Balzac et le « sujet » des jeunes filles
Résumés
Dans la France du premier XIXe siècle, la très jeune femme ne s’appartient pas. Comment imaginer dès lors son roman de formation ? En théâtralisant les choix qui peuvent s’offrir à elle, dans la perspective du mariage. Telle est la réponse, telle est l’expérience esquissée par Balzac dans ses Scènes de la vie privée et ses Scènes de la vie de province. Il prête une voix à la « fille à marier » et donne corps à ses idéaux, avec autant de sympathie que d’ironie. Scénario initiatique : conduite à son terme, la « romantisation du réel » (G. Lukács) devient une école de la lucidité.
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- 1 H. Gauthier, « Le projet du recueil Études de femmes. Un essai d’architecture de l’œuvre balzacienn (...)
- 2 Voir J.-C. Caron, « Jeune fille, jeune corps : objet et catégorie (France, XIXe-XXe siècles) », dan (...)
1Dans La Comédie humaine, la jeune fille ou la très jeune femme n’a rien d’un sujet à part entière. Elle est d’abord un « objet », à un double titre : elle l’est pour l’écrivain ; elle l’est pour les personnages masculins. D’une part, pour l’écrivain auréolé de tout un imaginaire viril et gratifié d’un statut d’expert, quant à sa connaissance du cœur des femmes et de leurs « reflets changeants »1. D’autre part pour les hommes représentés, qui voient souvent en elles un moyen de parvenir, qui se forment à leur contact, ces hommes dont nous épousons les stratégies et les regards2, les rêves et les angoisses, etc. C’est par leur truchement que sont ainsi apparues les premières femmes de La Comédie humaine, en 1829, dans la Physiologie du mariage, puis en mars 1830, dans le journal La Mode, avec la nouvelle Étude de femme. Comment imaginer le roman de formation d’un individu « qui ne s’appartient pas » ?
- 3 Ainsi H. Sussmann se justifiait-elle d’avoir « limité [son] étude aux seuls personnages masculins [ (...)
- 4 Pour les références aux romans de Balzac, dans le corps du texte et dans les notes, nous faisons ré (...)
2Défi lancé à notre réflexion collective, cette forme de sujétion, cette mise sous tutelle s’expliquent par la situation à laquelle se trouve destiné et au fond réduit le personnage féminin : il s’agit du mariage. Car la « fille à marier » et la « femme mariée » cristallisent l’essentiel des préoccupations, en termes thématiques. S’intéresser au roman de formation « au féminin », dans La Comédie humaine et en définitive dans la littérature narrative du XIXe siècle, c’est ipso facto être aspiré par les affres de la condition féminine3 et donc par la thématique existentiellement première de la « fille à marier » ; c’est s’arrêter sur ce que Mémoires de deux jeunes mariées appelle « le terrible passage de l’état de jeune fille à l’état de femme » (I, 303)4 et sur le romanesque qui « pourrait » lui être associé. Ou bien c’est passer directement à la case du « roman d’adultère », comme le propose Franco Moretti dans une note de sa préface de 1999 au Roman de formation :
- 5 F. Moretti, Le Roman de formation [1986], Paris, Éditions du CNRS, 2019, p. 11. De là sans doute l’ (...)
Il existe [...] un filon féminin du roman de formation (le courant Austen-Eliot, Charlotte Brontë), mais uniquement en Angleterre. Dans des aires culturelles différentes, d’autres genres littéraires semblent jouer un rôle de « substitution » symbolique, comme le roman d’adultère, qui par certains aspects est l’équivalent féminin du Bildungsroman.5
3Avant cela, donc, la fille à marier. Il se trouve que la perspective adoptée dans un grand nombre de romans balzaciens convertit cette donnée première en moteur et en tout cas en nœud narratif tout à fait passionnant, susceptible de transformer l’objet féminin en sujet. Le récit et la présente contribution trouvent leur justification dans une ouverture aménagée par Balzac, dans une possibilité qu’il offre aux jeunes filles : la possibilité de choisir leur futur époux, devenu objet de désirs.
4« Une jeune fille », trouve-t-on affirmé dans Modeste Mignon, « n’a, dans toute sa vie, que ce moment où la réflexion, la seconde vue, l’expérience lui soient nécessaires [...]. J’ai le droit, la volonté, le pouvoir, la permission de faire mon malheur moi-même » (I, 546). Cette question des exigences personnelles et des aléas circonstanciels présidant au choix (ou précédant le choix) est posée, exemplairement, dans deux Scènes de la vie privée de 1830, à savoir Le Bal de Sceaux et surtout La Maison du chat-qui-pelote ; dans Eugénie Grandet en 1834, dans Une fille d’Ève en 1839, dans Mémoires de deux jeunes mariées et dans Ursule Mirouët (dans une moindre mesure) en 1842 ; dans Modeste Mignon en 1844. Précisons qu’ont été cruellement exclues de ce corpus les jeunes filles « atypiques » (comme Pierrette, ou comme la Véronique Graslin du Curé de village) et celles laissées par Balzac à l’état de personnages secondaires, comme Césarine Birotteau, Victorine Taillefer, Marguerite Claës, Hortense Hulot ou Ève Chardon dans Illusions perdues.
- 6 A. Michel, Le Mariage chez Honoré de Balzac. Amour et féminisme, Paris, Les Belles Lettres, 1978, p (...)
- 7 N. Heinich, États de femme. L’identité féminine dans la fiction occidentale, Paris, Gallimard, 1996 (...)
- 8 M. Bakhtine, « Le roman d’apprentissage dans l’histoire du réalisme » [1936-1938], dans Id., Esthét (...)
