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Les Biens de ce monde (1941) d’Irène Némirovsky ou la chronique d’une famille d’industriels du Nord

All Our Wordly Goods (1941) by Irène Némirovsky or the chronicle of an industrial family in the North of France
Yves Baudelle

Résumés

L’article s’emploie à réhabiliter Les Biens de ce monde (1941), l’un des romans les moins étudiés de Némirovsky et le dernier paru de son vivant. Si cette chronique d’une famille d’industriels du Nord de la France se nourrit de souvenirs personnels, elle répond à un dessein plus vaste, celui d’une fresque qui confronte sur trois générations l’aspiration au bonheur de ses héros aux normes bourgeoises et aux bouleversements de l’Histoire. Adapter à la structure du feuilleton la poétique du roman-fleuve a constitué un grand défi technique. Finalement, Némirovsky réussit à renverser les codes du roman sentimental et l’image de la haute bourgeoisie.

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Texte intégral

  • 1 I. Némirovsky, Les Biens de ce monde, dans Gringoire, 10 avril-20 juin 1941 ; puis, Paris, Albin Mi (...)
  • 2 O. Philipponnat, « Notice » des Biens de ce monde, dans ŒC II, p. 905.
  • 3 C’est le cas de la thèse de S. Shewchuk, Silences and Voices : Family History and Memorialization i (...)
  • 4 Outre la « Notice » des Biens de ce monde (ŒC II, p. 903-906), voir O. Philipponnat, P. Lienhardt, (...)
  • 5 T. M. Lussone, « Une oubliée sous les feux de la rampe : le cas Némirovsky », dans Revue italienne (...)
  • 6 J. de Ricaumont, « Les Biens de ce monde par Irène Némirovsky », dans Formes et couleurs, 3, 1948.
  • 7 Voir S. R. Suleiman, La Question Némirovsky : vie, mort et héritage d’une écrivaine juive dans la F (...)
  • 8 Voir O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 336.
  • 9 Ibid., p. 393.
  • 10 Voir ibid., p. 389.

1Lorsqu’on mentionne Les Biens de ce monde1, c’est presque toujours pour y voir un galop d’essai ou le « laboratoire »2 de Suite française, le chef-d’œuvre d’Irène Némirovsky, comme si le dernier roman qu’elle ait publié de son vivant n’avait pas d’intérêt en soi. Il n’a donné lieu à aucune étude et des ouvrages entièrement consacrés à Némirovsky n’en soufflent mot3. En fin de compte, les analyses les plus détaillées qu’on en ait livrées sont celles d’Olivier Philipponnat et Patrick Lienhardt4. S’agirait-il donc d’un livre médiocre ? Si l’on rappelle souvent que sa publication posthume en volume, en 1947, n’eut qu’un faible « retentissement »5, son sujet – « l’histoire familiale d’une famille de la bourgeoisie industrielle de Nord »6 – comme sa formule – le roman familial – paraissant en décalage avec les grandes préoccupations de l’après-guerre7, il n’en reste pas moins que lors de sa première parution, en feuilleton, dans Gringoire entre avril et juin 1941, et alors même que Némirovsky doutait de son succès8, le roman reçut un « bon accueil »9, au point de susciter l’intérêt d’un producteur, les Films Gibé, en vue de son adaptation à l’écran10.

  • 11 En 1965, s’il ne restait qu’« une centaine » d’exemplaires des Biens de ce monde en stock chez Albi (...)
  • 12 I. Némirovsky, Les Biens de ce monde, Paris, Albin Michel, 2005.
  • 13 All Our Wordly Goods, tr. an. S. Smith, Londres, Chatto & Windus, 2008 ; l’édition américaine (New (...)
  • 14 C. Moorehead, Literary Review (Londres), cité sur la 4e de couverture de l’édition Vintage ; B. Hof (...)
  • 15 S. Shewchuk, recension de All Our Wordly Goods, dans Jewish Book World, 7 novembre 2011, consulté l (...)
  • 16 L. Jones, Financial Times (Londres), 18 octobre 2008.
  • 17 A. S. Byatt, The Guardian (Londres), 10 octobre 2008 ; S. Shewchuk, Publishers Weekly (Lincolnshire (...)

2De plus, après avoir été mis au pilon par Albin Michel en 196311, le livre est sorti du purgatoire en 200512, porté par le succès phénoménal de Suite française. Enfin, sa traduction en anglais, en 200813, lui a valu d’excellentes recensions, la presse anglo-saxonne parlant d’une œuvre « remarquable »14, « fascinante »15, « magnifique » (« gorgeous »16), « extraordinaire »17.

3Étant donné le peu de travaux universitaires consacrées aux Biens de ce monde, il m’a paru utile d’en proposer ici une lecture, pour tenter de mettre en évidence les qualités de ce roman et d’en cerner la spécificité.

Une chronique septentrionale

  • 18 Voir O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 336.
  • 19 Voir I. Némirovsky, Lettre à Jean Fayard [17 octobre 1940], dans Ead., Lettres d’une vie, éd. O. Ph (...)
  • 20 Voir O. Philipponnat, « Notice » des Biens de ce monde, dans ŒC II, p. 903.
  • 21 J. Galsworthy, Forsyte Saga [La Saga des Forsyte], 1906-1921.
  • 22 G. Duhamel, Chronique de Paris au temps des Pasquier, Paris, Union latine d’éditions, 1951, p. 31.
  • 23 Voir O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p.  426.
  • 24 Voir S. R. Suleiman, op. cit., p. 307-308.
  • 25 I. Némirovsky, Le Malentendu, dans Les Œuvres libres, février 1926 ; Paris, Fayard, 1926 ; ŒC I, p. (...)
  • 26 Ead., Nativité, dans Gringoire, 8 décembre 1933.
  • 27 Ead., Nativité, dans ŒC I, p. 821 et p. 830.
  • 28 Ibid., p. 817.
  • 29 Ead., La Comédie bourgeoise, dans Les Œuvres libres, juin 1932 ; dans Ead., Films parlés, Paris, Ga (...)
  • 30 Ead., Deux, Paris, Albin Michel, 1939 ; ŒC II, p. 11-200.
  • 31 ŒC II, p. 1064 et 918.

4Considéré sous l’angle de sa genèse, Les Biens de ce monde présente une première particularité, qui est de faire écho à la biographie de l’auteur, et sur une très longue durée. Si le livre a été écrit à Issy-l’Évêque entre mars18 et octobre 194019, le projet en remonte à 193720, mais surtout se nourrit de souvenirs personnels dont les plus anciens datent des années vingt. En effet, cette saga – pour employer un terme popularisé par Galsworthy21 et que Georges Duhamel trouvait « excellent »22 – a pour modèle explicite, sous le nom fictif de Hardelot, la famille Avot, cette dynastie de papetiers du Pas-de-Calais dont la future romancière avait fait connaissance dès 1921, à dix-huit ans. Or, c’est précisément Madeleine Avot, devenue Cabour, qui recueillera en 1944 les deux orphelines du couple Epstein23, avant que son frère René ne devienne leur tuteur24. Némirovsky avait déjà transposé plusieurs fois, dans ses œuvres antérieures, cette lignée de capitaines d’industrie typique du patronat septentrional : fugitivement dans Le Malentendu25, où l’oncle d’Yves est un richissime industriel du Nord ; plus nettement dans deux nouvelles, Nativité26, où « l’usine »27 et la « maison des Armand » se situent « dans le Pas-de-Calais, […] à dix-huit kilomètres de la mer »28, puis La Comédie bourgeoise29, dont l’héroïne se prénomme Madeleine ; enfin dans Deux30, où les Carmontel sont des papetiers installés dans une localité qui s’appelle déjà Saint-Elme mais qui est alors située en Normandie. Avec Les Biens de ce monde la fiction colle cette fois à la réalité, puisque la famille Hardelot est implantée dans « le Nord de la France », entre Wimereux et Saint-Omer31.

