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Mélanges

Stratégie et tactique urbaines dans Les Saisons de Louveplaine, de Cloé Korman

Urban strategy and tactics in Cloé Korman’s Les Saisons de Louveplaine
Maria Francesca Ruggiero

Résumés

Dans cet article, nous proposons une lecture des modalités de représentation de l’espace urbain dans le roman de banlieue Les Saisons de Louveplaine, de Cloé Korman (2013). En tenant compte de la critique de la vie urbaine développée par Michel de Certeau, nous envisageons la banlieue imaginaire de Louveplaine comme un espace qui ne cesse d’être lu et écrit par ses habitants. Cette énonciation de l’espace prend la forme tantôt du récit d’enquête, tantôt du récit fantastique, et résulte strictement liée aux trajets piétons accomplis par les personnages du roman.

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Texte intégral

  • 1 Cf. P. Bourdieu, « Effets de lieu », dans Id., La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 249.
  • 2 M.-F. Niang, Identités françaises. Banlieues, féminités et universalisme, Leiden/Boston, Brill/Rodo (...)
  • 3 Voir E. Quarta, « Des appellations trompeuses aux approches esthétiques : la nécessité de nouvelles (...)

1Espaces parlés, écrits, mais pas si souvent réellement vécus par les médias qui se chargent de les décrire, les banlieues se configurent souvent comme des lieux qui enfoncent leurs racines plutôt dans un imaginaire collectif et nébuleux que dans l’expérience sur le terrain1. Comme Mame-Fatou Niang le remarque, « dans le cas des banlieues françaises […] les discours et les représentations forgés depuis l’extérieur ont pris le pas sur le quotidien de ceux-là mêmes qui vivent ces espaces »2. Or, c’est justement cette tension entre le vécu en banlieue et les discours dont elle fait l’objet que Cloé Korman semble avoir voulu rappeler avec la publication en 2013 des Saisons de Louveplaine. Il s’agit d’un roman qu’on pourrait facilement reconduire aux labels de « littérature de banlieue », « littérature urbaine » ou « littérature des cités », puisque l’espace périphérique de la ville s’y impose comme décor principal de l’action3. Mais il serait réductif, à notre avis, de parler de la banlieue des Saisons comme d’une simple toile de fond, et cela à cause de la multiplicité des significations que les espaces – urbains et non – assument au fil de la narration.

  • 4 C. Marcandier, « Cloé Korman, Les Saisons de Louveplaine, entretien », 2013, consulté le 15/02/2023 (...)

2Préalablement à la publication des Saisons, Cloé Korman avait déjà fait preuve d’une attention particulière à la représentation littéraire de la banlieue. En effet, en 2011 l’écrivaine anime un atelier d’écriture au lycée Jacques Brel de La Courneuve, commune de la Seine-Saint-Denis. Cette activité aboutit à la publication du volume La Courneuve, Mémoires vives, qui recueille de petits portraits en textes et en images des habitants de La Courneuve fabriqués par les participants de l’atelier d’écriture. Cette expérience s’avère fondamentale pour Korman, qui souhaitait écrire une « fiction de banlieue » qui s’éloigne des représentations stéréotypées liées à cet espace, comme le reportage ou le documentaire4. L’atelier d’écriture se transforme donc en une véritable étude de terrain – pour reprendre une terminologie propre aux sciences sociales – qui a pour but de trouver les mots justes pour dire l’espace banlieue – un propos qui trouvera sa réalisation avec la publication des Saisons de Louveplaine. Il s’agit d’un geste qui est aussi bien esthétique que politique, puisque le travail sur la langue vise surtout, comme le dit Korman, à donner de la voix et de la dignité à ceux et celles qui habitent cet espace, et qui ont donc l’autorité – et même l’autorialité, après la publication des Mémoires vives – pour le représenter. Ainsi, le label de « roman » attribué aux Saisons ne doit pas être interprété comme une délégitimation de la vérité de leur contenu : le choix de situer les faits narrés dans le domaine de la fiction relève plutôt d’une recherche, menée par Korman, de nouvelles formes de représentation de la banlieue, ce que l’auteure fait tout en demeurant ancrée dans le réel par le biais de la langue. Le résultat est une sorte de vérité possible de la banlieue, de cet espace multiforme traversé par différentes langues et différents discours. Le « terrain » banlieusard semble donc nourrir l’imaginaire de l’auteure, qui utilise l’outil de la fiction pour interroger et relire cet espace.

  • 5 Voir M. de Certeau, L’Invention du quotidien, t. I, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 57-63 (...)

3Nous essayerons, dans cet article, d’analyser les moyens et les finalités des représentations de l’espace dans Les Saisons de Louveplaine. Pour ce faire, nous nous servirons autant d’instruments propres de l’analyse textuelle, que de la critique de la vie urbaine que Michel de Certeau a développée dans L’Invention du quotidien. L’intérêt de cette étude réside pour nous dans le fait que la ville y est montrée en tant qu’espace lisible et sans cesse réécrit par ses habitants, qui organisent le texte urbain pour s’opposer à sa planification stratégique5. Nous croyons que ce type d’approche interdisciplinaire ne pourra qu’enrichir notre analyse, démontrant que la représentation littéraire de l’espace urbain se dégage effectivement du tissu urbain – ou mieux, du texte urbain – où nous vivons et se donne comme objectif, entre autres, de le réécrire.