5Impossible de présager quelque féminisme que ce soit, dans la représentation de cette ouverture ménagée par Balzac. Est-elle synonyme de « liberté intérieure »6, de libération pleine et entière ? Par quels désirs est-elle traversée ? Quelles images, par exemple, les principales intéressées ont-elles du féminin et du masculin ? D’un côté, quels portraits de femmes cette ouverture favorise-t-elle ? De l’autre, à quelles formations narratives donne-t-elle accès ? Que permet-elle véritablement de ménager et d’aménager, en termes de trajectoires romanesques ? Voilà les termes dans lesquels se posera ici la question de la formation, si formation féminine il y a : élaborée à la faveur de l’horizon conjugal, du « marché matrimonial »7, elle permettra d’observer ce que Balzac accorde ou n’accorde pas au personnage féminin, désormais conçu comme « unité dynamique » et plus seulement comme « unité statique »8.
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- 9 C’est là, selon Christine Planté, « le seul essai appliqué de cette liberté des jeunes filles prôné (...)
6Mais il faut indiquer quelles « conditions » président à l’étude de ces femmes en devenir.
Deux dispositifs distincts sont pratiqués dans notre corpus. Le premier d’entre eux est élaboré dès 1830 dans Le Bal de Sceaux et se trouve amplement développé quatorze ans plus tard dans Modeste Mignon. Il est ici donné à « une » jeune fille d’élire l’homme de son choix. Pour ce faire, une maturation est à l’œuvre, qui la voit plus ou moins évoluer, en même temps qu’est mis à l’épreuve tel ou tel candidat au mariage. Émilie de Fontaine, à l’occasion du bal donné par son père, met le grappin sur un jeune homme d’allure aristocratique, convenant parfaitement – en apparence en tout cas – au « type idéal » (I, 164) qu’elle s’est forgé ; cette « scène de la vie privée » se confond dès lors avec un douloureux apprentissage des signes, pour la jeune fille, qui découvre in fine que les apparences sont trompeuses (Maximilien était un bourgeois) et que la formation de ses « prétentions », de ses « idées de grandeur » (I, 124, 127) l’ont conduite au malheur. Un même type de maturation se trouve mis en scène dans Modeste Mignon9. Devenue sujet, ce qui ne signifie pas sujet émancipé de tout a priori, l’héroïne met en concurrence plusieurs prétendants, un duc (d’Hérouville), un poète (Canalis), un simple secrétaire (Ernest de la Brière) et finit par choisir... le dernier, à l’issue d’une chasse à courre organisée près du Havre, où « elle » se trouve placée dans la position du chasseur, livrée à ses seules erreurs d’appréciation puis à sa clairvoyance. Entre ces deux récits se situe Eugénie Grandet (en termes chronologiques, thématiques et « volumétriques ») ; « la main d’Eugénie » est en jeu et l’héroïne jette son dévolu sur son cousin Charles : « Le seul aspect de son cousin avait éveillé chez elle les penchants naturels de la femme, et ils durent se déployer d’autant plus vivement, qu’ayant atteint sa vingt-troisième année, elle se trouvait dans la plénitude de son intelligence et de ses désirs » (III, 1037, 1077). Le roman tout entier se confond avec le déploiement de cette sentimentalité et prend un tour tragique, une fois Eugénie trompée et revenue de ses illusions.
- 10 « En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête à tous les pères de famille. Il n’y (...)
- 11 P. Muray, « La syncrétinisation. Balzac, le XIXe siècle, la fornication de l’occulte », dans Tel Qu (...)
- 12 C. Bernard, « La dynamique familiale dans Ursule Mirouët de Balzac », dans French Forum, XXIV, 2, m (...)
- 13 N. Mozet, « Ursule Mirouët ou le test du bâtard », dans C. Duchet et I. Tournier (dir.), Le « Momen (...)
7Ce premier dispositif, favorisant une émancipation possible, n’advient qu’à une condition. Une condition matricielle, associée à la décapitation de Louis XVI10 : l’affaiblissement voire « l’effondrement de la loi du père »11 ou de la figure du père. Ainsi seulement devient envisageable l’élan donné ou laissé à Raphaël de Valentin, à Rastignac ou à Lucien de Rubempré, mais aussi à Émilie, à Modeste, à Eugénie – même s’il conduit in fine à passer sous la coupe d’un mari plus ou moins « réussi ». Le père d’Émilie, sur les manœuvres politiques duquel s’ouvre Le Bal de Sceaux, s’avère singulièrement faible, devant l’assurance de sa fille et s’efface progressivement – au profit il est vrai d’un oncle plus pénétrant. Le père de Modeste pâtit du même discrédit, lui qui rêverait de laisser « cloîtré[es] les filles dans l’intérieur de la famille [...], sous le joug sévère du consentement paternel » (I, 603) : bien moins féroce que certains gardes-chiourme du roman, il permet en définitive à sa fille d’évoluer et de juger en toute liberté. Le père d’Eugénie souffre de l’incroyable fermeté de sa fille, qui revendique dans une scène d’une grande intensité, de faire « de [son] argent ce qu’il [lui] plaît », en enfant « majeure » – et qui conditionnera son mariage avec le président de Bonfons au serment suivant : « Jurez de me laisser libre pendant toute ma vie, de ne me rappeler aucun des droits que le mariage vous donne sur moi, et ma main est à vous » (III, 1154, 1155, 1193). Enfin, Ursule Mirouët s’achève sur l’heureux mariage d’« une jeune fille élevée par trois vieillards » (III, 987), au sein d’une sorte de famille d’adoption faisant jouer « les droits du sentiment » contre « les droits du sang »12, montrant ainsi, par ailleurs, que « la véritable légitimité n’est pas du côté du sang »13.
- 14 Ph. Berthier, « Accoucher au masculin (Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées) », dans J.-M. Rouli (...)
- 15 Ibid., p. 295.