  • 32 Lumbres, sur l’Aa, se trouve à quinze kilomètres à l’ouest de Saint-Omer et ne doit pas être confon (...)
  • 33 Ce rapprochement a été fait pour la première fois par P. Renard, « Irène Némirovsky [1903-1942] : u (...)
  • 34 O. Philipponnat, « Introduction » aux ŒC I, p. 13.
  • 35 ŒC II, p. 920.
  • 36 ŒC II, p. 920.
  • 37 Voir Y. Baudelle, « Une toponymie imaginaire du pays d’Artois », dans Europe, 789-790, « Georges Be (...)

5Si le nom de Saint-Elme est fictif, il s’inspire à l’évidence de celui d’Elnes, village des environs de Lumbres32, cette bourgade réelle où résidaient les Avot et où ils avaient leur usine33. Le décor du roman n’est donc pas « bâti de toutes pièces »34, le bois d’Elnes étant d’ailleurs le modèle du bois de la Coudre, où commence et s’achève le récit. Mais la localisation du roman se fait surtout par synecdoque, la toponymie référentielle s’inscrivant dans les patronymes des personnages comme autant d’indices géographiques : ainsi le nom d’Hardelot est-il celui d’une station balnéaire réputée de la Côte d’Opale, située entre Wimereux, où s’ouvre le roman, et Le Touquet, où les Epstein allaient en vacances et où les Avot possédaient une villa ; quant à la branche Hardelot-Arques35, son nom connote la grande industrie, la ville d’Arques (9500 habitants), voisine de Saint-Omer, étant connue pour être aujourd’hui le siège de la plus grande cristallerie du monde, fondée en 1825 et qui commercialise les marques Luminarc, Arcopal ou Cristal d’Arques ; enfin la localité qui donne son nom au docteur Lumbres, ce personnage un temps promis à Agnès36, ne pouvait être ignorée des lecteurs d’Irène Némirovsky, dès lors que Bernanos, le grand romancier du pays d’Artois37, avait fait de Donissan – le héros de Sous le soleil de Satan (1926) – le curé de cette modeste paroisse de 2200 âmes (à l’époque), symbole de son humilité.

  • 38 I. Némirovsky, Lettre à Madeleine Avot, Paris, [septembre 1922], dans Ead., Lettres d’une vie, cit. (...)
  • 39 Ead., Lettre à Madeleine Avot, Paris, 23 septembre [1921], ibid., p. 19-20, p. 20.
  • 40 Ead., Lettre à Madeleine Avot, Le Touquet-Paris-Plage, [septembre 1922], ibid., p. 45.
  • 41 Ead., Lettre à Madeleine Avot, Paris, [3 janvier 1922], ibid., p. 25-26, p. 25.
  • 42 Ead., Lettre à Madeleine Avot, Paris, 11 novembre 1921, ibid., p. 22.
  • 43 Ead., Lettre à Madeleine Avot, Paris, [3 janvier 1922], ibid., p. 25-26, p. 26. Cf. « Me voici rent (...)
  • 44 ŒC II, p. 914.
  • 45 Voir M. Bakhtine, « Le chronotope du roman-idylle », dans Id., Esthétique et théorie du roman [Mosc (...)
  • 46 Voir A.-M. Thiesse, Écrire la France : le mouvement littéraire régionaliste de la Belle Époque à la (...)
  • 47 L’édition anglaise situe par erreur le roman « près de la Somme » (distante de 120 kilomètres) et l (...)
  • 48 Voir O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 348. La comparaison de cette « marine avec ombrell (...)

6On connaît les lettres où la jeune Irène évoque ses « délicieuses vacances »38 à Lumbres, synecdoque du bonheur, ses « randonnées exquises »39 dans la vallée de l’Aa, les joies de « Paris-Plage »40 et, par opposition, le spleen où la plongent ses déprimants retours dans « l’enfer parisien »41 : « Vous ne pouvez pas vous figurer quel vide j’ai ressenti en rentrant […]. La maison paraissait triste, maussade […] »42 ; « […] j’ai trouvé Paris maussade, froid, pluvieux, la maison triste et j’ai un cafard monstre »43. Or cette antithèse se retrouve dans Les Biens ce monde, que Némirovsky, retournant le lieu commun d’une région au climat morose, fait débuter sur la plage de Wimereux pleine de soleil44. Si cette axiologie météorologique a une source empirique, elle n’en fonde pas moins le principal décor de son récit – le Pas-de-Calais – sur le chronotope de l’idylle45, c’est-à-dire un microcosme protégé et voué au bonheur, préparant ainsi les orages à venir. Suivant la vieille loi de l’ancrage réaliste, renouvelée par le roman de terroir alors à la mode46, cette fiction artésienne associe donc un milieu social – la bourgeoisie industrielle, définie par ses codes et ses valeurs – à un milieu géographique47, mais on est loin du lourd appareil naturaliste. Némirovsky s’attache plutôt à évoquer une atmosphère, procédant par touches, avec le tact qu’on lui connaît, et avec une vraie sensibilité poétique, en coloriste quasi impressionniste, Olivier Philipponnat ayant à juste titre comparé l’incipit des Biens de ce monde à une toile de Boudin48.

La saga des Hardelot : un défi technique

  • 49 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 336.
  • 50 Voir, entre autres, D. Carroll, « Excavating the past : Suite française and the German Occupation o (...)
  • 51 M. Van der Meersch, Invasion 14, Paris, Albin Michel, 1935.
  • 52 Voir notamment Id., Quand les sirènes se taisent, Paris, Albin Michel, 1933, récit d’une grève roub (...)
  • 53 Id., L’Empreinte du dieu, Paris, Albin Michel, 1936.

7Au-delà de ses sources autobiographiques et de la valeur affective qu’il avait pour l’auteur, le choix de ce décor septentrional s’accorde surtout à la dimension historique du roman. Il s’agissait en effet du lieu idoine pour mettre en miroir les deux guerres mondiales et montrer « comment 14 a agi sur 40 »49. On oublie trop souvent, en effet50, que la France a connu, non pas une, mais deux occupations allemandes et deux exodes – du moins les régions situées au nord-est du pays. Albin Michel avait du reste publié en 1935 le grand récit de la première occupation, Invasion 1451, roman unanimiste dont l’auteur, Maxence Van der Meersch, par ailleurs très bon connaisseur du patronat du Nord52, obtint l’année suivante le prix Goncourt53. Si Némirovsky n’est donc pas la première à raconter l’occupation de 1914 ni, bien entendu, la Grande Guerre, elle est la seule à avoir raconté les deux offensives allemandes dans un même roman. C’était donc là un sujet tout à fait original, voire audacieux et, de surcroît, d’une actualité brûlante dans un livre écrit en 1940 et publié en 1941.