Les seuils du texte

  • 6 C. Korman, Les Saisons de Louveplaine (2013), Paris, Points, 2014, quatrième de couverture, dorénav (...)
  • 7 C. Marcandier, art. cit.

4On commencera l’analyse des représentations spatiales dans Les Saisons de Louveplaine par ces lieux que Gérard Genette a nommés les « seuils » du texte – le seuil, un espace qui, comme on verra plus loin, revêt une importance cruciale dans ce roman. Tout d’abord, le titre lui-même paraît conduire le lecteur, même avant de feuilleter le livre, à s’interroger autour de ce mystérieux toponyme, Louveplaine. Qu’est-ce que cela ? On trouve une première réponse à cette question en consultant la quatrième de couverture, qui décrit ce lieu comme une « cité de Seine-Saint-Denis »6. Mais le lecteur averti sait parfaitement qu’il n’existe pas de Louveplaine dans ce département. Dans un entretien livré à Christine Marcandier, Cloé Korman affirme : « […] je voulais faire référence à ce lieu comme s’il existait réellement. J’aime dire que mon récit se passe à Louveplaine sans préciser que ce lieu est imaginaire, dire qu’il y a un bois, une autoroute, que c’est à l’est de Saint-Denis »7.

5Un tel traitement de l’espace, qui pousse inévitablement le lecteur à vérifier l’existence des lieux nommés sur une carte géographique, se trouve en contraste avec l’organisation de la table des matières : tous les chapitres contiennent une indication temporelle, suivant la succession des mois, et une indication spatiale (« Là-bas », « Appartement 15B », « Les Vironnes », etc.). Cette scansion de la narration, qu’on pourrait définir « circonstancielle », fait que Louveplaine s’éloigne sensiblement de la dimension imaginaire qu’on a précédemment évoquée : les contours spatiaux et temporels de l’intrigue étant méticuleusement cernés, ce lieu semble se matérialiser petit à petit sous les yeux du lecteur. De plus, l’établissement de ces points de repère mime à un niveau péritextuel l’appropriation progressive de la banlieue de la part de Nour, la protagoniste, qui se fait à travers le déploiement d’une enquête.

L’espace des enquêtes

6Nous nous proposons premièrement d’analyser Louveplaine en tant que terrain de plusieurs enquêtes. Au niveau de l’intrigue, en effet, on peut bien affirmer que l’axe central du roman est constitué par une enquête : Nour, jeune Algérienne de vingt-six ans originaire de Laghouat, inquiétée par l’absence de nouvelles de la part de son mari Hassan, qui vit à Louveplaine, décide de le rejoindre. Elle part donc en avion d’Alger pour débarquer à Paris, en laissant à Laghouat sa fille Feriel aux soins de Marjil, sa voisine et amie d’enfance. Une fois arrivée à Louveplaine, Nour commence à chercher son mari avec l’aide du jeune Sonny et, ce faisant, elle découvre que Hassan lui a menti à propos de la vie qu’il conduit à Louveplaine : en effet, Nour apprend qu’il organise des combats clandestins de chiens. On ne retrouvera jamais Hassan, et Nour se verra obligée d’abandonner ses recherches.

  • 8 Voir SL, p. 14-16.
  • 9 Ibid., p. 10.

7Sur cette enquête principale se greffent plusieurs mini-enquêtes, dont une est celle qui voit comme objet de recherche Nour elle-même et comme enquêteuse Marjil. À cette dernière est confié le rôle de narratrice homodiégétique dans le premier chapitre du roman, intitulé significativement « Septembre. Là-bas ». Tandis que la première moitié du titre situe dans le temps les faits narrés, la deuxième moitié désigne Louveplaine comme un là-bas indéfini et lointain, un lieu aux contours vagues que Marjil essaie d’évoquer par le biais du récit que Nour en fait pendant leurs conversations téléphoniques. À cela se mêlent des analepses, qui décrivent la vie de Nour avant son départ, et des hypothèses que Marjil fait lorsqu’elle se propose de reconstruire le voyage de Nour8. Sa connaissance des faits n’étant pas directe, la narratrice est obligée de remplir les vides du récit rapporté – dont elle affirme être « le témoin le plus fiable »9 – avec des éléments fictionnels. L’acte de la narration de la part de Marjil, qui essaie de reconstruire a posteriori les pérégrinations de Nour, devient toujours plus compliqué, puisque les appels de Nour se dissipent jusqu’à disparaître. La distance géographique opère comme un écran opaque, la clarté des faits de la vie de Nour diminue à mesure qu’elle s’éloigne de Laghouat. Finalement, Marjil renonce à son rôle de narratrice et, par conséquent, à retrouver sa vieille amie.

  • 10 Ibid., p. 23.

Et que pourrais-je vous décrire de Louveplaine ? Mon savoir est arrêté au seuil des immeubles d’habitation et de l’appartement [que Nour] occupait. […] je ne connais rien de ce pays. Tout ce qu’elle a vu depuis qu’elle s’est installée de l’autre côté je le tiens d’elle ou de ceux qui comme elle sont partis là-bas, et un peu de la télévision. […] C’est là que Nour a disparu. Pour nous autres qui vivons encore ici, […] Nour est à peine un souvenir, elle n’existe plus.10

8De la perspective de Marjil, Nour semble avoir été avalée par Louveplaine, lieu lointain et donc inconnaissable, qu’elle renonce à se figurer. Au moment où l’élément fictionnel sort du récit de Marjil, la quête doit s’arrêter, en condamnant en même temps Nour à l’oubli. Et, en effet, le roman suit son cours seulement grâce à l’intervention d’un narrateur hétérodiégétique, qui prend en charge la narration dès le chapitre suivant.