- 16 Ibid., p. 298.
8Mais un second dispositif narratif est expérimenté dans La Maison du chat-qui-pelote, dans Une fille d’Ève ou dans Mémoires de deux jeunes mariées. Celui-là met en regard non pas plusieurs hommes mais plusieurs jeunes filles, ou plutôt deux jeunes filles – incarnant chacune deux rapports au mariage à venir et deux rapports antithétiques au monde. C’est dans les séminales Scènes de la vie privée de 1830 que La Maison du chat-qui-pelote, concurrençant en quelque sorte le dispositif du Bal de Sceaux, décrit les trajectoires contraires d’Augustine et de Virginie : deux sœurs épousant, via des époux inégalement fiables, la voie de l’art et la voie du négoce. Le schéma actantiel d’Une fille d’Ève est calqué sur ce jeu de miroirs : « l’innocente, la gaie Eugénie était tombée sous le malicieux despotisme d’un parvenu au sortir de la prison maternelle. Angélique, disposée aux grandes luttes du sentiment, avait été jetée dans les plus hautes sphères de la société parisienne, la bride sur le cou » (II, 284). La cadette, portant en elle « tout un océan dans son cœur » (II, 285) deviendra une épouse adultère ; l’aînée, mariée à un banquier (Du Tillet), lui permettra de revenir dans le droit chemin. Enfin, bel avatar de ce dispositif, Mémoires de deux jeunes mariées exploite la forme du roman par lettres pour polariser à l’extrême – sur le mode du débat d’idées – les représentations antithétiques de deux jeunes femmes. Ici, « le je balzacien y est une autre, et même deux autres »14. D’un côté, l’« indépendante » et « romanesque » Louise, qualifiée par son père de « fille rebelle », présentée comme « un feu follet de femme » (I, 202, 222, 205, 398) : « répudiant toute routine et au fond la loi même du temps », selon la formule de Philippe Berthier, « cette exaltée prétend inventer sa vie chaque jour [...]. De l’exceptionnel elle entend faire l’ordinaire, du sublime, son pain quotidien »15. De l’autre côté, la sage Renée, optant pour « la vie ordinaire », fondée sur un « mariage de convenance » (I, 236, 252), préférant donc « les potentialités de la structure familiale [aux] aléas de la subjectivité individuelle »16. Se cristallise dans le roman une opposition entre « la nature » et « les lois sociales » (I, 271), entre « les tourbillons [du] cœur » et la « sage arithmétique » (I, 260), entre « la Raison » et « l’Imagination », « le grave Devoir » et « le fol Amour » (I, 331), entre « le fini » et « l’infini » (I, 307)...
9Un tel dispositif met également en valeur des choix (deux à chaque fois) : Renée ne subit pas plus de contraintes que Louise et fait étalage de son « libre arbitre » (I, 255). Aussi doit-on le prendre en considération, si l’on se penche sur la formation des goûts et des représentations prêtés aux jeunes filles.
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10Cette formation est animée par une dialectique assez subtile. Se frottent en effet deux composantes contradictoires, largement nourries l’une par l’autre.
- 17 A. Michel, « À propos des Scènes de la vie privée : images balzaciennes de la jeunesse », dans L’An (...)
- 18 J. Bertaut, La Jeune fille dans la littérature française, Paris, Louis Michaud, 1910, respectivemen (...)
- 19 P. Nora, « La génération », dans Id., Lieux de mémoire, t. III, Les France, vol. 3, Conflits et par (...)
- 20 Jules Bertaut conclut ainsi son chapitre consacré à Balzac : « Si un observateur comme celui-là a l (...)
- 21 F. Moretti, op. cit., p. 236.
C’est d’abord « une manière d’état de nature »17 qui caractérise la jeune fille balzacienne : « Modeste est l’innocence même » et cultive « la fleur bleue de l’Idéal », marque propre de « la puberté de l’âme » (I, 495, 482, 505) ; Eugénie est également une « innocente fille [...] ignorante et pure », disposant par ailleurs d’une « noblesse innée », ce que Balzac appelle avant Flaubert « un cœur simple » (III, 1124, 1076, 1097) ; Ursule est « à la fois une fleur et un fruit », ayant pour « règle de conduite la voix de la conscience plutôt que la loi sociale » (III, 814, 816) ; enfin, il est bien précisé ceci, concernant les deux sœurs d’Une fille d’Ève : « Aucune idée dangereuse, malsaine ou seulement équivoque, ne souilla [...] la pulpe blanche de leur cerveau : leurs cœurs étaient purs, leurs mains étaient horriblement rouges, elles crevaient de santé » (II, 280). Ces caractérisations conduisaient Jules Bertaut, en 1910, à affirmer que « toutes les jeunes filles de Balzac ont le même aspect », à savoir « un air “Sacré-Cœur” et “petite oie blanche” » : elles constitueraient « les répliques [d’un] unique thème de la virginité décente et modeste »18. Il est certain que cette pureté reste un fond d’écran et une pierre d’attente : le temps ne semble pas encore venu où « le continent jeunesse »19 consistera en un trésor à préserver20 ; où cet âge de la vie, « plutôt que de préparer à autre chose, [...] devien[dra] une valeur en soi », « la plus haute aspiration que l’on puisse avoir [consistant à] la prolonger »21.
- 22 G. Houbre, La Discipline de l’amour. L’éducation sentimentale des filles et des garçons à l’âge du (...)
- 23 Cf. A. Thiercé, Histoire de l’adolescence. 1850-1914, Paris, Belin, 1999, p. 121.