  • 54 Il s’agit du manuscrit des Biens de ce monde (cote 78NMR/1/14), du Carnet de notes 1918-1942 (cote (...)
  • 55 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 336.
  • 56 Ibidem.
  • 57 Sur ce point, voir A. Rüth, « Irène Némirovsky Anti-Avantgardismus », dans S. Bung et S. Zepp (dir. (...)

8En développant la saga des Hardelot depuis la Belle Époque jusqu’en mai 1940, Némirovsky avait toutefois un dessein bien plus vaste et qu’on peut qualifier de socio-historique puisqu’il conjoint l’étude d’un milieu, celui de la bourgeoisie industrielle – sur lequel elle jette un regard d’autant plus aigu qu’il est celui d’une étrangère –, et une chronique au sens où cette peinture sociale se déploie sur un demi-siècle pour constituer une fresque transgénérationnelle dont le titre initial était d’ailleurs Jeunes et Vieux. S’appuyant sur les archives du texte54, Olivier Philipponnat a parfaitement caractérisé le but que s’est donné la romancière dans Les Biens de ce monde et qu’elle présente comme « le sujet par excellence »55, à savoir la confrontation entre l’aspiration au bonheur des individus – « le désir […] de vivre pour [soi]-même »56 – et les deux forces contraires qui les broient : la pression sociale exercée par les normes bourgeoises, d’une part, et d’autre part le destin collectif, puisque cette classe sociale qui impose aux siens de ne pas céder aux entraînements de la jeunesse se heurte elle-même aux tempêtes de l’Histoire, à commencer par les guerres, qui ruinent ses efforts de stabilité. Tel est l’agencement qui structure la dynamique du roman et permet de relier adroitement les deux fils du récit : l’histoire familiale et l’Histoire tout court, Némirovsky ayant réussi à trouver un équilibre entre les vies particulières et la perspective illimitée d’un devenir commun57.

  • 58 R. Rolland, Jean-Christophe, Paris, Ollendorff, 1905-1912, 10 vol.
  • 59 J. Galsworthy, Forsyte Saga, cit., A Modern Comedy [Une comédie moderne] (1924-1928), End of the Ch (...)
  • 60 R. Martin du Gard, Les Thibault, Paris, Gallimard, 1922-1940, 8 vol.
  • 61 J. Romains, Les Hommes de bonne volonté, Paris, Flammarion, 1932-1946, 27 vol.
  • 62 G. Duhamel, Chronique des Pasquier, Paris, Mercure de France, 1933-1945, 10 vol. Au sujet de Duhame (...)
  • 63 M. Proust, À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 1918-1927 (le t. I, Du côté de chez Swa (...)
  • 64 J. de Lacretelle, Les Hauts Ponts, Paris, Gallimard, 1932-1935, 4 vol.
  • 65 J. Chardonne, Les Destinées sentimentales, Paris, Grasset, 1934-1936, 3 vol. ; publ. en un vol., Gr (...)
  • 66 Relevons que le t. VII, L’Été 14, était paru en 1936.
  • 67 J. Romains, « Préface » à Le 6 octobre, Paris, Flammarion, 1932, p. 9-10. (Il s’agit du premier vol (...)

9En ne se proposant rien de moins que de brosser le tableau d’une époque à travers le destin d’une dynastie d’industriels, la romancière a conçu un projet qui, pour être ambitieux, présentait toutefois le défaut de n’être pas original, reprenant une formule éprouvée, qui avait fait la gloire des écrivains les plus renommés du siècle : Romain Rolland58 (prix Nobel 1915), John Galsworthy59 (prix Nobel 1932), Roger Martin du Gard60 (prix Nobel 1937), Jules Romains61 (Académie française, 1935), Georges Duhamel (futur académicien)62, sans parler de Proust63… Dans Les Hauts Ponts64, Jacques de Lacretelle avait raconté, sur trois générations, la décadence d’une lignée de propriétaires terriens confrontée à des problèmes d’héritage, tandis que Jacques Chardonne, dans Les Destinées sentimentales65, avait réhabilité la bourgeoisie manufacturière et montré, sur trente ans (1905-1935), comment le bonheur conjugal peut survivre aux crises successives subies par une fabrique de porcelaine, sujet très proche des Biens de ce monde. La formule littéraire adoptée par Némirovsky dans son roman – celle d’une chronique bourgeoise doublée d’une fresque socio-historique, ce conflit de générations confrontées à la modernité, enfin l’imbrication étroite des destinées individuelles dans les rouages de la grande Histoire –, tout cela coïncide même exactement avec la poétique mise en œuvre par Martin du Gard dans Les Thibault66. Se mesurer à ces brillants prédécesseurs a donc constitué un défi pour la romancière avant d’apparaître, paradoxalement, comme une faiblesse de son livre, surtout après 1945, où la chronique familiale, c’est-à-dire « l’histoire concrète d’une famille à travers les générations »67, devait bientôt être tenue pour un genre dépassé.

  • 68 I. Némirovsky, Journal d’Issy-l’Evêque [1940], cité par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. (...)
  • 69 N. Coward, Cavalcade, 1931.
  • 70 « […] j’en reviens à ma première idée : une sorte de Cavalcade française », Notes de travail d’Irèn (...)
  • 71 I. Némirovsky, Carnet de notes 1918-1942 [1940], cité par O. Philipponnat, « Notice » des Biens de (...)
  • 72 Sur les raisons de ce changement d’éditeur, lié aux lois anti-juives de Vichy, voir I. Némirovsky, (...)
  • 73 Voir ibid., p. 336.
  • 74 O. Philipponnat, « Notice » des Biens de ce monde, dans ŒC II, p. 905.

