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Le Roman de formation au féminin

Nanon de George Sand, ou le roman de formation d’une paysanne

Nanon by George Sand, or the Bildungsroman of a peasant woman
Agnese Silvestri

Résumés

Nanon (1872) constitue une triple exception par rapport au roman de formation qui compte surtout des héros masculins et bourgeois et qui, en France au XIXe siècle, prend des formes caractérisées par la déception. Au contraire, Sand met ici en scène un personnage féminin et appartenant à la paysannerie. Par rapport à la morphologie de ce sous-genre, la trajectoire de sa petite analphabète qui, dans la tourmente de 1789, apprend à lire, devient propriétaire et épouse un aristocrate sans jamais renoncer à sa cornette campagnarde, est heureuse et exemplaire. Cet article essaie donc d’identifier quel type de socialisation Sand propose aux femmes relativement à l’expérience de l’Histoire, à celle du travail, et aux possibilités de parvenir dans la nation postrévolutionnaire.

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Texte intégral

1Nanon (1872) est l’histoire d’une petite paysanne pauvre et analphabète qui, dans la tourmente de 1789, apprend à lire, s’ouvre à la réflexion politique et à l’initiative économique, devient propriétaire d’un couvent et de ses dépendances et épouse enfin son bien-aimé, un noble cadet condamné au cloître, qu’elle a sauvé de la Terreur. Orpheline âgée de douze ans, elle part à la connaissance du monde et se transforme en femme consciente d’elle-même, capable de se donner un but et de l’atteindre, tout en s’intégrant convenablement à la société de son temps. C’est l’héroïne elle-même, désormais âgée de soixante-quinze ans et veuve, qui raconte son histoire, et elle se concentre sur les années cruciales de son existence, celles qui vont de 1787 à 1795. Elle ne fait donc aucune allusion à l’Empire et congédie hâtivement tout ce qui suit, y compris les révolutions de 1830 et de 1848.

  • 1 Sand (1804-1876) a soixante-sept ans lorsqu’elle commence, en août 1871, la rédaction de Nanon. Le (...)
  • 2 F. Moretti, Le Roman de formation [Turin, 1999], Paris, CNRS Éditions, 2019.

2Ce texte écrit par Sand au soir de sa vie et au lendemain de la Commune1 ‒ que l’écrivaine n’a pas comprise et qu’elle a très durement critiquée ‒, est manifestement un roman de formation féminin et aussi un roman prolétaire. Il s’agit d’un exemple intéressant dans le panorama français du XIXe siècle, où le roman de formation – comme le montre l’analyse capitale de Franco Moretti ‒ se développe en s’orientant vers la déception : avec Stendhal il devient ironique et ambigu ; avec Balzac, il est désenchanté et dessaisi de toute exemplarité ; enfin, avec Flaubert, la notion même de maturité se vide, et il devient donc parfaitement inutile, voire désespérant, d’y accéder2. Sand, au contraire, semble revenir ici aux formes du roman de formation classique, non voué à la déception : la vie de Nanon nous est donnée comme parfaitement accomplie, exemplaire.

3Ce roman de formation constitue alors un cas d’étude significatif : parce qu’il met en scène un personnage féminin qui, par ailleurs, relate à la première personne son épanouissement et sa socialisation ; parce que ce personnage appartient à la paysannerie ; et enfin en raison de la morphologie du récit. La formation de la conscience individuelle semble ici procéder de trois conditions : la propriété privée, l’instruction et, en tant que prémisse socio-historique, la liberté et la mobilité des individus assurée par la Révolution. Il conviendra alors de commencer par celle-ci pour essayer de comprendre le modèle sandien du roman de formation au féminin, sans oublier que l’auteur est ici une femme et que son regard, comme celui de bien des autrices, va sensibiliser le lecteur à une partie de l’expérience sociale touchant spécifiquement les femmes.

Un monde en formation pour des jeunes en formation

  • 3 B. Didier, « Nanon, roman de la Révolution », dans G. Seybert (dir.), Geschichte und Zeitlichkeit / (...)
  • 4 Sand écrit à sa fille à propos de « [l]’excès de paresse et d’ivrognerie de cette classe ». Voir G. (...)
  • 5 G. Sand, Lettre à Flaubert, 9 janvier [1870], dans G. Flaubert, G. Sand, Correspondance, éd. A. Jac (...)

4La critique a justement souligné la modernité d’un récit des événements révolutionnaires écrit pour ainsi dire d’en bas et qui assume un point de vue absolument marginal : la province, des paysans analphabètes, une toute jeune femme3. L’intrigue repose entièrement sur les conséquences sociales de la Révolution et rattache la construction de la personnalité de son héroïne aux possibilités que la fin de l’Ancien Régime ouvre aux sujets subalternes. Sand élabore par-là aussi d’autres traumatismes historiques, plus récents. On lui a suffisamment reproché son hostilité envers les communards pour ne pas insister ici sur le fait qu’elle dresse intentionnellement la réussite sociale de cette petite paysanne industrieuse et économe en opposition aux revendications d’un prolétariat urbain qu’elle considère désormais comme « paresseux » et « ivrogne »4. Toutefois, la Commune n’est pas la seule blessure à panser, car la faillite de 1848 se profile également derrière ce roman, et la réélaboration de cette expérience douloureuse se fait dans une direction moins conservatrice. La fin de la seconde République, tout en ayant profondément affecté Sand, n’a pas ébranlé ses convictions démocratiques et républicaines. L’intensité des échanges avec son ami Flaubert au moment où celui-ci écrit et publie L’Éducation sentimentale (1869) en témoigne. À cette occasion, elle avait défendu avec conviction la qualité esthétique du roman, mais déploré le découragement dans lequel il plongeait les jeunes lecteurs, forcément désemparés face à la perte de signification de tout engagement, politique et existentiel, dont la vie de Frédéric Moreau est le modèle et le symbole5.