  • 11 Ibid., p. 25.

9À travers cette voix anonyme, nous parvenons à suivre Nour dans son voyage à la recherche de Hassan. La démarche de l’enquête semble s’incarner dans l’acte du déplacement physique, puisqu’au début chaque mouvement de Nour a pour objectif de repérer des traces du passage de son mari. Ce dernier arrive jusqu’à se confondre avec l’espace lui-même, dont la conquête devient donc synonyme d’une connaissance plus certaine des pensées de Hassan. Pour ne donner qu’un exemple, dans une des nombreuses analepses contenues dans le deuxième chapitre, Nour se souvient de sa jalousie à l’égard des contrôleurs à l’aéroport d’Alger, qui ont pu observer Hassan aux rayons X : « ils ont un peu d’avantage, tandis qu’elle reste à quelques mètres sur le seuil et s’interroge : qu’y a-t-il à l’intérieur de Hassan ? »11. Le défaut de communication entre les deux époux se concrétise grâce à la métaphore spatiale du seuil, déjà utilisée par Marjil pour indiquer le point où son savoir s’arrête. Le seuil devient donc un lieu connoté par le manque de communication et l’impossibilité de connaissance d’un autre lieu, à savoir l’intériorité de Hassan, qui reste inaccessible. Hassan devient ici, grâce à la métaphore spatiale, un lieu à s’approprier.

10Dans cette perspective, les itinéraires urbains de Nour acquièrent une signification qui va au-delà du prosaïque dealing qu’elle commence à pratiquer à Louveplaine pour gagner de quoi vivre. La marche à pied est, au moins dans les premiers chapitres, toujours accomplie pour retrouver Hassan. Ainsi, cette pratique acquiert tous les traits d’une démarche d’enquête. L’étymologie commune des substantifs marche et démarche, tous les deux déverbaux du verbe marcher, nous rappelle qu’en français ces deux actions sont apparentées à la volonté d’imprimer une marque de son propre passage et, en même temps, de fixer des bornes. Ces dernières correspondent justement aux deux objectifs que Nour semble s’être donnés : par la délimitation de l’espace urbain, qui s’accomplit pas à pas, elle essaie de cerner les contours de Hassan, lui aussi être mystérieux et fantomatique dont la jeune femme se rend compte ne connaître presque rien. Cette délimitation devient fonctionnelle à l’appropriation successive, soit de l’espace urbain, soit – en filant la métaphore – de Hassan.

  • 12 Ibid., p. 57.

Musique en tête, elle cherche son mec. Dans toutes les rues, sur les marchés et jusqu’aux étals fabriqués par les vendeurs de montres en or sur le dessus d’un carton vide, elle traque, son visage, ou ses mains, ou ses dents. Avenues immenses où elle ne connaît personne. Ici un homme brûle des marrons chauds sur un bidon d’essence, là tu achètes des fruits de saison, des gens qui se démènent, essayent de donner de la valeur à quelque chose en le vendant.12

  • 13 M. de Certeau, op. cit., p. 152.
  • 14 Voir SL, p. 99.
  • 15 M. de Certeau, op. cit., p. 148.

11Dans ce paragraphe, qui décrit la marche et la démarche d’enquête de Nour, émerge au niveau linguistique ce que Michel de Certeau appelle deux « figures cheminatoires »13, à savoir la synecdoque et l’asyndète. Notamment, pendant la marche, l’image de Hassan est évoquée par synecdoque à travers la nomination de quelques parties de son corps. Puis, dans les deux phrases suivantes, la description des lieux et des gens que Nour voit se fait par juxtaposition des énoncés simples, avec l’élision de toute conjonction de coordination. On assiste donc à un épaississement de la figure de Hassan, qui se concentre dans certaines parties éparses de son corps. Ainsi, la synecdoque « cheminatoire » vise à donner de la consistance à cette figure volatile et éphémère, caractérisée ailleurs par la vitesse de ses mouvements14. En même temps, l’espace urbain, qui émerge par instants et sans aucune continuité, se retrouve fragmenté par l’asyndète, ce qui reflète sur le plan de la forme la sensation d’égarement éprouvée par Nour en parcourant les avenues. Le corps humain et la ville se trouvent ainsi réélaborés par la pratique de la marche, qui fonctionne ici comme un acte de langage ayant pour objectif l’appropriation aussi bien du corps de Hassan que de l’espace urbain. C’est pour cette raison que Michel de Certeau parle d’« énonciation piétonnière »15, en établissant une analogie entre marche et acte de langage, par lesquels le piéton s’approprie et réalise, respectivement, le système urbain et la langue.

  • 16 Voir SL, p. 57.