10Némirovsky, quand elle parle de son roman, se réfère plutôt à Tolstoï – « En somme, ma fille, tu veux faire ta petite Guerre et Paix »68 –, dont elle se souvient à plus d’un titre : même découpage en chapitres, mêmes pauses méditatives, même allant, même dialectique des problèmes privés et de la guerre. Est-il pourtant si difficile, parmi tant de modèles, de discerner l’originalité de la romancière ? Que l’on compare Les Biens de ce monde avec Guerre et Paix ou avec Les Thibault, comment ne pas voir le surprenant tour de force accompli par l’auteur, qui a réussi à raconter trente années en autant de chapitres, adoptant ainsi l’esthétique du roman-fleuve mais dans les limites d’un seul volume ? La poétique du texte peut ainsi s’analyser sous l’angle du décalage a priori insurmontable entre la visée diachronique du livre et son format. Or, pour résoudre ce problème technique, Némirovsky ne pouvait guère recourir à d’autres moyens que celui des ellipses temporelles. Le dramaturge Noël Coward en avait donné l’exemple dans Cavalcade69, où il sautait plusieurs années entre chaque acte, réussissant par là à dérouler sa fiction sur une très longue période, de 1899 à 1930. Cette pièce, à laquelle Némirovsky se réfère explicitement70, était d’autant plus connue qu’elle avait été adaptée à l’écran en 1933, le film de Frank Lloyd – l’auteur des fameux Révoltés du Bounty (1935) – obtenant même un oscar l’année suivante. Il est d’ailleurs indéniable que la division en chapitres, qui découpe le récit en autant de séquences, apparente aussi Les Biens de ce monde à un scénario, la romancière indiquant, dans son carnet de notes, avoir voulu « traiter [son sujet] comme du cinéma »71. Il n’en reste pas moins que le séquençage du texte en trente chapitres de longueur équivalente répondait avant tout aux contraintes d’une publication en feuilleton. Si le roman est finalement paru sous cette forme dans Gringoire et non dans Candide72, le contrat initialement conclu, en avril 194073, prévoyait dès l’origine une publication en épisodes, dans l’hebdomadaire fondé par Arthème Fayard. Et c’est bien la structure du feuilleton qui a condamné la romancière à l’efficacité des moyens, révélant une nouvelle fois la technicienne hors pair qu’elle était, ce que l’on ne souligne pas assez souvent. Duhamel et Martin du Gard sautaient des années entre chaque tome de leurs romans-cycles : Némirovsky reprend ce procédé, mais pour le mettre en œuvre au sein d’un même volume, d’un chapitre à l’autre, ce qui est était plus hardi, construisant ainsi ce qu’Olivier Philipponnat appelle « une chronique à ellipses de l’entre-deux-guerres »74.

  • 75 Ibid., p. 905. Même qualificatif (« stately ») dans The New York Times Book Review (recension de Li (...)
  • 76 The Daily Mail (Londres), cité sur la 4e de couverture de l’édition Vintage.
  • 77 O. Philipponnat et P. Lienhardt parlent de « longues phrases patientes et opulentes » (op. cit., p. (...)
  • 78 G. Corlito, « Pergamena ci raconta I Doni della vita di Irene Némirovsky », dans Il Giunco.net, 27 (...)

11Mais l’économie de moyens qu’impose le roman à épisodes ne se limite pas aux ellipses temporelles. Il faudrait détailler l’art de la précipitation dramatique, des raccourcis visuels, des synthèses méditatives, des clausules à effet, l’alternance des scènes et des sommaires – autant de techniques narratives qui font des Biens de ce monde un récit ni saccadé ni languissant, et dont Olivier Philipponnat trouve même le rythme « majestueux »75. Si la servitude du feuilleton évite à Némirovsky l’enlisement, son allure naturelle est, de toute façon, d’avancer d’un pas vif, servie par son aisance dans les relais énonciatifs et les flux de conscience, troussant joliment chaque chapitre. Le risque d’une telle composition, le schématisme psychologique, est même écarté, la romancière lestant son récit de l’épaisseur phénoménologique des monologues intérieurs et d’une dimension historique qui lui confère la gravité des orages collectifs. Enfin, l’ouvrage mériterait une étude stylistique, qui mette en évidence la manière incomparable de Némirovsky, qui a su éviter tout à la fois les facilités de la littérature industrielle, la grandiloquence à laquelle pouvait l’entraîner l’accumulation des drames, la sécheresse d’un Duhamel ou d’un Jules Romains. Sobre et « svelte » (« slender »)76, parfois lyrique, voire « opulente »77, souvent poétique, l’écriture de Némirovsky, adaptée à l’agilité du feuilleton, n’est jamais boursouflée ni saccadée, elle brille au contraire par sa délicatesse et, par-dessus tout, sa fluidité78.

  • 79 Selon M. Scanlan, op. cit., p. 117.
  • 80 Sur ce point, voir ibid., p. 112.
  • 81 Il s’agit d’Adolphe Brun et de Thérèse (I. Némirovsky, Les Feux de l’automne [Paris, 1957], dans ŒC (...)

12Les Biens de ce monde a pourtant été rédigé rapidement, à un moment où le couple Epstein avait plus que jamais besoin d’argent, au point qu’on soupçonne parfois l’auteur d’avoir donné dans la littérature alimentaire. Or de tels propos négligent l’esthétique propre du roman-feuilleton, qui ne repose pas simplement sur l’art de tenir son lecteur en haleine à la faveur de chutes dramatiques, mais aussi sur un certain nombre de ficelles qui sont autant de concessions au romanesque voire au mélodrame79. Doit-on alors reprocher à une femme de lettres d’avoir recherché le succès80 ? d’avoir fait du storytelling ? et pourquoi bouder son plaisir, comme le personnage qui, dans Les Feux de l’automne, interdit à sa fiancée de lire des feuilletons81 ? Il est certain, en tout cas, que Némirovsky déploie dans Les Biens de ce monde toute la topique du romanesque en autant de scènes de genre, de dispositifs haletants et de motifs éprouvés : dilemmes, fils prodigue, séparations, morts brutales, coups de théâtre, coïncidences, réconciliations, reconnaissances, singularisation du héros… Nul ne peut nier qu’elle connaît son métier.

  • 82 ŒC II, p. 1084.
  • 83 Ibidem.
  • 84 G. Corlito, art. cit.
  • 85 S. R. Suleiman, op. cit., p. 20.
  • 86 Ibid., p. 21.
  • 87 Sur ce point, voir J. Weiss, Irène Némirovsky, Paris, Le Félin, « Les marches du temps », 2004, p.  (...)
  • 88 Ibid., p. 163.
  • 89 Cf. Nativité : « “Mariage d’inclination”… Le joli mot… » (ŒC I, p. 819).
  • 90 Cette problématique est aussi au cœur de Rêveuse bourgeoisie (op. cit.).

13Si le romanesque l’emporte, cependant, c’est surtout par la dominante eudémonique du récit. À propos de l’épilogue, qui exprime un double optimisme, postulant la permanence des conditions d’existence – « – On rebâtira »82 – et celle des sentiments – « Ils achèveraient leur vie ensemble »83 –, on taxe parfois l’auteur de naïveté, voire d’aveuglement. C’est oublier qu’un heureux dénouement, fût-il en pointillé, est inhérent au romanesque appliqué à l’amour. La romancière aurait-elle donc cédé aux facilités du roman à l’eau de rose ? S’il s’agissait seulement de relever, comme on peut le lire dans un article récent, que « la romance l’emporte »84, Les Biens de ce monde ne devrait pas nous retenir. En l’occurrence, il faut au contraire souligner, avec Susan Suleiman, combien cette fiction, loin d’être « conventionnelle »85, est singulièrement « atypique »86 en ce qu’elle renverse complètement les codes du registre sentimental. En effet, la loi du genre est de s’arrêter là où commence le roman réaliste, dont Madame Bovary donne le modèle : au mariage. À cet égard, Les Biens de ce monde, dont les deux héros – Pierre et Agnès – s’unissent par amour, débute bien comme un roman réaliste. Mais sa singularité est de concilier ce que Deux, en 1939, continuait d’opposer comme des entités incompatibles : l’esprit bourgeois et les exigences du cœur. Entre l’amour et les lois du lignage, il faut choisir : telle est, depuis l’invention de l’amour, c’est-à-dire depuis le roman celtique, l’exclusion réciproque des sentiments et du mariage87. Pour autant, réduire Les Biens de ce monde à un « éloge de l’amour conjugal »88, c’est confondre Irène Némirovsky et Paul Bourget. En vérité, en montrant un couple heureux, marié par amour et soudé sur la durée, la romancière innove doublement. Non contente de subvertir les conventions du roman, elle met en même temps en lumière les linéaments d’une révolution des mœurs qui s’accomplira dans la seconde moitié du siècle : la substitution, en matière d’union civile, d’une « inclination »89 réciproque à l’impératif patrimonial, y compris au sein de la bourgeoisie90.