  • 6 « Dans Nanon j’ai d’abord été charmé par le style, par mille choses simples et fortes qui sont comp (...)

5De ce point de vue, Nanon peut alors être envisagé aussi comme une contre-Éducation sentimentale : la plénitude de la formation de Nanon s’oppose au blocage désespérant de Frédéric Moreau ; la Révolution de 1789 comme moteur libérateur de forces sociales, au ridicule tragique de celle de 1848 racontée par Flaubert ; le sens pratique d’une paysanne, aux élans dans le vide d’un bourgeois. Flaubert apprécia tout particulièrement la première partie du roman de Sand, pour son adhésion scrupuleuse au point de vue et au style des gens de rien6. Sand y trouva probablement le moyen de réaffirmer sa foi républicaine tout en gardant ses personnages étrangers à un lyrisme à fond idéologique – ce que Flaubert appelait la « blague » humanitaire et socialiste.

  • 7 A.-A. Cordet le signale dans sa thèse, « Je ne suis pas une femme » : le roman de formation féminin (...)

6Il faut dire aussi qu’en faisant évoluer sa petite paysanne au moment du grand chambardement de 1789, Sand se conforme avant la lettre à une tendance remarquée par les études comparatistes dans le roman de formation féminin du XXe siècle, qui représente souvent des contextes où, l’ordre social étant bouleversé par les événements historiques, des héroïnes peuvent émerger qui transgressent les limites normalement imposées à leur sexe7. Il ne faut pourtant pas oublier que l’autrice double cet itinéraire féminin par le parcours d’un autre marginal, le « doux novice » Émilien de Franqueville, dont Nanon tombe amoureuse. Cette jeunesse en formation se trouve donc à agir à l’aube de temps nouveaux, dans un monde où le passé n’est plus et le futur est incertain, ce qui permet d’amplifier puissamment l’impression de liberté et d’ouverture de nouvelles possibilités.

  • 8 G. Sand, Nanon, éd. N. Mozet, Paris, Christian Pirot, 2005, p. 94 (dorénavant N). N. Mozet reconnaî (...)
  • 9 N, p. 101. Il faut attendre qu’arrivent à la campagne les nouvelles sur le « terrible » août 1792 à (...)
  • 10 N, p. 93.

7Dans cet espace historique des possibles, Sand allie (mésallie) peuple et aristocratie en misant sur la jeunesse, qui en sort survalorisée, comme le souligne, de façon résignée, le maire de Valcreux : « Il faut marcher, nous autres vieux, devant le commandement de deux enfants ! C’est drôle […] mais on vit dans le temps des changements : nous l’avons voulu, il faut en supporter la conséquence »8. Poussé par les instances d’Émilien et de Nanon, il doit intervenir pour obliger les moines du couvent à rendre la liberté au père économe, jeté dans un cachot parce qu’il ne veut pas s’opposer à la vente du moutier, décrété bien national. La jeunesse, pour sa part, ne se fie plus qu’à elle-même pour se conduire. Lorsque l’avocat jacobin Costejoux, qui a acheté le moutier, propose à l’ex-novice d’y demeurer pour tenir ses comptes et cultiver la terre, Nanon raconte : « Émilien vint […] me consulter, comme si j’eusse été une personne capable de lui donner un bon conseil »9. Les risques qu’ils prennent, à quinze et dix-huit ans, leur donnent une conscience nouvelle : « Il n’eût pas fallu nous traiter en enfant »10.

8La question de l’âge et de la considération sociale qui en découle prend une importance particulière pour Nanon, comme on va le voir, et beaucoup moins pour son ami. On peut penser que l’âge cache le sexe. La minorité juridique de la femme, établie par le Code civil de Napoléon (1804), ainsi que l’ensemble des perceptions sociales qui la soumettent constamment à un regard infantilisant expliqueraient suffisamment la raison du poids différent que la maturité biologique a sur les vies respectives des deux jeunes gens.

Être prise au sérieux

  • 11 N, p. 221.
  • 12 Ibidem. Je partage entièrement l’analyse de Michèle Hecquet qui a recensé les éléments essentiels s (...)

9« [I]l me fallait prendre une autorité qui n’était point facile à faire accepter à l’âge que j’avais »11, raconte Nanon. Âgée de dix-neuf ans à la mort de Robespierre, elle rentre au couvent pour s’occuper du prieur seul et malade. Elle double pourtant cette tâche traditionnellement réservée aux femmes d’une autre : celle de « faire respecter la propriété » du moutier dévasté par les paysans pillards. On la voit rétablir les clôtures, distinguer les « vrais nécessiteux » des « faux pauvres » selon, hélas, des catégories que l’œuvre antérieure de Sand récusait résolument12. Gardienne adroite des intérêts du propriétaire Costejoux, elle est enfin reconnue par ce dernier en tant qu’individu à part entière :

  • 13 N, p. 222.

Il finissait en m’appelant sa chère citoyenne et en me demandant pardon de m’avoir traitée jusqu’à ce jour comme une enfant. Il connaissait […] à ce qu’il avait vu de ma résolution, de mon intelligence et de mon dévouement, que j’étais une personne digne de son respect et de son amitié.13

  • 14 N, p. 229.
  • 15 Ibidem. J. Janin écrit : « Quelle énigme cet homme, quel phénomène cette femme ! Quel intéressant o (...)
  • 16 N, p. 226.
  • 17 N, p. 228.
  • 18 N, p. 248-249. Expédient souvent employé par Sand pour permettre un dénouement heureux et le déploi (...)