12C’est à travers cette énonciation piétonnière que l’enquête se réalise : d’abord physiquement, puisque, comme on l’a déjà montré, Nour sort de l’appartement et parcourt à pied Louveplaine pour chercher son mari ; deuxièmement, à travers les différents récits que la marche engendre. En effet, en parcourant l’espace urbain, Nour commence à bâtir un réseau de relations qui lui sera utile pour reconstruire les causes de la disparition de Hassan. Pour ce faire, l’aide de Sonny s’avère fondamentale, puisque c’est ce dernier personnage qui éclaircit les trafics que Hassan mène dans la ville, en délivrant à Nour une narration qui s’enrichit petit à petit tout au long du roman. Même à travers l’énonciation piétonnière qui permet l’enquête, l’objet de la recherche se confond donc avec l’espace où la recherche est menée. Cette identification se corrobore de plus en plus, jusqu’au point où Nour commence à se demander si Louveplaine est devenue le tombeau de Hassan16, à savoir un lieu qui physiquement l’enclot et conserve sa mémoire.

  • 17 Cf. L. Demanze, « Fictions d’enquête et enquêtes dans la fiction », dans COnTEXTES [En ligne], 22, (...)

13On remarquera, finalement, que dans les deux démarches qu’on a décrites la fiction revêt un rôle central, puisqu’elle se révèle le moteur grâce auquel l’enquête peut poursuivre. On a vu comment la reconstruction des faits de la part de Marjil se termine abruptement lorsque cette dernière renonce à ce processus de figuration du réel qu’elle avait entrepris au début de son récit, en se résignant à son état d’habitant stable d’une banlieue de Laghouat. Donc, en renonçant au nomadisme de la fiction, l’enquête s’interrompt. Par contre, Nour persévère dans sa volonté de reconstituer un récit véridique de la vie que Hassan mène à Louveplaine, ce qui s’accomplit à travers la formulation d’hypothèses et l’échange d’informations avec les gens qui l’ont connu. La fiction, générée par l’énonciation piétonnière, se fait méthode d’enquête17 : par l’accumulation des récits, l’enquête de Nour s’enrichit et reconstitue une version possible des faits qui se sont passés.

  • 18 C. Marcandier, art. cit.
  • 19 Ibidem.
  • 20 L. Demanze, art. cit.

14Cette démarche ne fait que redoubler celle adoptée par Cloé Korman dans la création du lieu imaginaire qu’est Louveplaine. L’auteure a créé un lieu qui ressemble beaucoup au fameux « 93 » tout en rentrant dans les rangs de la fiction, qui paraît être utilisée par l’écrivaine comme une véritable méthode d’enquête pour sonder les espaces urbains périphériques : « le jeu est de ne prendre que des éléments existants pour construire quelque chose qui n’existe pas »18, dit Korman. La construction d’une banlieue imaginaire mais vraisemblable a pour but, pour l’écrivaine, d’interroger les représentations « classiques » des banlieues parisiennes, pour montrer que « ce n’est pas un lieu neuf, […] mais qui a une histoire »19. Louveplaine semble ainsi sortir des plis d’une carte géographique qu’on aurait oublié d’ouvrir complètement, un lieu bricolé avec des images réelles et qui, pourtant, demeure dans les pages d’un roman. La création de ce lieu de fiction tient d’un processus d’enquête du réel et profite donc de ce paradoxe des procédures d’investigations qui consiste, selon Laurent Demanze, à « [fragiliser] le réel dans le geste même qui consiste à l’établir »20.

  • 21 SL, p. 344.

15Où se trouve Louveplaine ? Où est Hassan ? Il n’y a pas de réponses sûres à ces questions. « On ne sait pas. Le corps n’a pas été retrouvé »21, c’est l’amer constat final. Ainsi, Korman semble vouloir substituer la question ontologique par la question circonstancielle, ce qui ne fait que rappeler qu’on n’est jamais tout court, abstraitement : on est toujours quelque part.

Le seuil et le fantastique

  • 22 Voir T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970, p. 46.

16Le choix de situer l’intrigue dans une banlieue qui est le fruit de l’imagination de l’auteure a pour but de questionner les clichés liés à ces lieux. L’introduction dans le récit de quelques éléments surnaturels ou fabuleux, qui font parfois basculer l’illusion référentielle en rappelant au lecteur que Louveplaine est un lieu de fantaisie, va dans le même sens. Au problème de l’incertitude de l’ancrage géographique s’ajoute ainsi celui de la vraisemblance des faits narrés, qui en est une conséquence directe. L’introduction du surnaturel paraît en effet indiquer que ces faits « n’ont pas (de) lieu », et cela dans un double sens : littéralement, ils n’appartiennent à aucun lieu ; au sens figuré, ils ne se sont pas produits. Cette oscillation liée à l’absence de lieu renvoie à celle que Tzvetan Todorov appelait l’« hésitation du fantastique », un genre qui habite lui-même une frontière, celle entre l’étrange et le merveilleux22. On verra, dans ce paragraphe, comment cette conceptualisation du genre trouve dans les Saisons un espace concret, à savoir le seuil.

  • 23 Voir SL, p. 35, où le repos de Nour est perturbé par l’action d’un être qu’elle croit un djin, et q (...)
  • 24 C’est le cas du fantôme de la prostituée Thétis, qui fait son apparition plutôt en tant qu’allégori (...)
  • 25 Ibid., p. 68.
  • 26 Ibid., p. 70.
  • 27 Ibid., p. 69.