Un roman vichyssois ?

14C’est en venir à la vision sociologique de notre roman, dont la spécificité, souvent soulignée par comparaison avec les autres livres de l’auteur, et jusqu’à Suite française, est de donner une image favorable de la bourgeoisie française. À ce titre, c’est un roman à part dans l’œuvre de Némirovsky et il convient donc, pour finir, de s’interroger sur cette différence de traitement.

  • 91 O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 393.
  • 92 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 348.
  • 93 S. R. Suleiman parle d’« une affection sans ironie » (op. cit., p. 77).
  • 94 I. Némirovsky, Lettre à Madeleine Cabour, 22 décembre 1940, dans Ead., Lettres d’une vie, cit., p. (...)

15Mon avis est que l’estime de l’auteur pour la bourgeoisie qu’elle peint est vraie, et authentique sa fascination envers la ténacité à toutes épreuves de cette élite industrielle « increvable »91, d’où l’évidente « sympathie »92 de la narratrice à l’égard des Hardelot et leurs qualités morales, que le récit met en relief : abnégation, fidélité conjugale, persévérance, sens de l’honneur et du devoir, héroïsme même, les coups de griffe ne portant que sur des détails, notamment l’importance disproportionnée accordée aux codes du savoir-vivre. S’il faut des preuves de l’affection93 et de l’admiration de Némirovsky pour les Avot, modèle des Hardelot, il suffit de se reporter à sa correspondance, où elle exprime une ferveur constante à leur égard, depuis les jours heureux des vacances dans le Pas-de-Calais, jusqu’en décembre 1940, quand elle rend hommage au « cran remarquable » dont fait preuve Auguste Avot, le père de Madeleine, « en demeurant […] à Lumbres »94 au milieu du chaos.

  • 95 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 335.
  • 96 J. Weiss, op. cit., p. 43.
  • 97 « A “Vichy” novel », M. Scanlan, op. cit., p. 111.
  • 98 D. Kagan-Kans, art. cit.
  • 99 J. Weiss, op. cit., p. 164.
  • 100 Voir S. R. Suleiman, op. cit., p. 101-104.
  • 101 Les Biens de ce monde, « par une jeune femme ».
  • 102 Voir Y. Baudelle, « “L’assiette à bouillie de bonne-maman” et “le râtelier de rechange de papa” : i (...)
  • 103 A. Kershaw souligne cette ambivalence, se refusant à voir dans Les Biens de ce monde une célébratio (...)
  • 104 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 337.

16Dès lors, pourquoi supposer, comme on le fait parfois, je ne sais quel abaissement de la romancière, qui aurait écrit avec ce « drame français »95 un roman « barrésien »96, « vichyssois »97, voire « fasciste »98, qui aurait cédé par complaisance à l’idéologie officielle de l’État français – ruraliste, moralisante et raciale – et écrit un « hymne » à « la France éternelle »99 dans l’espoir vain d’être un jour naturalisée ? D’ailleurs, argument définitif – j’ironise –, n’a-t-elle pas publié son roman dans Gringoire, au revers même des diatribes antisémites d’Henri Béraud et Philippe Henriot100 ? Comme d’autres s’y sont employés avant moi, je crois inutile de réfuter cette hypothèse d’un calcul opportuniste, qui n’est pas seulement odieuse et en contradiction avec le texte, mais absurde, puisque le feuilleton n’a pas été signé101. Certes, dans Les Biens de ce monde, le trait n’a pas la férocité de Suite française, mais le dispositif énonciatif du chef-d’œuvre à venir, qui instille une ironie discrète, sapant par avance tout monologisme officiel102, est déjà présent ici. Moyennant quoi le récit, ambivalent103, fait déjà la part des lâchetés, de l’aveuglement surtout. De surcroît, escamotant, dans son titre, toute aspiration à l’au-delà, le texte n’insiste nullement sur l’appartenance confessionnelle des Hardelot, alors même que – c’est un fait – les grandes familles du Nord sont un bastion du catholicisme. Mieux, en transposant le « grand’père [sic] Avot »104, la romancière a fait du patriarche Julien Hardelot un anticlérical – ce que son modèle n’était pas –, défiant ainsi à la fois la réalité et la propagande de Vichy.

  • 105 É. Gille, op. cit., p. 239.
  • 106 I. Némirovsky, M. Rose, dans Candide, 28 août 1940, désormais dans ŒC II, p. 861-876.
  • 107 O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 393.
  • 108 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées dans ibid., p. 287. J. Weiss, qui parle de « haute bour (...)
  • 109 M. Scanlan, op. cit., p. 120.
  • 110 ŒC II, p. 872.

17Pour réfuter cette interprétation qui fait des Biens de ce monde une œuvre épidictique chantant les louanges des « Français d’ancienne souche »105, je suggérerai que la peinture des Hardelot n’a pas forcément la valeur générale qu’on lui prête souvent. Le fait que Némirovsky ait écrit en même temps une nouvelle comme M. Rose106, attaque féroce contre le type même du bourgeois égoïste, empêche en effet d’affirmer que la rédaction des Biens de ce monde correspond à une époque où l’auteur se berçait encore d’illusions sur les Français. Dans ce livre, autrement dit, la bienveillance ne porte pas sur la bourgeoisie prise comme un tout, ni même sur la bourgeoisie provinciale et encore moins sur on ne sait quelle bourgeoisie rurale, « terrienne »107, ce qui n’a pas de sens, mais sur une famille d’« industriels »108, une famille d’« exception »109 – la suite l’a prouvé –, avec ses spécificités septentrionales : l’austérité, l’esprit d’entreprise, le paternalisme, l’hospitalité et une bravoure qui l’honore d’autant plus qu’elle n’était pas la chose du monde la mieux partagée, comme l’exprime l’alternative formulée par le jeune Marc Beaumont, dans M. Rose : « […] il faut choisir désormais entre la vie héroïque et la vie commode »110.

  • 111 Comme le relève G. Corlito, art. cit.
  • 112 ŒC II, p. 912.
  • 113 Mme Macron possède au Touquet la villa Monéjean, construite vers 1908 et dont le fisc estime la val (...)
  • 114 À ce sujet, voir notamment G. Lipovetsky, L’Ère du vide : essais sur l’individualisme contemporain, (...)
  • 115 « Némirovsky’s great bourgeois tragedy is modest in scale but epic in scope » [« La grande tragédie (...)
  • 116 The Daily Mail, art. cit. Cf. M. Scanlan, qui insiste sur « l’instinct de survie » (op. cit., p. 11 (...)
  • 117 Sur l’histoire des papeteries des environs de Lumbres, voir L. Gaillard, « L’industrie papetière de (...)
  • 118 Société industrielle des cartonneries de Lumbres.