10Ce crédit n’est pas le lot des femmes, qui, concernant les questions sérieuses, sont renvoyées plutôt à la condescendance superficielle qu’on accorde à l’enfant, comme Costejoux l’éclaircit en confiant à Nanon sa passion pour Louise, la petite sœur d’Émilien, capricieuse, gâtée et aux sympathies contre-révolutionnaires : « Louise de Franqueville est une femme, une vraie femme, avec toutes les séductions et toutes les fantaisies de la faiblesse. La faiblesse est une grâce. C’est pour cela que nous nous attachons aux enfants et que bien souvent nous augmentons leur tyrannie pour l’amusement que nous prenons à la subir »14. Par contre, le même Costejoux attribue à Nanon des qualités pareilles à celles qu’on a souvent attribuées à Sand : « Vous êtes une exception, vous, une très remarquable exception. Vous n’êtes ni une femme ni un homme, vous êtes l’un et l’autre avec les meilleures qualités des deux sexes »15. Nanon parle affaires avec Costejoux, elle se voit « [prise] au sérieux »16, et obtient le moutier auquel elle aspirait à des conditions avantageuses. Pour ses capacités on la préfère à Émilien, au nom duquel elle voudrait que la vente se fasse : « j’ignore s’il a votre sagesse et votre persévérance. Je ne vois l’affaire sûre qu’entre vos mains »17 coupe court Costejoux. Le prieur fera le même choix ‒ Nanon au lieu d’Émilien ‒ au moment de sa mort : « C’est elle seule que j’institue mon héritière, sachant bien qui elle aime et qui elle épousera. Elle a une bonne tête, elle tirera bon profit de mon argent »18.

  • 19 N, p. 233.
  • 20 N, p. 285.

11L’écoute que Nanon obtient sur les questions économiques semble lui valoir également un droit de parole en politique, fait remarquable dans un siècle qui travaille à exclure les femmes de ces deux domaines. C’est donc Nanon, encore une fois, et non Émilien ‒ qui pourtant a des idées bien arrêtées sur les développements de la Révolution ‒, qui est chargée d’affronter le jacobin Costejoux pour lui reprocher la Terreur. Le cri de révolte de l’avocat, serré par la logique de Nanon, est un aveu de culpabilité : « Tais-toi, paysanne ! tu ne vois donc pas que tu m’assassines ? »19. Il sera pourtant obligé de continuer à l’écouter, car la scène de cet affrontement se poursuit, s’étalant sur deux chapitres (XXII-XXIII). De façon spéculaire, la situation d’un autre personnage féminin, Louise, attachée aux rôles de genre tout comme à ses privilèges d’aristocrate, dénonce la réduction de la femme à l’état infantile, sa condamnation à ne jamais être traitée comme personne à part entière, même pas par Costejoux qui l’aime et qui va être malheureux avec elle : « Il était bien toujours épris d’elle, elle était si jolie avec ses grâces de chatte ; mais il ne pouvait la prendre au sérieux »20.

Former une conscience de soi

  • 21 N, p. 37.
  • 22 N, p. 38.
  • 23 Ibidem.
  • 24 N, p. 39.
  • 25 Dans Le Meunier d’Angibault le personnage éponyme refuse résolument tout acquittement pour l’hospit (...)

12Pour que cela advienne, quel modèle de formation féminine Sand offre-t-elle à travers son personnage ? L’instruction et la propriété sont les deux éléments fondamentaux immédiatement mis en avant par le récit : « Je ne sais pas si je pourrai raconter par écrit, moi qui, à douze ans, ne savais pas encore lire » débute la narratrice ; « Nous étions parmi les plus pauvres paysans de la paroisse. […] nous n’avions pas une seule pelletée de terre à nous »21, précise-t-elle tout de suite après. Le manque d’instruction et de possession coïncide avec l’enfance la plus lointaine et confuse, avec l’inconscience du sujet. Mais c’est justement celle-là, la possession, qui permettra l’apparition d’une vie intérieure. L’achat du mouton par le grand-oncle pour que Nanon en ait toute seule la responsabilité est considéré par la vielle dame comme « le point de départ de mon existence », « le moment où ma petite raison s’ouvrit d’elle-même »22. À partir de là, ce qui la touche acquiert une signification et une place dans le temps : « C’est la première fois que je me rendis compte de la durée d’une journée et que mes occupations eurent un sens pour moi »23. Autre conséquence majeure, elle s’éveille à la compréhension des rapports sociaux qui la concernent et qu’elle considère à la lumière de la valeur d’échange. À propos d’une voisine qu’elle a vu venir chez elle tous les jours sans jamais « [s’] être demandé pourquoi », Nanon prend conscience : « je compris qu’elle s’occupait de notre ménage en échange du travail que notre grand-oncle faisait pour elle »24. Ce monde reste étranger à la cupide brutalité ou au calcul véreux, mais un changement d’accent s’est évidemment opéré dans la création sandienne, où la gratuité totalement désintéressée avait jusqu’alors été promue comme valeur du monde prolétaire et comme valeur tout court25.

  • 26 N, p. 39.
  • 27 N, p. 40.
  • 28 N, p. 41.
  • 29 N, p. 275-276.

13Il est frappant d’observer que toute une série de sentiments qui contribuent à former la personnalité découlent de cette première possession. Nanon raconte qu’aux « compliments et encouragements » de la voisine, qui la juge sage et assez adroite pour savoir retirer de la laine et du fromage du mouton, « le sentiment de l’amour-propre s’éveilla en [elle] »26. Confiance en elle-même et capacité d’initiative s’en suivent (« Je résolus de lui faire [à l’oncle] sa soupe toute seule »27). C’est au moment exact de la prise en charge de ce bien familial auquel Nanon doit assurer la survivance (« la bête est bien à toi » l’alerte l’oncle), que l’enfant éprouve de l’« orgueil » et qu’elle a, pour la première fois, le sentiment de son individualité : « je sentis que j’étais quelqu’un. Je distinguai ma personne de celle des autres. J’avais une occupation, un devoir, une responsabilité, une propriété, un but, dirai-je une maternité, à propos d’un mouton ? »28. Dans cette liste, c’est moins l’extension du principe de maternité à un animal qui étonne, que le fait qu’elle soit associée à la propriété, chose exceptionnelle chez Sand et signalant donc la valorisation éthique de la propriété même. L’estime de soi, que les occurrences sémantiques de l’orgueil mettent en évidence, se relie ainsi à la capacité de s’enrichir : « Quand j’ai eu formé le projet d’être riche, […] j’ai pris confiance : il m’a poussé une sorte de fierté, et, à présent, je sens que je ne rougirai plus jamais d’être ce que je suis »29.

