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Analyses bibliographiques

Marion Fresia et Philippe Lavigne Delville (dir.), Au cœur des mondes de l’aide internationale. Regards et postures ethnographiques

Denis Pesche
p. 219-220
Référence(s) :

Marion Fresia et Philippe Lavigne Delville (dir.), Au cœur des mondes de l’aide internationale. Regards et postures ethnographiques, Karthala/IRD/APAD, 2018, 364 pages, ISBN : 9782811119423, 27 €

Texte intégral

1Ce recueil est tiré du colloque de l’APAD qui s’est tenu à Montpellier en 2013 et qui portait sur l’enquête en contexte de développement. En se plongeant dans les organisations de l’aide internationale, le chapitre introductif a la double ambition de contribuer à désacraliser le savoir-pouvoir attribué à l’aide et à ses organisations, mais aussi de rendre plus visible les questions méthodologiques et épistémologiques d’un travail réflexif d’analyse de ces organisations. S’inscrivant dans le champ de l’anthropologie du développement, cet ouvrage a pour ambition de contribuer à l’émergence d’un sous-champ de recherche sur les organisations de l’aide, principalement exploré par des auteurs anglo-saxons jusqu’ici (Mosse, Lewis, Fechter et Hindman).

2Ce recueil en français positionne sa réflexion au croisement entre (i) une anthropologie critique des discours du développement et de la domination libérale, (ii) une socio-anthropologie du développement, des interfaces locales aux chaînes transnationales d’intermédiations et (iii) de l’action publique en pays « sous régime d’aide ». Dix contributions/chapitres viennent nourrir cette réflexion générale sur le fonctionnement « intime » de l’aide. Deux contributions explorent les arcanes du HCR montrant que l’institution se transforme par l’action de réseaux trans-institutionnels assurant la circulation des idées venant alimenter le travail de cadrage des questions migratoires, dans une institution très fragmentée à l’échelle de la planète.

3Dans le domaine de l’environnement, deux autres contributions apportent un regard sensible sur la question de la précarité professionnelle des interlocuteurs de l’aide dans les pays d’intervention et questionnent la faiblesse des liens entre fonctionnaires nationaux et problématiques locales. Cette question, peu traitée, est pourtant fondatrice de la perception autour des enjeux environnementaux. Deux contributions auscultent les pratiques de développement en régime autoritaire (Éthiopie), montrant différentes facettes de la domination de l’appareil d’État sur les acteurs de l’aide mais aussi la fragilité de certains de ses agents vivant un sentiment de déclassement face au monde de l’aide. Autour des questions de développement rural (Eau, foncier), trois chapitres illustrent la richesse de combiner postures différentes (dedans/dehors) et rigueur méthodologique. Un dernier chapitre aborde la question d’une administration récemment ouverte à l’aide internationale, la justice au Niger.

4Les différentes contributions de ce recueil illustrent bien les multiples difficultés de l’accès aux terrains des mondes de l’aide internationale, avec des organisations aux frontières floues qui déploient parfois leurs ancrages sur plusieurs continents. Pour d’autres, ce sont plutôt les administrations locales ou nationales qui constituent des univers difficiles à pénétrer. Les bureaucraties de l’aide sont, comme beaucoup d’autres organisations, en constante évolution/réforme, rendant l’entreprise de leur analyse encore plus ardue.

5La conclusion de l’ouvrage insiste sur les apports de l’ethnographie pour la connaissance des organisations par la réalisation d’observation dense de scènes si possible variées et la réalisation d’entretiens biographiques approfondis. Le principal mérite de cet ouvrage réside sans doute dans les nombreuses questions épistémologiques qu’il soulève et instruit partiellement sur l’accès au terrain et la « politique des données »  : au-delà de l’opposition, souvent simpliste, entre observateur extérieur et insiders, l’ouvrage montre bien les trajectoires complexes et tâtonnantes de celles et ceux qui cherchent à analyser l’aide en train de se faire, avec, plus généralement, cette tension récurrente entre engagement et distanciation (Elias), mais aussi entre accès et sortie du terrain.

6Cette ambition de réflexivité est très louable et l’ouvrage constitue en la matière un exemple, valorisant pleinement des travaux de jeunes chercheur.e.s. Cependant, le risque n’est parfois pas évité de généralisation un peu hâtive sur les perspectives méthodologiques, comme le « studying through » présenté comme une innovation importante alors qu’il constitue, notamment depuis les travaux de Bruno Latour, un acquis d’un nombre significatif de travaux en sciences sociales. L’ambition de synthèse générale recèle aussi quelques imprécisions comme le fait d’associer les analyses biographiques de trajectoires professionnelles aux approches de « social network analisis » qui reposent sur des bases épistémologiques très différentes. Dans l’ensemble, l’ouvrage constitue une somme assez hétérogène de connaissances dans laquelle les jeunes chercheur.e.s, mais aussi les moins jeunes, pourront aller puiser pour cheminer dans leur travail de recherche. Le double registre narratif, entre exposé des données, des résultats et retour réflexif sur la pratique de recherche, ouvre de manière salutaire la boîte noire de la recherche en train de se faire, loin des prises de distances parfois trop codifiées de la rédaction académique.

7Cette qualité est peut-être aussi la limite de l’ouvrage  : la double ambition de production de connaissance et de réflexivité méthodologique et épistémologique sur les conditions de production de ces connaissances peut parfois donner le sentiment de digressions trop longues ou s’enchevêtrent de manière très bigarrée les éléments d’analyse sur le champ de l’aide international et les réflexions méthodologique à caractère plus personnel. Mais il faut accepter ces détours et ces bifurcations, liées aux rugosités du terrain, qui peuvent déboucher sur l’exploration d’impensés dans les sciences sociales des mondes de l’aide internationale comme la souffrance au travail ou le sexisme.

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Pour citer cet article

Référence papier

Denis Pesche, « Marion Fresia et Philippe Lavigne Delville (dir.), Au cœur des mondes de l’aide internationale. Regards et postures ethnographiques »Revue internationale des études du développement, 241 | 2020, 219-220.

Référence électronique

Denis Pesche, « Marion Fresia et Philippe Lavigne Delville (dir.), Au cœur des mondes de l’aide internationale. Regards et postures ethnographiques »Revue internationale des études du développement [En ligne], 241 | 2020, mis en ligne le 05 mars 2020, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ried/19042 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/ried.241.0219

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Auteur

Denis Pesche

Sociologue
CIRAD, UMR ART-Dev

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