17Dans le roman, le fantastique laisse souvent la place à des catégories comme l’étrange23 et l’allégorique24, qui se limitent à côtoyer ce genre en le définissant par négation. Mais il existe à notre avis dans les Saisons une manifestation du fantastique pur, qu’on peut repérer dans les différentes apparitions du cerf du bois de Louveplaine. Cet animal est nommé une première fois dans le chapitre « Novembre. Les Vironnes » par Jacques Estoril, un professeur d’histoire que Nour rencontre dans un terrain vague à la lisière du bois de Louveplaine et près de l’hôpital, où elle a accompagné Sonny pour voler des médicaments. Le vieil homme – qui se promène ici avec sa petite-fille pendant les attentes qui séparent les rendez-vous médicaux de cette dernière – raconte à Nour avoir vu un cerf avec un bois cassé quelques mois auparavant, près de l’édifice effondré des Vironnes, qui se trouve sur le même terrain vague où il fait ses balades. L’histoire de ce bâtiment, désormais abandonné et en mauvais état, nous est révélée par Estoril : avant la Révolution, les Vironnes étaient un couvent où les femmes troublées par des pathologies mentales ou physiques étaient envoyées par leurs familles respectives. Lieu de réclusion accueillant des femmes « interdites de parole par la règle monacale ou bien tout simplement muettes »25, les Vironnes cachent un mystère : en effet, aucun document n’atteste de manière précise ni le destin de ces femmes après la Révolution, ni la localisation de l’ancien cimetière faisant partie du complexe. Il est significatif que la première apparition du cerf de Louveplaine se produise ici, dans un lieu liminaire et marqué par une fin incertaine, ce qui fait plonger le récit de M. Estoril dans le domaine de l’hypothèse. « Moi je pense – c’est horrible à dire –, moi je pense qu’on a dû les livrer aux chiens. […] ça a pu se produire dans certains endroits »26, révèle-t-il à Nour en se référant aux Vironnes – un lieu à tel point annihilant que ce toponyme finit par désigner également les femmes qui y habitaient. L’hypothèse de M. Estoril, qu’il formule à partir d’une ancienne gravure, établit un lien entre ces femmes du XVIIIe siècle et le mari de Nour, Hassan : en effet, dans les deux cas nous avons affaire à des figures disparues dont on ne connaîtra jamais le sort, qui ont été privées du droit de parole et dont le destin probablement tragique a été marqué par la férocité des « chiens d’attaque »27 – puisque, nous le rappelons, Hassan organisait des combats clandestins de chiens à Louveplaine. En ce sens, l’hypothèse de M. Estoril constitue peut-être un indice donné au lecteur pour deviner le sort de Hassan, auquel l’histoire des Vironnes pourrait faire allusion en tant que mise en abyme. Une validation de cette lecture résulte impossible, puisque le texte se clôt sans donner de certitudes à l’égard de la mort de Hassan. Cependant, on remarquera que les similitudes entre les Vironnes et le mari de Nour sont nombreuses. M. Estoril raconte à propos des femmes qui n’ont pas été exécutées par les révolutionnaires :

  • 28 Ibid., p. 70.

Le reste pouvait seulement s’imaginer, dit-il. Quand elles se dispersèrent dans les faubourgs comme elles étaient, sans argent, sans appui, les survivantes des Vironnes ne voulurent pas témoigner du monde qu’elles avaient connu et se mêlèrent sans un mot, dit ou écrit, à la population des couturières, des blanchisseuses, des plus humbles.28

  • 29 Ibid., p. 68.

18Comme les anciennes Vironnes – reléguées en périphérie, exclues d’une société qui les refusait et oubliées puisque leur histoire « ne faisait pas vraiment honneur à la Révolution »29 –, Hassan ne sera jamais le témoin de sa propre histoire, dont on possède seulement des bribes éparses et peu certaines. Cette faute de transmission déclenche l’enquête, qui se configure comme une tentative de soustraire ces figures à l’oubli. Ce procédé est ici matérialisé dans la figure fantomatique du cerf, qui apparaît et disparaît au fil des pages et qui semble vouloir établir, par le biais de ses apparitions, un fil rouge qui aide les personnages – et les lecteurs – dans la reconstruction de l’histoire d’Hassan.

  • 30 Ibid., p. 252-254.
  • 31 Ibid., p. 339.

19Cet animal joue un rôle capital même dans l’accident de voiture qui touche Nour et Sonny à la fin du chapitre « Mars. Jardin à la française »30. En rentrant d’une journée passée au parc de Callières, les deux essaient de traverser à pied l’autoroute qui côtoie le bois. En ce moment, Nour perçoit une silhouette d’homme – qu’elle croit être Hassan – de l’autre côté de la rue. Elle se jette à sa poursuite suivie par Sonny, mais une voiture de la police les écrase. Après l’accident, le commissaire Maubée essaie d’en comprendre les causes, mais il se trouve face à deux versions différentes : tandis que Nour et Janssens – un des policiers dans la voiture – affirment avoir vu un homme s’éloignant de l’autoroute, Belem, le policier au volant, dit avoir vu un cerf avec un bois cassé. Il est impossible d’établir laquelle des deux versions est véridique : le lecteur reste avec ce doute, d’autant plus que, dans les dernières pages du roman, un autre policier, Biniam, affirme avoir vu lui aussi ce fantomatique cerf au bois cassé. C’est ici, sur l’autoroute traversée par Nour et Sonny et qui est située aux lisières du bois de Louveplaine, que le fantastique surgit : Hassan et le cerf deviennent, par le biais de l’enchevêtrement des récits de l’accident, un seul être d’ombre, dont on distingue seulement la silhouette. Et Maubuée affirme à ce propos : « Je me disais qu’une silhouette d’homme ou de femme… Si cette personne lève les bras, pour se protéger par exemple, mettons à cause des phares d’une voiture, elle peut faire penser à un cerf […] »31. Ainsi, encore une fois la figure erratique de Hassan se confond avec quelque chose d’autre, dans ce cas avec un animal dont la présence est toujours située dans le récit de quelqu’un qui dit l’avoir vu. L’existence du cerf est – on pourrait dire – rapportée : le cerf existe grâce aux témoignages de différents personnages. Le cerf correspond donc, comme Hassan, à une absence enchâssée dans la narration. Sa connaissance, tout comme celle de Hassan, est asymptotique.