  • 30 Ibidem.
  • 31 Même s’il reste vrai que « la richesse elle-même n’est pas un but dans ce roman ». Voir M. Mathias, (...)
  • 32 N, p. 266.

14On remarque que c’est grâce à ses capacités économiques d’acquisition et de gestion du patrimoine que Nanon obtient « la juste estime de [soi]-même »30 qu’Émilien gagne patriotiquement et virilement sur les champs de bataille de la République. De cette façon pourtant, l’individualité du sujet se trouve subtilement déplacée dans le confort matériel qu’il a su réaliser. Le roman de formation prolétaire semble donc aboutir, chez la dernière Sand, à l’adhésion aux modèles axiologiques du capitalisme bourgeois31. Quand, dans la troisième partie, Nanon gère au mieux le couvent et ses dépendances qu’elle a rachetés à crédit, l’idée de tout abandonner suscite celle de sa mort et semble témoigner d’une projection dans les signes tangibles du bien-être. Objets, animaux et personnes se trouvent ainsi sur le même plan pour composer un tableau de vie simple, mais convenable, créé par celle qui a « su tirer parti de tout »32 :

[Émilien] eût été si content de voir son jardin embelli, sa petite chambre remeublée, son vieux Dumont encore solide […] sa pauvre Mariotte toujours gaie, ses animaux en bon état, son chien bien soigné, ses livres bien rangés.

  • 33 N, p. 269.

Et je voyais tout cela retomber dans l’abandon et le désordre s’il ne devait plus revenir. Je songeais à tout ce qui périrait avec nous, même à mes poules, même aux papillons du jardin qui n’y trouveraient plus de fleurs, et je pleurais sur ces êtres comme s’ils eussent fait partie de moi-même.33

  • 34 N, p. 94.
  • 35 N. Mozet, « Préface », dans N, p. 25-28.
  • 36 N, p. 68.
  • 37 N, p. 61.
  • 38 E. Hoffman Baruch, « The Feminine Bildungsroman : Education through Marriage », dans Massachusetts (...)
  • 39 N, p. 116.

15Si l’instruction arrive dans un deuxième moment dans la vie de Nanon, elle n’en demeure pas moins une étape fondamentale de sa formation. Si pour la communauté paysanne l’écriture est simplement le moyen pour avoir accès à la propriété (« ce fut la mode chez nous d’apprendre à lire jusqu’à ce que la vente des biens nationaux fût faite ; après, on n’y songea plus »34), pour l’héroïne, au contraire, la soif de connaissance émane du besoin de compréhension des événements révolutionnaires. Nicole Mozet a déjà souligné combien l’apprentissage de l’écriture change intimement l’être et sa conscience du monde, au point que le paysage accoutumé semble différent à Nanon, rendue sensible à l’esthétique, le jour où elle apprend les lettres de l’alphabet35. On peut remarquer aussi, en premier lieu, que l’alphabétisation de Nanon va de pair avec la mobilisation politique des paysans conséquente à la Grande Peur. Le premier cours que Nanon reçoit d’Émilien coïncide dans le chronotope du roman avec l’organisation militaire des paysans pour faire front à la prétendue attaque des brigands, qui les fait entrer de plain-pied dans le processus révolutionnaire. L’instruction se configure donc comme la première façon pour cette jeune fille de prendre part aux événements : « [J]’avais la tête montée »36, se souvient Nanon. En deuxième lieu, c’est la femme analphabète qui transmet au novice l’impulsion à l’apprentissage, et non l’inverse. Émilien, auquel Nanon s’est adressée pour en savoir plus sur ce qui arrive, sait à peine lire et écrire, d’où ses vifs reproches : « C’est une honte que de rester simple quand on peut devenir savant »37. Leur relation pédagogique n’a donc rien d’une verticalité passive, et il serait bien inapproprié de voir ici à l’œuvre un des éléments qui rendent problématique l’existence du roman de formation féminine, à savoir l’accès de l’héroïne à la pleine conscience par le biais d’un homme38. Si Émilien donne des cours, c’est l’esprit critique de Nanon qui les transforme en des occasions pour réfléchir à l’histoire politique commune, comme le signalent les verbes et les pronoms au pluriel : « ces conversations nous instruisaient tous deux, car j’étais grande questionneuse […]. Il nous venait, à propos de tout, un tas d’idées, et, si nous eussions su ce qui se passait en politique, nous aurions pu porter sur la Révolution des jugements au-dessus de notre âge »39.

  • 40 N, p. 276.

16Dans ce processus de formation réciproque, intimement démocratique, on retrouve les convictions sandiennes de toute une vie. Mais en laissant l’initiative intellectuelle à sa petite paysanne, Sand rend narrativement sensible la contribution des femmes à la connaissance commune, la valeur de leur pensée dans des domaines ‒ l’histoire, la politique ‒ alors considérés comme l’apanage des hommes. Par son esprit exigeant Nanon joue un rôle majeur dans la formation d’Émilien, qui le lui reconnaît : « Sans toi, je serais devenu un idiot ou un vagabond […]. Tu m’as sauvé de l’abjection, comme, plus tard, tu m’as sauvé de l’échafaud et de la proscription »40.

  • 41 Sur les femmes qui voyagent voir les considérations de M. Reid, Femmes et littérature. Une histoire (...)
  • 42 N, p. 87.
  • 43 Non sans être continuellement confrontée au danger du viol (N, p. 140 ; p. 145 ; p. 152), définitiv (...)

