., Œuvres romanesques complètes, éd. R. Ricatte, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, t. V, p. 764. Une première version de cette nouvelle a été publiée le 15 mars 1953, en anglais, dans le périodique Vogue, avec le titre The Man who Planted Hope and Grew Happiness.
26 J. Giono, Le Bonheur fou, dans Id., Œuvres romanesques complètes, éd. R. Ricatte, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1977, t. IV, p. 1027.
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Référence électronique
Giorgetto Giorgi, « Les retombées du pacifisme dans l’œuvre narrative de Jean Giono », Revue italienne d’études françaises [En ligne], 14 | 2024, mis en ligne le 15 novembre 2024, consulté le 15 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/12952 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12oyr
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