  • 32 Voir M. de Certeau, op. cit., p. 59-61.
  • 33 Voir SL, p. 238-239.
  • 34 M. de Certeau, op. cit., p. 61.
  • 35 Ibid., p. 60.
  • 36 Ibidem.

20On remarquera également que le fantastique surgit au moment où les personnages pratiquent l’espace d’une manière tactique, c’est-à-dire en créant de nouveaux parcours, des hors-pistes non prévus par la stratégie urbanistique institutionnelle32. En effet, la première apparition du cerf a comme décor un terrain vague qui a subi une refonctionnalisation : il est devenu l’espace des promenades de M. Estoril et de sa petite-fille. De même, la traversée de l’autoroute accomplie par Nour et Sonny constitue un raccourci pour atteindre à pied le parc de Callières, un lieu peu fréquenté par les habitants de Louveplaine à cause de la difficulté qu’ils éprouvent à s’y rendre33. Le terrain vague et l’autoroute sont donc deux non-lieux liminaires, vidés de toute dimension relationnelle par la stratégie urbaine, mais qui se trouvent modifiés par la pratique que les personnages en font : ils se configurent comme les non-lieux de la tactique, laquelle « permet sans doute la mobilité, mais dans une docilité aux aléas du temps, pour saisir au vol les possibilités qu’offre un instant »34. Cet instant est aussi et surtout celui où émerge le fantastique – à la frontière entre bois et ville, entre cerf et homme. Ainsi, l’absence constituée par les figures du cerf et de Hassan se reflète dans la pratique tactique de l’espace qui, selon Michel de Certeau, correspond à une « action calculée que détermine l’absence d’un [lieu] propre »35. Tout comme le cerf et Hassan, qui trouvent leur place dans les récits d’autrui, « la tactique n’a pour lieu que celui de l’autre »36.

21De plus, nous remarquerons que le fantastique surgit toujours dans un lieu de frontière, en correspondance d’un seuil qui peut être franchi par les personnages. Il est significatif, à notre avis, qu’un tel genre – qu’on pourrait appeler « périphérique » et dont la théorisation s’appuie fortement sur une métaphore de type spatial – émerge dans un roman comme les Saisons, qui fait de l’espace un de ses personnages principaux. L’évocation de l’élément fantastique semble vouloir amplifier le questionnement autour du périphérique que l’auteure avait élaboré en mettant en scène un lieu imaginaire comme Louveplaine. Le fantastique invite en effet à habiter les marges et, en même temps, à les transgresser sans cesse : c’est une féconde pratique du doute qui invite le lecteur à abandonner tout type de cliché – dans ce cas, ceux qui sont habituellement attribués aux banlieues.

  • 37 C. Horvath, « Espaces anti-urbains dans la ville », dans Ead., Le Roman urbain contemporain en Fran (...)
  • 38 M. de Certeau, op. cit., p. 59.
  • 39 Ibid., p. 60.
  • 40 C. Horvath, « Espaces anti-urbains dans la ville », cit.
  • 41 On signale, à ce propos, le travail de Mame-Fatou Niang, qui a conduit une étude autour des représe (...)

22À ce propos, dans son étude consacrée au roman urbain contemporain, Christina Horvath parle du manichéisme dont les représentations des banlieues souvent relèvent : les périphéries peintes par les médias se révèlent soit des zones dangereuses à taux de criminalité élevé, soit de parfaits exemples d’innovation culturelle et d’intégration. Cette vision binaire et antithétique de la banlieue finit par influencer même les œuvres de fiction, où, selon Horvath, « l’uniformité des décors et des personnages […] montre clairement que [les récits contemporains qui traitent de la banlieue] sont autant fondés sur une réalité imaginaire transmise par les médias que sur des observations de première main »37. Il s’agit d’une représentation de la banlieue relevant du concept de « stratégie » théorisé par Michel de Certeau, ce geste qui, à partir de la postulation d’un lieu propre, se donne comme objectif celui de « gérer les relations avec une extériorité de cibles ou de menaces »38 de manière panoptique, en transformant « les forces étrangères en objets qu’on peut […] contrôler […] et “inclure” dans sa vision »39. Comme le relève Horvath, les clichés médiatiques, positifs ou négatifs, « ont en commun une volonté d’effacer les nuances et de ramener la diversité des formes à un archétype commun »40, et ils se configurent donc comme des moyens stratégiques pour encadrer l’espace périphérique de la banlieue dans les limites imposées et créés par les médias, qui s’investissent eux-mêmes du pouvoir de définir cet espace41.

  • 42 P. Marot, « Le fantastique, un paysage à redessiner ? Quelques propositions théoriques », dans P. M (...)
  • 43 SL, p. 64.