11Mais avant d’apprécier la sortie de l’enfance et/ou de l’adolescence, il faut signaler la prégnance d’une seconde composante, qui vient à la fois contrarier et alimenter l’exigence de pureté. Son importance sera également déterminante. Il s’agit de l’éducation imprimée aux jeunes filles. Celle-ci « est avant tout conçue pour les préparer à leur fonction d’épouse et de mère »22. Mais à quel prix ! Pour une Ursule Mirouët, élevée par son parrain aux fins de son épanouissement, combien de brimades, combien de calvaires, et combien d’ennui ! Eugénie nous est d’abord présentée « à rapetasser des bas, à ravauder la garde-robe de son père, [à évoluer] sous ces crasseux lambris sans voir dans cette rue silencieuse plus d’un passant par heure » (III, 1058). Les deux sœurs de La Maison du chat-qui-pelote semblent elles aussi « obligées par leur genre de vie à chercher des éléments de bonheur dans des travaux obstinés », élevées qu’elles sont « pour le commerce, habituées à n’entendre que des raisonnements et des calculs tristement mercantiles », « aussi habiles à faire des reprises qu’à festonner ; souvent leur mère parlait de leur apprendre la cuisine afin qu’elles sussent bien ordonner un dîner, et pussent gronder une cuisinière en connaissance de cause » (I, 49). De même, Balzac explique la destinée tout entière des sœurs d’Une fille d’Ève, destinée malheureuse, par l’extrême formatage subi par elles – assez conforme aux préconisations dominantes des pédagogues, des moralistes, des médecins23 :
Élevées dans un sombre hôtel du Marais par une femme dévote et d’une intelligence étroite qui pénétrée de ses devoirs, la phrase classique, avait accompli la première tâche d’une mère envers ses filles, Marie-Angélique et Marie-Eugénie atteignirent le moment de leur mariage [...], sans jamais être sorties de la zone domestique où planait le regard maternel (II, 275-276).
- 24 Ce « couvent », au sens littéral du terme, Louise en sortira en éprouvant « le miracle [d’une] déli (...)
- 25 A. Michel, art. cit., p. 105-106.
12« Système oppresseur » que cette « geôle maternelle »24, écrit le romancier, « ne pouva[n]t qu’assombrir [les] idées et contrister [les] sentiments » des deux sœurs, « ces cœurs fleuris sous la neige des rigueurs maternelles, et sous la glace de la dévotion » (I, 281, 277, ibidem, 279). On notera que cet « écrasant despotisme », reste épargné aux garçons du couple Grandville, dont « l’intelligence devait reste libre » et qui sont déjà « au loin, occupés à leur fortune, à leur avancement, pris par le service du pays » (I, 281, 282)... Pour le reste, « le cercle étroit de la vie familiale exerce une influence totalement négative sur la formation de l’individu »25.
- 26 N. Heinich, op. cit., p. 12.
- 27 G. Lukács, Théorie du roman [1920], Paris, Denoël, 1968, p. 141.
- 28 F. Godeau, « Visions d’avenir, désillusions à venir. Quelques remarques sur un topos du roman de fo (...)
- 29 Sur cette question, voir J. Gleize, Le Double Miroir. Le livre dans les livres, de Stendhal à Prous (...)
- 30 On se reportera, sur cette question, à Modeste Mignon (I, 496-497, 507-508). Sur le cas de Mémoires (...)
13Aucun « espace des possibles »26 ne se dessine ici : dans ces conditions, « les exigences de la jeune fille » (I, 386) ne relèvent pas d’un libre choix. Un tel cadre familial favorise, autrement dit, des représentations quelque peu « hors-sol » : nos héroïnes sont orientées et aimantées par des images idéales de la vie future, en raison de cette fâcheuse dialectique de la naturalité et de la norme. Soit que le cadre normatif empêche tout bonnement les élans naturels de s’accomplir : Marie-Eugénie, tels certains héros masculins, « se sentait dans l’âme une force immense sans emploi » (II, 294). Soit que le cadre interdise à la sentimentalité de faire l’épreuve du réel : la sœur cadette d’Une fille d’Ève reste longtemps « sur la rive de la vie où fleurissent les illusions enfantines » (Eugénie Grandet, III, 1076). C’est ainsi que dans l’« Introduction » aux Études de mœurs, en 1835, Félix Davin écrira que « pour les femmes, le malheur vient de leurs croyances dans la sincérité des sentiments, ou de leur attachement à leurs rêves que les enseignements de la vie dissiperont » (I, 1145-1146). Quels sont ces « enseignements de la vie » ? Voilà ce que raconte le roman. Quelle arme utiliser contre « la romantisation du réel »27 ? Le roman « réaliste ». Et nous concernant : quelle est précisément l’idée, forgée au cœur de la solitude, qui destine nos jeunes rêveuses à se cogner au réel ? Cette « great expectation plus ou moins nébuleuse »28, nous le verrons, c’est celle de l’homme idéal. Et d’où vient une telle idéalisation, source de déconvenue ? Pour une large part du livre, des romans que lisent nos héroïnes29 – romans auxquels un espace est ménagé par la famille ou malgré elle. Le roman apparaît comme la matrice de nombreuses illusions d’optique, mais plus largement comme l’instrument privilégié – critiqué et pratiqué par Balzac – de la formation sentimentale et « romantique » des jeunes filles. Considérons ainsi le seul cas de Modeste Mignon30 :
[Elle] donna pour pâture à son âme les chefs-d’œuvre modernes des trois littératures anglaise, allemande et française. Lord Byron, Gœthe, Schiller, Walter-Scott, Hugo, Lamartine, Crabbe, Moore, les grands ouvrages du dix-septième et du dix-huitième siècles, l’Histoire et le Théâtre, le Roman depuis Rabelais jusqu’à Manon Lescaut, depuis les Essais de Montaigne jusqu’à Diderot, depuis les Fabliaux jusqu’à La Nouvelle Héloïse, la pensée de trois pays meubla d’images confuses cette tête sublime de naïveté froide, de virginité contenue, d’où s’élança brillante, armée, sincère et forte, une admiration absolue pour le génie (I, 505).