17Dans la formation de Nanon, un troisième savoir est mis en évidence, après l’histoire et la politique : c’est la géographie. On tend à oublier jusqu’à quel point, dans l’Histoire, la mobilité dans l’espace a été l’apanage des classes privilégiées et du sexe masculin41. Le désir de « connaître les pays sur une carte »42 que Nanon exprime semble au début justifié par celui de suivre Émilien, ne fût-ce que par la pensée, où qu’il aille vivre. En fait, cette science lui sert avant tout pour pouvoir se déplacer adroitement dans le pays afin de libérer Émilien emprisonné pendant la Terreur43 ; ensuite, pour guider ses premiers investissements économiques, comme on le verra. La connaissance géographique est en effet fondamentale pour celui qui doit choisir selon son intérêt le lieu d’achat et de production d’une marchandise. On en revient ainsi aux facultés qui rendent une jeune fille, une campagnarde, digne d’être écoutée par des hommes plus riches et plus instruits qu’elle.

Une maturité bourgeoise et républicaine

  • 44 N, p. 117.
  • 45 Var. a, ibidem.
  • 46 N, p. 81.

18À la fin de la première partie, la narratrice prévient le lecteur que « [son] éducation est assez faite » et que par conséquent dans son récit elle « [se] mettr[a] maintenant un peu plus de niveau avec le langage et les appréciations de la bourgeoisie, car, à partir de 92, [elle] n’étai[t] plus paysanne que par l’habit et le travail »44. L’histoire génétique du texte révèle que ce dernier mot a été préféré à l’expression initialement choisie : « les apparences »45. Sand a toujours valorisé le travail, proposé à toutes les classes sociales, comme mesure d’égalitarisme et de dignité personnelle. Mais dans ce roman des accents nouveaux résonnent qui font penser au lien entre éthique protestante et esprit du capitalisme mis en lumière par Max Weber. Nanon se laisse prêcher : « le devoir de la pauvreté est de sortir de la misère pour plaire à Dieu qui aime le travail et le bon courage »46.

  • 47 N, p. 38.
  • 48 N, p. 195.
  • 49 N, p. 138.
  • 50 N, p. 142.
  • 51 N, p. 223.
  • 52 N, p. 222-223.
  • 53 N, p. 167.
  • 54 N, p. 220-222.
  • 55 N, p. 223.

19Pourtant, pour parvenir à cela le seul labeur ne suffit pas. Nanon réussit dans sa vie grâce à d’autres vertus. Mis à part l’« honnêteté »47, le « dévouement »48 et une générosité relative, la liste qu’on peut en dresser recoupe les qualités requises à l’entrepreneur : l’« esprit de résolution »49 dans les situations critiques, le sang-froid (« sans m’abandonner à aucune émotion, […] j’observais »50, la capacité de faire des calculs (« je fis le compte de mon argent »51), la « prévoyance » permettant d’anticiper les mouvements du marché (« je voyais venir le moment où tout l’argent caché viendrait se jeter dans l’achat des terres »52), le « courage »53, la « hardiesse », la « force de […] volonté », et enfin l’ « épargne »54. Il est vrai que Sand y ajoute la foi dans la Révolution, ou pour mieux dire, dans les changements de la structure de la propriété terrienne qu’elle a réalisés : « Tous ceux qui à cette époque ont fait leurs affaires savent qu’il a fallu, pour réussir, la confiance qu’ils ont eue dans les événements »55.

  • 56 N, p. 227.
  • 57 N, p. 223.
  • 58 « Le bois mystérieux, les avenues du parc, tout avait été défriché ; la campagne ressemblait à la c (...)
  • 59 N, p. 200.

20L’enrichissement de Nanon est favorisé par des éléments qui relèvent de la culture paysanne, comme le travail intensif et la limitation extrême des dépenses (« Il [le paysan] n’a point vos besoins, vos devoirs de grande hospitalité, vos habitudes de bien-être et de dépenses »56 explique Nanon). Mais la jeune fille montre également une volonté de faire fructifier son argent, une liberté de mouvement dans l’espace et un détachement émotionnel de ses acquisitions qui sont tout à fait bourgeois. Pour augmenter le profit de ses brebis, achetées dans La Marche au moment où leur valeur marchande est mineure, elle en déplace l’élevage dans le Berry, où les pâturages sont moins coûteux. La terre est pour elle une marchandise, sans véritable investissement émotionnel. Son but est de créer une grande propriété terrienne « de meilleur rapport »57 que la propriété des moines à l’origine. Pour augmenter son capital, elle achète des terrains, investit de l’argent en clôtures et en engrais pour en faire monter la valeur et les revend quand le profit qu’elle en tire double au moins la dépense initiale. Ses considérations finales sur la transformation du paysage naturel, désormais entièrement cultivé, frappent par rapport au cri ahuri sur lequel se terminait, par exemple, Les Paysans de Balzac58. Nanon regrette une certaine perte de « poésie »59, mais constate avec satisfaction que la valeur de la terre a augmenté.

  • 60 N, p. 73.
  • 61 La déclaration de Nanon à la fin du récit « Moi, qui […] ne m’occupe plus de politique ‒ je n’en ai (...)

21Le placement de l’héritage du prieur, que Costejoux lui conseille, accomplit son apprentissage de l’emploi rentable de l’argent. Ce dernier nécessite un certain degré d’instruction, l’abstraction restant étrangère à la culture paysanne. Le grand-oncle de Nanon, ancré dans le vieux monde et qui meurt avec lui, est encore convaincu que « celui qui a la terre est au-dessus de celui qui a l’argent »60. Sa nièce voit les choses différemment. Au lieu d’éteindre tout de suite sa dette et devenir propriétaire du moutier, elle place l’héritage et avec ce revenu paye les intérêts sur son achat à crédit, tout en faisant d’autres investissements. Sand évite pourtant soigneusement de faire de Nanon une spéculatrice accomplie. C’est par hasard qu’elle profite une fois, pendant la Révolution, de la hausse des prix du blé ; ce qu’elle va vendre est en tout cas le fruit de sa culture personnelle. Elle reste donc loin d’un père Goriot, mais le bien-être qu’elle produit évolue désormais dans une sphère individualiste, aucune communauté idéale ne se profilant plus à l’horizon61.