18Pour conclure cette étude, j’aimerais souligner combien ce roman qu’on jugeait suranné en 1947 a aujourd’hui beaucoup à nous dire, au point de résonner avec notre présent. Passons sur le fait que la plus ukrainienne de nos plumes évoque avec une pathétique justesse le sort des réfugiés jetés sur les routes de l’exode par la guerre111. Passons aussi sur le fait, anecdotique, que cette bourgeoisie septentrionale qui jouit de belles villas sur la Côte d’Opale, « parmi les dunes et les pins »112, est aujourd’hui à la tête de la République113. Car c’est sur le plan moral, celui de l’évolution des comportements collectifs, que le dernier roman publié de son vivant par Némirovsky a le plus à nous dire, à plus d’un titre. D’abord, à travers Agnès et Pierre, la romancière, on l’a vu, montre l’émergence d’une société où le bonheur individuel, symbolisé par le mariage d’amour, se hisse au rang de valeur première, avant la transmission du patrimoine. Ce faisant, toutefois, cette saga a su capter ce moment d’équilibre où le droit aux aspirations individuelles est tempéré par l’idéal bourgeois de permanence : éclairant par défaut l’évolution ultérieure des sociétés postmodernes vers un solipsisme et un hédonisme exacerbés114, la dignité du couple Hardelot, aussi rigide soit-elle, se teinte à cet égard d’une lumière crépusculaire qui fait aussi le prix de ce récit. Enfin, à travers l’épopée115 de ces héros bousculés par l’Histoire, Némirovsky a écrit un grand roman de la « résilience »116, c’est-à-dire de la capacité à surmonter tous les traumas, illustrant par anticipation, avec le génie visionnaire des grands écrivains, une notion qui n’existait pas encore. Cette résilience des grands entrepreneurs du Nord de la France, qui est au cœur du livre, s’est du reste vérifiée après guerre. Car si l’énergique mot de la fin prononcé par le héros – « On rebâtira » –, peut passer pour une concession à la règle du happy end, il n’en demeure pas moins qu’il s’est accompli. En effet, l’usine des Avot, édifiée en 1833 mais gravement endommagée pendant la guerre, a été reconstruite en 1949117. Et avec ses 3000 salariés, ses 725 000 tonnes de carton produites annuellement et ses 92 millions de chiffre d’affaires, la SICAL118, si elle a changé de mains, est actuellement la plus grande usine du groupe Rossmann, lequel, avec près d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2022, est désormais le numéro un de l’emballage en Europe.

Fig. 1 Carte postale représentant une vue ancienne de l'usine Avot, Lumbres, Pas de Calais.

Fig. 2 Une vue aérienne du site de l'actuelle papeterie d'Elnes, avec le bois de la Coudre (vue prise de Google Maps, consulté le 28/02/2023, URL : https://maps.app.goo.gl/​SbPRjjn8EMvP3HQG8).

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Notes

1 I. Némirovsky, Les Biens de ce monde, dans Gringoire, 10 avril-20 juin 1941 ; puis, Paris, Albin Michel, 1947 ; désormais dans Œuvres complètes, éd. O. Philipponnat, Paris, Librairie générale française, « La Pochothèque », 2011, 2 vol. Pour les œuvres de Némirovsky, toutes mes références renvoient à cette édition. Dorénavant, pour les deux volumes qui composent l’ouvrage, nous abrégeons comme suit : ŒC I et ŒC II.

2 O. Philipponnat, « Notice » des Biens de ce monde, dans ŒC II, p. 905.

3 C’est le cas de la thèse de S. Shewchuk, Silences and Voices : Family History and Memorialization in Intergenerational Holocaust Literature, thèse de doctorat en littérature comparée, sous la direction de J. Hart, Edmonton, Université d’Alberta, automne 2012. Les « mémoires rêvés » d’É. Gille font allusion au roman, mais sans le mentionner sous son titre (voir É. Gille, Le Mirador, Paris, Presses de la Renaissance, 1992, p. 237, p. 239 et p. 257).

4 Outre la « Notice » des Biens de ce monde (ŒC II, p. 903-906), voir O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky, Paris, Grasset/Denoël, 2007, p. 334-337, p. 348, p. 372 et, sur les circonstances de la publication, p. 351-355. M. Scanlan consacre une dizaine de pages aux Biens de ce monde (Understanding Irène Némirovsky, Columbia, The University of South Carolina Press, 2018, p. 111-120) mais dans une perspective purement idéologique : la romancière n’aurait eu d’autre préoccupation que de composer avec la censure officielle, de sorte que son texte reflète la propagande de Vichy (« Travail, famille, patrie »).

5 T. M. Lussone, « Une oubliée sous les feux de la rampe : le cas Némirovsky », dans Revue italienne d’études françaises, 6, 2016, consulté le 08/04/2023, URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/1251.

6 J. de Ricaumont, « Les Biens de ce monde par Irène Némirovsky », dans Formes et couleurs, 3, 1948.

7 Voir S. R. Suleiman, La Question Némirovsky : vie, mort et héritage d’une écrivaine juive dans la France du XXe siècle [New Haven et Londres, 2016], tr. fr. A. de Saint-Loup et P.-E. Dauzat, Paris, Albin Michel, 2017, p. 342-343.

8 Voir O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 336.

9 Ibid., p. 393.

10 Voir ibid., p. 389.

11 En 1965, s’il ne restait qu’« une centaine » d’exemplaires des Biens de ce monde en stock chez Albin Michel, « c’est que cinq mille avaient été mis au pilon deux ans plus tôt » (S. R. Suleiman, op. cit., p. 346).

12 I. Némirovsky, Les Biens de ce monde, Paris, Albin Michel, 2005.

13 All Our Wordly Goods, tr. an. S. Smith, Londres, Chatto & Windus, 2008 ; l’édition américaine (New York, Vintage, 2009) porte la mention : « bestselling author of Suite Française » (« par l’auteur à succès de Suite française »). Tous les passages traduits dans cet article le sont par moi.

14 C. Moorehead, Literary Review (Londres), cité sur la 4e de couverture de l’édition Vintage ; B. Hoffert, Library Journal (New York), 2011, consulté le 08/04/2023, URL : https://jocolibrary.bibliocommons.com/v2/record/S36C1124420.

15 S. Shewchuk, recension de All Our Wordly Goods, dans Jewish Book World, 7 novembre 2011, consulté le 08/04/2023, URL : https ://www.jewishbookcouncil.org/book/all-our-worldly-goods.

16 L. Jones, Financial Times (Londres), 18 octobre 2008.

17 A. S. Byatt, The Guardian (Londres), 10 octobre 2008 ; S. Shewchuk, Publishers Weekly (Lincolnshire, Illinois), 7 novembre 2011, consulté le 08/04/2023, URL : https://www.jewishbookcouncil.org/book/all-our-worldly-goods. Dans la presse, le seul compte rendu défavorable adopte un point de vue idéologique, voir D. Kagan-Kans, « Portrait of the Artist as a Self-Hating Jew », dans Jewish Ideas Daily (New York), 25 octobre 2011, consulté le 08/04/2023, URL : https://tcjewfolk.com/portrait-artist-selfhating-jew/.