- 31 Avant de boire « la coupe du Désenchantement » (I, 609), une fois révélée la mystification qui cach (...)
14Modeste boit ainsi « à longs traits à la coupe de l’Inconnu, de l’Impossible, du Rêve » (I, 510)31 – qui s’incarneront et seront idolâtrés dans la figure fantasmée de l’homme idéal.
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- 32 Ph. Berthier, art. cit., p. 294.
15L’examen s’impose donc de ce point de contact, de ses conséquences et éventuellement des leçons qu’en tirent nos romans. Quitte à révéler, selon la formule de Philippe Berthier, que « l’homme est l’avenir de la femme »32...
- 33 F. Moretti, op. cit., p. 179.
16Le roman de formation tient ici d’une quête éperdue de l’homme idéal. Par-là s’explique le désir – rarement – exprimé d’ascension sociale, visant à accéder à « une sphère élevée au lieu de barboter dans les marais d’une vie de province » (Modeste Mignon, I, 509) : il s’agit toujours de concrétiser une rêverie sentimentale, alors même que le héros viril, lui, « ne désire[rait] que ce qui existe déjà dans le monde »33. Écoutons Augustine : « Être la femme d’un homme de talent, partager sa gloire ! Quels ravages cette idée ne devait-elle pas faire au cœur d’une enfant élevée au sein de cette famille ? » (La Maison du chat-qui-pelote, I, 57). Observons Émilie, se composant « sur une base imaginaire [...] un thème pour son existence, [qui] consiste à prendre ses rêves pour des réalités, [pour] n’accorder son cœur et sa main qu’à l’homme qui possédera tel ou tel avantage » (I, 122-123). Apprécions le bovarysme de Modeste, longuement développé par Balzac, lorsqu’il analyse « le jeu de cette étrange faculté donnée aux imaginations vives de se faire acteur dans une vie arrangée comme dans un rêve » (I, 505) :
[Modeste] se supposait adorée à ses souhaits, en passant par toutes les phases sociales. Devenue l’héroïne d’un roman noir, elle aimait, soit le bourreau, soit quelque scélérat qui finissait sur l’échafaud [...]. Elle menait tour à tour la vie d’une aventurière, ou celle d’une actrice applaudie [...]. Lassée d’horreurs, elle revenait à la vie réelle. Elle se mariait avec un notaire, elle mangeait le pain bis d’une vie honnête [...]. Elle acceptait une existence pénible, elle supportait les tracas d’une fortune à faire ; puis, elle recommençait les romans : elle était aimée pour sa beauté ; le fils de pair de France, jeune homme excentrique, artiste, devinait son cœur, et reconnaissait l’étoile que le génie des Staël avait mis à son front. Enfin, son père revenait riche à millions. Autorisée par son expérience, elle soumettait ses amants à des épreuves, où elle gardait son indépendance, elle possédait un magnifique château, des gens, des voitures, tout ce que le luxe a de plus curieux [...] (I, 506).
- 34 F. Godeau, art. cit., p. 313.
- 35 Dûment mariée, Renée se vante d’avoir « métamorphosé » son époux, qui « révèle des qualités nouvell (...)
- 36 À passer au crible de la synthèse d’A.-M. Sohn, « Sois un Homme ! ». La construction de la masculin (...)
17Mieux, ou pire : ces « vies imaginées »34 favorisent l’expression d’une ambition par procuration. Modeste ne « désire la richesse que pour la jeter au pied de son idole » (I, 508), poète idéal35. Ursule Mirouët connaît même une « formation à distance » : une fois son Savinien engagé dans la marine pour participer à l’expédition d’Alger, elle « éprouve des commotions » à la seule idée qu’il soit « aux prises avec un ouragan » et elle épouse littéralement son itinéraire, grâce à certaines gravures, aux journaux, aux romans maritimes de Fenimore Cooper (III, 900)... Mêmes expériences par procuration, même intériorisation de la secondarité chez Eugénie Grandet, qui cloue une mappemonde « près de son miroir, afin de suivre son cousin dans sa route vers les Indes, afin de pouvoir se mettre un peu, soir et matin, dans le vaisseau qui l’y transportait, de le voir [...] » (III, 1147). La lettre cruelle que son aventurier de cousin lui envoie, à la fin du roman, constitue d’ailleurs un micro-roman de formation tout à fait abouti36, celui d’un homme « revenu riche », dépourvu désormais d’« illusions », ayant « réfléchi sur la vie », « devenu homme », ses « ambitions » (III, 1186, 1188) neuves lui interdisant au demeurant d’épouser Eugénie comme promis.
- 37 Dans une ébauche de 1847, intitulée Les Méfaits d’un procureur du roi, « ce joli couple » devait fa (...)
18Le roman tient alors de la démystification. Dans les Scènes de 1830, Augustine et Émilie tombent de haut et perdent leurs illusions, la première mourant à vingt-sept ans et la seconde finissant mariée – par défaut – avec son très (très) vieil oncle. La première meurt d’avoir surévalué son futur mari, la seconde se flétrit pour avoir sous-évalué un homme résistant à ses a priori et réellement vertueux. Comme Émilie, Eugénie consent à un mariage au rabais ; comme Augustine, la cause en est une vie passée à idéaliser un pauvre type. « Épouvantable et complet désastre », commente Balzac. « Souffrir et mourir », renchérit l’héroïne accablée (III, 1188, 1189). Les sœurs d’Une fille d’Ève ne connaissent pas un sort plus glorieux : la cadette souffre, passe d’un mari idéalisé à tort à un amant idéalisé à tort ; l’aînée, plus pragmatique, se résout à partager la couche et la vie du banquier Du Tillet. Toutefois, notre corpus ne présente pas toujours une tonalité si désenchantée. Il faut noter que la démystification peut avoir du bon, et l’intrigue révéler des maris vivables : Modeste, après avoir idéalisé le pédant Canalis et s’être imaginée en épouse rivée à sa « tapisserie », « filant à la lueur de la lampe », se résout à épouser le tenace Ernest, dans un « mariage doux et facile » (I, 538, 544, 714) ; Ursule parvient à vaincre le sort et à convoler en douces noces avec Savinien37, dont l’aristocratisme courtois reste épargné par Balzac, qui loue son mérite comme il a loué le mérite d’Ernest, dans Modeste Mignon.