  • 62 N. Mozet, « Nanon », dans S. Bernard-Griffiths, P. Auraix-Jonchière (dir.), Dictionnaire George San (...)
  • 63 M. Hecquet, art. cit., p. 140.
  • 64 N, p. 284.
  • 65 N, p. 274. Émilien, devenu enfin régisseur du domaine constitué par Nanon, par sa mutilation au cha (...)

22Quel type de socialisation propose donc Sand aux femmes, par son roman de formation ? On a justement souligné qu’elle est patriotique, nationale, qu’elle participe déjà de la configuration mentale de la Troisième République62. Le couple Nanon-Émilien, ces « marquis » n’ayant plus rien de la noblesse, est l’image d’une citoyenneté où les distinctions de classe se sont estompées au profit d’une identité républicaine sur le plan idéologique, bien qu’on puisse remarquer avec Michèle Hecquet l’hostilité de Sand envers le parti républicain et même son « refus de la légende républicaine construite par Michelet »63. Quand le jacobin Costejoux pense au suicide parce qu’il constate que « la République […] expire autour de moi et en moi-même », Nanon le réconforte dans sa foi politique et dit d’elle-même : « [d]evant le grand dévouement de mon fiancé à la patrie, j’étais devenue moins paysanne, c’est-à-dire plus française »64. Un parcours vers la « nationalité » que confirme Émilien, uniquement fier, lui, de son « titre de citoyen si chèrement acquis »65.

  • 66 Sur le manuscrit on trouve, barré, La Marquise de Franqueville, mais Sand n’appelle jamais ainsi le (...)
  • 67 Mise à part la mention générale d’une « grande aisance », le texte reste absolument muet sur le cha (...)
  • 68 N, p. 287.

23Mais Nanon est aussi une femme aux capacités entrepreneuriales, elle administre une fortune qu’elle-même a amassée ; son ascension sociale ne doit rien au mariage heureux. C’est probablement la raison pour laquelle Sand renonce au titre de Paysanne parvenue, ni ne prend vraiment en considération celui de La Marquise de Franqueville, titre qui n’apparaît qu’une fois66. Que Nanon devienne enfin marquise, en effet, importe peu et ne la définit pas67. La dernière image de Nanon est celle d’une femme active qui se déplace dans le département pour gérer son patrimoine : « J’ai eu occasion de voir une fois la marquise de Franqueville à Bourges, où elle avait affaire. Elle me frappa par son grand air sous sa cornette de paysanne qu’elle n’a jamais voulu quitter »68, nous raconte le narrateur extradiégétique dans l’explicit.

  • 69 G. Sand, Lettre à Edmond Plauchut, 24 mars [1871], dans Corr, p. 349-350.
  • 70 Ead., Lettre à Solange Clésinger, 22 sept [1871], dans Corr, p. 564-565.

24D’un point de vue sociologique, au terme de son parcours Nanon est aussi éloignée d’une châtelaine oisive que d’un rustre bêchant la terre : par son histoire Sand semble chercher la façon de concilier symboliquement l’idée démocratique avec le capitalisme libéral, en axant idéalement la république sur la couche paysanne, en opposition aux fuites en avant des ouvriers parisiens. Quand elle écrit Nanon, la « république bourgeoise » proposée par Thiers lui semble « la seule possible », la province étant « réactionnaire en masse compacte »69. Face aux destructions de la guerre franco-prussienne et aux violences des communards, Sand fait confiance à la France paysanne, vouée comme elle est à son intérêt matériel, à sa passion pour la propriété, et par cela même capable de relever la nation entière. En septembre 1871 elle écrit à sa fille : le paysan est « la France matérielle invincible » ; pour lui « [t]oute la Révolution de 89 se résume en ceci, acquérir les biens nationaux, ne pas les rendre », il est donc « le sauveur inconscient, borné, têtu ; mais je n’en vois pas d’autre »70.

  • 71 Ce n’était pas ainsi dans Le Péché de M. Antoine pour l’entrepreneur Cardonnet, ni pour Sept-Épée d (...)
  • 72 N, p. 284.

25La morphologie classique de ce roman de formation contribue alors à indiquer le chemin qu’il faudrait emprunter pour sortir du chaos de la défaite et de la Commune. Ses structures narratives tranquillisent tout en égayant, car elles mélangent habilement péripéties passionnantes (entièrement dépendantes des contingences de la situation politique révolutionnaire), et une bonne dose de certitudes rassurantes : l’histoire sentimentale de Nanon est une longue idylle sans incompréhensions ; les ennemis du couple disparaissent, emportés par les événements (le père Pamphile est une pâle silhouette des moines gothiques d’antan) ; enfin, l’enrichissement de Nanon est un succès lent mais sûr. Jamais ne se produit un revers, un investissement mal placé, un accident détruisant la récolte, un achat se révélant une erreur71. Cette intrigue, où toutes les initiatives économiques aboutissent, peut-elle être envisagée comme la réponse narrative aux frustrations que l’Histoire réserve toujours aux idéaux politiques ? À Costejoux écœuré par le résultat final du jacobinisme auquel il a sincèrement cru ‒ « c’est une tentative avortée, rien de plus ! » ‒ Nanon prêche la « patience » afin de « garder son idéal »72. En attendant, semble dire Sand, on se tire de la misère, on achète, on revend, avec beaucoup de labeur et d’intelligence. Nanon dresse l’idéal d’une république bourgeoise, sans privilèges, économiquement libérale, fondée sur le travail. Rien d’exaltant sur le plan des principes, mais au moins une république paritaire, où les capacités et la contribution productive des femmes sont désormais pleinement reconnues.