18 Voir O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 336.

19 Voir I. Némirovsky, Lettre à Jean Fayard [17 octobre 1940], dans Ead., Lettres d’une vie, éd. O. Philipponnat, Paris, Denoël, 2021, p. 303-304.

20 Voir O. Philipponnat, « Notice » des Biens de ce monde, dans ŒC II, p. 903.

21 J. Galsworthy, Forsyte Saga [La Saga des Forsyte], 1906-1921.

22 G. Duhamel, Chronique de Paris au temps des Pasquier, Paris, Union latine d’éditions, 1951, p. 31.

23 Voir O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p.  426.

24 Voir S. R. Suleiman, op. cit., p. 307-308.

25 I. Némirovsky, Le Malentendu, dans Les Œuvres libres, février 1926 ; Paris, Fayard, 1926 ; ŒC I, p. 89-206.

26 Ead., Nativité, dans Gringoire, 8 décembre 1933.

27 Ead., Nativité, dans ŒC I, p. 821 et p. 830.

28 Ibid., p. 817.

29 Ead., La Comédie bourgeoise, dans Les Œuvres libres, juin 1932 ; dans Ead., Films parlés, Paris, Gallimard, « Renaissance de la nouvelle », 1935 ; ŒC I, p. 1135-1167.

30 Ead., Deux, Paris, Albin Michel, 1939 ; ŒC II, p. 11-200.

31 ŒC II, p. 1064 et 918.

32 Lumbres, sur l’Aa, se trouve à quinze kilomètres à l’ouest de Saint-Omer et ne doit pas être confondu avec Lambres-lez-Douai, commune de la banlieue de Douai (Nord) connue pour son usine Renault. L’erreur est commise par O. Philipponnat, P. Lienhardt (op. cit., p. 120) et O. Corpet (Irène Némirovsky : un destin en images, Paris, Denoël/IMEC, 2010, p. 68).

33 Ce rapprochement a été fait pour la première fois par P. Renard, « Irène Némirovsky [1903-1942] : une romancière face à la tragédie », dans Roman 20-50, 16, 1993, p. 165-174, p. 167.

34 O. Philipponnat, « Introduction » aux ŒC I, p. 13.

35 ŒC II, p. 920.

36 ŒC II, p. 920.

37 Voir Y. Baudelle, « Une toponymie imaginaire du pays d’Artois », dans Europe, 789-790, « Georges Bernanos », 1995, p. 47-54.

38 I. Némirovsky, Lettre à Madeleine Avot, Paris, [septembre 1922], dans Ead., Lettres d’une vie, cit., p. 46.

39 Ead., Lettre à Madeleine Avot, Paris, 23 septembre [1921], ibid., p. 19-20, p. 20.

40 Ead., Lettre à Madeleine Avot, Le Touquet-Paris-Plage, [septembre 1922], ibid., p. 45.

41 Ead., Lettre à Madeleine Avot, Paris, [3 janvier 1922], ibid., p. 25-26, p. 25.

42 Ead., Lettre à Madeleine Avot, Paris, 11 novembre 1921, ibid., p. 22.

43 Ead., Lettre à Madeleine Avot, Paris, [3 janvier 1922], ibid., p. 25-26, p. 26. Cf. « Me voici rentrée dans ce grand Paris plein de bruit et de poussière, et je suis bien triste […] », Ead., Lettre à Madeleine Avot, Paris, [septembre 1922], ibid., p. 46.

44 ŒC II, p. 914.

45 Voir M. Bakhtine, « Le chronotope du roman-idylle », dans Id., Esthétique et théorie du roman [Moscou, 1975], tr. fr. D. Olivier, Paris, Gallimard, « Tel », 1978, p. 367-377.

46 Voir A.-M. Thiesse, Écrire la France : le mouvement littéraire régionaliste de la Belle Époque à la Libération, Paris, PUF, « Ethnologies », 1991.

47 L’édition anglaise situe par erreur le roman « près de la Somme » (distante de 120 kilomètres) et l’incipit « sur une plage de Normandie » (All Our Wordly Goods, cit., 4e de couverture). Confusion avec Rêveuse bourgeoisie (Paris, Gallimard, 1937), de Drieu la Rochelle, qui débute sur une plage du Cotentin ? S’il fallait donner des repères géographiques aux lecteurs anglais, il n’était en tout cas pas difficile d’indiquer que Wimereux-Plage, où débute le roman, se trouve à une trentaine de kilomètres au sud de Calais.

48 Voir O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 348. La comparaison de cette « marine avec ombrelles, cerfs-volants et feux d’artifices » avec « la scène d’ouverture » (ibidem) de Rêveuse bourgeoisie met en évidence la sensibilité poétique de Némirovsky, dont est dépourvue l’écriture de Drieu, d’une grande sécheresse. Cf. J. de Ricaumont : « Si le livre [Les Biens de ce monde] évoque […] parfois, surtout dans les scènes de plage, Rêveuse bourgeoisie de Drieu la Rochelle, c’est toujours pour l’écraser » (art. cit.). La poésie, chez la romancière, se fonde sur un jeu de consonances – « Des flammes, des cornes dabondance, des roues étincelantes remplissaient l’espace. Puis tout s’éteignit. La nuit était plus sombre ; l’air sentait la fumée » (ŒC II, p. 911) – mais surtout sur l’acuité des notations perceptives dans l’évocation des villas « ornées de galets et de coquillages », avec leurs « légers escaliers de bois blond, qui sent[ent] la résine et le miel » et « le sable [qui] envahi[t] les marches du perron » (ŒC II, p. 912).

49 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 336.

50 Voir, entre autres, D. Carroll, « Excavating the past : Suite française and the German Occupation of France », dans Yale French Studies, 121, 2012, p. 69-98, p. 87.

51 M. Van der Meersch, Invasion 14, Paris, Albin Michel, 1935.

52 Voir notamment Id., Quand les sirènes se taisent, Paris, Albin Michel, 1933, récit d’une grève roubaisienne.

53 Id., L’Empreinte du dieu, Paris, Albin Michel, 1936.

54 Il s’agit du manuscrit des Biens de ce monde (cote 78NMR/1/14), du Carnet de notes 1918-1942 (cote NMR7.1) et du Journal d’Issy-l’Evêque [1940] (cote 273ALM/3000/2), conservés à l’IMEC. Il ne m’a pas été possible de consulter ces documents.

55 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 336.

56 Ibidem.

57 Sur ce point, voir A. Rüth, « Irène Némirovsky Anti-Avantgardismus », dans S. Bung et S. Zepp (dir.), Migration und Avantgarde : Paris 1917-1962, Berlin/Boston, De Gruyter, 2020, p. 118-134, p. 126.

58 R. Rolland, Jean-Christophe, Paris, Ollendorff, 1905-1912, 10 vol.

59 J. Galsworthy, Forsyte Saga, cit., A Modern Comedy [Une comédie moderne] (1924-1928), End of the Chapter [Fin de chapitre] (1931-1933).

60 R. Martin du Gard, Les Thibault, Paris, Gallimard, 1922-1940, 8 vol.

61 J. Romains, Les Hommes de bonne volonté, Paris, Flammarion, 1932-1946, 27 vol.

62 G. Duhamel, Chronique des Pasquier, Paris, Mercure de France, 1933-1945, 10 vol. Au sujet de Duhamel, il faut toutefois relever que son roman-cycle, qui couvre les années 1889-1925, escamote complètement la Grande Guerre : si elle éclate dans le t. VIII (Le Combat contre les ombres, 1939), dans le volume suivant, Suzanne et les jeunes hommes (1941), le fil du récit reprend en 1921.