23On rappellera, à ce propos, qu’un des effets les plus intéressants du fantastique en littérature est celui d’amener le lecteur à s’interroger autour du partage entre réel et imaginaire, qui se révèle, dans certains cas, trop rigide. L’irruption du fantastique ébranle et confond les contours de ce qu’on est habitué à appeler « réel », ce que Patrick Marot désigne comme une véritable « poétique fantastique du questionnement »42. En ce sens, l’insertion d’un élément fantastique dans un roman dit « de banlieue » pourrait être considérée comme une pratique tactique, ayant comme but celui d’exorciser ces représentations conventionnelles de la banlieue qui sont trop souvent considérées comme réelles. Il s’agit, en effet, d’un élément narratif imprévu, qui peut dérouter le lecteur, tout comme l’apparition du cerf – qui incarne l’élément fantastique – semble confondre M. Estoril : « Moi je croyais que ce type d’animal on les trouvait en Île-de-France mais pas aussi près de Paris. À mon avis, s’il y a des habitants désagréables du côté de ce bois, c’est plutôt des trafiquants, le genre de gars qui ont besoin d’une planque »43, dit-il à Nour. Les mots du vieux professeur montrent bien qu’il existe un horizon d’attente lorsqu’on parle de la banlieue, et ils indiquent bien l’écart existant entre, d’un côté, la vie quotidienne des banlieues parisiennes – qui, presque paradoxalement, est capable d’accueillir le fantastique en tant qu’imprévu tactique –, et, de l’autre, l’idée préconçue qui lie la banlieue à l’activité criminelle.

Conclusions : en marche

  • 44 M. de Certeau, op. cit., p. 189.

24« Là où la carte découpe, le récit traverse. Il est “diégèse”, dit le grec pour désigner la narration : il instaure une marche (il “guide”) et il passe à travers (il “transgresse”) », affirme Michel de Certeau44. Comme on l’a précédemment montré, les deux composantes du terme « diégèse » informent la structure même des Saisons : tandis que les processus d’enquête guident le déploiement de la narration, l’introduction du fantastique constitue une tentative pour aller au-delà des représentations habituelles des banlieues. Le mouvement par lequel ces deux actions sont accomplies est la marche à pied, vue tantôt dans sa dimension vectorielle, tantôt comme manière de franchissement d’un seuil. Ainsi, le texte dans sa totalité se transforme en énonciation piétonnière, qui se configure donc comme une pratique narrative tactique vouée à mettre en question les clichés banlieusards produits par les regards de la stratégie urbaine.

  • 45 Voir SL, p. 30-32.
  • 46 Voir M. de Certeau, op. cit., p. 172-173.

25Mais au-delà de son emploi dans la construction de la structure narrative, la marche à pied dans le roman devient l’objet d’une véritable théorisation de la part d’Amine, le père de Nour. Selon le vieil homme, la marche à pied permet de transformer le temps en espace, de concrétiser cette quatrième dimension si mystérieuse et insaisissable45. C’est la relation qui s’établit entre celui qui marche et ce qui l’entoure qui permet cette concrétisation. À cela s’oppose l’empressement du déplacement par un moyen de transport : la vitesse ne permet pas l’établissement d’une relation, puisqu’elle éloigne les personnes en dépouillant la relation de la durée. On met donc en scène une conception relationnelle de l’espace, qui devient tel – comme l’affirme aussi Michel de Certeau46 – seulement une fois qu’il est pratiqué – ou mieux, énoncé – par ses habitants.

  • 47 C. Horvath, « Quelle place pour les flâneuses dans les banlieues françaises ? », dans Sciences de l (...)
  • 48 « [La tactique] est un art du faible », M. de Certeau, op. cit., p. 61.
  • 49 Ibid., p. 155.

26Dans cette perspective, l’énonciation diégétique et l’énonciation piétonnière se configurent comme deux pratiques interdépendantes, qui ne cessent de s’enchevêtrer tout au long du livre. Les deux relèvent d’une pratique de l’espace qui se veut tactique. Dans un article à propos des flâneuses de banlieue, Christina Horvath avait déjà remarqué que « les flâneuses de banlieue ne revendiquent pas ouvertement leurs droits mais conquièrent l’espace subrepticement, […] par la subversion discrète des pratiques légitimes de l’espace »47. La marche demeure pour les femmes, dans la plupart des cas, une pratique qui nécessite une justification. Mais, comme Horvath l’affirme, les filles ont tendance à pratiquer les interstices de la tactique urbaine, à créer pour elles-mêmes des géographies informelles de la banlieue. C’est cela que Nour fait chaque fois qu’elle traverse Louveplaine : à partir de la position de faiblesse où elle se trouve48, elle se soustrait aux lieux de la stratégie urbaine en arpentant la cité à pied – « Marcher, c’est manquer de lieu », dit Michel de Certeau49. De cette manière, elle organise et apprend la banlieue en la transformant en espace relationnel et, ce faisant, elle se l’approprie. Ainsi, l’hôpital où elle va avec Sonny devient un dépôt de médicaments qu’on peut voler et revendre, le bois de Louveplaine un refuge ou un raccourci pour atteindre le parc de Callières, l’appartement 15B une vraie demeure pour elle et sa fille Feriel. Dans cette perspective, l’enquête et la transgression des seuils qu’engendre le fantastique relèvent de pratiques qui encouragent une relation tactique à l’espace urbain conçu comme texte : les deux invitent en effet à profiter des hasards, des failles dans le système narratif urbain pour reconstruire une narration à soi – soit à propos de ceux qui ont disparu, soit à propos d’un réel qu’on veut soustraire des clichés –, en comblant les espaces vides que la stratégie urbaine a délaissés.