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Notes

1 Sand (1804-1876) a soixante-sept ans lorsqu’elle commence, en août 1871, la rédaction de Nanon. Le roman paraît d’abord en feuilleton dans le Temps (7 mars-20 avr. 1872).

2 F. Moretti, Le Roman de formation [Turin, 1999], Paris, CNRS Éditions, 2019.

3 B. Didier, « Nanon, roman de la Révolution », dans G. Seybert (dir.), Geschichte und Zeitlichkeit / Histoire et Temporalité, Bielefeld, Aisthesis Verlag, 2007, p. 137-138.

4 Sand écrit à sa fille à propos de « [l]’excès de paresse et d’ivrognerie de cette classe ». Voir G. Sand, Lettre à Solange Clésinger, 22 septembre [1871], dans Ead., Correspondance, éd. G. Lubin, Paris, Classiques Garnier, 1987, t. XXII, p. 564-565 (dorénavant Corr).

5 G. Sand, Lettre à Flaubert, 9 janvier [1870], dans G. Flaubert, G. Sand, Correspondance, éd. A. Jacobs, Paris, Flammarion, 1981, p. 269 ; voir A. Silvestri, « “Bien écrire est tout” : Sand et Flaubert aux prises avec la vérité de la littérature », dans J. Anselmini, F. Simonet-Tenant (dir.), Trajets épistolaires. Hommage à Brigitte Diaz, Mont-Saint-Aignan, PURH, 2021, p. 61-64.

6 « Dans Nanon j’ai d’abord été charmé par le style, par mille choses simples et fortes qui sont comprises dans la trame de l’œuvre et qui la constituent, telles que celle-ci : “Comme la somme me parut énorme, la bête me sembla belle”, etc. […] Quelle merveille que les cent premières pages ! ». Voir G. Flaubert, Lettre à Sand, 26 nov. [1872], dans G. Flaubert, G. Sand, op. cit., p. 405-406. Le romancier devient critique lorsqu’à son avis Sand éloigne ses personnages de l’horizon qui est le leur, rendant Nanon « trop forte, trop intelligente » au moment où elle s’enrichit, et son fiancé « bien fort en philosophie politique », ibid., p. 406.

7 A.-A. Cordet le signale dans sa thèse, « Je ne suis pas une femme » : le roman de formation féminine au féminin en France, Angleterre et Espagne, de l’entre-deux-guerres à l’après-guerre, thèse de doctorat en Littérature comparée, sous la dir. de A.-G. Weber, A. Tomiche, Université d’Artois et Paris Sorbonne Université, soutenue le 3 décembre 2020, p. 42.

8 G. Sand, Nanon, éd. N. Mozet, Paris, Christian Pirot, 2005, p. 94 (dorénavant N). N. Mozet reconnaît dans l’absence de parents des deux jeunes la « version romanesque de l’état de virginité sociale » de Rousseau. Voir N. Mozet, George Sand écrivain de romans, Paris, Christian Pirot, 1997, p. 161-162 ; G. Rosa lit Nanon comme une réécriture de Paul et Virginie, comme une « Utopie au passé ». Voir G. Rosa, « L’utopie romantique (Bernardin de Saint-Pierre, Lamartine, Sand, Balzac, Hugo) », dans M. Riot-Sarcey (dir.), L’Utopie en question, Saint-Denis, PUV, 2001, p. 31-49, p. 36.

9 N, p. 101. Il faut attendre qu’arrivent à la campagne les nouvelles sur le « terrible » août 1792 à Paris pour que leur confiance en eux-mêmes vacille. N, p. 122.

10 N, p. 93.

11 N, p. 221.

12 Ibidem. Je partage entièrement l’analyse de Michèle Hecquet qui a recensé les éléments essentiels signalant la distance entre les principes et les convictions promus dans Nanon et ceux qui autrefois étaient mis en valeur par Sand. Voir M. Hecquet, « La fortune de Nanon d’après l’Histoire d’un paysan », dans Les Amis de George Sand, 33, 2011, p. 127-141, p. 135-137.

13 N, p. 222.

14 N, p. 229.

15 Ibidem. J. Janin écrit : « Quelle énigme cet homme, quel phénomène cette femme ! Quel intéressant objet de nos sympathies et de nos terreurs, cet être aux mille passions diverses, cette femme, ou plutôt cet homme et cette femme ! ». Voir Id., « Sand », dans J.-J. Boilly, A. de Montferrand (dir.), Biographie des femmes auteurs contemporaines, Paris, Armand Aubrée, 1836, p. 437 ; « [Q]uelle idée avez-vous donc des femmes, ô vous qui êtes du Troisième sexe ? » lui écrit Flaubert le 19 sept. 1868 ; voir G. Flaubert, G. Sand, op. cit., p. 196. Sur la signification ambiguë de cette « exceptionnalité » qui finit par exclure précisément la normalité d’un talent féminin, voir C. Planté, La Petite sœur de Balzac. Essai sur la femme auteur [Paris, 1989], Lyon, PUL, 2015, p. 240-246.

16 N, p. 226.

17 N, p. 228.

18 N, p. 248-249. Expédient souvent employé par Sand pour permettre un dénouement heureux et le déploiement de projets utopiques (Le Meunier d’Angibault, Le Péché de Monsieur Antoine, La Ville Noire). Ici pourtant l’héritage n’est plus que l’un des éléments qui aident Nanon à établir sa fortune.