63 M. Proust, À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 1918-1927 (le t. I, Du côté de chez Swann, est d’abord paru chez Grasset, 1913).

64 J. de Lacretelle, Les Hauts Ponts, Paris, Gallimard, 1932-1935, 4 vol.

65 J. Chardonne, Les Destinées sentimentales, Paris, Grasset, 1934-1936, 3 vol. ; publ. en un vol., Grasset, 1947.

66 Relevons que le t. VII, L’Été 14, était paru en 1936.

67 J. Romains, « Préface » à Le 6 octobre, Paris, Flammarion, 1932, p. 9-10. (Il s’agit du premier volume des Hommes de bonne volonté).

68 I. Némirovsky, Journal d’Issy-l’Evêque [1940], cité par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 337. Cf. M.-L. Cenedese, Irène Némirovsky’s Russian Influences : Tolstoy, Dostoevsky and Chekhov, Londres, Palgrave Macmillan, « Palgrave Studies in Modern European Literature », 2021.

69 N. Coward, Cavalcade, 1931.

70 « […] j’en reviens à ma première idée : une sorte de Cavalcade française », Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 336.

71 I. Némirovsky, Carnet de notes 1918-1942 [1940], cité par O. Philipponnat, « Notice » des Biens de ce monde, dans ŒC II, p. 906.

72 Sur les raisons de ce changement d’éditeur, lié aux lois anti-juives de Vichy, voir I. Némirovsky, Lettres d’une vie, cit., p. 264-343 et O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 348-355.

73 Voir ibid., p. 336.

74 O. Philipponnat, « Notice » des Biens de ce monde, dans ŒC II, p. 905.

75 Ibid., p. 905. Même qualificatif (« stately ») dans The New York Times Book Review (recension de Liesl Schillinger, 2 octobre 2011).

76 The Daily Mail (Londres), cité sur la 4e de couverture de l’édition Vintage.

77 O. Philipponnat et P. Lienhardt parlent de « longues phrases patientes et opulentes » (op. cit., p. 372).

78 G. Corlito, « Pergamena ci raconta I Doni della vita di Irene Némirovsky », dans Il Giunco.net, 27 avril 2022, consulté le 08/04/2023, URL : https://www.ilgiunco.net/2022/04/24/pergamena-ci-racconta-i-doni-della-vita-di-irene-nemirovsky/.

79 Selon M. Scanlan, op. cit., p. 117.

80 Sur ce point, voir ibid., p. 112.

81 Il s’agit d’Adolphe Brun et de Thérèse (I. Némirovsky, Les Feux de l’automne [Paris, 1957], dans ŒC I, p. 1196).

82 ŒC II, p. 1084.

83 Ibidem.

84 G. Corlito, art. cit.

85 S. R. Suleiman, op. cit., p. 20.

86 Ibid., p. 21.

87 Sur ce point, voir J. Weiss, Irène Némirovsky, Paris, Le Félin, « Les marches du temps », 2004, p. 109-110.

88 Ibid., p. 163.

89 Cf. Nativité : « “Mariage d’inclination”… Le joli mot… » (ŒC I, p. 819).

90 Cette problématique est aussi au cœur de Rêveuse bourgeoisie (op. cit.).

91 O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 393.

92 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 348.

93 S. R. Suleiman parle d’« une affection sans ironie » (op. cit., p. 77).

94 I. Némirovsky, Lettre à Madeleine Cabour, 22 décembre 1940, dans Ead., Lettres d’une vie, cit., p. 336-337, p. 337.

95 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 335.

96 J. Weiss, op. cit., p. 43.

97 « A “Vichy” novel », M. Scanlan, op. cit., p. 111.

98 D. Kagan-Kans, art. cit.

99 J. Weiss, op. cit., p. 164.

100 Voir S. R. Suleiman, op. cit., p. 101-104.

101 Les Biens de ce monde, « par une jeune femme ».

102 Voir Y. Baudelle, « “L’assiette à bouillie de bonne-maman” et “le râtelier de rechange de papa” : ironie et comique dans Suite française », dans Roman 20-50, 54, 2012, p. 109-123.

103 A. Kershaw souligne cette ambivalence, se refusant à voir dans Les Biens de ce monde une célébration vichyste de la France rurale (Before Auschwitz : Irène Némirovsky and the Cultural Landscape of Interwar France, New York, Routledge, 2009).

104 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées par O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 337.

105 É. Gille, op. cit., p. 239.

106 I. Némirovsky, M. Rose, dans Candide, 28 août 1940, désormais dans ŒC II, p. 861-876.

107 O. Philipponnat, P. Lienhardt, op. cit., p. 393.

108 Notes de travail d’Irène Némirovsky, citées dans ibid., p. 287. J. Weiss, qui parle de « haute bourgeoisie industrielle », dans Id, op. cit., p. 165.

109 M. Scanlan, op. cit., p. 120.

110 ŒC II, p. 872.

111 Comme le relève G. Corlito, art. cit.

112 ŒC II, p. 912.

113 Mme Macron possède au Touquet la villa Monéjean, construite vers 1908 et dont le fisc estime la valeur à 2,7 millions d’euros.

114 À ce sujet, voir notamment G. Lipovetsky, L’Ère du vide : essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, « Folio Essai », 1983.

115 « Némirovsky’s great bourgeois tragedy is modest in scale but epic in scope » [« La grande tragédie bourgeoise de Némirovsky est modeste par son ampleur mais épique par sa portée »], J. Shilling, The Telegraph (Londres), 12 octobre 2008.

116 The Daily Mail, art. cit. Cf. M. Scanlan, qui insiste sur « l’instinct de survie » (op. cit., p. 117), la « persévérance » et la « détermination » (ibid., p. 120) des Hardelot.

117 Sur l’histoire des papeteries des environs de Lumbres, voir L. Gaillard, « L’industrie papetière de la vallée de l’Aa », dans Hommes et terres du Nord, 2, 1963, p. 147-152 ; S. Léger, R. Lesage, L’Industrie papetière de la vallée de l’Aa du Moyen Âge à nos jours : album des moulins et usines à papier, Fauquembergues, Comité d’histoire du Haut-Pays, 2018. 

118 Société industrielle des cartonneries de Lumbres.

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Légende Fig. 1 Carte postale représentant une vue ancienne de l'usine Avot, Lumbres, Pas de Calais.
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Légende Fig. 2 Une vue aérienne du site de l'actuelle papeterie d'Elnes, avec le bois de la Coudre (vue prise de Google Maps, consulté le 28/02/2023, URL : https://maps.app.goo.gl/​SbPRjjn8EMvP3HQG8).
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Pour citer cet article

Référence électronique

Yves Baudelle, « Les Biens de ce monde (1941) d’Irène Némirovsky ou la chronique d’une famille d’industriels du Nord »Revue italienne d’études françaises [En ligne], 13 | 2023, mis en ligne le 15 novembre 2023, consulté le 30 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/11180 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rief.11180

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