- 38 Franco Moretti, op. cit., p. 35.
- 39 Sur ce point, cf. notamment l’appareil critique de l’édition récente du roman au Livre de poche, où (...)
- 40 Par exemple chez Ph. Berthier, art. cit., p. 294. Le critique dénonce « certaines contorsions criti (...)
19Le cas le plus épineux est bien entendu celui des Mémoires de deux jeunes mariées, où s’incarne exemplairement le « dilemme enraciné dans la civilisation bourgeoise moderne : le conflit entre l’idéal de l’“autodétermination” et les exigences impérieuses de la “socialisation” »38. Pour celles et ceux désireux de lire Balzac contre Balzac, ce roman épistolaire reste un cas d’école. Rappelons donc que contre George Sand39, à qui le roman est affectueusement et ironiquement dédié, Balzac semble valoriser Renée contre Louise, « le grave Devoir » contre « le fol Amour » (I, 331). Certaines lettres sont à cet égard accablantes (les lettres XIII, XXXVI et surtout LIII), au même titre que le destin croisé des deux jeunes filles, également édifiant : la brune aux yeux noirs triomphe, en fondant une famille stable, quand la blonde aux yeux bleus meurt d’avoir poursuivi des chimères. Un peu plus tard au cours des années 1840, dans Modeste Mignon, Balzac fera dire à Ernest qu’à « quelque hauteur qu’une femme se soit élevée par la poésie secrète de ses rêves, elle doit sacrifier ses supériorités sur l’autel de la famille. Ses élans, son génie, ses aspirations vers le bien, vers le sublime, tout le poème de la jeune fille appartient à l’homme qu’elle accepte, aux enfants qu’elle aura » (I, 533). Devant le « manichéisme » apparent des Mémoires (souvent relayé par la critique40), deux éléments non négligeables seraient à prendre en considération. D’une part, Louise constitue l’élément « romanesque » du livre, sans lequel rien ne ferait événement ou péripétie. À l’inverse, Renée la « femme rangée » dit elle-même connaître « une destinée simple comme celle d’une pâquerette » et concevoir « la vie comme un de ces grands chemins de France, unis et doux, ombragés d’arbres éternels », son ménage étant « uni comme une grande route par un jour sans soleil » (I, 221, 279). « Pas le plus léger accident », écrit-elle, dans sa « vie monotone et réglée à la manière d’une vie de couvent » (I, 298). D’autre part, faut-il tenir la fécondité de Renée et la mort de Louise pour des arguments « en tant que tels » ? Après tout, le fait qu’Emma Bovary meure ne plaide pas en faveur de son mari Charles, pas plus que la mort de Julien Sorel ne le dégrade. L’issue narrative ne dit rien de la valeur assignée aux personnages et en l’occurrence de la valeur de Louise, qui assume préférer « périr dans la violence des tourbillons [du] cœur, que de vivre dans la sécheresse de [la] sage arithmétique » (I, 260)...
- 41 « Depuis quelques jours je commence à m’épouvanter de notre destinée, à comprendre pourquoi tant de (...)
- 42 G. Séginger, « Préface », dans H. de Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, éd. G. Séginger, cit. (...)
- 43 G. Lukács, op. cit., respectivement p. 136 et p. 138.
20Toutes nos héroïnes ne choisissent pas leur vie « en connaissance de cause » : certaines, chemin faisant, se trompent ; le texte les voit et les fait s’égarer. Mais elles apprennent et comprennent, progressivement : leur formation, in fine, est une école de la lucidité. Au fond, elles gagnent en intelligence ce qu’elles perdent souvent en pouvoir social. Telle est une leçon que l’on tire de ces romans d’apprentissage, leçon ventilée de manière à chaque fois singulière. Augustine est saisie d’une « lueur fatale » qui lui fait « entrevoir » la vérité sur son idole, entreprend de « s’instruire », de « changer son caractère [...] et ses habitudes », d’atteindre « à la complète émancipation de son intelligence » (I, 77), notamment grâce au discours initiatique d’une experte duchesse, aux accents féministes (I, 88-91). Rien n’y fait : comme dans Le Bal de Sceaux, la tentative est tardive et insuffisante. Louise, on l’a vu, refuse de se « conformer » à des nécessités sociales qu’elle ne mesure que trop bien41 et qu’elle analyse toujours mieux (I, 206-213). De même, son amie Renée se range peut-être moins à l’institution du mariage par conviction bonaldienne que par sagesse pratique, par pragmatisme, presque par « machiavélisme »42. Le maître-mot du dénouement de Modeste Mignon et d’Eugénie Grandet est également la lucidité – c’est-à-dire la conquête de la sagesse. L’analyse précise de chacun de nos échantillons permettrait ainsi de montrer que l’on passe bien du « type goethéen du roman d’éducation [au] type romantique du roman de la désillusion », avec à la clef un « assentiment romantique à la réalité »43.
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- 44 Recueil imaginé dès 1832, sur la base de la nouvelle Étude de femme.