19 N, p. 233.

20 N, p. 285.

21 N, p. 37.

22 N, p. 38.

23 Ibidem.

24 N, p. 39.

25 Dans Le Meunier d’Angibault le personnage éponyme refuse résolument tout acquittement pour l’hospitalité qu’il a offerte à la noble Marcelle ; dans La Ville noire l’ouvrière Tonine apprend à lire aux enfants pour le goût de s’occuper des autres ; Nanon se fait payer et se félicite : « Mes élèves me rapportaient » (N, p. 94).

26 N, p. 39.

27 N, p. 40.

28 N, p. 41.

29 N, p. 275-276.

30 Ibidem.

31 Même s’il reste vrai que « la richesse elle-même n’est pas un but dans ce roman ». Voir M. Mathias, « Nanon (1872) : une défense du capitalisme ? Réflexions sur la signification de l’argent dans l’œuvre ainsi qu’autour de l’œuvre », dans George Sand Studies, 28, 2009, p. 57-64, p. 61.

32 N, p. 266.

33 N, p. 269.

34 N, p. 94.

35 N. Mozet, « Préface », dans N, p. 25-28.

36 N, p. 68.

37 N, p. 61.

38 E. Hoffman Baruch, « The Feminine Bildungsroman : Education through Marriage », dans Massachusetts Review, 22, 1981, p. 335-337, p. 357.

39 N, p. 116.

40 N, p. 276.

41 Sur les femmes qui voyagent voir les considérations de M. Reid, Femmes et littérature. Une histoire culturelle, Paris, Gallimard, 2020, t. II, p. 110-115.

42 N, p. 87.

43 Non sans être continuellement confrontée au danger du viol (N, p. 140 ; p. 145 ; p. 152), définitivement conjuré seulement par le travestissement en garçon (N, p. 156) qui lui assure la neutralité du regard d’autrui et une expérience de légitimité dans le déplacement spatial nié aux femmes.

44 N, p. 117.

45 Var. a, ibidem.

46 N, p. 81.

47 N, p. 38.

48 N, p. 195.

49 N, p. 138.

50 N, p. 142.

51 N, p. 223.

52 N, p. 222-223.

53 N, p. 167.

54 N, p. 220-222.

55 N, p. 223.

56 N, p. 227.

57 N, p. 223.

58 « Le bois mystérieux, les avenues du parc, tout avait été défriché ; la campagne ressemblait à la carte d’échantillons d’un tailleur », H. de Balzac, Les Paysans, dans Id., La Comédie humaine, éd. P.-G. Castex, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1978, p. 347.

59 N, p. 200.

60 N, p. 73.

61 La déclaration de Nanon à la fin du récit « Moi, qui […] ne m’occupe plus de politique ‒ je n’en ai pas le temps » (N, p. 286) signale une désaffection certaine, même si les vieux Émilien et Costejoux, qui n’ont « pas transigé » avec leur « foi politique », « n’ont pas été dupes de la révolution de Juillet » et « n’ont pas été satisfaits de celle de Février », témoignent des valeurs et des espoirs qui avaient été ceux de Sand ; Nanon, d’ailleurs, les « admire » (ibidem) toujours.

62 N. Mozet, « Nanon », dans S. Bernard-Griffiths, P. Auraix-Jonchière (dir.), Dictionnaire George Sand, Paris, Honoré Champion, « Champions Classiques Dictionnaire », 2020, p. 822 ; M.-P. Le Hir, « Le sentiment d’appartenance nationale dans l’œuvre de George Sand », dans Romantisme, CXLII, 4, 2008, p. 93-106.

63 M. Hecquet, art. cit., p. 140.

64 N, p. 284.

65 N, p. 274. Émilien, devenu enfin régisseur du domaine constitué par Nanon, par sa mutilation au champ d’honneur sent d’avoir « expié [sa] noblesse » et n’aspire qu’à « être un citoyen, un laboureur, un père de famille » (N, p. 272). Manchot, il se trouve, symboliquement, sur un pied d’égalité avec son épouse paysanne. P. Petitier y voit aussi une atténuation de leur différence de genre. Voir P. Petitier, « Amour et révolution : les intrigues sentimentales dans quelques romans de la Révolution », dans J.-M. Roulin, C. Saminadayar-Perrin (dir.), Fictions de la Révolution. 1789-1912, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, « Interférences », 2017, p. 77-92, p. 87.

66 Sur le manuscrit on trouve, barré, La Marquise de Franqueville, mais Sand n’appelle jamais ainsi le roman dans sa correspondance, où on le désigne initialement comme La Paysanne parvenue, autre titre enfin délaissé au profit du nom propre.

67 Mise à part la mention générale d’une « grande aisance », le texte reste absolument muet sur le changement des conditions de vie de Nanon. La seule chose dont elle se vante sont les « vingt-cinq couverts » qu’il faut mettre lorsqu’elle réunit enfants et petits-enfants, un orgueil tout populaire pour l’élargissement de sa famille. Dans l’ennoblissement de Nanon on peut voir moins l’ascension sociale d’une paysanne que la « confirmation de cette noblesse naturelle […] du peuple » toujours soulignée par Sand. Voir B. Didier, George Sand écrivain. « Un grand fleuve d’Amérique », Paris, Presses Universitaires Françaises, « Écrivains », 1998, p. 752.

68 N, p. 287.

69 G. Sand, Lettre à Edmond Plauchut, 24 mars [1871], dans Corr, p. 349-350.

70 Ead., Lettre à Solange Clésinger, 22 sept [1871], dans Corr, p. 564-565.

71 Ce n’était pas ainsi dans Le Péché de M. Antoine pour l’entrepreneur Cardonnet, ni pour Sept-Épée dans La Ville Noire, ouvrier qui rêvait une coutellerie à lui.

72 N, p. 284.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Agnese Silvestri, « Nanon de George Sand, ou le roman de formation d’une paysanne »Revue italienne d’études françaises [En ligne], 13 | 2023, mis en ligne le 15 novembre 2023, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/rief/10654 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rief.10654

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Agnese Silvestri

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