  • 50 C. Marcandier, art. cit.

27Comme le relève Marcandier50, dans le roman de Korman la cité devient elle-même matière narrative, puisque c’est grâce aux différentes voix qui l’habitent, qui la parcourent et qui en transmettent l’histoire qu’elle prend vie en tant qu’espace. D’autre part, le récit comme pratique tactique est littéralement mis en marche, et contribue à s’approprier temporairement l’espace urbain. À une mise en récit de l’espace urbain correspond donc une spatialisation de la narration, conçue comme une pratique dynamique et ouverte – puisque, comme on a déjà souligné, plusieurs éléments de l’intrigue contribuent à construire le caractère sans aucun doute ambigu de la fin – et qui refuse de se figer sur une seule représentation de la banlieue, envisagée comme espace complexe et stratifié.

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Notes

1 Cf. P. Bourdieu, « Effets de lieu », dans Id., La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 249.

2 M.-F. Niang, Identités françaises. Banlieues, féminités et universalisme, Leiden/Boston, Brill/Rodopi, 2020, p. 6.

3 Voir E. Quarta, « Des appellations trompeuses aux approches esthétiques : la nécessité de nouvelles perspectives pour l’étude de la littérature beur », dans I. Vitali (dir.), Intrangers, Louvain-la-Neuve, L’Harmattan/Academia, 2011, vol. 1, p. 119-139, p. 126.

4 C. Marcandier, « Cloé Korman, Les Saisons de Louveplaine, entretien », 2013, consulté le 15/02/2023, URL : https://blogs.mediapart.fr/edition/bookclub/article/151013/cloe-korman-les-saisons-de-louveplaine-entretien.

5 Voir M. de Certeau, L’Invention du quotidien, t. I, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 57-63, 139-191.

6 C. Korman, Les Saisons de Louveplaine (2013), Paris, Points, 2014, quatrième de couverture, dorénavant indiqué par le sigle SL.

7 C. Marcandier, art. cit.

8 Voir SL, p. 14-16.

9 Ibid., p. 10.

10 Ibid., p. 23.

11 Ibid., p. 25.

12 Ibid., p. 57.

13 M. de Certeau, op. cit., p. 152.

14 Voir SL, p. 99.

15 M. de Certeau, op. cit., p. 148.

16 Voir SL, p. 57.

17 Cf. L. Demanze, « Fictions d’enquête et enquêtes dans la fiction », dans COnTEXTES [En ligne], 22, 2019, consulté le 15/02/2023, URL : https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/contextes/6893.

18 C. Marcandier, art. cit.

19 Ibidem.

20 L. Demanze, art. cit.

21 SL, p. 344.

22 Voir T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1970, p. 46.

23 Voir SL, p. 35, où le repos de Nour est perturbé par l’action d’un être qu’elle croit un djin, et qui se révélera, en revanche, un enfant.

24 C’est le cas du fantôme de la prostituée Thétis, qui fait son apparition plutôt en tant qu’allégorie de Louveplaine, que pour plonger le lecteur dans l’hésitation du fantastique. Voir ibid., p. 226-227.

25 Ibid., p. 68.

26 Ibid., p. 70.

27 Ibid., p. 69.

28 Ibid., p. 70.

29 Ibid., p. 68.

30 Ibid., p. 252-254.

31 Ibid., p. 339.

32 Voir M. de Certeau, op. cit., p. 59-61.

33 Voir SL, p. 238-239.

34 M. de Certeau, op. cit., p. 61.

35 Ibid., p. 60.

36 Ibidem.

37 C. Horvath, « Espaces anti-urbains dans la ville », dans Ead., Le Roman urbain contemporain en France, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2007, p. 43-56, consulté le 19/08/2023, URL : https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/psn/2046.

38 M. de Certeau, op. cit., p. 59.

39 Ibid., p. 60.

40 C. Horvath, « Espaces anti-urbains dans la ville », cit.

41 On signale, à ce propos, le travail de Mame-Fatou Niang, qui a conduit une étude autour des représentations médiatiques (1981-2016) qui ont contribué à amplifier une perception publique négative des banlieues. Voir M.-F. Niang, op. cit., p. 28-79.

42 P. Marot, « Le fantastique, un paysage à redessiner ? Quelques propositions théoriques », dans P. Marot (dir.), Frontières et limites de la littérature fantastique, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 14.

43 SL, p. 64.

44 M. de Certeau, op. cit., p. 189.

45 Voir SL, p. 30-32.

46 Voir M. de Certeau, op. cit., p. 172-173.

47 C. Horvath, « Quelle place pour les flâneuses dans les banlieues françaises ? », dans Sciences de la société, 97, 2016, p. 46-65, consulté le 15/02/2023, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sds/4004.

48 « [La tactique] est un art du faible », M. de Certeau, op. cit., p. 61.

49 Ibid., p. 155.

50 C. Marcandier, art. cit.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Maria Francesca Ruggiero, « Stratégie et tactique urbaines dans Les Saisons de Louveplaine, de Cloé Korman »Revue italienne d’études françaises [En ligne], 13 | 2023, mis en ligne le 15 novembre 2023, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/10868 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rief.10868

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