- 45 M. Ambrière, « Préface », dans H. de Balzac, Béatrix, Paris, Gallimard, « Folio classique », 1979, (...)
21Balzac prête ou rétrocède aux personnages féminins une parole à la première personne du singulier, dans le cadre de l’épistolarité ou du récit de soi ; il fait entendre leur voix, parfois leurs choix, et leurs raisons d’agir. Ses « études de femmes » – nom d’un projet de recueil44 – sont aussi des études « par » les femmes. Ainsi ce corpus doit-il, « pour ressembler parfaitement au mariage », selon les termes d’une préface de 1845, devenir « plus ou moins androgyne » (Petites misères de la vie conjugale, XII, 102-103). C’est de l’intérieur, en quelque sorte, que le romancier expose des désirs de jeunes filles – non sans faire entendre sympathie et ironie, et non sans faire attendre de possibles désillusions. Peut alors jouer son réalisme, c’est-à-dire aussi les péripéties, les situations qu’il oppose aux idéaux en question : mise à l’épreuve d’une auto-détermination possible, ce réalisme montre « les limites d’un féminisme indulgent à l’amour mais hostile à toute émancipation de la femme »45. C’est ultérieurement dans le cadre du « mariage » que se posera – à nouveaux frais – le problème de l’émancipation et qu’opérera le récit, sous la forme exemplaire du récit d’adultère. Autre cadre, autre roman ?
Notes
1 H. Gauthier, « Le projet du recueil Études de femmes. Un essai d’architecture de l’œuvre balzacienne », dans L’Année balzacienne, 1967, p. 115-146, p. 117.
2 Voir J.-C. Caron, « Jeune fille, jeune corps : objet et catégorie (France, XIXe-XXe siècles) », dans L Bruit, G. Houbre, C. Klapisch-Zuber et P. Schmitt Pantel (dir.), Le Corps des jeunes filles de l’Antiquité à nos jours, Paris, Perrin, 2001, p. 167-188.
3 Ainsi H. Sussmann se justifiait-elle d’avoir « limité [son] étude aux seuls personnages masculins [...]. Les sentiments que [Balzac] attribue à ses jeunes personnages féminins, les situations où il les place renvoient constamment à sa méditation sur la condition de la femme », H. Sussmann, Balzac et les « débuts dans la vie », Paris, Nizet, 1978, p. 9.
4 Pour les références aux romans de Balzac, dans le corps du texte et dans les notes, nous faisons référence à l'édition Pléiade de la Comédie Humaine, indiquant entre parenthèses la tomaison et le numéro de la page (H. de Balzac, La Comédie humaine, éd. P.-G. Castex, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976-1981, t. I-XII).
5 F. Moretti, Le Roman de formation [1986], Paris, Éditions du CNRS, 2019, p. 11. De là sans doute l’absence du « féminin » dans l’ouvrage de D. Pernot, Le Roman de socialisation en France (1889-1914), Paris, Presses universitaires de France, 1998.
6 A. Michel, Le Mariage chez Honoré de Balzac. Amour et féminisme, Paris, Les Belles Lettres, 1978, p. 409. Sur ce point, voir B. Milcent, « Liberté intérieure et destinée féminine dans La Comédie humaine », dans L’Année balzacienne, 2001, p. 247-266.
7 N. Heinich, États de femme. L’identité féminine dans la fiction occidentale, Paris, Gallimard, 1996, p. 42.
8 M. Bakhtine, « Le roman d’apprentissage dans l’histoire du réalisme » [1936-1938], dans Id., Esthétique de la création verbale, tr. fr. A. Aucouturier, Paris, Gallimard, 1984, p. 251-252.
9 C’est là, selon Christine Planté, « le seul essai appliqué de cette liberté des jeunes filles prônée dans la Physiologie du mariage », C. Planté, « Modeste Mignon : les lettres, la voix, le roman », dans L’Année balzacienne, 1999, p. 279-292, p. 279.
10 « En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête à tous les pères de famille. Il n’y a plus de famille aujourd’hui, il n’y a plus que des individus » (Mémoires de deux jeunes mariées, I, 242).
11 P. Muray, « La syncrétinisation. Balzac, le XIXe siècle, la fornication de l’occulte », dans Tel Quel, 9, automne 1981, p. 5-40, p. 26. Sur cette question, voir surtout M. Mas, Le Père Balzac. Représentations de la paternité dans La Comédie humaine, Paris, Classiques Garnier, 2015 ; et C. Nesci, La Femme mode d’emploi. Balzac, de la Physiologie du mariage à La Comédie humaine, Lexington, French Forum Publishers, 1992, p. 135-181.
12 C. Bernard, « La dynamique familiale dans Ursule Mirouët de Balzac », dans French Forum, XXIV, 2, mai 1999, p. 179-192, p. 190.
13 N. Mozet, « Ursule Mirouët ou le test du bâtard », dans C. Duchet et I. Tournier (dir.), Le « Moment » de La Comédie humaine, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1993, p. 217-228, disponible en ligne et consulté le 28/11/2022, URL : http://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/puv/1642.
14 Ph. Berthier, « Accoucher au masculin (Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées) », dans J.-M. Roulin (dir.), Corps, littérature, société (1789-1900), Saint-Étienne, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 2005, p. 293-305, p. 305, disponible en ligne et consulté le 28/11/2022, URL : https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/puse/3226.
15 Ibid., p. 295.
16 Ibid., p. 298.
17 A. Michel, « À propos des Scènes de la vie privée : images balzaciennes de la jeunesse », dans L’Année balzacienne, 1994, p. 103-120, p. 104.
18 J. Bertaut, La Jeune fille dans la littérature française, Paris, Louis Michaud, 1910, respectivement p. 108, 110 et 111. On pourrait opposer à cette hypothèse la typologie imaginée par Félicien Marceau : « ces jeunes filles s’organisent tout naturellement en quatre groupes : les écrasées, les ratées, les avisées, les triomphantes », F. Marceau, Balzac et son monde, Paris, Gallimard, 1955, p. 155.
19 P. Nora, « La génération », dans Id., Lieux de mémoire, t. III, Les France, vol. 3, Conflits et partages, Paris, Gallimard, 1992, p. 931-971, p. 942. Pour qu’émerge ce continent, précise Pierre Nora, il a fallu que s’épuisassent « les autres formes de l’identification sociale traditionnelle », formes d’identification ayant « perdu quelque chose de leur énergie structurante ».
20 Jules Bertaut conclut ainsi son chapitre consacré à Balzac : « Si un observateur comme celui-là a laissé échapper une espèce entière sans la disséquer, c’est que, vraiment, cette espèce n’est pas encore constituée. Le règne de la jeune fille n’était pas encore venu », J. Bertaut, op. cit., p. 127.
21 F. Moretti, op. cit., p. 236.
22 G. Houbre, La Discipline de l’amour. L’éducation sentimentale des filles et des garçons à l’âge du romantisme, Paris, Plon, 1997, p. 187.
23 Cf. A. Thiercé, Histoire de l’adolescence. 1850-1914, Paris, Belin, 1999, p. 121.
24 Ce « couvent », au sens littéral du terme, Louise en sortira en éprouvant « le miracle [d’une] délivrance [...]. Les cris d’une conscience épouvantée ont fini par l’emporter sur les ordres d’une politique inflexible » (I, 280, 196).
25 A. Michel, art. cit., p. 105-106.
26 N. Heinich, op. cit., p. 12.
27 G. Lukács, Théorie du roman [1920], Paris, Denoël, 1968, p. 141.
28 F. Godeau, « Visions d’avenir, désillusions à venir. Quelques remarques sur un topos du roman de formation : la projection imaginaire de soi », dans P. Chardin (dir.), Roman de formation, roman d’éducation dans la littérature française et dans les littératures étrangères, Paris, Kimé, 2007, p. 313-323, p. 313.
29 Sur cette question, voir J. Gleize, Le Double Miroir. Le livre dans les livres, de Stendhal à Proust, Paris, Hachette, 1992 ; et M. Baudry, Lectrices romanesques. Représentations et théorie de la lecture aux XIXe et XXe siècles, Paris, Classiques Garnier, 2014.
30 On se reportera, sur cette question, à Modeste Mignon (I, 496-497, 507-508). Sur le cas de Mémoires de deux jeunes mariées, voir M. Baudry, « Lecteurs et lectrices dans La Comédie humaine : le sexe de la lecture en question chez Balzac », dans L’Année balzacienne, 2010, p. 21-38.
31 Avant de boire « la coupe du Désenchantement » (I, 609), une fois révélée la mystification qui cachait Ernest derrière Canalis.
32 Ph. Berthier, art. cit., p. 294.
33 F. Moretti, op. cit., p. 179.
34 F. Godeau, art. cit., p. 313.
35 Dûment mariée, Renée se vante d’avoir « métamorphosé » son époux, qui « révèle des qualités nouvelles », tout à la conquête d’une honnête réputation et d’une glorieuse députation (Mémoires de deux jeunes mariées, I, 256).
36 À passer au crible de la synthèse d’A.-M. Sohn, « Sois un Homme ! ». La construction de la masculinité au XIXe siècle, Paris, Seuil, 2009 (voir surtout le chapitre II, consacré au rapport de l’homme viril à l’espace).
37 Dans une ébauche de 1847, intitulée Les Méfaits d’un procureur du roi, « ce joli couple » devait faire retour, Ursule étant alors « intimement liée avec la comtesse de l’Estorade » (XII, 418, 417).
38 Franco Moretti, op. cit., p. 35.
39 Sur ce point, cf. notamment l’appareil critique de l’édition récente du roman au Livre de poche, où Gisèle Séginger reproduit la réponse intéressante de l’autrice de Lélia (1833) et de Jacques (1834) à la dédicace de Balzac : H. de Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, éd. G. Séginger, Paris, Livre de poche, 2022, p. 466-467.
40 Par exemple chez Ph. Berthier, art. cit., p. 294. Le critique dénonce « certaines contorsions critiques et idéologiques qui ont tenté de ramener les Mémoires de deux jeunes mariées au bercail de la bien-pensance féministe », ibid., p. 305.
41 « Depuis quelques jours je commence à m’épouvanter de notre destinée, à comprendre pourquoi tant de femmes ont des visages attristés sous la couche de vermillon qu’y mettent les fausses joies d’une fête » (I, 231).
42 G. Séginger, « Préface », dans H. de Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, éd. G. Séginger, cit., p. 39. L’hypothèse a été esquissée par Arlette Michel dans A. Michel, « Balzac juge du féminisme », dans L’Année balzacienne, 1973, p. 183-200. Les raisons d’agir s’avèrent complexes, puisque Renée elle-même est partagée – tout en elle n’est pas « sagesse étriquée » (G. Séginger, « Préface », cit., p. 41) – et puisqu’il existe aussi une veine pragmatique chez Bonald.
43 G. Lukács, op. cit., respectivement p. 136 et p. 138.
44 Recueil imaginé dès 1832, sur la base de la nouvelle Étude de femme.
45 M. Ambrière, « Préface », dans H. de Balzac, Béatrix, Paris, Gallimard, « Folio classique », 1979, p. 17.
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Référence électronique
Boris Lyon-Caen, « Balzac et le « sujet » des jeunes filles », Revue italienne d’études françaises [En ligne], 13 | 2023, mis en ligne le 15 novembre 2023, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/10915 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rief.10915
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